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Message  LinksLeChat Dim 11 Mar - 10:57

Post consacrer aux entretiens avec des personnalités connus ou non du monde du JdR et de leur oeuvre.

SOMMAIRE - entretien avec...

Michel Gaudo Créateur de Maléfices

Rob Boyle Co-auteur d'Eclipse Phase

Julien Dorvennes Pour Terres Suspendues

Ken St Andre père de Tunnels & Trolls

Kenneth Hite Co-auteur de Cthulhu Gumshoe

ROBIN D. LAWS Co-auteur de Cthulhu Gumshoe

Frédéric Weil co-auteur de Nephilim

JAWAD co-auteur de Wasteland

Arnaud Cuidet Auteur de Metal Adventures

Francesco Nepitello auteur de L'Anneau unique

Dominic MacDowall-Thomas Le Boss de Cubicle 7

Vincent Mathieu auteur de Cats !

Renaud Maroy, auteur de Pavillon Noir

Willy Favre auteur multiple (Brain Soda, DragOOns, Sable Rouge...)

Nelyhann, auteur et responsable des Ombres d’Esteren

Laurent Trémel pour Universom
Bonus des anciens : Universom

François Lalande pour Bloodlust Édition Métal*

Studio 9

Benoit Attinost et Jérôme « Brand » Larré  pour Within

le regretté Moebius

Nicolas Henry pour Wulin

CROC ! (en bonus, pourquoi Croc s'appelle Croc)

Benoît Cherel pour Les Chroniques d'Altaride*

Sandy Petersen créateur de L’Appel de Cthulhu

Frédéric Weil touche à tous (Multisim édition, Néphilim...)

Mat pour La Guerre au Garage*

Didier Guiserix qui nous raconte... Quand un fait divers est utilisé par la télé pour tuer le JdR !

le GRÜMPH et Emmanuel Gharbi pour les éditions John Doe*

MARC NUNÈS co fondateur de maison d'édition jdR Français (siroz, asmoder, Space Cowboys...)

Les Space Cowboys ou l'Histoire de l'Aventure sur TRic TracTV *

Didier Guiserix, Damien & David de BBE pour la V4 de Casus Belli sur TRic TracTV *

Profession : Gardien des Rêves*

Agate RPG pour l’éditeur français de Vampire : Le requiem 2e édition*

Rockwood*

CROC & Jeff de Raise Dead Edition pour INS/MV

Tuomas Pirinen : Mordheim, 15 ans après (notes de conception) et interview

Johan Scipion pour Sombre

Thomas Munier pour Inflorenza, jdr dans l'univers de Millevaux.*

OVNI éditeur d'autres réalités

Tristan Lhomme par Farid ben salem


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* article non présent ce post ou absent du le forum, le lien amène vers la page de l'entretien.


Dernière édition par LinksLeChat le Mar 15 Aoû - 22:28, édité 62 fois

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Message  LinksLeChat Lun 2 Avr - 15:27

entretien avec Michel Gaudo Créateur de Maléfices

Michel Gaudo est un conteur, une figure. Il est entré dans le jeu de rôle avec ses propres valeurs, il a pesé dans l’idée même qu’on se fait du JdR en France, puis il est reparti vers d’autres narrations. Dans l’intervalle, il a fait vivre dans le paysage rôlistique des années pionnières un jeu qui a su coller aux mécanismes de l’époque sans pour autant les imiter, mais surtout qui a ouvert une voie originale pour l’ambiance et le roleplay : Maléfices.

Casus Belli : Michel Gaudo, bonjour… Qui êtes-vous ? Quel a été votre parcours personnel et professionnel avant la création de Maléfices ? Et après ?

Michel Gaudo : Parcours personnel, mais qui êtes-vous ? En rang par deux, silence dans les rangs. Vous voulez savoir ce que je faisais avant Maléfices.... Clerc d’huissier (quelle horreur !) employé dans une fabrique de lingerie, photographe... c’est déjà mieux ! Libraire spécialisé en SF et en BD, cela n’a malheureusement pas duré très longtemps, animateur culturel dans une MJC (cela par contre a duré trop longtemps). Et enfin Maléfices, mais j’ai surtout été un cancre patenté à temps complet. Remarquez, je ne me plains pas, j’aurais pu être enseignant !!!

CB : Quand et comment êtes-vous venu au JdR ?

MG : Par hasard et à la suite d’un article paru sur le sujet dans Jeux et Stratégie.

CB : À quoi jouiez-vous à cette époque? Dans quelles circonstances : clubs, entre amis en privé, en conventions ?… (Tes jeux préférés, ce que tu aimes et détestes comme jeux, et pourquoi)

MG : Tiens, tu me tutoies maintenant, je te trouve bien familier…, enfin passons ! J’ai joué chez des amis à Donjons et Dragons. J’ai été enthousiasmé par le principe, mais j’ai vite trouvé les scénarios barbants. J’aime beaucoup la SF : Dick, Farmer, Ellison, Vonnegut et bien d’autres, mais je déteste l’heroïc-fantasy, je trouve cela complètement neu-neu.

À de rares exceptions près, je ne joue qu’en privé, je ne conçois pas une partie de Maléfices avec du monde autour.

Mes autres jeux préférés : les petits chevaux, on n’a pas fait mieux depuis... ah si! Quand même, j’aime aussi jouer au docteur…

CB : La genèse de Maléices : d’abord, comment l’idée vous est-elle venue ? Qui a fait quoi, comment, pourquoi, les envies, les inspirations, les sources…

MG : Après Donjon, j’ai fait la connaissance de L’Appel de Cthulhu. Le seul intérêt de ce jeu, c’est qu’il évite le Moyen-Âge. À cette époque, j’ai rencontré Guillaume Rohmer qui venait d’ouvrir une boutique de jeux à Nice. Il m’a proposé de présenter un jeu à Descartes. Étant scénariste de BD, je reprochais aux jeux de rôle la faiblesse de leurs scénarios. Pourquoi ne pas s’inspirer de l’œuvre de Jean Ray, notamment Le Carrousel des maléfices? Et puis finalement, pourquoi se coller les héritiers de Jean Ray sur le dos ? J’allais appeler mon jeu Maléfices, ce qui nous ouvrait un immense champ d’investigation. Je me dirigeai d’un pas allègre vers la boutique de Guillaume pour lui annoncer la bonne nouvelle, voilà qu’en chemin un quidam m’interpelle : «Votre feu m’intéresse», me dit-il en me montrant ma cigarette. Je lui donne du feu, je reprends mon chemin, fais quelques pas et m’arrête brusquement... Votre feu m’intéresse… et… « Votre âme nous intéresse ». Le « slogan » était trouvé !

En ce qui concerne la conception du jeu, j’ai entièrement créé Maléfices seul, avec une idée bien précise de ce que je voulais : des scénarios impeccables reposant sur une documentation solide, un rôleplay nettement plus développé que dans les autres jeux existants, la possibilité d’inclure des personnages féminins — ce qui, par parenthèse, nous a permis de côtoyer des femmes charmantes et d’éliminer un tas de gros c... uniquement capables de jouer les Grosbills!

CB : Il y avait clairement une « patte », une « qualité» Maléfices, tant sur le plan des textes que de la charte graphique… Comment cela a-t-il été possible ? Il se murmure que c’était parce que l’équipe de Maléfices fonctionnait comme une sorte « d’atelier de création » ou de « studio d’écriture », un peu en circuit fermé… Info ou intox ?

MG : Non… Maléfices fonctionnait tout simplement comme Pilote, par exemple : pas de charte graphique ni autres titres ronflants utilisés par la critique pour dissimuler leur incapacité à comprendre quelque chose à la littérature populaire et autres créations festives. La qualité de Maléfices tient tout simplement au talent de l’équipe et croyez-moi, du talent, ils en avaient les gaillards ! Atelier, studio, c’est une agence immobilière que vous devriez monter, mon cher monsieur… Notre secret : Gilles dessine, on écrit, Guillaume fait les maquettes…

On joue tous ensemble le scénario destiné à la publication, on en discute après, il est bon, on le sort, il est loupé, au panier ! C’est tout simple : du travail, du travail, du travail et un peu de talent, enfin… un peu beaucoup, tout de même !

J’en ai vu des petits génies se dire prêts à « accepter d’être publiés » chez nous mais se refusant énergiquement à nous soumettre leurs œuvres, vous vous rendez compte ? Je suis le rédac-chef de Maléfices, c’est donc à moi de décider si oui ou non le scénario sera publié. Sans mon accord, rien ne se fait… Quel scandale ! c’est du fascisme etc... etc... etc... Anticipant notre président, je m’écrie alors : « casse-toi, connard ! ».

Ça va, mon petit père, je ne t’ai pas trop bousculé? Tu sais, les artistes c’est rien que des gros mal élevés, des pas fréquentables, des qui sont jamais d’accord, enfin c’était… Parce que maintenant, ils me paraissent bien polis, bien honnêtes et bien propres sur eux, encore un petit effort et vous allez vivre dans le même monde. Oh my God, quelle horreur !

CB : Revenons maintenant au jeu lui-même : le Club Pythagore — le « vrai », celui du jeu, où commencent à peu près la moitié des scénarios « époque Descartes » — c’est quoi pour vous ? Tout sauf une « auberge à scénars », ou un peu quand même, lorsque c’est utile ou pratique pour le jeu ? Dites-nous tout… ce que vous pouvez dévoiler !

MG : C’est un peu une « auberge à scénars ». Vous n’avez malheureusement pas tort, je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment ; ou j’ai peut-être cédé à la facilité, ce qui est pire. Le prochain scénario devait révéler un tas de choses sur le club Pythagore... paraîtra-t-il ? Mes ennuis de santé ont bien compliqué les choses. Il se pourrait que ce scénario passe à la trappe... à suivre !

CB : Pour vous, en quoi Maléfices est-il différent des autres JdR de l’époque (1985) ? Et un BON scénario Maléfices, pour vous, qu’est-ce que c’est ?
MG : Pourquoi Maléfices est différent des autres jeux ? Parce qu’il est meilleur... Va pas chercher plus loin… Et surtout parce que c’est un vrai jeu de rôle. J’entre dans une histoire/de l’autre côté du miroir, tout en restant à peu près moi-même. Je ne deviens pas Fulgor le Jupitérien, je n’ai pas de pouvoirs spéciaux, et je ne vais pas affronter des monstres à trois bras et deux têtes.

CB : Ce que vous en dites correspond bien — mais à l’époque, ce n’était pas de mise! — à la mode, aujourd’hui, de ces jeux dits « narrativistes », où l’aspect « conte » et « interactivité joueurs/Meneurs » est mise en avant…

MG : Vous prétendez, petit hanneton sentencieux, que ce qui est à la mode actuellement en tant que « jeux narrativistes » n’était pas de mise à l’époque ?

Alors… on laisse tomber le narrativisme, l’interactivité, les locuteurs et autres conneries si chères à l’éducation nationale et l’on parle de scénario, tout simplement ! Et écrire un bon scénario, c’est déjà pas mal, c’est même un métier, c’est presque pour moi de l’artisanat et, en principe, un artisan c’est quelqu’un qui aime le travail bien fait… On joue à Maléfices aujourd’hui tout comme on aime aller passer un week-end à la ferme. Contrairement à ce que vous dites, je ne suis nullement étonné par l’engouement qui perdure pour Maléfices…

À la sortie de Maléfices, on a vendu 8 000 exemplaires de chaque scénario et 20 000 ex. de la boîte de jeu, plus ensuite de nombreuses rééditions… Nous avons été le jeu de rôle français le plus vendu et L’événement du Jeudi, Casus Belli, Jeux et Stratégie, Infojeu, PlayBoy et Le Figaro accueillirent la sortie de Maléfices comme : « Un jeu qui développe les thèmes du paranormal et de l’ésotérisme dans l’atmosphère mystérieuse de la France de la Belle Époque... au total un jeu intéressant et différent ».

CB : Selon vous, pourquoi si peu de scénarios Maléfices sont finalement sortis, alors que le jeu a toujours, même quand il ne bénéficiait plus d’un soutien éditorial, fait l’objet d’un amour déraisonnable de la part de meneurs et de joueurs enthousiastes ?

MG : Peu de scénarios écrits, dites-vous ? Oui et non, si l’on considère que l’intégralité de Maléfices a pratiquement été écrite par deux personnes : Hervé Fontanières et moi-même + un scénario de mon fils, qui ensuite fut pris par ses études, et un scénario des Bilous.

Et aucune proposition de collaboration venant de l’extérieur ne fut faite. Il semblerait que ce n’est pas si facile que cela d’écrire pour le jeu de rôle.

CB : Pourtant, les créations personnelles n’ont jamais cessé : le club Pythagore de Provins propose, depuis 25 ans, un scénario inédit à chacune de ses Rencontres annuelles (vous y êtes même venu mener certaines de vos créations en avant-première !). Et — pas si bizarrement que cela, à y bien réfléchir ! — ces scénarios montrent souvent une grande exigence de qualité, aussi bien pour les aventures elles-mêmes que pour la documentation et surtout les aides de jeu… C’est la preuve que le jeu qui sent le soufre a su créer chez ses fans aussi une certaine exigence… Des remarques sur ce constat ?

MG : En ce qui concerne les scénarios présentés à Provins, la démarche est très sympathique, mais reste tout de même éloignée de ce que l’on appelle une publication professionnelle. De plus, aucun des auteurs ne m’a fait parvenir la moindre chose, donc j’en déduis qu’il n’y avait pas de désir de publication. Être édité, en-dehors du talent que l’on doit posséder, demande une volonté farouche de franchir tous les obstacles pour y parvenir. Voilà le seul constat qui tienne la route…

CB : Enfin, vous n’échapperez pas à une question piège : des projets concernant Maléfices ?

MG : Difficile à dire, j’ai bien envie de fiche à la poubelle L’œil du Diadème, qui dans l’état actuel ne me satisfait point. Par contre, j’ai une idée de scénar toute frétillante qui, depuis quelques temps, montre le bout de son nez. Mais nous en parlerons au téléphone, cela ne regarde que nous…

De plus, on me relance pour faire une suite à mon spectacle de Marionnettes, un projet avec une troupe locale, mais j’aimerais bien « accrocher » une troupe nationale, l’expérience que j’avais faite dans ce domaine m’avait énormément plu...

Propos recueillis par
Jean-Philippe Palanchini
Extrait du casus belli n°2 Janvier-Février 2012 publier chez BBE

Notes de la rédaction BBE :
Dans les cyniques années 80 (en réaction contre les années 70 baba cool), un banquier interpelait le chaland sur des centaines d’affiches noir et gris 4 par 3 avec ces mots : « votre argent nous intéresse ».

Pilote est le mag de BD dirigé par Goscinny, où se côtoyaient Astérix, Blueberry, Valérian, et les pages saignantes de Reiser, Cabu, Gébé...


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Dernière édition par LinksLeChat le Ven 15 Juin - 12:39, édité 1 fois

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Message  LinksLeChat Dim 29 Avr - 23:22

entretien avec Rob Boyle Co-auteur d'Eclipse Phase


Rob Boyle est l’un des co-auteurs du jeu Eclipse Phase, et il a tenu ce rôle avant cela pour la 4e édition de Shadowrun. C’est un passionné du mouvement transhumaniste et son intérêt pour les effets de la technologie sur la société et la politiques se retrouve clairement dans ses oeuvres. Notre correspondant aux USA a passé 45 minutes avec Rob pour discuter de la création d’Eclipse Phase et pour parler de son futur.

Casus Belli : Pouvez-vous donner aux lecteurs un peu d’information sur vous ?

Rob Boyle : J’habite à Chicago, Illinois. J’ai presque 40 ans et j’ai travaillé dans l’industrie du jeu à plein temps pendant une décennie, soit en étant directement employé par Catalyst Game Labs (CGL) soit comme écrivain pigiste. Je fais aussi beaucoup d’autres choses pendant mon temps libre : DJ, professeur d’arts martiaux (NDT : de l’Arnis moderne, un art martial originaire des Philippines), et je m’implique dans l’activisme politique, social et transhumaniste.

CB : Sur quels jeux avez-vous travaillé en dehors d’Eclipse Phase ?

RB : J’ai travaillé principalement sur Shadowrun. J’ai été directeur de publication sur ce jeu pendant 7 ans, et avant cela j’ai été assistant-développeur pendant quelques années. J’ai commencé comme auteur chez FASA et j’y ai travaillé sur plusieurs gammes : BattleTech, Earthdawn, Crimson Skies et d’autres moins connues. J’ai aussi collaboré sur plusieurs projets en tant que pigiste, comme sur All Flesh Must be Eaten (NDT : un jeu de zombie très populaire aux USA).

CB : Parlez-moi de la genèse d’Eclipse Phase

RB : Cela a commencé alors que nous travaillions sur Shadowrun 4. Shadowrun prend place dans le même univers qu’Earthdawn. Dans cet univers, Earthdawn est le 4e monde et Shadowrun le 6e monde. Bien que ces jeux soient désormais les propriétés de deux sociétés différentes, nous discutions de l’idée de développer un jeu dans l’univers de Shadowrun, où tout comme dans Earthdawn, les Horreurs seraient venu dans notre monde, attirées par la résurgence de la magie, et auraient commencé à dévorer les gens et leurs cerveaux. Cela se serait passé environ deux cent ans après l’ère de Shadowrun, et aurait forcé l’humanité à s’exiler dans l’espace. Pour des raisons cosmologiques, les Horreurs ne pouvaient pas les suivre dans l’espace. Comme les deux jeux appartenaient à des sociétés différentes, nous en sommes restés là sur ce projet.

Un de mes amis et collaborateurs sur Shadowrun 4, Brian Cross, est également passionné par le transhumanisme. Nous avons discuté à propos d’un jeu sur ce thème et avons utilisé certaines des idées mentionnées cidessus pour Shadowrun, notamment celle d’une humanité exilée dans l’espace. Cela a pris plusieurs années, nous avons mis en place un Wiki et y avons progressivement ajouté du matériel, pour construire le monde. Nous utilisions ce Wiki comme une plateforme de développement. Nous avons invité plusieurs amis après avoir posé une bonne base et après que le monde ait gagné de la substance, afin qu’ils l’étoffent. Nous avons d’abord essayé de vendre ce jeu à FanPro. Nous avions d’autres idées pour aller au-delà du jeu : un système de réseau social en ligne destiné aux joueurs et qui pourrait interagir avec le jeu. Cela fut abandonné, car cela allait au-delà de ce que FanPro (et Catalyst Game Labs plus tard) pouvait faire. Quand FanPro implosa et que plusieurs de ses membres créèrent Catalyst Game Labs (GGL), nous leur avons proposé de nouveau notre jeu. Nous avons fondé Posthuman Studios pour pouvoir conserver la propriété intellectuelle de notre projet. Catalyst voulait ajouter de nouveaux jeux à leur catalogue, donc nous avons décidé d’étoffer encore plus le nôtre. C’est à ce moment que j’ai quitté ma position de chef du développement pour Shadowrun et me suis focalisé sur Eclipse Phase (EP). Nous avons recruté des auteurs qui étaient à l’aise avec la science-fiction transhumaniste et un an plus tard le système de jeu et l’univers étaient prêts.

CB : Qu’est-ce qui t’a inspiré pour écrire un JdR de science-fiction transhumaniste ?


RB : Cela vient un peu de l’observation de la politique mais aussi en regardant où va notre monde (Brian et moi sommes tous deux des anarchistes, l’anarchie étant prise au sens d’antiautoritarisme organisé). Un des problèmes que j’ai avec la politique est qu’elle regarde toujours vers le passé et rarement vers le futur. Lorsque tu lis des écrits transhumanistes comme ceux de Ray Kurzweil (NDT : auteur de The Singularity Is Near: When Humans Transcend Biology), tu comprends que l’avancée des technologies de pointe va s’accélérer exponentiellement, car elles vont se lier entre elles pour former des boucles de feedback qui vont accélérer leur progrès. Beaucoup de ces technologies sont devenues essentielles pour le fonctionnement futur de notre société. Nous avons déjà vu cela avec l’arrivée de l’Internet dans notre mode de vie. Je suis intéressé par cela et par la façon dont nous (la société) pourrions aboutir à un meilleur futur grâce à ces changements. Mais si l’on regarde ces technologies de plus près, on peut voir qu’il y a de nombreuses applications abusives ou autoritaires qui en sont faites. Nous ne sommes pas du tout des technoutopistes, mais nous considérons que la technologie a une énorme valeur si elle est utilisée correctement. Cela donne beaucoup d’éléments utiles dans le cadre d’un jeu, surtout avec la technologie, notamment les applications de la nanobiologie et des esprits digitalisés. Le jeu Transhuman Space (NDT : un supplément pour GURPS) avait déjà abordé ce sujet, mais nous sommes allés plus loin, notamment dans le transfert de corps. Lorsque l’on s’assoit et que l'on discute des possibilités offertes par ce type de technologie, on trouve un grand nombre de choses qui n’ont pas été abordées jusqu’ici par les jeux. C’est très sympa quand on l’explique à des gens qui ne connaissent pas le transhumanisme : à un moment, on voit un déclic dans leurs yeux lorsqu’ils réalisent toutes les possibilités qui en découlent.

CB : Alors que je lisais le livre de base, je n’ai pu m’empêcher de remarquer que c’était un des JdR les plus politiques vus jusqu’ici. Est-ce voulu ou est-ce un effet secondaire dû aux autres thèmes du jeu ?

RB : Un peu des deux, je pense vraiment que tout est politique. Je crois que toutes ces technologies auront un effet sociopolitique important, et nous nous devions donc d’aborder ces questions. Nous voulions explorer les possibilités, voir ce qu’on pouvait faire avec. Nous avons d’abord créé l’univers, décrit le système solaire intérieur et extérieur, et avec l’Alliance autonomiste nous avons aussi appliqué un modèle politique où les choses pourraient se développer d’une façon plus intéressante et progressiste. Nous n’avons pas juste développé des modèles anarchistes, mais aussi des modèles techno-socialistes et des modèles libertaires comme les anarcho-capitalistes. Nous avons également joué avec d’autres factions comme les bioconservateurs (opposés à la technologie) et les Singularistes (des techno-utopistes qui pensent que la technologie est la réponse à tout, au point de négliger les problèmes sociaux et politiques). Nous voulions définitivement des éléments avec lesquels les joueurs pouvaient expérimenter.

CB : Le premier supplément paru a été Sunward ?

RB : C’est un supplément descriptif du système solaire intérieur (du Soleil à Mars, la ceinture d’astéroïde sera pour un autre supplément). On y trouve de l’information sur toutes les planètes de cette zone, ainsi que sur le Consortium planétaire (la plus grande entité politique de cette partie du système). Il y aura des détails sur les habitats, les factions, des accroches d’aventures, des règles pour gérer les environnements hostiles spécifiques (les surfaces de Mercure t de Vénus par exemple), et des nouveaux morphes adaptés à ces lieux. Il y aura plus d’illustrations, pour que les lecteurs puissent avoir une meilleure idée de leur apparence. Il y a également des personnages prétirés à la fin du livre, avec des illustrations de morphes qui n’ont pas été illustrés jusque-là. Cela permet aux joueurs d’avoir une meilleure idée de ce qu’ils jouent.

CB : Et après ?

RB : Gatecrashing, sorti ensuite, parle des Portails de Pandore, des différentes factions qui les contrôlent et des différentes planètes que ces portails permettent d’atteindre. Lors de ces explorations en dehors du système solaire, de nouveaux matériaux sont introduits (de nouveaux morphes entre autres). Après Gatecrashing, Panopticon, le livre suivant, est composé de cinq sections qui n’avaient pas pu être couvertes dans le livre de base : une section sur les habitats et les stations spatiales, une partie sur les groupes criminels, une section sur les surévolués, etc. Enfin, le supplément Rimward, à paraître en février 2012, décrira la zone extérieure du système solaire.

CB : Est-ce que ces livres comprennent ou comprendont des scénarios ?

RB : Non, mais ils contiendront des accroches de scénario. Notre plan de publication est actuellement de sortir 4 livres/suppléments par an, et 4 fichiers PDF plus petits qui proposent notamment des aventures. La raison est que les aventures se vendent généralement moins (seuls les MJ les achètent) et que les PDF sont beaucoup plus pratiques pour les MJ lors de la préparation d’une aventure. Nous avons, par exemple, trois aventures originales que nous avons testées lors de l’avant-dernière dernière Gencon, et ces aventures sont disponibles à l’achat au format PDF. Nous avons également une sélection de PNJ prêts-à-jouer qui est sortie sous ce format pour les MJ (il était prévu à l’origine de les inclure dans le Kit du MJ, mais faute de place ils sont sortis séparément).

CB : Avez-vous des projets pour une grande campagne ou une intrigue globale ?

RB : Tout à fait, c’est prévu pour être publié après Rimward. Elle n’est pas encore écrite, mais nous avons quelques idées déjà quant à son déroulement. Nous ne sommes pas sûrs de la façon d’aborder une intrigue globale (certains joueurs les adorent, d’autres les détestent). Il est possible que nous proposions plusieurs intrigues globales distinctes et modulaires (une sur le Consortium planétaire, une sur les Courtiers), etc. Les MJ pourront utiliser certaines intrigues ou toutes, selon ce qu’ils préfèrent.

CB : Avec les nano-usines, on peut virtuellement tout créer dans EP. J’ai pourtant remarqué qu’il n’y a pas de règles pour créer de nouvelles technologies ou équipements au vol.

RB : Avec leur compétence « programmation », les joueurs peuvent déjà créer leurs propres schémas de fabrication pour de nouvelles pièces d’équipement et de technologie. Créer des règles sur ces points est très difficile, car on aboutit à des règles qui sont soit trop compliquées pour être utilisées en cours de jeu, soit si simples qu’elles ne sont pas vraiment utiles. Je pense qu’il vaut mieux laisser cela aux MJ au cas par cas.

CB : Y aura-t-il un supplément qui parlera des vaisseaux spatiaux et traitera des combats dans l’espace ?

RB : Oui, pour les vaisseaux, nous avons prévu cela pour un deuxième livre similaire à Panopticon et qui contiendra une sélection d’aspects du jeu que nous voulons couvrir en détail. Cela restera assez générique tout comme pour les habitats, expliquant surtout les différents composants et les règles en relation avec les vaisseaux, mais ce ne sera pas un catalogue. Nous n’avons pas couvert les combats de vaisseau, car nous voyons les vaisseaux plus comme un environnement, un décor, que comme un élément actif de jeu. Les personnages auraient de toute façon peu de chance de survivre à un combat spatial, ceux-ci étant particulièrement mortels. Il y a eu des demandes à ce sujet néanmoins, notamment sur les forums. Je peux voir un usage limité pour ce genre de règles donc cela sera peut-être couvert un jour au format PDF, mais ça n’est pas une priorité.

Propos recueillis par Franck Florentin
Extrait du casus belli n°2 Janvier-Février 2012 publier chez BBE

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Dernière édition par LinksLeChat le Ven 15 Juin - 13:29, édité 3 fois

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Message  LinksLeChat Ven 15 Juin - 12:37

entretien avec Julien Dorvennes
Pour
Terres Suspendues





Comment il en est arrivé là:

C'est un peu par hasard que je me décide à travailler en professionnel. C'est toujours un peu par hasard que tout nous arrive...

Il y a quelques années j'envoie un article à Multimondes, comme ça, pourquoi pas ? L'article ne sera jamais publié, mais depuis j'ai travaillé régulièrement pour Multimondes puis pour DXP et enfin pour D2O Magazine.

Aujourd'hui je reste surtout à l'ouest des Terres Balafrées, dans les provinces de Darakeene. J'écris sur un peuple à la peau noire qui vit à la mode extrême-orientale. L'autre partie du temps je suis sur les Terres Suspendues à parler de fayts et de magie.

Je me nourris de Valérian, de Caza, de Vance, de Labyrinth et de Dark Crystal, de ce que je trouve encore çà et là... de chocolat et tartines.

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Dernière édition par LinksLeChat le Ven 15 Juin - 13:29, édité 1 fois

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Message  LinksLeChat Ven 15 Juin - 13:15

entretien avec Ken St Andre

Légende vivante né en 1947, Ken St Andre est l'un des plus anciens auteur de jeu de rôle. On lui doit Tunnels & Trolls bien sûr, mais aussi Stormbringer. Si le jeu de rôle compte désormais ses dinosaures, pour Ken St André, l’auteur central de Tunnels & Trolls, la métaphore est plutôt à aller chercher dans les protozoaires de la soupe originelle. Bien que d’origine française, c’est en anglais que Ken a répondu à nos questions.

Casus Belli: Comment en es-tu venu à croiser le chemin de D&D ?

Ken St Andre : J’étais un membre du fandom de science-fiction et du jeu bien avant l’arrivée de D&D – avec qui j’ai un vieux contentieux et qui, si ça ne vous fait rien, sera dénommé ci-après That Other Game (Cet Autre Jeu).

Je suis né en 1947, et j’ai appris les échecs à 10 ans. Au lycée, j’ai décou-vert Battle of the Bulge, un wargame (mon préféré d’ailleurs) de Avalon Hill. À cette époque, j’inventais mes variantes d’échec ou bien des wargames qui mettaient en scène des personnages individuels… Ma première nouvelle de fantasy a été publiée dans le fanzine Ashwing en 1968. Cette même année, j’étais à la World Science Fiction Convention à Berkeley (Californie), et j’ai pu voir en action la Society for Creative Anachronism. Et j’ai été de l’équipe quand Rick Cook a monté à Phoenix une section de la Society.

Donc aux débuts des années 70, j’avais des liens, pas seulement loca-lement, mais à travers tous les États-Unis, dans le domaine du fandom. J’étais un gros fan de fantasy. Conan le barbare était mon héros ! J’avais lu Tolkien, et Fritz Leiber, et Michael Moorcock, et bien d’autres que le monde a oublié depuis…

Quand la rumeur d’un nouveau jeu basé sur la fantasy a bruissé dans le fandom en 1974, j’ai été un des premiers au courant. Quand inalement j’ai vu les règles, celles de la boîte blanche de 1975, j’étais chaud et prêt pour le jeu. Mais je n’avais personne dans mon entourage pour faire une partie. Je l’ai donc lu, mais je n’ai pas pu y jouer, ni même voir quelqu’un y jouer.

Quand j’ai fait ma propre version de cette première édition de Cet Autre Jeu, c’était pour jouer avec des amis à un jeu que je pouvais facilement comprendre et faire jouer. Car bon nombre de règles ne faisaient pas sens pour moi… Qu’était donc un « dé à quatre faces » ? Pourquoi les personnages décrivaient-ils leur mouvement en pouces ? Quel est l’utilité d’un attribut appelé « Sagesse » ? Pourquoi « Constitution » et « Points de vie » étaient deux choses distinctes ? Et pleins d’autres choses ! Je n’ai donc pas joué à Cet Autre Jeu, et j’ai décidé de faire ma propre variante. Une nuit, j’ai relu une partie des règles (pas tout d’ailleurs) et décidé de faire quelque chose de similaire, mais que mes copains et moi pourrions jouer.

CB: Tu l’as acheté, mais tu n’as pas tout lu ?

KSA: Ah, mais je ne l’ai pas acheté, juste emprunté ! Je n’ai même jamais possédé un exemplaire à moi, ni à l’époque, ni aujourd’hui, ni jamais! J’ai juste eu l’occasion de jeter un coup d’œil, par-ci par-là, à ceux d’autres gens.

CB: Mais alors comment tout cela, je veux dire Tunnels and Trolls, a démarré ? Qui a fait quoi ?

KSA : Un bon nombre de fausses histoires circulent sur ce thème. T&T ne s’est pas développé à partir de Cet Autre Jeu comme l’ont fait d’autres variantes, Arduin par exemple.

Avec mes amis, nous nous réunissions chaque vendredi soir pour jouer à des jeux comme Risk. Un soir, quelqu’un a apporté Cet Autre Jeu dans sa boîte blanche, mais on n’y a pas joué. Comme je suis arrivé en retard, au lieu de jouer, j’ai commencé à lire ces règles. C’était étrange : comme je l’ai dit, je ne voyais pas le sens de certains concepts, mais je comprenais bien que c’était un jeu de « storytelling » situé dans un donjon, que les joueurs avaient des « personnages » décrits par des attributs chiffrés et qu’on lançait des dés pour les combats. Je voyais qu’il était possible d’utiliser la magie, et aussi qu’un participant était le « Dungeon Master », qui faisait jouer l’aventure et contrôlait le jeu. C’est là que je me suis exclamé : « Quelle belle idée ! Et quelle mauvaise façon de la mettre en œuvre ! Je vais faire quelque chose que je puisse jouer ! ».

Ça m’a pris une petite semaine pour faire mes premières règles et créer une aventure à faire jouer à mes amis. Ces règles comprenaient juste la création de personnage, les armes, et une façon de combattre les monstres du donjon (en gros un système pour cataloguer les monstres). Il y avait déjà aussi l’idée du « saving roll » basé sur les attributs du personnage, que je n’ai utilisé au début que pour la Chance. Il m’a toujours semblé que la Chance était l’attribut le plus important qu’un personnage puisse avoir…

Mes amis ont adoré ce jeu, et ont commencé à suggérer leurs propres améliorations.

Quand l’été est arrivé, j’avais incorporé un tas de nouvelles règles: magie, races non-humaines, limite de charges portées, systèmes de monnaie et d’expérience, de niveaux, toutes assez similaires mais pas empruntées à Cet Autre Jeu, plutôt réinventées au fur et à mesure en fonction de ce qui nous semblait logique et raisonnable. Mes règles ont été illustrées par Rob Carver, et je suis arrivé au bout grâce à l’aide de mes amis (j’ai de supers amis!).

J’en ai imprimé 100 exemplaires à la boutique d’impression de l’Université d’Arizona. À cette époque, je connaissais Rick Loomis en tant que joueur et habitant de Phoenix. Il était invité ce fameux soir où j’ai découvert les règles de Cet Autre Jeu. Puis je l’ai revu sur des conventions de SF, et je lui ai montré mes règles, et demandé s’il voulait bien essayer de vendre les exemplaires que je n’avais pas encore réussi à écouler. Il les a pris, les a vendus sur une convention de jeu, celle ou Mr Gygax s’est pris le bec avec un fan de T&T (voir marge).

Mes autres amis et connaissances sont tous venus du fandom de Phoenix. Liz Danforth a fait partie des gens qui ont rejoint notre groupe. Quand je me suis aperçu qu’elle dessinait, et si bien, je lui ai naturellement demandé de faire les illustrations de la seconde édition de T&T que Flying Buffalo s’apprêtait à publier…

CB: Comment se sont passés vos premiers contacts avec Flying Buffalo ?

KSA : Les gens de Flying Buffalo ont eu une boutique de jeu à Scottsdale (Arizona) pendant un moment au cours des années 80. C’était un des lieux où on se retrouvait avec mes amis, pour jouer, à T&T parmi d’autres jeux. On a aussi joué un max à Vilains & Vigilantes à cette époque [sourire ému]… En fait je n’ai plus de souvenir précis de cette époque,juste des impressions de longues nuits pleines de fun, de soda-pop, de pizza, de hurlements de rire et de moments à traîner ensemble. Ça a été de bons moments.

CB : Il y a une mode des retro-clones en ce moment, certains motivés par un « retour à une époque où les règles étaient plus simples ». Qu’est-ce qui a fait que T&T a toujours échappé à  cette  complexiication  qui  a frappé tous les autres jeux ?

KSA : Il n’est pas tout à fait exact de dire que T&T ne s’est pas complexité avec le temps. Il l’a fait aussi. Mais effectivement, il est resté bien en deçà du niveau de complication de Cet Autre Jeu. Il est déjà né plus simple. En fait, T&T s’est développé à partir du storytelling et des comic books, pas à partir des wargames et du jeu avec igurines. Très tôt, j’ai pu voir des jeux comme Chivalry & Sorcery ou Empire of the Petal Throne. Wow! Ces auteurs ne laissaient rien au hasard. Les règles étaient si longues que je ne suis jamais parvenu à les lire jusqu’au bout ! Et j’ai fait le vœu que T&T ne soit JAMAIS comme eux. Il est donc resté… relativement simple. Sitôt que surgissait la tentation d’introduire trop de complexité, il y avait toujours quelqu’un pour me rappeler « Keep It Simple, Stupid ». KISS, un acronyme intraduisible en français, est devenu la règle d’or de T&T.

Mais la forme moderne de T&T est tout de même bien plus complexe que ne l’étaient les versions des débuts. Il est juste beaucoup plus simple que Cet Autre Jeu. Et il y a des systèmes de jeu de rôle bien plus simple que T&T, comme Fudge par exemple.

CB : Une question de vieux rôliste : pourquoi n’y a-t-il pas de clercs/prêtres dans T&T ?

KSA: Une de ces choses qui ne trouvaient pas de sens à mes yeux dans les règles originales de Cet Autre Jeu était
cette idée de classe de personnage nommée « Clercs ». Je n’ai pas retrouvé un seul exemple de héros prêtre dans toute la littérature de sword & sorcery que j’avais pu lire. Quand il y avait des prêtres, c’était toujours des sales types. Je les ai donc virés. Le jeu s’est développé sans système religieux clairement déini. Je n’essayais pas de faire revivre le moyen âge historique, je voulais juste « une fantasy indéinie où tout peut arriver ». Plus tard, c’est volontairement que j’ai choisi de ne pas intégrer de religions dans mon jeu, d’une part parce que je ne voulais pas offenser tel ou tel groupe de gens croyants, mais aussi parce que je ne voulais pas imiter Cet Autre Jeu dans sa dépendance aux dieux et aux démons. Bon, et puis, même si je suis un saint… (Hey, joke… Saint Andre, OK ?), je ne suis pas passionné par la religion dans ma vie, alors pourquoi mettre ce genre de chose dans mon univers de jeu ?

CB: D’où est venue cette idée de faire des scénarios solo, qui sont devenus une partie de l’image de marque de T&T ? Un rapport avec les premiers jeux en texte sur ordis (Zork, etc.) ?

KSA : Beaucoup des meilleures idées de T&T sont venues de mes amis, je ne réclame pas la paternité de chaque détail. Est-ce que j’ai déjà dit que j’ai des supers amis?

L’un d’eux, Steve McAllister, était un technicien en aviation, et dans certains de ses manuels, il avait à suivre des instructions programmées (s’il se passe ceci voir page X, si vous faites cela voir page Y). C’est lui qui nous en a parlé sur une convention, et qui a trouvé que ce mécanisme pouvait s’adapter aux règles de T&T. Rick Loomis a repris l’idée pour écrire Buffalo Castle, le tout premier scénario solo de tous les temps (NDLR : Château Bison, tout juste traduit et dispo sur Lulu.com).

Je l’ai suivi de peu avec mon Deathtrap Equalizer Adventure (il semble que ma destinée ait été d’être juste second dans un tas de choses…). Rick étant un businessman, il a vu qu’en les liant à T&T, cela permettait de publier de nouveaux produits sans avoir à réinventer de règles.

Bref, tout ça n’a pas de rapport avec les jeux en texte à la Zork. Il y avait un certain challenge à jouer à ces jeux : celui de trouver exactement le mot précis que le programmeur attendait pour faire quoi que ce soit. Nos solos n’étaient pas basés sur ce genre de puzzle logique. Ils parlaient de lancer des dés, de prendre des décisions avisées et d’avoir de la chance.

CB : Avec ton groupe, étais-tu plutôt isolé, ou as-tu d’une façon ou d’une autre participé aux premiers réseaux « proto-geek » ?

KSA : Hé, je crois que tu peux écrire que j’ai toujours été au cœur du réseau proto-geek. Tu n’aurais aucune idée du nombre de groupes de fans et d’organisations auxquels j’ai appartenu dans ma vie, j’en ai perdu le compte moi-même. J’ai été très tôt passionné d’ordinateurs, de jeux, de science-iction et d’écriture, comment être plus geek?

CB: Quelles ont été tes relations avec le JdR en général toutes ces années ? Des coups de foudres, des inidélités à T&T ?

KSA : T&T n’était pas supposé envahir toute ma vie. J’ai toujours eu une grande attirance pour toutes sortes de jeu, surtout les plus imaginatifs. J’ai énormément admiré le Runequest de Greg Stafford, et je m’y serais volontiers immergé sauf que… je n’ai pas trouvé de joueurs de RQ par chez moi. J’ai joué à Vilains et Vigilantes et plus tard à Champions, deux jeux que j’ai beaucoup aimés. J’ai joué à un tas de jeux sur ordinateur dès les débuts, et je joue toujours à Runescape, où j’ai un personnage nommé Khenn Arrth qui est niveau 132.

J’ai aussi créé le jeu Stormbringer, basé sur les livres de Michael Moorcock, et j’ai pris une grande part dans le jeu sur ordinateur Wasteland* : le plot et le background du jeu (dont le scorpitron, une invention à moi), et certains des scénarios.

Je pense quand même devoir admettre que T&T a toujours été mon premier et plus grand amour en jeu.

CB : Quelles ont été tes rencontres les plus marquantes en tant qu’auteur de T&T ?

KSA : Mon contact le plus marquant dans le cadre du jeu a été avec Richard Loomis, créateur de jeu, entrepreneur, président de la GAMA (NDLR : Game Manufacturers Association), et patron de Flying Buffalo Inc. Nous avons entamé dès 1975 une collaboration qui a toujours maintenu T&T disponible et l’a fait évoluer vers de nouveaux horizons, comme les nouvelles éditions ou les publications à l’étranger. Sais-tu que T&T battait en ventes Cet Autre Jeu sur des marchés comme la France, l’Angleterre ou le Japon ? Des gens comme Liz Danforth, Steve Crompton et Michael Stackpole ont aussi été très importants, ils ont tous contribué au succès qu’a connu T&T.

Et puis je n’oublie pas l’inluence d’amis comme Dave Arneson (qu’il repose en paix), Greg Stafford, Steve Perrin (NDLR : auteur du système de Runequest), Jolly Blackburn, Peter Adkison, Glen Rahman, Patrice Geille, Andy Holmes, Andy James et des dizaines d’autres. J’ai des supers amis!


par Philippe Rat, Didier Guiserix et Géraud,
réponses recueillies et traduites de l’Arizonien par DGx
Extrait du casus belli n°3 Mai-Juin 2012 publier chez BBE


* NDLR : rien à voir avec le JdR français… il s’agit d’une des inspirations principales de la série des Fallout, qui evendique d’ailleurs cette iliation.

The Gygax incident
L’histoire remonte à début 1976, la fois où Rick Loomis a accepté de vendre des exemplaires de ma première édition de T&T (photocopiée donc) sur une convention de jeu (et à l’époque, les conventions étaient toutes petites). Rick avait une table non loin de celle de Gary Gygax, qui vendait la boîte blanche de D&D pour 10 $. À 1$ pour T&T, Rick a épuisé son stock, ce qui faisait sans doute plus d’exemplaires vendus que de D&D par Gygax. Il s’est donc trouvé qu’un fan ayant découvert T&T plus tôt dans le week-end s’est mis à discuter avec Gygax. Gary lui a expliqué ce qu’était D&D, quand le fan s’est exclamé : « Ah, mais c’est comme Tunnels & Trolls ! ». Placé non loin, Rick a bien sûr tout entendu. Inutile de préciser que Gary n’a pas été enchanté par la comparaison. Moi par contre, ça m’a bien fait rire quand Rick m’a raconté l’anecdote, de retour à Phoenix.
Bizarrement, je n’ai jamais parlé avec Gygax en personne, bien que j’aie été très copain avec Dave Arneson, considéré pendant des années en Amérique comme le vrai père du JdR. Nous nous sommes juste croisés sur des conventions, qu’il a fréquentées jusqu’au bout de sa vie, même quand la maladie l’obligeait à se déplacer en voiturette de golf.

Rôlistiquement votre

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Message  LinksLeChat Lun 9 Juil - 19:07

entretien avec Kenneth Hite Co-auteur de Cthulhu Gumshoe

Kenneth Hite est un auteur indépendant prolifique de la scène rôlistique américaine. Né le 15 septembre1965 et travaille dans l'industrie du jeu de rôle à plein temps depuis 1995. Il a notamment publié de nombreux suppléments pour le jeu GURPS. Son dernier grand succès est Trail of Cthulhu (Cthulhu en VF), l'occasion de revenir avec lui sur ses travaux.

Casus Belli  : Si vous deviez résumer votre carrière de créateur de jeux avec des produits-clefs, lesquels seraient-ce ?

Kenneth Hite : Je ne pense pas avoir créé de jeux qui pourraient rentrer dans l’histoire du JdR, mais d’un point de vue personnel, mes produits significatifs seraient mes premiers livres professionnels (Sociétés secrètes pour Nephilim et Alternate Earths pour GURPS), mes articles de magazine « Suppressed Transmission  » et «  Out of the box  », mon JdR Star Trek chez Unicorn Games (axé sur les premières séries), mon jeu post-apocalyptique du genre  «  Mitraillettes et sorcellerie  » dans les années 40 intitulé The Day After Ragnarok, et enfin mon travail sur les jeux motorisés par GUMSHOE, comme Trail of Cthulhu (NdT  : Cthulhu chez le 7ème Cercle), Bookhounds of London (supplément pour Trail of Cthulhu) et mon petit dernier Night’s Black Agents (NdT  : à paraitre chez le 7ème Cercle).

CB : Quelle était votre motivation lors de la création de Trail of Cthulhu, alors qu’il y avait déjà un jeu très populaire dans l’univers lovecraftien ?

KH : Ma motivation principale était que Simon Rogers (CEO de Pelgrane Press) m’avait demandé de le créer. C’était une opportunité irrésistible de conjuguer L’Appel de Cthulhu de Sandy Petersen (le meilleur jeu dans l’histoire du JdR) avec l’excellent système de jeu GUMSHOE créé par Robin D Laws.

CB : Que pensez-vous du regain d’intérêt du public en général pour l’univers du Mythe de Cthulhu ?

KH : Je pense que c’est merveilleux. Le Mythe de Cthulhu est le meilleur univers de jeu jamais créé, et comme les jeux deviennent progressivement une partie de la culture, Cthulhu devrait se faire connaitre de plus en plus. Dans le monde réel, nous ne sommes pas prêt à nous confronter à notre peur de l’apocalypse et à notre insigniiance, alors que Lovecraft avait maîtrisé ces deux aspects, et nous n’allons pas perdre notre intérêt pour leurs symboles spirituels de sitôt.

CB : Avez-vous un secret que vous pourriez partager à propos de Trail of Cthulhu ?

KH : Voyons, un secret... Ah oui en voici un : j’ai en fait nommé le jeu d’après le recueil de nouvelles éponyme d’August Derleth. Ce nom fonctionne à la fois en surface, Trail of Cthulhu étant un jeu d’enquête, où l’on suit littéralement la piste de Cthulhu  ; et aussi plus en profondeur : je suis à Sandy Petersen ce que Derleth était à H.P. Lovecraft.

CB : Espions et Vampires  : Que pouvez-vous nous dire de votre nouveau jeu, Night’s Black Agents ?

KH : Night’s Black Agents est mon jeu d’espionnage-thriller avec des vampires, motorisé par le système GUMSHOE. En voici le slogan  : imaginez la trilogie Bourne si Treadstone était un groupe de vampires. Les joueurs incarnent des espions grillés et des agents désavoués, comme Robert de Niro et Jean Réno dans Ronin, qui découvrent qu’ils ont travaillé tout du long pour des vampires. Et ces vampires savent qu’ils le savent. Le choix devient donc de devenir une proie ou un chasseur, de tuer ou d’être tué. Dans le jeu, j’essaie de conjuguer le rythme et la structure du genre thriller (qui n’est ni plus ni moins qu’un mystère avec une action rapide) avec le système GUMSHOE. Je pense que cela fonctionne plutôt bien, et j’ai ajouté pas mal d’éléments au système, en allant du corps à corps brutal aux méthodes pour remonter les maillons d’une conspiration. Les vampires et leurs conspirations sont complètement modulaires. Deux MJ n’auront pas les mêmes méchants dans leurs histoires, donc les joueurs ne pourront pas croire qu’ils connaissent déjà toutes les réponses.

CB : Quel a été votre projet préféré jusqu’ici ?

KH : C’est diicile à dire. Chaque projet a une période pendant laquelle vous l’aimez plus que tout ce sur quoi vous avez travaillé jusqu’ici, et une période où vous le haïssez plus que tout et où vous voulez vous en débarrasser aussitôt que possible  ! L’astuce consiste à maximiser la première période et à minimiser la seconde. En rétrospective, néanmoins, je dois dire que je suis assez content de la plupart de mes ouvrages. Si je devais vraiment choisir un favori, je dirais The Cainite Heresy pour Vampire : the Dark Age, GURPS Weird War II, The Day After Ragnarok, et Bookhounds of London. Ceci dit, je me suis bien amusé avec Night’s Black Agents aussi. N’importe quel projet pour lequel vous pouvez regarder l’intégrale des films de Luc Besson et appeler ça de la recherche est un sacré bon projet !

CB : Que pensez-vous de l’évolution des JdR sur les dix dernières années ?

KH : Je pense que c’est un mini âge d’or pour la création de JdR, et cela depuis 10 ans. La scène indépendante a exploité des sujets et des outils qui ont guidé la création de jeux dans des directions inattendues, en commençant par des jeux comme Sorcerer de Ron Edward, Burning Wheel de Luke Crane, et My Life With Master de Paul Czege. Vincent Baker et Jason Morningstar ont à eux deux créé au moins huit excellents jeux qui ont redéini le genre, et ils ne sont que la face visible de l’iceberg. Le mouvement pour du contenu libre a simultanément beaucoup encouragé la créativité pour les jeux plus traditionnels. Aces & Eights, Mutants & Masterminds, Spycraft et Savage Worlds (pour ne nommer que les plus populaires) sont des jeux superbes tous au moins aussi bons, voire meilleurs que ce qui s’est fait dans les décennies précédentes.

CB : Comment se fera, selon vous, l’évolution des JdR dans le futur ?

KH : En tant que marché, nous sommes en avance par rapport au domaine de l’impression en général : les JdR ont fait la transition vers les livres électroniques depuis qu’il y a eu internet pour les y publier. Les éditeurs de JdR ont adopté Kickstarter et d’autres méthodes de financement par les fans, et ont aussi été les pionniers d’autres modèles comme le système de patronage de Wolfgang Baur et le système de « rançon » de Greg Stoltze. Eclipse Phase ouvre la voie vers des modèles de publication gratuits, car Posthuman Studios sort le texte sous la licence « Creative Commons ». Les autres éditeurs, de Adamant à Chaosium en passant par Paizo, redéinissent les procédures de production et de marketing pour les adapter à l’ère d’internet, du financement par la clientèle, du micro-ciblage et de la vente directe aux clients.

Du point de vue artistique, je ne peux que spéculer. Les contraintes formelles pour un nouveau jeu sont, pour la plupart, les mêmes aujourd’hui que celles que Dave Arneson (NdT : co-créateur de D&D avec Gary Gygax) avait déinies : MJ, Points de Vie, lancer un dé pour toucher. A l’opposé, nous n’avons même pas de mots pour décrire ce qu’un jeu comme Fiasco modélise. Comme je le disais précédemment, nous sommes dans un âge d’or, et je n’ai pas la moindre idée de ce que le futur réserve, à part qu’au moins les trois quarts des jeux auront pour sujet de tuer des orques. Par contre, je suis prêt à parier que quelqu’un va construire une application relativement transparente d’aide aux MJ qui permettra à votre iPad de déterminer combien d’orques vous venez de massacrer. Avoir une tablette à la table de jeu va devenir aussi naturel en 2020 que le papier millimétré l’était en 1980.

CB : Sur quoi travaillez-vous ces jours-ci ?

KH : Pour l’instant je planifie mes prochains livres pour Trail of Cthulhu et Night’s Black Agents et j’écris World War Cthulhu pour le compte de Cubicle  7. Je suis également en train de créer un jeu autour du magicien d’Oz dans un univers steampunk, probablement aussi pour Cubicle 7. Je fais partie de l’équipe créative pour le nouveau Delta Green, et je participe à la création de Bubblegumshoe, un jeu de détectives adolescents motorisé par le système GUMSHOE. Je dois également trouver du temps pour écrire des descriptions de villes pour mon univers Day After Ragnarok, et enfin j’écris des séries d’univers de JdR pour le magazine suédois Fenix.

CB : Qu’est-ce qui vous motive pour écrire ?

KH : Être payé est ma première motivation. Mon chat doit manger, et la banque a des préconceptions étranges par rapport aux paiements du loyer. Ma seconde motivation (de peu) est de savoir que mon travail permet aux gens de s’amuser un peu plus. C’est un sentiment satisfaisant, et c’est quelque chose que l’on ne trouve pas dans la plupart des métiers. Enfin, c’est un travail d’intérieur qui n’est pas physiquement éprouvant.

CB : Êtes-vous d’abord MJ ou joueur ?

KH : Je suis un MJ « à vie » depuis 1980, mais j’aime bien jouer aussi. Par contre, être MJ a probablement ruiné les quelques bonnes habitudes de joueurs que j’avais.

CB : Jouez-vous souvent et régulièrement ?

KH : Mon groupe de jeu joue tous les lundis, et ce depuis que j’ai emménagé à Chicago il y a 24 ans de cela. En ce moment, nous jouons à la deuxième édition de Nobilis. Certaines années, j’ai deux, voire trois groupes avec lesquels je joue, et je joue autant que possible.

CB : Quels jeux et univers préférez-vous en tant que joueur ?

KH : De toute évidence, j’adore l’univers du Mythe de Cthulhu ; L’Appel de Cthulhu reste le jeu qui me convient le mieux. J’aime également beaucoup l’univers et le système d’Unknown Armies. Du point de vue mécanique de jeu, j’aime beaucoup le système GUMSHOE et je suis un de ces types étranges qui préfèrent D&D 4 à D&D 3. Par contre, mon univers D&D préféré reste le Ravenloft de AD&D. J’aime être MJ à GURPS ou BRP (Basic Role Playing) car ce sont des systèmes complets et peu ambigus qui permettent de construire des histoires alternatives ou d’ajouter du surnaturel avec un effort minimal. Ars Magica est également un plaisir à jouer, bien que j’en modifie toujours l’univers d’une façon ou d’une autre : ma version favorite est probablement une campagne d’Ars Magica de ma création qui se passait dans une histoire alternative où les Irlandais, les Vikings et les Normands avaient colonisé l’Amérique.

CB : Allez-vous souvent aux conventions, et quelles sont vos favorites ?

KH : Je vais à toute convention où je suis invité  : ma convention de jeu préférée est la Ropecon d’Helsinki, ainsi que la GothCon en Suède. Aux États-Unis, ma convention préférée reste Origins  ; CONvergence (à Minneapolis) est un mélange excellent de SF, cinéma et jeux ; c’est une expérience inoubliable. Et pour ce qui est de la pure concentration d’adrénaline ludique, rien ne vaut la GenCon.

CB : Avez-vous un bon souvenir d’une session de JdR que vous voudriez partager ?

KH : Probablement pas, de peur d’ennuyer vos lecteurs. Écouter quelqu’un raconter une session de JdR, c’est comme lorsqu’on raconte un bon rêve ou un concert  : une grande partie de l’expérience est dans le moment même, et le sortir du contexte lui fait perdre sa force ou son intérêt. Mais il y a bien une fois où, lors d’une partie de Truth & Justice, Josh m’a surpris en faisant tomber un satellite de guerre sur le Batman Soviétique. Bien sûr il a oblitéré Moscou en même temps, mais faut ce qu’il faut pour arrêter Batman. Ou alors, une fois dans Fiasco, le personnage de Will Hindmarch a poussé mon bras, ce qui m’a fait tirer sur John Fitzgerald Kennedy par accident.

CB : Vous rappelez-vous de votre premier personnage de JdR ?

KH : C’était soit Scamander le guerrier humain, soit Mallomar demi-main, un ranger demi-elfe. Ils allaient tous deux de donjon en donjon à mon lycée en 1979, avec des motivations de personnage aussi profondes que « je veux des gantelets de force de géant ».

CB : Quelles ont été vos plus grandes influences pour votre carrière ?

KH : Je n’ai pas fait beaucoup de création pure de systèmes de jeu, mais ce que j’ai fait a probablement été influencé par l’approche des mécanismes de jeu de Steve Jackson, par la façon dont Jonathan Tweet observe le jeu autour d’une table, et par l’étude du lux et de la structure de Robin D. Laws. Un bon créateur de jeux devrait pouvoir apprendre d’un bon jeu  : j’ai une page entière de Night’s Black Agents qui fait la liste de toutes les sources d’inspiration pour mes règles. En termes de style et de choix de sujets, mes plus grosses influences sont probablement Charles Fort, Tim Powers, Avram Davidson, et bien sûr H.P. Lovecraft et Robert E. Howard.

CB : Jouez-vous à d’autres jeux que les JdR ? Lesquels ?

KH : Je joue à autant de jeux de stratégie sur table que possible  ; je les aime depuis encore plus longtemps que les JdR. Je suis très impressionné par la façon dont GMT s’oriente vers les wargames avec une mécanique de jeu axée sur des cartes  ; c’est la plus grande innovation dans le genre depuis les grilles à hexagones. Avec ma famille, nous jouons à beaucoup de jeux de plateau que j’afectionne toujours et que je joue autant que possible. J’ai une préférence pour les jeux de plateau de type américain avec un fort contenu thématique et un environnement de jeu riche : Horreur à Arkham, Britannia, Chaos dans le Vieux Monde, ainsi que Les Aventuriers du Rail et Pandémie. Je ne suis pas trop fan des jeux plus austères (comme les Eurogames), même si j’admire les échecs et le jeu de go. Je joue au poker quand mes amis arrivent à me convaincre de jouer avec eux, mais je ne joue pas beaucoup aux jeux de cartes à collectionner.

CB : Avec vous un rêve que vous voudriez accomplir par rapport au monde du JdR ?

KH : Je ne sais pas : j’ai déjà écrit un peu sur Star Trek et un jeu sur Cthulhu, ce qui accomplit la plupart de mes rêves d’enfance de geek. J’aimerais faire un bon jeu sur le voyage dans le temps. Dans un univers de licences, j’adorerais avoir l’opportunité de faire un jeu sur Quatermass (univers créé dans une série de romans par Nigel Kneale).

CB : Quel jeu auriez-vous adoré avoir créé vous-même ?

KH : C’est orgueilleux, mais j’aurais adoré avoir créé L’Appel de Cthulhu, et j'ai eu un rôle minime dans Unknown Armies, qui est un jeu qui se joue comme j’aime jouer. J’aurais aimé avoir créé Chaos dans le Vieux Monde, car cela voudrait dire que je suis un créateur de jeux de plateau de génie. Dans mon propre domaine, je suis très jaloux de Dogs in the Vineyard : je savais déjà comment un vrai jeu de western devait être conçu (c’est-à-dire à propos de pouvoir, de moralité et de responsabilités), mais j’aurais aimé en créer un avant que Vincent Baker le fasse.

Propos recueillis par Franck Florentin
Extrait du casus belli n°3 Mai-Juin 2012 publier chez BBE





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Message  LinksLeChat Mar 10 Juil - 21:39

ROBIN D. LAWS Co-auteur de Cthulhu Gumshoe

Auteur et créateur de jeux, il est né le 14 octobre 1964 au Canada, il résidant à Toronto. Il est, entre autres, le créateur de Dying Earth (dans l’univers des romans de Jack Vance), de Feng Shui (Feng Shui, The Dying Earth), de nombreux suppléments de JdR cultes (Throal the Dwarf Kingdom et Horrors pour Earthdawn, Heart of Chaos pour Warhammer 1) et du système de jeu GUMSHOE adopté par plusieurs jeux publiés par l’éditeur britannique Pelgrane Press : Trail of Cthulhu, Esoterroristes, Fear itself (Terreurs), Mutant City Blues, Ashen Stars. Ainsi que de nouvelles et essais et bientôt Night’s Black Agents.
Lors d’une interview téléphonique, Robin nous parle de sa carrière et de certaines de ses créations.

Casus Belli : Quelles sont les étapes importantes de votre carrière de créateur de jeu ?

Robin D. Laws : Les produits de ma création auxquels les gens ont le plus favorablement répondu sont Over the Edge, Feng Shui, Hero Wars/Heroquest, le système GUMSHOE. Robin’s Laws of good Gamemastering a aussi été très populaire au il des années.

CB : Quelle était votre motivation pour créer le système GUMSHOE ?

RL : L’idée derrière ce système était de trouver un mécanisme pour faciliter les jeux de rôle d’investigation. L’idée initiale était de résoudre le problème que l’on rencontre dans la plupart des jeux d’enquête, où les pièces d’information sont traitées comme le trésor dans d’autres jeux. Dans Donjons & Dragons, si un jet qui permet d’obtenir un trésor échoue, c’est embêtant mais pas dramatique. Cela n’empêche pas de continuer l’aventure, et le MJ n’a pas besoin d’altérer l’histoire. Dans un jeu d’enquête, si l’on rate une pièce d’information qui normalement permet de faire avancer l’histoire, cela force le MJ à contourner le problème en trouvant un autre moyen de fournir l’information, en espérant que le deuxième jet marche cette fois-ci. Certains groupes avaient contourné ce problème en établissant comme règle qu’il n’était pas nécessaire de lancer les dés pour les informations importantes.

Mais jusqu’ici, cela n’avait jamais été véritablement établi dans un système de règles, d’où le besoin d’un système comme GUMSHOE. Avec GUMSHOE, l’information importante est toujours obtenue, avec la possibilité d’obtenir d’autres informations connexes. Cela permet d’avoir des mystères beaucoup plus détaillés. Vous ne faites plus de jet pour trouver une porte secrète ou pour voir une tache de sang sur la scène du crime, mais vous passez plus de temps à corréler les diférentes informations et indices que vous avez trouvé. C’est la partie la plus intéressante de l’investigation. Si vous regardez un épisode des Experts, vous ne voyez jamais échouer le type qui utilise le séquenceur d’ADN, il est très compétent et il a le meilleur appareillage possible. Il va pas sortir « désolé, j’ai pas réussi à faire fonctionner la machine aujourd’hui, alors on laisse tomber». Cela serait stupide, et pourtant ça arrive tout le temps dans les jeux de rôle. Donc en fait, c’est juste un petit changement dans la façon de penser qui a un gros efet sur la dynamique de jeu. Maintenant, la diiculté consiste à interpréter les indices, et non plus à les trouver.

CB : Quelle était votre motivation pour créer Ashen Stars alors que d’autres jeux de Space-Opera existent déjà ?

RL : Sa prémisse est très similaire à celle du système GUMSHOE, l’idée est de retirer les barrages qui pourraient limiter une investigation. Par contre, cette fois, on est dans un univers de Space Opera. Si l’on regarde les feuilletons et films populaires de science-fiction, ils sont tous très procéduraux et leur intrigue tourne autour de la résolution d’un mystère. Que ce soit dans Star Trek ou Firely, on commence toujours par regrouper les informations, et leur interprétation conduit généralement à un dilemme moral à résoudre.

J’ai également fait attention aux éléments de ces histoires que les gens adorent lorsqu’ils sont spectateurs, mais qu’ils détestent lorsqu’ils jouent. Par exemple, en plaçant l’histoire après un cataclysme ou une guerre globale, alors que la civilisation est en pleine reconstruction, on évite de se retrouver dans une situation où les personnages doivent être 100% bons comme dans Star Trek. Cela leur donne plus d’options et de choix dans la façon de résoudre les problèmes, en balançant entre héroïsme et égoïsme. Les personnages jouent des francs-tireurs engagés pour des missions, et doivent s’assurer qu’ils seront engagés de nouveaux. Ils doivent donc éviter les actions trop extrêmes, qui pourraient nuire à leur réputation. C’est pareil pour la notion de hiérarchie  : dans un feuilleton, il est logique d’avoir un capitaine et des subalternes. Dans un jeu de rôle, on ne veut pas qu’un joueur soit le patron de tous les autres.

CB : Pensez-vous que le système GUMSHOE peut aider à minimiser la linéarité des enquêtes (un indice mène à un autre indice, etc.) ?

RL : On peut aller d’un extrême à l’autre  : cela peut aller de l’improvisation complète en réaction aux trouvailles des personnages, comme dans L’Affaire Armitage  (NdT  : pour Cthulhu au 7ème cercle) jusqu’à une grande linéarité d’enquête. En fait, certains joueurs préfèrent cette linéarité et la demandent, car ils se sentent un peu perdus sans elle.

Nous allons d’ailleurs changer le format des enquêtes pour la nouvelle édition d’Esoterrorist  : au début de chaque scène nous allons énumérer toutes les diférentes entrées et sorties possibles. Cela devrait permettre de rapidement se rendre compte si une enquête est trop linéaire ou pas, et de corriger cela au besoin. Jusqu’à maintenant nous utilisions un organigramme pour représenter la structure des enquêtes.

CB : Pensez-vous à l’avenir visiter d’autres genres avec le système GUMSHOE ?

RL : Oui, j’en suis sûr. Pour l’instant, nous travaillons sur un jeu post-apocalyptique dénommé Razed et utilisons le système GUMSHOE. On a à y résoudre des mystères qui permettent de comprendre une énigme globale (qui a tué le monde ?). Et il faut bien sûr survivre et récupérer les ressources nécessaires pour cela, en plus de découvrir ce qui a causé le cataclysme et de peut-être essayer d’inverser le processus. Le MJ peut choisir la cause du cataclysme pour sa propre campagne.

Nous discutons également d’autres projets à venir. Kenneth Hite a fini Night’s Black Agent qui utilise aussi le système GUMSHOE et qui mélange action et enquête à la façon des films d’espionnage et histoires de vampires (NdT  : le 7ème Cercle prévoit de traduire et publier ce jeu en France).

CB : Avez-vous prévu de sortir un livre de système générique GUMSHOE qui permettrait aux MJ d’adapter leurs univers à ce système ?

RL : Cela n’est pas prévu, parce que notre approche est d’émuler certains genres spéciiques plutôt que de simuler la réalité. Notre procédure pour émuler un univers particulier consiste à adapter les règles de GUMSHOE pour qu’elles fonctionnent en accord avec le genre. Par exemple les grenades fonctionnent différemment dans Mutant City Blues (jeu GUMSHOE d’enquête dans un univers de super-héros) et dans Ashen Stars, parce que le niveau de réalisme est différent dans ces deux univers.

CB : Avez-vous eu l’occasion de travailler avec Jack Vance sur le projet Dying-Earth ? Si oui, comment était-ce ?

RL : J’ai eu l’occasion de lui parler au téléphone, et de lui poser des questions sur l’univers de ses romans. J’étais un peu embarrassé car j’avais déjà l’impression de connaître la plupart des réponses, mais je voulais les confirmer auprès de lui. Il a confirmé qu’il n’avait pas un trésor d’informations secrètes qu’il révélait au fil de ses romans en donnant des explications et des descriptions élaborées pour tout expliquer à propos de son univers. Au contraire, il introduisait les termes et les éléments en faisant comme si les lecteurs savaient déjà de quoi il s’agissait. C’était une conversation plaisante mais ce ne fut pas une collaboration profonde.

CB : Quel a été votre projet favori jusqu’à présent ?

RL : Mon projet préféré est toujours le projet sur lequel je suis en train de travailler. En tant que créateur de jeux, il faut que je sois très excité par ce sur quoi je travaille. En ce moment, je travaille sur le nouveau système DRAMA, qui est à l’interaction dramatique ce que GUMSHOE est à l’investigation. Nous l’avons testé en interne pendant quelques temps et il va être testé de façon externe sous peu. Je suis très enthousiasmé par ce projet car je pense qu’il crée une nouvelle dynamique qui s’applique parfaitement aux interactions entre personnages. Le premier jeu qui va utiliser DRAMA sera appelé Hillfolk, et il y aura peut-être d’autres univers l’exploitant par la suite.

CB : Que pensez-vous de l’évolution des jeux de rôle au cours des 10 dernières années ?

RL : L’an 2000 a vu la naissance du mouvement des jeux indépendants qui a eu beaucoup d’inluence sur la direction vers laquelle les énergies créatrices se sont dirigées.

CB : Comment, selon vous, les jeux de rôles vont-ils évoluer dans les 10 prochaines années ?

RL : La prochaine étape sera sûrement d’intégrer les supports multimédias autour de la table de jeu. Si tout le monde a une tablette autour de cette table, on pourra se permettre d’avoir des systèmes de jeu compliqués qui seront complètement pris en charge par les applications, sans compliquer pour autant la vie des joueurs.

CB : Que pensez-vous de la migration du jeu de rôle vers les médias électroniques comme les PDF, les ebooks, etc. ?

RL : Je pense que cela a été une bénédiction pour de petites compagnies comme Pelgrane, car cela permet de s’adapter à la compression du marché du jeu de rôle. Avec un média électronique, on peut atteindre directement la clientèle qui est intéressée par le produit. Et même si celle-ci est limitée en nombre, le coût de production réduit permet de rendre le projet viable. C’est également le cas du crowdfunding qui permet à un petit groupe de joueurs de devenir en quelque sorte des mécènes s’ils aiment votre travail. Cela permet aux créateurs de travailler en se souciant moins du nombre de lecteurs qui vont acheter le produit.

CB : Sur quoi travaillez-vous ces jours-ci, au niveau jeu de rôle ?

RL : Mon projet suivant sera Gaean Reach, l’adaptation d’un univers de science-fiction de Jack Vance (NdT  : dont les romans Alastor et Princes démons font partie) qui utilisera un système hybride entre GUMSHOE et Dying Earth. Ce ne sera pas un gros projet, mais il sera dificile car ce sera la fusion de deux gammes de jeu de Pelgrane.

CB : Quelles sont vos jeux et univers préférés en tant que joueur ?

RL : J’adore Pathinder, j’ai d’ailleurs écrit des romans pour cet univers. J’aime aussi l’univers de Glorantha (de Greg Staford) sur lequel j’ai eu l’occasion de travailler avec Heroquest et Hero Wars. Pendragon et Prince Vaillant (deux autres jeux de Staford) font aussi partie de mes favoris.

CB : Quelles sont vos plus grandes influences lorsque vous créez ?

RL : Greg Staford et Sandy Petersen principalement, mais j’ai aussi beaucoup été inluencé par d’autres formes narratives. Si vous regardez mes ouvrages, vous verrez que j’adapte beaucoup les méthodes narratives d’autres médias aux jeux de rôles. On peut apprendre beaucoup de la façon dont les films, le théâtre, les romans, les bandes-dessinées racontent une histoire. En fait, les jeux de rôle sont devenus une forme narrative presque par accident, Gygax et ses collègues essayaient de trouver une nouvelle forme de jeu de stratégie dont la taille des unités était un type avec un chapeau pointu !

Propos recueillis par Franck Florentin
Extrait du casus belli n°3 Mai-Juin 2012 publier chez BBE

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Message  LinksLeChat Mar 17 Juil - 13:14

Frédéric Weil co-auteur de Nephilim

JRD Mag : Avant e parler de l'avenir, peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t'a amené aux JDR ?

Frédéric Weil: Et bien, lecteur du Seigneur des Anneaux à 10 ans (on est en 1978, ce qui à l'époque étai assez rare...). Je suis tombé dans la marmite des jeux de Rôle tout de suite après, lorsqu'un copain m'a dit qu'il existait un jeu étrange. Dungeons & Dragons, où l'on pouvait jouer avec les personnages du chef d'œuvre de Tolkien! Je suis  passé par la case Wargame, lecteur de Jeux et Stratégie et de Casus Belli. Ensuite j'ai passé beaucoup de temps à arpenter de nombreux lieux de mondes imaginaires! Mais c'est avec l'Appel de Cthulhu et surtout Runequest que le loisir se transforme en une vrais passion, de celle qui vous tient pour ne plus vous lâcher! Ah, RQ et surtout Glorantha... Avec Fabrice Lamibey, le co-auteur de Nephilim, on a commencé par publier un fanzine (on était en Terminal, l'année du bac ou juste après). Broos, entièrement dédié à l'univers génial mis au point par Greg Stafford. Puis, pendant des études peu convaincantes, nous avons décidés avec Fabrice de créer un Jeu de Rôle que nous espérions novateur et différent, ce fut Néphilim! !nous créâmes alors Multisim dans la cuisine des apparts parentaux et avons eu de la chance: Néphilim trouva son public, et quel public!

Mais plus profondément, ce qu m'a mené aux JdR, et je pense pouvoir mieux le distinguer, l'âge arrive :)c'est la conviction profonde que le JfR n'est pas un simple loisir, ni une mode, mais bien un mode d'expression, une culture en soi, un espace de grande liberté créative. Plus encore, qu'il fut et qu'il est toujours un laboratoire extrêmement intéressant de remise en jeu de la littérature, de la mise en scène, de la création contemporaine. Il a été et demeure une extraordinaire école de la création. Il n'y a qu'à voir le nombre d'écrivains ou de créateurs de jeu vidéo qui ont pratiqué ou écrit des JdR ou qui s'inspirent directement de ses dispositifs narratifs, je lis ici ou là que le JdR, ça mène à tout, tant qu'on sait le quitter. Outre le fait que je trouve ça méprisant pour les joueurs, je pense tout le contraire: Le JdR, aussi bien comme pratique qu'en tant que mode de création, a encore plus sa place dans notre culture contemporaine, en permanence connectées et informatisées. Il est peut-être l'un des média les plus intéressants pour le grand remix culturel dans lequel nous sommes plongés depuis 30 ans.

JdR Mag : Nephilim reste un jeu à part dans le paysage ludique. Peux-tu nous dire ce qui le rend si spécial ?

F.W. : Vingt ans après, c’est toujours difficile d’analyser le succès de Néphilim. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Jouer ces êtres immortels, hantés par leur passé, à la recherche d’une sagesse, capable de pratiquer la magie, la kabbale, l’alchimie et se définissant par une appartenance symbolique à un élément, a manifestement beaucoup plu. Les joueurs ont ainsi pu composer des personnalités à la fois détaillées, porteuses de morceaux de narrations et facilement identifiables. Un Néphilim du feu, en général, cela ne s’oublie pas Bref, le talent des joueurs a s’appuyer sur une gamme riche d’émotions et d’infos.

Les histoires proposées ont aussi été un facteur du succès à part du jeu. Mélanger enquêtes et confrontations subtiles, plans dans les plans, occulte, action et thriller, documentation et recherche, lieux étranges et fantastique urbain, a été important.

La proximité entre la réalité historique et la fiction de Néphilim, tout en gardant un certain décalage, en particulier par l’ironie ou l’humour, a été un des vecteurs de réussite du jeu et de son univers. Je me rappel encore des lettres des premiers joueurs se rendant dans certains des lieux d’écrits et s’apercevant qu’ils existaient ! Cet effet du réel, comme on dit en littérature, on le doit à Umberto Eco et son Pendule de Foucault. Cela sera repris de manière plus basique par le Da Vinci Code !

Enfin le look ! Les choix artistiques fait par Frank Achard, basés en partie sur la réutilisation d’œuvres majeures de la culture classique, les maquettes, certaines des couvertures et des illustrations, ont été pour beaucoup dans le succès de Nephilim. Frank avait parfaitement analysé les enjeux que portaient le jeu et son univers. Il était à la croisée d’une culture dite classique et de la culture geek, aujourd’hui en pleine expansion.

Tout cela a peut-être créé une forme de poésie, un style peut-être plus subtil, que les joueurs apprécient.

JdR Mag : Une nouvelle édition arrive à la rentrée. Qu’apporte-elle de nouveau et sous quelle forme va-t-elle se présenter ?

F.W. : Effectivement, nous avons voulu avec Fabrice Lamidey et Sébastien Célerin, qui dirige cette nouvelle édition, ainsi que les auteurs, célébrer les 20 ans du jeu ! Et oui, 20 ans déjà ! Toute l’équipe travaille d’arrache-pied à proposer une édition qui soit, non pas un reboot ou une sorte de compilation monstrueuse et indigeste de l’incroyable background développé au travers des éditions et des suppléments successifs, mais aussi plutôt une quintessence, un concentré de ce qui fait la nature même de Nephilim. L’ouvrage fera dans les 250 pages. Il sera découpé en huit parties, cinq élémentaires, une sur l’histoire de Nephilim et deux consacrées au contexte contemporain et occulte. Entièrement en couleur, il sera co-publié par Edge et The SimStim,la société qui développe l’univers deNephhilim.

En termes de nouveautés, cette édition contiendra deux éléments majeurs de background, qui devraient intéresser tous les aficionados. Disons qu’ils concernent Arcadia et les agissements secrets d’un cercle d’érudits autour de la figure centrale de Fulcanelli. Mais je n’en dis pas plus…

JdR MAg : Que dirais-tu à un joueur qui ne connait pas Nephilim, pour lui donner envie de découvrir ?

F.W. : Ce que je disais souvent pendant les présentations du jeu durant les salons « Profane, e-tu prêt à devenir un Initié ? »

Merci beaucoup, et vivement la rentrée !

Source: Jeu de Rôle Magazine n° 19 !juin/Juillet/Août 2012


Dernière édition par LinksLeChat le Mer 26 Fév - 9:52, édité 1 fois

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Message  LinksLeChat Mer 6 Fév - 16:08

entretien avec JAWAD co-auteur de WASTELAND

Casus Belli: Quelles ont été les idées ou les envies qui ont servi d'imspiration à la création de Wasteland?

Tout d'abord écrire un jeu de rôle autour de thèmes qui nous plaisent: le post-apo, la survie, l'ignorance, le retour en arrière, la violence, l'obscurantisme...
Bref, des thèmes qu'un cadre médiéval exalte: âpreté, barbarie apparente, mais aussi épopée et formidable espoir.

Ce qui nous a beaucoup plu également, c'est prendre pour cadre la France, et des lieux proches qui pourraient nous être familiers, come l'Angleterre par exemple.

Imaginer un lieu très familier mais en même temps complètement différent, c'est une expérience très amisante en terme de jeu.

CB: Le thème arthurien semblait être un élément central de Wasteland, mais le livre de base ne semble pas du tout s'appesantir dessus...

Je ne parlerai pas d'élément central, mais d'un des thèmes constituants (parmi d'autres) l'univers du jeu. Dans Wasteland, le mythe arthurien est utilisé par un homme à des fins politiques. Cherchant l'unité d'une terre, il convoque d'anciennes légendes.

C'est par conséquent la réappropriation du mythe arthurien qui est l'un des thèmes de Wasteland, et non pas une nouvelle expression de la légende arthurienne revue et corrigée à la sauce post-apo.

Cette réappropriation du mythe par un de nos PNJ nous permet de traiter un thème post-apo essentiel: la transformation du mythe, ou de l'histoire fantasmée, en histoire officielle du régime. Ce qui nous intéresse dans Wasteland, ce n'est pas de savoir si Arthur le Pendragon est véritablement, oui ou non, un décendant du Roi Arthur des légendes, mais comment il a su cette légende et s'en réclame. Et tout ça, sans passer par un long discours explicatif un peu fanant (comme ce que je viens de faire peut-être?).

Les mystifications de ces réalités passées (le mythe arthurien réutilisé, mais aussi les prétentions d'une église rédemptrice par exemple) peuvent, par ailleurs, déboucher sur des élans positifs: retrouver l'espoir, ne pas ccommettre de vieillent erreurs, etc. On introduit un peu de complexité. Par exemple, notre église de la rédemption est une force obscurantiste mais elle condamne à juste titre les errement/ellement du passé qui ont mené à la Catastrophe. Tout ceci contribue à permettre au meneur de jeu l'introduction de questions morales importantes pour les joueurs.

CB: Le passé de Wasteland semble être nourri d'influences telles qu'Akira ou encore EX... Acez-vous puisé votre inspiration dans ces matériaux?

Au cours des parties de Wasteland, il n'y a pas de ressenti proche d'Akira ou Deus Ex. Ni dans le ton, ni dans l'univers. Seulement dans le traitement du thème du pouvoir pour un certain type de PJ; nos psykers. Ca crée un effet de jeu immédiatement roleplay, qui est très intéressant.

Sinon dans la génèse de l'univers, le pourquoi de la catastrophe, un lecteur pourra trouver clairement des inspirations plus ou moins conscientes à Akira, à la Nuit des Enfants Rois, à Majesté des Mouches, et même aux Guerres Secrètes de Marvel. En tant qu'auteur, je pense qu'il est difficile de dissocier ce qui a inspiré quoi. Je dirais que l'inspiration d'un jeu de rôle est indéfinissable: c'est à rechercher entre l'expérience personnelle fantasmée (des années de baby-sitting peuvent vous convaincre que des enfants génétiquement modifiés peuvent détruire le monde tel qu'on le connaît) et le souvenir remâché de lectures passées.

Je m'explique: on décide de proposer de jouer des psykers mais on ne veut surtout pas qu'ils envoient des missiles magiques... Pourquoi? Parce qu'on adore Star Wars et qu'on veut des jedi post-apo? Parceque Jean Gray est notre super-héroïne préférée, ou parsqu'on considère qu'un mage dePMT (prote monstre trésor) nous a fait subir une expérience traumatisante et donc: plus jamais ça! Difficile à dire.

CB: L'importance des vestiges de l'Hier semble encore peu développée dans le portrait du Malroyaume, et cet aspect n'est traité pour l'essentiel qu'à travers les actes des Prodiges, et non par rapport à la société dans laquelle ils évoluaient...

Oui, il y avait tellement de chose à présenter que nous avons décidé de saupoudrer ces éléments tout au long de la lecture du Livre de Base et de l'écran. Mais rassure-toi, le supplément "le chemin des Cendres", va te parler plus en profondeur du Wasteland!
(Il proposera également les deux premiers volets d'une grosse campagne qui promet des heures de jeu)

CB: Quelle était votre volonté vis-à-vis de l'intégration du med-fan, et surtout d'éléments qui semblent se rapprocher d'autres univers existants? Etait-ce une démarche pour toucher un public plus large?

On aimerait que tout le monde puisse jouer à Wasteland, c'est certain. Pour autant, ce n'est pas du tout pour ça qu'on a intégré du med-fan dans Wasteland. Med-fan est un terme très générique désignant un panel très large d'univers, alors j'imagine que tu fais référence aux peuples de Wasteland qui ont des airs de déjà-vu. Pourquoi aurions-nous éprouvé le besoin d'ajouter des hommes-rats, par exemples?

Le fait que les hommes-bêtes soient utilisés comme peuple dans un JdR est plutôt fréquent: Rêve de Dragons, Shadowrun, Spacemaster, Warhammer, Nightprowler, Runequest (et j'en oublie sans doute plein) et ça peut même contribuer à un univers, pour peu qu'on se soit donné la peine de les intégrer avec soin.

Mais plus important encore, l'utilisation des peuples dans le JdR permet de figer certains traits, certaines caractéristiques, certains travers. C'est un outil. Si j'ai envie de parler dans mon jeu de l'éternel rejet dont sont victimes cetaines franges d'une population depuis longtemps présente sur un sol, sans en faire une diatribe moralisatrice qui n'a pas sa place dans un jeu, je préfère passer par les outils que le JdR met traditionnellement à ma disposition.

En l'occurrence, dans Wasteland, les hommes-rats veulent à tout prixs'intégrer, sont durs au mal, sont relégués aux taches les plus subalternes des société. Leur quasi-incapacité à mentir, leur physique peu ragoûtant, leur comportement social aux allures animalières les rendent un peu ridicules, voire dégoûtants aux yeux de bon nombre d'habitants du Malroyaume. On voit qu'en une seule description de peuple j'ai une image très forte, réutilisable et modilable. Qu'immédiatement, j'ai quelques accroches scénaristiques, ou quelques scènes qui me viennent autour de l'exclusion, du territoire (un thème fondamentalement post-apo), ou de la confrontation d'un héros un peu propret avec une bande de scrougers, sympathiques mais collants.

Donc non, pas de visées commerciales sur l'utilisation des peuples dans Wasteland. Si on avait voulu faire cela on aurait sans doute créé un peuple intrinsèquement stylé: les Nelfes, et des méchants, vraiment méchants, les nyorcs... Ah non, décidément au Département, on n'est pas encore prêt pour du med-fan classico.

CB: D'autres affaires en cours au département?

Aussi! Mais j'ai une bombe corticale qui se déclencherait si j'en parlais!

Propos recueillis par Yoshiaki Mimura.

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Message  LinksLeChat Mer 15 Mai - 14:41

entretien avec Arnaud Cuidet Auteur de Metal Adventures 1

Arnaud Cuidet a connu de multiples vies dans le milieu du JdR. En un peu plus d’une quinzaine d’années, il a travaillé au sein des plus grosses maisons d’édition françaises (Multisim, Rackham, Playfactory) avant de se lancer à fond, en solo, dans la rédaction de son bébé, Metal Adventures, le jeu des pirates de l’espace. Entretien riche et parfois piquant avec un auteur aussi attachant que décomplexé

Casus Belli : Après des années de travail en équipe, tu es devenu un auteur solitaire sur Metal Adventures (MA). Comment cela s’est passé ?

Arnaud Cuidet : Techniquement, j’ai efectivement écrit beaucoup plus de textes de JdR en équipe que tout seul. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis lancé dans MA : pour pouvoir écrire tout seul. J’ai commencé à bosser sur MA en 2005, l’année où est sorti le film Pitch Black. Cela faisait alors cinq ans que j’écrivais dans le milieu. J’avais fait partie de l’équipe de Multisim, de COPS, de celle de Cadwallon, etc... À cette époque, je n’avais donc fait que du travail en équipe. Comme il se trouve que j’ai des goûts particuliers - comme tout le monde en fait - et que je suis un garçon parfois entêté, je me suis dit : « j’ai envie de faire mon jeu. Chez moi. Et si j’ai envie qu’il y ait des femmes à gros seins avec des flingues, il y aura des femmes à gros seins avec des flingues. » Voilà, c’est pour cela que je me suis lancé dans MA tout seul.

CB : Les femmes à gros seins avec des flingues, c’est une thématique qui revient souvent dans tes interviews !

AC : Ouais, on me charrie souvent avec ça (amusé). Mais si Dolorès a des gros seins, c’est parce que je trouve ça mieux. En tous les cas, moi, je préfère. Cela dit, pour revenir à ta question, au début, je ne m’attendais pas à ce que cela débouche sur une gamme comprenant autant de suppléments, et aussi gros. Quoi qu’il en soit, au final, ça ne me dérange vraiment pas de faire tout ça seul.

CB : C’est assez rare de voir un auteur travailler seul. Ça ne doit pas être évident... il faut pouvoir vivre à côté, non ?

AC : Oui, ça c’est vrai. J’ai écrit MA en même temps qu’un autre boulot, comme tout le monde. Du coup, il faut être patient, mais c’est pour cela que l’écriture du jeu a pris presque 3 ans.

CB : Pour certains auteurs, abattre un tel travail, cela peut prendre 10 ans !

AC : Mais ça, c’est parce que je suis un auteur exceptionnel ! (rires) Plus sérieusement, j’ai été élevé à l’équipe Multisim, et chez Multisim, si tu n’écrivais pas tes trois cent mille signes par mois, tu n’étais pas un homme! Grâce entre autres à Sébastien Célerin, j’ai acquis une certaine expérience et une méthode de travail. Aujourd’hui, je fais mes quinze mille signes par jour. Il n’y a pas de secret.

CB : On comprend que tu passes pas mal de temps chez toi à écrire, mais tu es aussi un « auteur de terrain », très présent dans les conventions.

AC : Oui. C’est arrivé par hasard et ce n’était pas prémédité. Il se trouve que j’ai commencé à bosser dans le JdR dans une boutique (NdlR : Phénomène J à Paris) et par ailleurs, chez Multisim, quand un jeu sortait, on allait faire quelques parties en province pour participer à la promotion du jeu. Naturellement, quand MA est sorti, je me suis dit qu’il fallait aller faire quelques conventions. MA est sorti pour le Monde du jeu, après il y avait les Utopiales et d’autres grosses conventions, ça a commencé naturellement et la machine s’est emballée. Je me suis retrouvé à faire cinquante conventions en deux ans.

CB : Qu’est-ce que t’as apporté cette expérience ?

AC : Déjà, ça a été très agréable. En-suite, ça donne vraiment la patate. Il m’est arrivé d’avoir des coups de mou, d’en avoir un peu ras-le-bol. Là-dessus, tu fais une convention où tu rencontres cinq, dix ou quinze personnes qui te disent « ton jeu, il est trop balèze » et le lundi quand tu rentres chez toi, tu te remets à fond sur le supplément.

CB : Par rapport au développement du jeu, les retours que tu as eu en convention ont été différents de ceux que tu as pu trouver sur le net ?

AC : Je ne serais pas étonné que 70% des parties que j’ai faites en convention aient été des parties de découverte. Du coup, les retours sont plus des premières impressions que des retours précis sur les règles. Ça m’a permis en revanche de tester des scénarios et donc effectivement de tester leur équilibre. Quand on joue cinq fois le même scénar’ et que les PJ se font défoncer cinq fois par le même PNJ, tu te rends compte qu’il possède l’avantage bidule et que peut-être que tu as fait n’importe quoi avec cet avantage.

CB : Et ta perception du milieu des conventions rôlistes, ça l’a changée ?

AC : Oui. Je m’en étais déjà un peu rendu compte dans mon ancien boulot à Playfactory, mais il y a clairement une certaine déconnexion entre les rôlistes que tu croises sur le web, les rôlistes que tu vois dans les clubs et les rôlistes qui achètent. Ce ne sont pas les mêmes personnes. Quand on parle de D&D ou Pathinder, qui sont des cartons absolus, si tu vas sur les forums, on va t’expliquer que c’est de la merde. Quand tu vas en convention, tu n’as pas non plus une proportion de tables qui correspond à celle des ventes. Le truc que ça m’a appris, c’est la dislocation de la communauté rôliste. Tu as par exemple des endroits qui sont hyperactifs alors que géographiquement, tu ne t’y attends pas. Tu peux tomber sur un endroit où les gens ne jurent que par COPS. Pourquoi ? Parfois parce que le mec qui a présidé le club du coin il y a 20 ans était fan de Berlin XVIII et n’a juré que par COPS ensuite. J’ai régulièrement été confronté à des épiphénomènes. Au final, cela donne l’impression que l’information ne se diffuse pas, qu’il n’y a pas de grandes tendances qui se dégagent. Bref, la communauté est super disloquée.

CB : Pour revenir à MA, est-ce que tu as déjà fait un bilan ? As-tu commencé à jeter un œil en arrière et à prendre du recul sur le travail accompli ?

AC : Je n’ai pas forcément de recul parce que ce n’est pas fini - et ça ne finira jamais j’espère… ou dans longtemps ! - mais cela dit, j’ai déjà un document de 100 000 signes de modifications et révisions, qui me servira pour une version 2 ou 1.5. Ce qui est marrant, c’est que je n’ai quasiment jamais joué avec les produits finis. Je joue toujours avec les textes du prochain supplément qui va sortir. Ce ne sont que des pages word, pas maquettées ni illustrées. Le problème, c’est que quand une règle est en version word, elle est plus suspecte que quand elle est imprimée. Des fois, les testeurs vont chercher la petite bête alors qu’une fois que c’est sorti, ça ne fait même plus débat.

CB : C’est l’effet du costume.

AC : C’est ça, l’habit fait le moine.

CB : Tu penses à une deuxième édition, mais tu penses avant tout à une nouvelle série de suppléments il me semble ?

AC : Tout à fait. Je suis en train d’écrire le prochain supplément, qui s’appellera Les Pirates de l’espace, et qui va être un supplément de background et de règles destiné exclusivement aux PJ. Ensuite, il y aura un supplément uniquement pour les MJ et on alternera comme cela, PJ et MJ. Les Pirates de l’espace devrait sortir quelque part dans le premier semestre 2013.

CB : Ce qui est impressionnant, c’est la ténacité de ton éditeur, qui arrive à sortir autant d’ouvrages pour une même gamme, en arrivant à garder le même luxe de format, d’illustrations et de couleur. On sait que c’est très difficile et qu’il n’y a que très peu de jeux qui peuvent se le permettre.

AC : Effectivement, je suis super content d’avoir signé avec le Matagot. Pour le luxe, c’est le fait de leur ligne éditoriale. Quand tu regardes leurs jeux de plateau, ce qu’ils sortent c’est toujours mitonné aux petits oignons. Et puis, que tu publies un bouquin en noir et blanc à 30 euros ou en couleurs à 50 euros, je pense personnellement que cela se vendra autant, donc autant choisir la couleur. Pour deux cent cinquante heures de jeu, ça ne reste pas cher de toute façon.

CB : Sinon, il existe des projets connexes pour MA. Tu peux nous en parler ?

AC : Oui! Alors le jeu de cartes pas à collectionner est prévu pour 2013 aussi. Après, le jeu vidéo a pris du retard, mais c’est toujours dans les cartons.

CB : Ceux qui te suivent savent que tu prépares un nouveau jeu, Avalon. Ça en est où ?

AC : C’est hyper trop tôt pour en parler, car je suis hyper en retard sur mon planning de test. J’essaie de faire un truc chiadé où il y aura des phases pas trop techniques avec de l’enquête, du roleplay et puis des phases très tactiques. L’idée, c’est de faire un jeu où il faut vraiment se casser la tête pour finir l’infiltration sans déclencher l’alarme et qui met les joueurs aux commandes de la partie. Ce qui rend la conception du jeu dificile, c’est de faire en sorte que les joueurs soient vraiment les moteurs de la partie. D’expérience, cet aspect peut changer plein de choses dans la façon dont les règles et les scénarios sont présentés et écrits. Voilà, je me prends bien la tête, mais ça avance !

CB : Avec Avalon en ligne de mire, est-ce que l’arrivée des nouvelles plateformes de levée de fond t’intéresse ?

AC : Alors, je suis très dubitatif par rapport à ça. J’en ai discuté avec quelques confrères et déjà du point de vue du droit français, j’ai comme un immense frisson. Et puis il faut proposer un produit et moi j’en suis encore au stade du brouillon, donc… Mais avoir un éditeur, moi, je trouve ça bien. Cela te fait quelqu’un avec qui dialoguer, quelqu’un qui paie les factures. Si je ne trouve pas d’éditeur, je chercherais certainement une solution alternative, mais bon... Éditeur, ce n’est pas le même métier qu’auteur ! En termes de compétences, de démarches et de plaisir que tu peux prendre aussi. Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’être éditeur sur mes propres jeux. Après, c’est peut-être aussi parce que le Matagot a été partant pour faire MA, que ça s’est très bien passé, qu’ils ont été d’accord pour faire des bouquins luxueux et qu’ils m’ont laissé carte blanche sur le contenu… Ce n’est peut-être pas la configuration la plus fréquente, donc si un jour je ne suis plus dans les mêmes conditions, je changerais peut-être d’avis. Mais pour l’instant, non, ça ne m’intéresse pas.

CB : As-tu des projets hors JdR ?

AC : Oui ! Je suis en train de travailler à la rédaction d’un roman de science-fiction. J’ai un ami qui dirige une association de SF organisant tous les ans une convention pour laquelle ils publient une anthologie de nouvelles. Comme c’est un rôliste et que c’était également mon premier patron dans le jeu de rôle, il m’a demandé d’écrire une nouvelle… et je l’ai écrite. J’ai eu plein de retours assez sympathiques, notamment de Julien Heylbroeck, l’auteur de Luchadores, et du coup je me suis dit que j’allais écrire un roman. J’ai fini le synopsis et j’attaque la rédaction en ce moment. J’espère pouvoir le présenter aux éditeurs l’année prochaine.

CB : Ce ne sera pas un roman basé sur le JdR ?

AC : Non. C’est marrant, parce que je ne me suis pas posé la question en fait.

CB : Pas de roman MA alors ?

AC : (Il réfléchit) Je ne sais pas encore. Je te dirais ça l’an prochain.

CB : Tu as posté plusieurs articles parlant de JdR sur facebook en fin d’année dernière, dont certains ont entraîné pas mal de discussions. Allez! Raconte-nous tout Arnaud Cuide! J’ai l’impression qu’il y a un truc qui passe mal au sujet du JdR et que tu as envie de le défendre, je me trompe? Qu’est-ce que tu veux faire avaler aux rôlistes?

AC : J’ai rien du tout envie de leur faire avaler! (rires) Les articles que j’ai publié n’étaient au départ que des brouillons. Quand j’avais une discussion un peu animée avec quelqu’un en convention ou quand je pensais à un truc, je notais tout ça dans des fichiers word et l’été dernier, j’ai fait le tri et développé certains textes. Ça n’était pas un projet particulier, mais au fil des articles je me suis aperçu qu’il y avait effectivement un truc qui revenait tout le temps. (Pause) C’est ça que tu veux savoir ?

CB : Oui, c’est ça !

AC : Après vingt-cinq ans passés à jouer, dont dix dans la vie professionnelle, je constate que je joue avec une certaine exigence de jeu. Quand je fais une partie de JdR, je viens exprès pour ça et c’est un vrai moment de jeu. Je fais attention et je pratique ça avec sérieux, si j’ose dire.

CB : Avec une forte implication ?

AC : Oui, avec une forte implication. Je crois que je le dis textuellement dans un de mes articles : je comprends tout à fait qu’on ne veuille pas jouer comme ça. Comme Igor Polouchine (l’auteur de Shaan) le disait dans un des commentaires, on peut vouloir jouer au ping-pong dans son garage sans forcément avoir envie de faire le championnat de France. Mais ce qui me fait un peu chier dans le JdR, c’est l’impression que certains mecs jouant dans leur garage essaient de te faire croire que leur truc est artistique et que s’ils jouent juste entre eux, c’est pour être des artistes. Ben non les amis, c’est juste que vous n’avez pas envie de vous faire chier. Vous jouez comme vous le voulez, mais arrêtez de vous la raconter ! Je pense que le truc qui m’énerve, fondamentalement, c’est ça.

CB : C’est marrant parce que tu as débuté avec Multisim, et ce discours-là leur a souvent été attribué, non?

AC : Oui, mais alors eux, ils allaient jusqu’au bout de leur démarche. Ils jouaient justement avec une certaine exigence. Par exemple, le côté « les règles, rien que les règles, juste les règles », c’est con, mais c’est chez Multisim que je l’ai appris! Parce qu’effectivement, Multisim, ils avaient une exigence non seulement sur la façon dont ils jouaient entre eux, mais aussi sur la façon de faire leurs jeux et sur le « service au produit » qu’on était censé offrir aux gens. Donc si on jugeait qu’à zéro points de vie on mourrait, c’est parce qu’on pensait que par rapport à l’ergonomie du jeu, son thème, son ambiance, il fallait qu’en arrivant à zéro points de vie, le personnage meurt. Ils avaient réfléchi le truc, ce n’était pas juste pour faire beau. Oui, c’était artistique, mais ça n’autorisait pas à faire n’importe quoi.

CB : C’est étonnant, car l’image artistique d’un jeu est rarement attachée à ses règles. En fait, chez Multisim, les règles étaient complètement rattachées à cet aspect ?

AC : Oui. Et c’est logique en fait, puisqu’un JdR, c’est un tout. J’ai l’impression que les gens réduisent parfois un jeu à son univers. Mais non. Si tu joues à Star Wars sans les points de Force, est-ce que tu joues à Star Wars ? Si tu joues à Cthulhu sans la Santé mentale, tu ne joues pas à Cthulhu. Si tu joues à Cthulhu avec le système Feng Shui, c’est plus du tout le même jeu. Et pour le coup, à Multisim, ils avaient cette conscience qu’un jeu, c’est un tout et que l’ambiance provient aussi de la règle.

CB : Avant de te quitter, est-ce qu’on peut parler de liens entre ton engage-ment politique et MA ? Tu en parles publiquement sur facebook, donc je me permets cette question ?

AC : Au début, je m’étais dit que je ne parlerais pas de politique sur mon facebook. Ne serait-ce que parce que les gens qui me suivent sur ce réseau n’ont pas forcément les mêmes opinions que moi. Et puis à un moment, pendant la campagne présidentielle, je me suis dis, « faut pas déconner, si tu crois dans ce à quoi tu crois, il n’y a pas de raisons de le cacher ». Il y a plutôt des raisons d’avoir envie de le partager. Du coup, mince, un moment, voilà : je suis de gauche.

CB : Ouille !

AC : (rires) Par rapport à ta question, c’est un peu tiré par les cheveux, mais on peut voir dans tout ça un lien avec le JdR. Tout au début, quand j’ai commencé à écrire MA, il n’y avait pas les pirates de l’espace. C’était un univers de SF à la Whog Shrog, avec des empires très méchants qui s’entretuaient. Puis je me suis dit que j’étais en train de me lancer dans l’écriture d’un jeu, tout seul, que ça allait me prendre des mois et des mois, qu’il y aurait peut-être des suppléments, et au final que cela signifierait des années de travail. Il fallait donc que je trouve un truc qui me tienne vraiment à cœur, pour que la motivation reste intacte avec le temps. J’en ai discuté avec un pote, anarchiste, qui me racontait que le problème aujourd’hui, c’était que les gens n’étaient plus impliqués et du coup, que les gouvernants faisaient n’importe quoi dans notre dos. L’arrivée des pirates de l’espace, c’est vraiment pour parler de personnes qui ont décidé de prendre leur vie en main. Pour moi, le truc important dans les pirates de l’espace, en tous les cas dans les pirates tels qu’on les trouve dans MA, c’est que ce sont des gens qui ont décidé de forger leur propre destin.

CB : Moi j’ai découvert ça dans Pavillon Noir, mais l’histoire de la piraterie est directement liée à des choix et des revendications politiques.

AC : Tout à fait. De mon côté, je l’ai découvert en me documentant pour MA. Ce qui est rigolo, c’est qu’au fil de l’écriture, indépendamment du JdR, c’est une idée qui m’a travaillé, et qui m’a convaincu au final de m’engager au Parti de Gauche. Car si je me suis engagé, ce n’est pas forcément pour ce qui relève de l’idéologie de gauche, c’est sur le principe qu’il faut redonner le pouvoir au peuple… la contrepartie étant qu’il faut que le peuple s’implique plus dans la politique. Le truc marrant, c’est que, assez naturellement, dans le prochain supplément, j’ai conçu des règles pour faire… la révolution ! (rires) Dans la vie de tous les jours, je comprends qu’on n’ait pas la force de résister et qu’on se laisse malmener, mais dans un jeu de rôle... c’est un jeu, on fait ce qu’on veut !

CB : Est-ce qu’il y a un lien entre Whog Shrog (WS) et MA ? Il paraît que tu aimes bien ce jeu, son côté « JdR décomplexé » qui est un peu ton fer de lance ?

AC : Le truc rigolo, c’est que je n’ai pas joué à WS quand c’est sorti. J’y ai joué en 2000, et une seule fois! Cela a été une partie incroyable, ce qui ferait mentir certains pseudos narrativistes. C’était génial, les joueurs étaient à fond dans l’ambiance. Une ambiance particulière, évidemment ! Il y a eu du roleplay à fond la caisse, ça a tronçonné dans tous les sens, on a balancé des grenades atomiques… c’était juste parfait. On a joué jusqu’à 4 heures du matin. Du bonheur. En fait, je pense que le vrai lien qui existe entre WS, MA et moi, c’est Philippe Druillet, parce que WS est quand même vachement inspiré de ce style de BD. Moi, je suis un fan absolu de Druillet et pour MA, j’ai puisé dans les souvenirs et les émotions que j’ai eu quand j’étais petit et que j’ai lu Salammbô.

CB : As-tu d’autres projets JdR en ce moment ?

AC : Oui ! L’été dernier, j’ai proposé plusieurs concepts de Clef en main aux XII Singes et il se trouve que l’un d’entre eux a été retenu pour devenir une nouvelle gamme de JdR. Cela sortira au premier semestre 2013 et ça s’appellera Faust commando. Les joueurs interprètent des criminels (plus ou moins) repentis, d'anciens agents gouvernementaux ou même des cultistes psychopathes qui ont rejoint un commando top secret (voire clandestin) contre la promesse d'une amnistie. Ils sont envoyés dans des missions impossibles pour contrer une menace mystérieuse (« la » menace) qui pourrait bouleverser l'ordre mondial des années 2030. Je pourrais en dire plus, mais ce serait un spoiler…

CB : Spoiler ? Dis-en plus !

AC : En fait, l’action se déroule exclusivement en Enfer, mais un enfer moderne, une gigantesque mégalopole lugubre et cauchemardesque. On y retrouve tous les mythes et les personnages traditionnels, mais relookés XXIe siècle et « réaliste ». Point de gargouilles, mais des drones de combat ultramodernes !

CB : Motorisé comment ?

AC : Avec un système développé spécialement par mes soins. J'ai décidé de faire simple, mais avec quelques surprises pour mettre en scène le caractère particulier des PJ et l'ambiance « badass » du jeu.

Propos recueillis par Damien Coltice
Extrait du casus belli n°6 Mars - Avril 2012 publier chez BBE

1 - Arnaud Cuidet digest - Arnaud Cuidet est né en 1975 et travaille dans le milieu du jeu spécialisé depuis 1996. Boutiquier, auteur, rédacteur en chef de magazines de JdR (Casus Belli deuxième version, Dragon rouge), il s'est également occupé des traductions de la 4ème édition de D&D pour Playfactory avant de se lancer dans l'écriture de Metal Adventures.
Le saviez-vous ? Arnaud a écrit les descriptifs de tous les ouvrages de la gamme Call of Cthulhu/L'Appel de Cthulhu qui émaillent l'édition française spéciale 30 ans publiée par Sans-Détour.

_________________
Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
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Message  LinksLeChat Mer 15 Mai - 20:39

Rencontre avec Francesco Nepitello auteur de L'Anneau unique

Francesco Nepitello travaille dans le monde du jeu depuis longtemps. Il a acquis ses lettres de noblesse dans le milieu avec le jeu de stratégie War of the Ring et plus récemment avec le merveilleux jeu de rôle L’Anneau Unique, publié en français par Edge (originellement The One Ring chez Cubicle 7). Dans cet article, Francesco nous parle de la genèse de ce jeu de rôle et de sa vision du monde rôlistique en général.

Casus Belli : Pour commencer, en guise de présentation, pourriez-vous nous donner quelques informations personnelles, voire confidentielles ?

Francesco Nepitello : Je m’appelle Francesco Nepitello et je viens d’avoir quarante-cinq ans. Je suis né à Venise en Italie et j’y vis toujours, sur l’île de Giudecca.

CB : Si vous deviez résumer votre carrière de créateur de jeux avec des produits-clefs, lesquels seraient-ils ?

FN : Le moment déterminant dans ma carrière a certainement été ma première rencontre avec Alex Randolph. Alex était un créateur de jeux américain qui a habité à Venise pendant plus de trente ans. Il a eu une grande influence sur ma décision de me lancer dans la création de jeux. Une deuxième étape importante fut la sortie de Lex Arcana en 1993, un JdR médiéval fantastique que j’ai coécrit. Son succès m’a permis d’entrer en contact avec d’autres professionnels du jeu en Italie, avec lesquels j’ai beaucoup travaillé par la suite. Puis il y a eu la sortie en 2004 de mon plus gros succès, le jeu de stratégie dans les Terres du Milieu, War of the Ring.

CB : Il y a déjà eu plusieurs JdR sur les Terres du Milieu, pourquoi en créer un autre ?

FN : Eh bien, aucun de ces jeux n’était encore activement en impression lorsque nous avons commencé à discuter du projet ! De plus, L’Anneau Unique a été créé exclusivement dans le but de modéliser les Terres du Milieu de Tolkien, alors que jusqu’ici les jeux (de chez Decipher et I.C.E.) étaient des adaptations de systèmes conçus pour d’autres mondes.

CB : Selon vous, quelles sont les plus grandes qualités de L’Anneau Unique ?

FN : Il semble que les fans de Tolkien retrouvent une certaine ambiance, unique, qui se ressent à travers le jeu. Nous avons obtenu ce résultat en travaillant très dur sur le moindre détail, tel que les termes employés, les illustrations, et la présentation finale du produit.

CB : Lorsque vous travailliez sur L’Anneau Unique, avec vous consulté des érudits reconnus tels que Janet Croft, rédactrice de Mythlore, ou Michael Drout, rédacteur de Tolkien Studies ?

FN : Je n’ai consulté personne, hormis les sources directes ou indirectes habituelles : tout ce qui a été écrit par JRR Tolkien, par son fils Christopher, les livres de Tom Shippey, L’histoire de Bilbo le Hobbit par John Ratelif, etc. J’aime beaucoup le travail de Michael Martinez, car ses articles sur l’œuvre de Tolkien sont souvent pertinents dans le contexte du jeu.

CB : Pouvez-vous nous donner quelques informations sur les prochaines sorties pour L’Anneau Unique ?

FN : Deux publications sont en préparation en ce moment : Heart of the Wild (un atlas détaillé de la région de la Forêt-Noire) et son compagnon The Darkening of Mirkwood (sur l’histoire de la région). Ces deux suppléments de contexte visent à fournir aux joueurs un trésor d’information sur la région choisie comme point central des aventures. Les informations présentées dans ces livres devraient démontrer qu’il y a suffisamment d’aventures dans cette région pour créer une saga épique qui rivalisera avec la quête de la Montagne du Destin, un argument que nous avions suggéré dans le coffret de base.

CB : Pensez-vous que le Hobbit de Peter Jackson va avoir un effet sur la popularité de L’Anneau Unique ?

FN : C’est possible. Je suis curieux de voir si ces films vont faire réaliser aux gens que les Terres du Milieu sont un monde où de nombreuses histoires sont possibles, et pas seulement un décor pour l’histoire de Frodon et de l’Anneau de Pouvoir. Si c’est le cas, alors oui je crois que les films auront un effet sur la popularité du jeu, car il y aura plus de gens souhaitant en apprendre plus sur ce monde.

CB : Pensez-vous inclure des éléments propres au film dans de futurs produits pour L’Anneau Unique ou allez-vous rester fidèle aux seuls matériaux du roman ?

FN : Je ne pense pas que nous ayons besoin de faire cela. Il y a tellement à explorer dans ce qu’a écrit Tolkien. Et même si nous voulions le faire, nous ne pourrions pas faire référence à des éléments uniquement présents dans les films pour des questions de droits d’auteur et de licence.

CB : Avez-vous un secret que vous voudriez partager sur L’Anneau Unique ?

FN : Que son porteur devient invisible ? (sourire)

CB : Que pensez-vous de l’évolution des JdR au cours des dix dernières années ?

FN : Je pense qu’il est très bon que beaucoup de créateurs se soient intéressés aux rouages qui font tourner les JdR dans l’intention de déterminer s’il est possible d’améliorer l’expérience qu’ils apportent. Il y a désormais une pléthore d’approche du JdR, chacune correspondant à des goûts et aspirations différentes.

CB : Comment se fera, selon vous, l’évolution des JdR dans le futur ?

FN : C’est la question à mille po ! La réponse dépend si l’on parle de JdR sur table uniquement, ou de toutes les formes de JdR. Si je devais donner une réponse simple, je dirais que le financement participatif (comme kickstarter) indique une tendance vers des jeux plus spécifiques, dont le contenu est mis en forme en fonction des réactions des acheteurs potentiels. Je crains que ce ne soit pas forcément une bonne chose. Nombreux sont ceux qui pensent qu’un auteur devrait avoir le droit d’écrire entièrement à sa guise, mais je pense qu’il est très motivant pour un créatif d’avoir des comptes à rendre à un éditeur ou au détenteur d’une licence.

CB : Sur quoi travaillez-vous ces jours-ci ?

FN : Je travaille exclusivement sur L’A nneau Unique. J’ai d’autres projets en cours, mais ce sont des jeux de plateau.

CB : En JdR, êtes-vous d’abord MJ ou plutôt joueur ?

FN : MJ d’abord, car j’aime créer. En ce moment, je suis avant tout maître de jeu pour tester mes créations.

CB : Jouez-vous régulièrement ?

FN : Je joue presque tous les jours, principalement parce que j’ai plusieurs jeux à tester.

CB : Allez-vous souvent aux conventions et quelles sont vos favorites ?

FN : Je vais généralement à Essen Spiel en Allemagne et Lucca Comics and Games en Italie. J’essaie d’aller aussi à Play à Modena tous les ans. L’année dernière, je suis aussi allé à Conpulsion en Écosse, et en décembre dernier j’ai participé à Ayudar Jugando à Barcelone. Je suis allé à la Gencon plusieurs fois au fil des années, et la dernière fois c’était pour présenter L’Anneau Unique.

CB : Avez-vous un bon souvenir d’une session de JdR que vous voudriez partager ?

FN : Lors d’une partie de Pendragon, un de mes joueurs a occis le roi Lot d’Orcanie lors de la première charge d’une bataille en l’embrochant avec une attaque critique à la lance de cavalerie. Pour ceux qui connaissent la version de l’histoire d’Arthur de Malory, c’est en contradiction totale avec le canon, car le roi Lot est censé être tué par sire Pélimore, déclenchant une vendetta avec le clan des Orcades (dont sire Gauvain fait partie). Cette « mort accidentelle » voulait dire que la vendetta serait désormais dirigée contre mon joueur et sa famille à venir...
Ici, on peut vraiment dire que l’aventure était centrée sur les joueurs !

CB : Vous rappelez-vous de votre premier personnage de JdR ?

FN : Arnold, un guerrier pour D&D. Je venais de voir Conan le Barbare au cinéma...

CB : Quelles ont été vos plus grandes inluences dans votre carrière ?

FN : Les jeux de l’âge d’or de Chaosium : L’A d C et Pendragon. Le travail de Greg Staford m’a montré que l’on peut créer un jeu dont le seul but n’est pas d’amuser, mais qu’on peut aussi par ce biais intéresser les joueurs à d’autres domaines tels que la religion, l’histoire, etc. J’ai aussi été inluencé par d’autres jeux tels que Vampire : la Mascarade et Ars Magica.

CB : Jouez-vous à d’autres jeux que les JdR ? Lesquels ?

FN : Je joue à de nombreux jeux de plateau. Des jeux de stratégie, des Eurogames, des jeux de cartes que j’ai créés, ou que j’aurais aimé créer. En dehors de mes créations, j’aime beaucoup Andor ces jours-ci. Du côté du JdR, j’aimerais tester Dungeon World (même si je n’ai pas aimé son « prédécesseur », Apocalypse World). J’aime le concept de Trollbabe, mais n’y ai pas encore joué. J’ai participé au financement d’un jeu sur les nains par Mike Nystul (auteur de Whispering Vault) et je tente de convaincre un de mes amis de me préparer une partie d’Yggdrasill.

CB : Quel rêve vous reste-t-il à accomplir dans le monde du JdR ?

FN : Je crois que je suis déjà en train de vivre ce rêve en travaillant sur L’Anneau Unique. En y réfléchissant, j’ai eu l’occasion de créer un JdR exactement comme je le voulais, sur la base de mes livres préférés.

CB : Quel jeu auriez-vous adoré avoir créé vous-même ?

FN : C’est facile : Magic the Gathering ! Et pas seulement pour les revenus (promis !) mais surtout parce qu’avec ce jeu Richard Garield a créé un type de jeu complètement nouveau. Il est dificile de faire mieux.

Propos recueillis par Franck Florentin
Extrait du casus belli n°6 Mars - Avril 2012 publier chez BBE

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Message  LinksLeChat Mer 15 Mai - 21:19

Rencontre avec Dominic MacDowall-Thomas Le Boss de Cubicle 7

Cubicle 7 (C7) est une maison d’édition britannique relativement nouvelle qui a pourtant déjà à son actif une gamme étendue de produits rôlistiques dont certaines licences mythiques : The One Ring (L’Anneau Unique chez Edge), Doctor Who, Victoriana (un pur steampunk), Cthulhu Britannica, The Laundry, Qin, Yggdrasill, Kuro, Clockwork and Chivalry, etc…

Dominic McDowall-Thomas, le sympathique et passionné président de cette maison d’édition nous a dévoilé sans fard le passé, le présent et le futur de C7.

Casus Belli : Pour commencer, en guise de présentation, pourriez-vous nous donner quelques informations personnelles voire confidentielles ?

Dominic MacDowall-Thomas : J’ai trente-quatre ans, je suis né et ai grandi au Pays de Galles. J’habite ces jours-ci à Swindon (NdT : dans le Sud-Ouest de l’Angleterre) avec mon épouse, mes enfants et mes chats. Entre temps, j’ai quitté l’université pour devenir une rockstar, ai organisé des fêtes pour les ministres du gouvernement, et ai failli être bombardé par la marine de guerre des Philippines.

CB : Si vous deviez résumer votre carrière de créateur de jeux avec des produits-clef, lesquels seraient-ils ?

DMT : Un de mes premiers produits fut la boîte Doctor Who : Adventures in time. J’ai tout fait, du manuscrit au produit final : corrections, mise en page, gestion de production… la totale. J’en suis immensément fier. C’était mon premier coffret complet, et en tant que tel, c’était le plus gros boulot de production que j’avais entrepris jusque-là. Quel soulagement lorsqu’il est sorti d’impression tel que je l’avais espéré !

D’un point de vue personnel, la Gencon 2012 était significative puisque j’y étais un invité d’honneur. C’était excitant, fantastique et cela inspirait à l’humilité. J’avais vu des publicités et lu des articles sur la Gencon depuis longtemps. Mais, habitant au Royaume-Uni, avec la distance, cette convention me semblait être un temple mythique du jeu : je n’aurais jamais espéré y assister, et encore moins en devenir un invité. C’était donc un moment particulièrement spécial pour moi. Je croyais que c’était le point culminant de ma carrière, mais nous avons ensuite gagné quatre ENnies pour L’Anneau Unique et Shadows over Scotland (NdT : supplément pour Cthulhu Britannica). Comme je dirige Cubicle 7, j’ai en fait assez peu l’occasion d’écrire : mon temps est réparti entre la coordination de projets, le fait d’engager d’autres personnes qui s’occupent de la création et la révision de ce qu’on nous envoie. Toutefois, je me devais d’écrire une partie de L’Anneau Unique : ce sont les Terres du Milieu après tout ! Une des aventures que j’ai écrite pour L’Anneau Unique a reçu un ENnie et j’en suis ravi.

CB : Parlez-nous de l’histoire de Cubicle 7

DMT : Cubicle 7 a été fondé en 2006 et a commencé avec les gammes Victoriana, SLA Industries et Starblazer. Nous avons « gagné des niveaux » en obtenant la licence de Doctor Who et en établissant un partenariat avec Sophisticated Games pour la création de L’Anneau Unique. L’année dernière, nous avons sorti notre premier produit hors-JdR : le jeu de cartes Doctor Who.

CB : Comment s’est prise la décision de traduire plusieurs JdR français ?

DMT : Nous sommes des admirateurs de longue date des jeux du 7ème Cercle. Nous sommes ravis d’avoir pu prendre contact avec ses membres et qu’ils aient accepté que nous traduisions leurs jeux. Neko, Florrent et leur équipe ont un don pour transcrire à la perfection leurs univers dans leurs jeux. Ceux-ci sont bien conçus, captivent l’imagination des joueurs, et ont des univers crédibles dans lesquels on a envie de jouer.

CB : Quelle a été la réponse du public anglophone vis-à-vis de ces jeux jusqu’ici ?

DMT : Qin, Yggdrasill et Kuro ont été très bien reçus et ont acquis un bon nombre de fans. Ces jeux se jouent bien, sont très funs en plus d’être impressionnants sur le plan visuel.

CB : Quels autres jeux ou suppléments avez-vous en préparation chez Cubicle 7 ?

DMT : Il y en a tellement ! Nous avons des livres en préparation pour L’Anneau Unique, Doctor Who, Cthulhu Britannica, The Laundry, Primeval, et une troisième édition pour Victoriana. Keltia, dernier né du 7ème Cercle, est en cours de traduction (un projet qui me tient à cœur, étant Gallois), ainsi que des suppléments pour Qin, Yggdrasill et Kuro. Il y a aussi un nouveau jeu de science-fiction dans le système solaire : Rocket Age.

CB : Quel a été votre projet favori jusqu’à ce jour ?

DMT : À leur façon, ils sont tous spéciaux à mes yeux. Doctor Who sera toujours un de mes favoris, puisque j’ai grandi avec le feuilleton. Mon grand-oncle a fait partie de l’équipe qui a conçu les premiers Daleks, et ma sœur joue dans un des derniers épisodes. C’est dans notre sang ! Travailler sur un jeu prenant place dans la Terre du Milieu a toujours été un rêve, donc L’Anneau Unique restera également à part.

CB : Est-ce qu’un projet a déjà été décevant ?

DMT : Nous avons eu pas mal de projets en retard, ce qui est toujours décevant. Il y a toujours une bonne raison, mais cela reste frustrant lorsque ça arrive.

CB : Que pensez-vous de l’évolution des JdR au cours des dix dernières années ?

DMT : C’est une période excitante pour le JdR. Le boom de l’impression sur demande et des jeux indépendants est une indication de la créativité et du pouvoir d’innovation de ce secteur. Il y a eu également des innovations dans le domaine du financement et du marketing (kickstarter par exemple). Les méthodes d’interaction entre les auteurs et les maisons d’édition sont en pleine transition, ce qui est fascinant. Je me demande aussi comment D&D et Pathinder vont coexister et se distinguer suite à la sortie de la prochaine édition de D&D. Historiquement, le leader du marché a toujours eu un impact direct sur la santé générale du secteur, mais cela pourrait aussi changer alors que la nature de la relation éditeur-client évolue.

CB : Comment se fera, selon vous, l’évolution du JdR dans le futur ?

DMT : Je pense que nous ferons en gros la même chose, mais avec des méthodes différentes, et que la technologie ouvrira d’autres options. Je suis sûr qu’il y aura des changements dans la façon dont les jeux nous sont présentés : les méthodes par lesquelles nous recevons l’information évoluent très vite. L’Ipad est un des premiers éléments qui illustre le futur que j’avais imaginé. Nous continuerons malgré tout à raconter des histoires ensemble, car cela reste une expérience unique.je pense que cela s’applique à la plupart des autres types de jeu. J’ai suivi avec intérêt la résurgence des jeux de plateau : de plus en plus de gens semblent revenir à l’authenticité des jeux de société autour d’une table.

Une partie de l’évolution du JdR sera déterminée par la façon dont nous recrutons de nouveaux joueurs, ce qui nous ramène à l’influence des jeux-phare du secteur, car ils restent la porte d’entrée vers ce loisir pour les nouveaux joueurs. La renaissance du jeu de plateau fournit également une source de nouvelles recrues potentielles, à condition de créer une passerelle évidente entre ces types de jeu et les JdR et s’il y a suffisamment de jeux pour les débutants. L’accessibilité pour tous peut être un problème pour un loisir dont la fierté repose sur des livres de règles de 400 pages. Un des éléments importants de notre jeu Doctor Who est un livret de quatre pages intitulé « À lire en premier », qui explique aux joueurs tout ce qu’ils doivent savoir pour commencer à jouer.

CB : Sur quoi travaillez-vous ces jours-ci ?

DMT : Je travaille sur toutes les gammes de Cubicle 7, donc cela fait une longue liste ! La semaine dernière j’ai travaillé sur la relecture du second livre-source de Doctor Who et sur l’édition limitée du jeu de cartes du Doctor Who, j’ai assemblé la structure et écrit des textes de présentation pour World War Cthulhu, j’ai fait des corrections sur The Heart of the Wild pour L’Anneau Unique, j’ai eu quelques réunions avec mes chefs de gamme et j’ai envoyé le dernier supplément pour The Laundry, God Game Black, à l’imprimeur. Je suis épuisé, mais j’adore ce que je fais.

CB : Qu’est-ce qui vous motive pour écrire ?

DMT : Je pense que pour moi, c’est la volonté de communiquer ma passion et mon enthousiasme pour une idée, un concept ou un thème.

CB : En JdR, êtes-vous d’abord un MJ ou plutôt un joueur ?

DMT : Je suis un MJ d’abord, car j’adore créer des mondes et raconter des histoires.

CB : Jouez-vous souvent et régulièrement ?

DMT : Je joue autant que possible, c’est à dire pas autant que je le voudrais ! J’essaie de jouer à quelques jeux venant d’autres éditeurs, mais généralement je teste des jeux de Cubicle 7.

CB : Allez-vous souvent aux conventions de jeu, et quelles sont vos favorites ?

DMT : Je vais à sept ou huit conventions chaque année, et j’en organise une : Dragonmeet, à Londres. Ma préférée est la Gencon Indy aux USA. Elle est gigantesque et donne l’impression d’être un rassemblement de toutes les tribus.

CB : Avez-vous un bon souvenir d’une session de JdR que vous voudriez partager ?

DMT : Ma dernière session d’Yggdrasill était absolument géniale, j’y ai instigué une révolte dans un village de guerriers. C’était ma dernière chance, avant que je ne sois envoyé auprès de leur chef pour être sommairement exécuté... Yggdrasill utilise un système de d10 « explosifs », et mon jet de Commandement a explosé sept fois. Je pense que je ne pourrais jamais refaire un tel jet. J’ai pu parfaitement ajouter à cela le narratif, le discours de mon PJ… C’était une merveilleuse combinaison d’interprétation et de mécanique de jeu : j’ai fini avec une armée impromptue sous mes commandes, et mes collègues joueurs étaient en admiration à mes côtés.

CB : Vous rappelez-vous de votre premier personnage de JdR ?

DMT : Gilthonel, mon elfe dans le Jeu de Rôle Warhammer, première édition. Je ne me rappelle plus comment il avait commencé, mais il a fini comme Danseur de Guerre (les règles pour cette carrière avaient été ajoutées dans un magazine White Dwarf, avant que celui-ci arrête de parler de JdR). Il était bon, à la limite de la triche, comme de nombreux personnages crées par des joueurs de dix ans d’âge le sont parfois...

CB : Quelles ont été vos plus grandes influences pour votre carrière ?

DMT : Les livres, films et feuilletons sont mes plus grosses influences, mais surtout de bons romans. Je veux créer des jeux qui apportent les mêmes sensations que les bons livres. J’essaie encore de peaufiner les détails d’un JdR « Pour qui sonne le glas ».

CB : Jouez-vous à d’autres jeux que les JdR ? Lesquels ?

DMT : Je joue aux jeux de plateau et jeux de cartes, mais aussi à certains jeux vidéo. Les jeux auxquels j’ai joué récemment sont Mechwarrior Online (Allez, allez House Davon !), Kingdom Builder (jeu de plateau), le jeu de cartes du Doctor Who et les JdR Yggdrasill et L’Anneau Unique.

CB : Quels rêves voulez-vous encore accomplir dans le milieu du JdR ?

DMT : Je veux continuer à développer une maison d’édition qui fait des jeux merveilleux et passionnants, superbes à la fois pour les yeux et pour l’imagination. Et je veux voir grandir le nombre de gens qui prennent part à notre merveilleux loisir.

CB : De quel jeu auriez-vous souhaité être l’auteur ?

DMT : Cela change probablement tous les jours, il y a tellement de bons jeux ! Pour les JdR, j’aurais aimé avoir conçu Ars magica, car c’est un concept incroyable avec un système profond et un aspect générationnel qui conduit au narratif épique. Du côté des jeux de plateau, ce serait Diplomacy : un jeu élégant qui inclut un système de négociation. C’est pourtant un jeu très long et qui favorise de nombreuses trahisons capables de mettre les amitiés à rude épreuve, mais il est excellent.

Propos recueillis par Franck Florentin
Extrait du casus belli n°6 Mars - Avril 2012 publier chez BBE


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Message  LinksLeChat Lun 16 Sep - 8:48

entretien avec Vincent Mathieu auteur de Cats !


interviewe lors du monde du jeu 2010 par Roliste.TV avant sa sortie aux édition Icare.


Source: Roliste.tv

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Message  LinksLeChat Ven 20 Sep - 9:20

entretien avec Renaud Maroy, auteur de Pavillon Noir

Annoncée  il y a déjà plusieurs mois par Black Book Éditions, la seconde édition de Pavillon Noir s'apprête à voir le jour. L'occasion d'en parler avec son auteur, un passionné de piraterie comme il en existe peu !


Casus Belli : Bonjour Renaud, peux-tu présenter et nous parler de ton parcours rôlistique pour les lecteurs de Casus qui ne te connaissent pas encore ?

Renaud Maroy : Outre mon travail dans la recherche en imagerie médicale, j’écris des livres de jeu de rôle (Pavillon Noir) depuis 1998 et je crée des jeux de sociétés (non encore édités). Je suis un créatif chaotique par nature, ce qui ne fait que renforcer mon attrait pour le jeu de rôle et l’imaginaire, que j’aime nourrir d’éléments historiques. Mon histoire rôlistique est longue de 20 ans. Elle a commencé bien mal, avec une tentative ratée de jeu inutilement compliqué. J’y ai malgré tout appris qu’un système qui ne convient pas aux joueurs autour de la table peut tuer le plaisir de jeu. J’ai ensuite intégré un groupe qui mettait l’ambiance au cœur de la partie et reléguait les règles et l’évolution des personnages au second plan. J’ai joué avec eux sans compter mes heures et mes parties à L’Appel de Cthulhu, Paranoïa, Magna Veritas et à des jeux créés par mon extraordinaire maître de jeu (souvenir ému). Je suis passé derrière l’écran après quelques années pour maîtriser des campagnes (j’ai un goût  prononcé pour les longues campagnes)  de  Pendragon,  Vampire,  Vampire  : l’Âge des Ténèbres et de petits jeux de ma création. C’est en école d’ingénieur que j’ai découvert d’autres jeux et d’autres façons de jouer : ah, tiens, des règles, ça sert à quelque chose ? des personnages, ça évolue  ? Mes joueurs et maîtres de jeu de l’époque sont devenus mes meilleurs amis et e sont encore aujourd’hui, 15 ans plus tard. Aujourd’hui,  Pavillon Noir est le premier jeu que je maîtrise, avec Vampire. Je suis de toute façon plus à l’aise dans la maîtrise de jeux historiques et politiques.

CB : D'où vient cette passion pou l'univers des marins/pirates/corsaires ?

RM : L’univers de la marine fait partie intégrante de ma famille, que ce soit au travers de deux mois de vacances au bord de la mer chaque année, de croisières tous les ans en Bretagne, en Espagne ou sur la Méditerranée, de dériveur, de planche à voile, mais aussi de lectures sur le monde de la mer (roman de marine de guerre, récits de marins ivres de référence sur la piraterie et la flibuste). Pourtant, je me faisais une idée fausse de la piraterie, et lorsqu’un de mes joueurs m’a demandé de transformer une partie d’essai en un jeu de pirates, je m’attendais au pire (pris de navire + carte au trésor = intérêt limité). Mes recherches m’ont, bien au contraire, immédiatement passionnées, ce qui arrive presque toujours lorsqu’on se plonge en détail sur une période historique particulière. Pour exemple, Jean-Philippe Jaworski, auteur de Te Deum pour un Massacre, lorsqu’il décrit les dessous d’une bataille durant les guerres de religions, est capable de faire se tordre de rire les joueurs à sa table à force de détails croustillants.

Pour la piraterie, il en est de même  : plus je découvre, plus j’aime. Mon seul regret, c’est qu’à force de lire sur cette période, j’ai appauvri mon bagage sur d’autres sujets, comme la littérature, et que ma piratomania n’est pas terminée…

CB : Comment s'est passée la genèse de PN ?

RM :  C’est lors d’une partie one-shot sur la marine de guerre qu’un de mes joueurs (le futur Francis de Vercourt), m’a proposé de m’intéresser aux pirates, puis, après quelques parties qui ont constitué le début de la campagne Les Cinq Soleils, m’a incité à faire éditer mon jeu. Une petite phrase, lancée lors d’une partie, a transformé toute une partie de ma vie. En 1998, j’ai consacré cinq heures par jour à l’écriture de Pavillon Noir, d’abord comme un lot continu d’informations issues de ma culture familiale, puis de plus en plus entrecoupée par des périodes de recherche. En 2001, une première version était prête. Je l’ai proposé aux différents éditeurs (Multisim, Descartes, Hexagonal, Asmodée…) qui m’ont tous fait la même réponse : il est bien ton jeu, mais :

1) un jeu sur les pirates, ça ne marchera jamais (c’était avant  Pirates des Caraïbes bien sûr) et 2) nous n’éditons que des jeux que nous développons nous-mêmes.

Devant l’impossibilité de l’éditer, j’ai créé un site web où j’ai mis le jeu à disposition gratuitement. En quelques mois, j’ai été rejoint par sept personnes, qui m’ont proposé de transformer Pavillon Noir pour le rendre éditable, puis plus tard par deux autres. Chacun a travaillé sur une partie différente du jeu. La critique de  Pavillon Noir dans Casus Belli a fortement contribué à la popularité de mon site et, par voie de conséquence, à mon accès au monde de l’édition.

Chaque année depuis, je suis retourné au Monde du Jeu pour présenter ma version actuelle du jeu, et j’ai fini par intéresser l’éditeur de Premiers Âges, avec lequel les négociations n’ont pas abouti à la signature d’un contrat. Ensuite, c’est les éditions du Yéti, des Humanoïdes Associés, qui m’ont proposé d’éditer Pavillon Noir avec des illustrations de dessinateurs de BD. Malheureusement, après une réécriture du livre et un changement complet des règles, les éditions du Yéti ont disparu. Chaque année, le nombre de joueurs de Pavillon Noir, version web, croissait. C’est en 2004 que j’ai enfin rencontré  Black Book Éditions. C’est alors que, enfin, le livre de base a pu voir le jour, en octobre 2004. Pour moi, Pavillon Noir, c’est une masse colossale de travail, mais aussi un plaisir sans cesse renouvelé avec malgré tout quelques overdoses.

Pavillon Noir est caractérisé par un débit relativement lent, avec un supplément tous les 2 ans. Ce n’est nullement parce que je le mets de côté (même si je travaille actuellement sur la version jeu vidéo), mais parce que chaque supplément réclame des milliers d’heures de travail. Comme le jeu de rôle n’est pas mon métier, je peux me permettre de passer un temps indécent dans la recherche qui précède l’écriture d’un supplément. Pour exemple, je travaille depuis 2007 sur le prochain supplément à sortir (Les carnets du capitaine de Vercourt), qui porte sur «  tout ce que vous n’avez jamais osé demander sur les pirates  », avec uniquement du background, 80 pages de tactiques, 150 pages de plans techniques de navire et de descriptions de manœuvres, croquis à l’appui, 1200 pirates, avec leur période d’activité, leurs navires et les mers qu’ils ont écumées, 500 nouveaux métiers, 500 nouveaux navires sur toutes les mers du globe, autant de plantes connues des pirates avec leurs propriétés médicinales, toutes les guerres de 1500 à 1810, la liste de tous les rois et gouverneurs de pays côtiers entre 1650 et 1730 sur toutes les mers du globes, etc… Ce supplément est en cours de relecture et sortira bientôt. Une telle démarche, un auteur dépendant pour vivre d’un retour financier sur ses productions ne peut pas se le permettre.

CB : Peux-tu, dans les grandes lignes, évoquer les différences entre PN1 et PN2 ?

RM :  Il arrive souvent, lors d’un changement de version, que le système de jeu ou l’angle de vue du jeu change complètement, ce qui m’a tenté un moment, je l’avoue. Il se trouve que tous mes joueurs étaient globalement contents du système et que le parti pris du jeu (présenter les pirates comme les premiers révolutionnaires) me semble le plus ludique.

Les modifications ont donc porté sur d’autres points, dans un souci de compatibilité entre les deux éditions. Tout d’abord, elles sont partout, dans à peu près chaque page, avec une correction sans pitié du français, un souci de clarification, des règles rééquilibrées et par ci, par là, des nouvelles règles qui corrigent les travers de l’ancien système (il y en a toujours).

Le background de tous les livres a également été revu. J’y ai éradiqué les nombreux mensonges pour les remplacer par la vérité toute crue (pour peu que le mot vérité ait un sens en histoire). C’était de toute façon nécessaire pour ne pas être en contradiction permanente avec le nouveau supplément.

Concernant  À feu et à sang, par exemple, les combats de masse étaient expéditifs dans PN1. Dans PN2, les joueurs ont le choix entre perdre des hommes et infliger des blessures (gérées de manière identique aux cases de blessure des personnages) à leur équipage pour réduire les pertes. Ils risquent alors de sortir du combat avec des estropiés. Autre exemple, les traits de réputation ont été rééquilibrés, donnant des avantages supplémentaires aux traits dont les effets étaient limités. Mais surtout, tous les navires ont été refaits entièrement, sur la base de plus de 1  000 navires ayant navigué, donnant des points de règles à la fois plus réalistes, en accord avec le nouveau supplément dont j’ai parlé plus haut, et offrant des combats navals nettement plus intéressants (on ne termine plus un combat naval par une unique canonnade).

Concernant les suppléments à venir, ils apparaîtront sous la forme que j’avais prévu initialement, et qui n’avait pas pu voir le jour du fait de contraintes budgétaires, notamment des cartes pour visualiser et décrire les manœuvres d’escrime du personnage et pour gérer la magie historique de Entre ciel et terre. En résumé, PN2 ne contient rien qui vous demande de jeter vos anciens suppléments à la poubelle mais est truffé de changements.

CB : La deuxième partie de la campagne c'est pour quand ?

RM :  Ahhh… le traître, estourbir comme ça un pauvre auteur sans défense  ! Oui, bon, je sais, voilà, ça fait longtemps que je l’ai promise et qu’elle est attendue. Je suis en train de la faire jouer, et j’en ai commencé l’écriture. Maintenant que le supplément précédent est terminé, je m’y consacre pleinement. Petit bémol cependant, j’ai une thèse à terminer et à soutenir dans les mois qui viennent, mais par le passé, ça ne m’a pas retenu. Tout le plan de la campagne est déjà prêt. Elle devrait respecter l’esprit de La guerre des gouverneurs, c’est-à-dire une intrication de la campagne dans la geste pirate, cette fois-ci autour de Howell Davis, Bartholomew Roberts, Robert Sample et Lane, en plus des précédents pirates illustres qui ont survécu grâce à vos vaillants PJ. Au menu, un petit tour en Europe, en Afrique, et peut être dans l’Océan Indien et au Brésil. La nouvelle du prochain supplément vous en donnera un mini aperçu.

CB : D’autres projets de JdR dans les cartons ?

RM :  Des projets sur d’autres JdR  ? Non, j’ai bien trop à faire avec Pavillon Noir, pour lequel une liste de huit suppléments attend que je m’y colle. L’idée, c’est de faire des suppléments avec à chaque fois une campagne associée. Les sujets abordés seront  : la Flibuste, la guerre de Jehan Ango contre les Espagnols et les Portugais, la course lors de la Révolution (qui veut faire le rapport des pertes au Comité de salut public ?), les Barbaresques, les Gueux des mers de la libération des Provinces Unies, la France de Louis XIV, et enfin, la description de l’Afrique et des Indes Orientales, pour sortir un peu des Caraïbes.

Je consacre aussi beaucoup de temps à faire des jeux de société sur des sujets connexes à  Pavillon Noir  : un jeu de cartes de duels d’escrime (prêt à être édité), un wargame d’abordage et un jeu très accessible de combat naval, à l’échelle de l’individu.

Propos recueillis par la rédaction
Extrait du casus belli n°3 Mai-Juin 2012 publier chez BBE

Le crowdfunding pour cette 2nd édition c'est terminer et annonce la couleur avec pas moins de 156 605€ récolter:
01 La Révolte - 2nd édition
02 A Feu et à sang - 2nd édition
03 Ecran du MJ - 2nd édition
04 Le Hollandais volant - inédit
05 Les Carnets de Vercourt - inédit
Des cartes géantes, des jeux de cartes escrimes et magies, boite de bataille naval...

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Message  LinksLeChat Mer 6 Nov - 13:23

Entretien avec Willy Favre - auteur multiple (Brain Soda, DragOOns, Sable Rouge...)

C’est à un auteur à part que nous avons choisi de consacrer  cette  toute  première interview O%  jdr.  Brain  Salad, connu par les services de police sous le nom de Willy Favre... cette créature bicéphale  est  coupable,  de  près  ou de  loin, de  jeux  trop originaux pour être  honnêtes  (Brain  Soda, [...] DragOOns, Kuro,  Humanydyne ou encore Sable Rouge) mais  aussi  d’illustrations  pour  le moins  troublantes  (la  plupart  des jeux  cités  ci-dessus,  la  couverture du renouveau Casus Belli...). Une personne  donc  sufisamment  peu  fréquentable  pour  que  l’on  s’intéresse à son cas !

(la rédaction décline toute responsabilité en cas de maltraitance sur de petits animaux lors de cette interview)

DI6DENT : C’était quoi, Willy, ta matière forte au lycée ?

Willy Favre : La biologie. En  fait,  l’intérêt d’avoir  fait une  terminale économique et sociale, c’est que du coup  les matières  scientiiques  devenaient  moins  strictes. Les professeurs de biologie ou de physique étaient hyper contents de voir que je m’intéressais à leurs cours, en sachant pertinemment que leur matière ne figurait pas au baccalauréat. Et franchement,  la bio’, ça a toujours été ma tasse de thé. Si ces foutues mathématiques n’avaient pas existé,  j’aurai certainement fait une terminale scientiique. Mais dès la primaire, j’ai rapidement compris que les maths ne me serviraient jamais à rien dans la vie… Et j’ai bien eu raison.

D6 : Il  y  a  sûrement  un  dessin  animé  ou  une  série que tu regardais avidement quand tu étais plus jeune  et  qui  te  fait  honte  aujourd’hui.  Allez, avoue, y a prescription.

WF :Avidement ? J’ai bouffé énormément de Récré A2 dans ma  jeunesse,  au  point  de me  souvenir  encore par cœur des génériques. D’ailleurs, c’est bien simple, mon  enfance  a  été  partagée  entre Dorothée et des feuilles blanches sur lesquelles je faisais des BD. Alors, quel dessin animé ou série ? Allez, je dirais Punky Brewster. Je suis trop fan de Spectroman et d’X-Or pour en dire du mal maintenant.

D6 : Il paraît que t’es un fou de catch. C’est quoi ces conneries ? Je croyais qu’il n’y avait que les papys et les garçons de moins de 8 ans que ça intéressait ce truc. Va falloir que tu t’expliques, là…

WF : Je  suis  toujours  heureux  de  découvrir  que  plein de  gens  ignorent  ce  pan  entier  de  la  culture  européenne  et  américaine,  comme  si  elle  était  une mode née d’hier (premiers matchs de catch dans les années 30 quand même). Si  je prends une période récente en France, dès 1991, le catch américain était diffusé chaque semaine sur Canal+. Pay-per-view y compris! Et ces émissions là, c’est un peu  le Casus Belli ou  les Livres dont vous êtes le héros du catch de pas mal de gens: la découverte d’un  spectacle amusant, spectaculaire, ultra  fun. Franchement, des super-héros en live qui font des mouvements acrobatiques ou  surhumains, avec parfois des histoires prenantes ou débiles à souhaits, ça devient vite addictif. Par contre, de mon point de vue, le catch n’est pas un spectacle pour les gamins d’aujourd’hui. La preuve: ils refont  les prises dans la cour d’école, ce qui n’était pas le cas autrefois. On devait avoir plus de recul à leur âge, je ne sais pas. Même en jouant à X-Or ou en matant Ken le Survivant.
Toujours est-il que comme pas mal de gens de ma génération, j’ai toujours plaisir à  voir des matchs, le plus agréable étant de les découvrir en live où règne toujours  une ambiance exceptionnelle. Le genre de truc à faire au moins une fois dans sa vie, pour voir, même si on reste froid devant un tas de muscles en slip. Tout ça, malgré  les prises de risques, ça reste du show ! Du vrai pop-corn !

D6 : Apparemment, tu es un spécialiste de la salade de cervelle. Ouais, bof. T’as pas plutôt la recette du gratin de tripes ?

WF : Non  et  rien  que  le  nom me  donne  envie  de  dégueuler.

D6 : Puisqu’on en est à papoter cuisine : tu crois qu’un vampire ça bouffe du boudin noir ou bien ?

WF : Ça dépend essentiellement si le vampire était une star du porno avant.

D6 : Imagine : je suis un gros bonnet d’Hollywood et je crois que tu me plais bien, coco. Je te file un budget de 200 millions de $ et des caméras 3D. C’est quoi le pitch de ton film ?

WF : Sans  doute  un  road movie de l’espace. Avec un camionneur chargé de convoyer  des  matières dangereuses, sur les routes sans fin d’une lointaine planète minière. Un convoi survitaminé, avec des créatures à abattre, des pirates de la route robotisés et des motardes sexy jouées par Kristen Bell, Alyson Hannigan et Elisabeth Mitchell. Avec de la baston, de la bidoche, des galoches baveuses et  moi  dans  le  rôle  du  camionneur,  évidemment. Et je veux Michaël Ironside en méchant aussi.

D6 : Tu es aussi un fameux illustrateur. C’est quoi ta pire dédicace en convention ?

WF : Ca dépend si par « pire », tu entends la pire que j’ai faite sans le vouloir ou la pire qu’on m’ait  demandée. Mine  de  rien  lorsque  tu commences  à  cumuler  plusieurs  heures de crobars,  le trait devient merdique et la fatigue te fait parfois faire des choses pas super élégantes. Sinon, la pire qu’on m’ait demandée c’est un Mickey avec un gros sexe. Merci à Ange Gardien d’ailleurs pour cette  demande inattendue sur le livret de Kuro. Mais bon, au moins ce n’est pas de mon fait, ça évite les mésententes pour les histoires d’organes sexuels  masculins  dédicacés à  l’insu du plein gré du client sur son bouquin

D6: Aubrey De Grey assure que le premier homme qui vivra 1.000 ans est déjà né. Tu te rends compte que ça pourrait tout aussi bien être toi ?

WF : C’est pas plutôt lui, en fait ? Parce que vue la barbe qu’il  se  trimballe,  soit  il  n’est  plus  au  courant  de la mode pileuse depuis  1883,  soit  c’est un habile stratagème  pour  se  la  raser  l’année  prochaine  et ainsi paraître plus jeune. Et si c’est moi, et bien, vous n’avez juste pas fini d’en chier. Moi non plus remarquez, puisque ça signiie que je vais passer 1.000 ans avec les frères Bogdanoff…

D6 : En tant que parrain de cette rubrique, tu as l’honneur de dénoncer qui devra répondre à nos questions pour le prochain numéro. Fais ton choix !

WF : Vu  le niveau des questions,  je vais dire Yno. Parce que  j’ai hâte de  voir  ce qu’il  va  répondre  à  «si  tu étais un Castor, aimerais-tu jouer de la clarinette ou du violon ? ».  

Propos recueillis par Julien Clément
Extrait du DI6DENT 0 - Septembre 2010
disponiblesur: http://www.di6dent.fr/
Pour aller plus loin:
BrainSalad - Ze Site : le site de l'auteur

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Message  LinksLeChat Jeu 19 Déc - 15:50

entretien avec Nelyhann, auteur et responsable des Ombres d’Esteren

Pour l’apologie du dirigisme (mais pas seulement)

Illustrateur et auteur sur Les Ombres d’Esteren, Nelyhann1 est également responsable de la gamme pour Agate éditions et auteur principal des scénarios de Dearg. Affable, convainquant et enthousiaste, il a accepté sans rechigner de parler de la campagne et de ses particularités, sans jamais prendre ombrage de nos réserves.

Casus Belli : Comment avez-vous vécu le formidable succès du financement participatif de la campagne Dearg sur Ulule ?

Nelyhann : On a été les premiers surpris par l’ampleur de ce qu’il s’est passé. Bien sûr on avait eu l’expérience des deux kickstarters de la version américaine, mais les USA, c’est tout de même un autre public, une autre densité de population. Finalement, contre toute attente, la campagne Dearg a fait mieux que les US.

CB : Pourquoi d’ailleurs être passé sur Ulule pour cette campagne ?

N  : À cause de la réalité du monde de l’édition du JdR. Il est impossible de sortir un bouquin de cent pages tout en couleur sans passer par ce modèle de financement participatif. Notre référence en matière de résultat final, ce sont les campagnes  Pathinder. On a essayé de s’aligner là-dessus, c’est-à-dire : scénario et aides de jeu, en plusieurs épisodes. Je suis fier des bouquins que l’on a fait. Mais c’est vrai que nous, on avait l’ambition de sortir une campagne sur un registre beaucoup plus haut de gamme [sic], avec une boîte, des aides de jeu imprimées, le bouquin en intégrale en couverture rigide, etc. Vous connaissez les chiffres du JdR. Sortir une campagne comme ça sur le circuit traditionnel, c’est du suicide économique. Alors on a décidé de faire un crowdfunding pour voir si on pouvait y arriver. On a fixé le palier à 15 000 €.

CB : Vous aviez envisagé dès l’origine les différents bonus du financement ?

N : On avait déjà l’idée de faire un nouvel album de musique d’ambiance. De rencontres en rencontres, je me suis retrouvé à discuter avec un chef d’orchestre lyonnais et on a commencé à parler d’enregistrer l’album de notre compositeur qui travaillait uniquement sur ordinateur. Il m’a raconté la réalité d’un enregistrement studio d’une heure avec un orchestre de soixante musiciens. Je lui ai dit que ça me ferait rêver de faire ça. Mais pour l’économie du jeu de rôle, c’était juste impossible de l’envisager. Avec le crowdfunding par contre, pourquoi pas  ? Le palier pour l’enregistrement, on l’avait défini à 40  000  €. En comparaison, à l’époque, le Ulule d’Ars Magica avait fait 20 000 €. Finalement, on a dépassé les 40 000 € et le chef d’orchestre m’a dit : «  si on fait l’enregistrement, il faut faire un concert ». J’ai trouvé ça génial. Et l’histoire a fait qu’on a même pu financer ce concert [NdlR : qui a eu lieu le 30 novembre 2013].

CB : Qu’est-ce que le succès des financements participatifs aux US et en France ont changé pour vous ?

N : Pour nous, en termes d’équipe, le succès du crowdfunding ne change pratiquement rien. Entre l’enregistrement et l’organisation du concert, on en a pour 25 à 30 000 €. Le reste de la somme obtenue, cela permet de financer l’édition limitée dont on rêvait au départ. Par contre, cela permet de façon encore plus transparente encore de rémunérer l’équipe. Tout le monde sait qu’on fait ça par passion. On reste dans le registre des droits d’auteur et j’ai toujours voulu que tout le monde soit sur un pied d’égalité vis-à-vis de cela. Avec la conscience très limpide qu’on va se payer un sandwich au bout de deux ans de travail, mais l’histoire montre, et c’est une fierté pour moi, que quand ça commence à vendre beaucoup, et bien les droits d’auteur ça commence à devenir intéressant. Quand tu ajoutes les livres en français, les livres en anglais, plus les PDF, en France ou aux US, on est à 5 ou 6 000 unités quand même. En trois ans évidemment.

CB : Pour être honnête, la rédaction a été très décontenancée par  Dearg. C’est quelque chose d’assez différent de ce qu’on trouve habituellement dans les scénarios.

N : Pour moi, dire «  c’est assez différent », « ça vous a décontenancé », c’est un compliment. Après est-ce que ça vous plaît ou pas, c’est autre chose. Ce que tu constates, c’est qu’on a essayé, sans vouloir réinventer le fil à couper le beurre, de faire quelque chose d’un peu particulier. On est très conscient que même parmi notre communauté, les gens vont se dire « C’est quoi ce truc ? », «   Ils sont partis où les gars, là  ?  » (rires). Mais c’est vraiment assumé. On a la chance, grâce à Valentin, l’éditeur, d’avoir un propos et de pouvoir le porter sans aucune concession. Après, votre retour est intéressant et peut-être qu’au travers de ce premier épisode [NdlR  : l’interview a été faite après la sortie du premier épisode de Dearg] on ne comprend pas bien encore de quoi il retourne. C’est assez étrange, c’est vrai, mais j’en suis assez content.

CB : Qu’es-ce qui vous a poussé dans cette direction particulière ?

N : La première volonté du premier épisode de la campagne, c’est de poser le décor, les pistes pour les meneurs, tout ça dans un esprit « bac à sable ». On part sur quelque chose de très classique : le village. Avec  Esteren, notre volonté a toujours été de revisiter quelque chose de connu, mais en proposant quelque chose qui est « challengeant » pour les meneurs. Moi je suis un vieux meneur de D&D, donc je connais tout ça par cœur. On a essayé de transcender le genre à notre niveau, de proposer quelque chose d’intéressant. La deuxième volonté dans Dearg, ma question centrale dans l’écriture, c’est comment impliquer les joueurs dans l’histoire, avec la contrainte énorme de m’adresser à six cent MJ. Comment est-ce qu’on propose quelque chose d’impliquant pour chaque groupe à partir du même bouquin, alors que chaque groupe aura ses propres histoires ? Notre réponse à ce problème central, c’est de faire en quelque sorte l’apologie du dirigisme. Vous, à Casus, vous savez à quel point c’est décrié. Mais c’est complètement assumé. Pour moi, qu’est-ce qui est dénoncé dans le dirigisme ?
C’est de ne pas avoir de liberté d’action, en tant que joueur. C’est écrit à l’avance. Cela va à l’encontre du JdR où prime la liberté. Quand je dis apologie du dirigisme, c’est de la provocation évidemment. C’est vrai que les joueurs vont devoir le jouer pour s’en rendre compte, mais dans Dearg, l’enjeu ne se trouve pas dans le déroulé narratif, le « Qu’est-ce qui se passe dans l’histoire ». Ça, c’est plutôt du ressort du suspens, et le dirigisme va l’annihiler. Si je vous dis que nous allons jouer telle pièce de théâtre, c’est dirigiste. Mais l’intérêt narratif se situe ailleurs. Avec nos focus, on va demander aux joueurs de se positionner dans ce qui leur arrive, au niveau subjectif de leur personnage. Comment vont-ils incarner leur personnage à ce moment-là ? C’est vraiment cela l’intérêt. Et d’après nous, c’est une façon de répondre à l’implication des joueurs dans la campagne. Voilà des aventures dans lesquelles, pour vous impliquer, vous allez choisir un thème et une histoire que vous allez devoir intégrer à votre background. Ce que j’espère, c’est que les meneurs vont utiliser l’aide de jeu expliquant comment créer des focus pour leurs propres joueurs, en prenant exemple sur ceux de la campagne.

CB : L’approche des focus est très théâtrale finalement ?

N  : Tout à fait. D’ailleurs, on est en train d’écrire les scripts de tous les seconds rôles pour faciliter la prise en main. Aujourd’hui, quand tu joues, on estime de façon implicite que chaque joueur est maître des émotions de son personnage. Par conséquence, on suppose que c’est très dirigiste que le MJ dise : « Là tu réagis mal et tu lui mets une claque ». Mais en fait, c’est hyper intéressant. Dans la réalité, l’être humain est passif par rapport à ses émotions. C’est quelque chose qui vient à toi, qui s’impose à toi. Quand vous vous réveillez le matin et que vous pensez à cette fille-là, vous n’avez pas le choix. On ne contrôle pas. En choisissant un focus, le joueur d’Esteren va s’imposer des choses. Quelqu’un qui se réveille et qui est obsédé par la vengeance, qu’est-ce qu’il fait avec ça ?
Je digresse, mais un joueur impliqué dans son personnage, il va faire des apartés avec le meneur. Le système des focus n’est que l’accentuation de ces apartés. C’est dans ces moments-là que le joueur va se concentrer sur son personnage et son implication dans le jeu. Le but de Dearg, c’est que chaque joueur, l’un après l’autre, ait droit à son focus. Le but de tout ça, c’est que dans le 3e et 4e épisode on revienne dans le temps présent. Et là, on va faire des scénarios classiques, dont certains sont playtestés depuis l’origine d’Esteren. Le but avec le focus sur l’histoire d’amour par exemple, c’est de faire en sorte que le joueur dont le personnage est amoureux de la fille se sente profondément impliqué quand celle-ci disparaît à la fin de la campagne. Les focus ne servent qu’à ça.

CB : Cela ne paraît pas évident pour les seconds rôles de graviter autour du personnage principal de chaque focus…

N : Ce n’est pas évident, c’est vrai. Le principe, c’est de se dire qu’il y a un personnage au centre de l’histoire, les autres devenant des co-meneurs de jeu. On détourne un peu les rôles. Dans les playtests, je m’en suis rendu compte : au début, les gens sont perdus ! Par exemple, prenons un second rôle, le père du personnage principal, alors enfant, qui met une rouste à ce dernier. Les autres joueurs autour de la table jouent le reste de la famille. Au début, ils se demandent quoi dire ou quoi faire. C’est là où, c’est étonnant, on retrouve une sorte de fébrilité, de maladresse, des tous débuts du JdR. On ne sait pas trop comment jouer. C’est assez énorme ! Et après, ils savent, ils improvisent complètement. On s’approche assez nettement des JdR avec narration partagé, des JdR avec meneur tournant, etc. De façon détournée, j’ai envie d’initier les gens à cela. C’est génial en terme d’expérience de jeu, surtout pour des joueurs un peu mature, y’a vraiment matière à s’éclater.

CB : La question que nous nous sommes posés, c’est de savoir si on ne s’écarte pas du JdR pour faire du théâtre, finalement ?

N :  Quand tu poses la question, tu sous-entends beaucoup «  pour les joueurs classiques ». Mais effectivement, les rôlistes ont plus de facilité et trouvent plus naturel certaines formes de mécanismes. C’est une réalité historique. J’espère qu’on arrivera à faire passer notre vision. Comme tu le disais plus tôt, les gens de la communauté sont assez décontenancés. Au final, ils entendent que tout cela n’empêche pas les points d’expérience et la progression. C’est juste que l’enjeu des focus de Dearg, l’adversaire, ce n’est pas celui de d’habitude, ce n’est pas le gros monstre. Il y a bel et bien un enjeu à surpasser, mais différent.

Nos meneurs à l’ancienne ont les mêmes remarques que vous, alors on essaie d’être pédagogique. Ils n’ont pas l’habitude de jouer comme on le leur propose et on doit leur expliquer. Leurs repères sont basés sur l’idée que le dramatique, c’est le suspense. Que le roleplay, c’est avoir le contrôle sur ses émotions. Mais nous, on remet tout ça en question. Ce qui nous a le plus étonné ? Quel est le public qui est le plus été réceptif le plus naturellement ? Ce sont les plus jeunes et les filles. Les filles notamment, parce qu’elles font du JdR par forum, en mode narratif pur, sans savoir que cela en est. Cela fait très longtemps qu’elles font de la narration partagé sur le Net, mais c’est totalement improvisé. Il y a des forums entiers avec dizaines de milliers de messages, que l’on pourrait aussi rapprocher des « fans-fictions ». Les enjeux narratifs qu’elles recherchent, chez nous, ils sont là. Bien sûr, on ne sait pas trop jusqu’où peut aller cette démarche, mais ce qui est beau, c’est que le crowdfunding nous a donné une liberté artistique totale là-dessus. Et puis si ça peut déjà donner des idées aux MJ pour leurs propres parties, c’est déjà une victoire !

CB : Merci à toi Nelyhann pour toutes ces précisions !

Propos recueillis par Damien Cotice
Extrait de Casus Belli n°8 Novembre – Décembre 2013 publier chez BBE

1 - Nelyhann’s Digest
Avant de participer activement au projet des Ombres d’Esteren en compagnie de l’association ForgeSonges, Nelyhann a débuté dans le jeu de rôle comme illustrateurs pour des jeux confidentiels, comme Essentia, puis pour Aventures dans les mondes intérieurs chez La Boîte à Polpette et les Ludopathes ensuite, ou Labyrinth de chez Icare éditions. Aujourd’hui, il travaille uniquement pour Les Ombres d’Esteren.

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Message  LinksLeChat Lun 27 Jan - 14:00

Entretien avec Laurent Trémel pour Universom

Casus Belli : D’où est venue l’idée d’un système générique alors qu’il existait déjà de nombreux systèmes de jeu  ? Pourquoi,  notamment,  ne  pas  être parti de celui de Zone ?

Laurent Tremel : Il fallait créer pour ce produit une identité propre, d’où un système de règles spécifique, pouvant simuler des combats, avec différentes armes, simuler différentes actions, les effets de la magie, des pouvoirs psy, etc. Ce projet, quoique publié quelques mois plus tard, s’est développé parallèlement à Zone.

CB : Est-ce vous qui avez amené votre système et l’univers à Siroz ou les connaissiez-vous d’avant ?

LT  :  Siroz Productions  —  la SCS «  Théry-Bouchaud  et  Cie  »  à  ses débuts — a été créée par cinq personnes : Éric Bouchaud et Nicolas Théry, qui détenaient l’essentiel des parts de la société, ainsi que trois autres personnes : Olivier Zamora, Marc Nunès et moi-même.

Nous étions pour la plupart des joueurs de jeux de rôle «  historiques  »  (ayant commencé au tout début des années  1980), membres d’une association importante créée en région parisienne en  1984 : le « 20 Naturel ». Nous avons développé ces jeux dans le cadre des activités du « 20 Naturel » en tant « qu’amateurs  », puis décidé de créer une structure commerciale pour les publier. Il s’agissait souvent d’œuvres collectives, travaillées par plusieurs personnes.

CB : Est-ce qu’Altar était votre système maison ? Ou faisiez-vous déjà  jouer vos campagnes depuis longtemps avec le système Universom ?

LT : Altar a été créé spécifiquement pour Silrin et Koros. Universom était un concept commercial : un jeu pas cher et en quelque sorte « jetable » ; au travers du scénario, les bases de l’univers se trouvaient radicalement modifiées (dans Koros, par exemple, vous faites chuter l’empereur...).

CB : Est-ce que vous pouvez décrire la genèse de Silrin en quelques lignes ? Quel fut le premier monde que vous avez développé, Silrin ou Koros ? Qu’en est-il de Whog Shrog et de Berlin XVIII ?

LT : Différentes personnes étaient impliquées dans différents jeux. Moi, c’était principalement Silrin et Koros (avec son supplément  Thryra).

J’étais auteur secondaire sur Berlin XVIII et j’ai un peu travaillé sur Whog Shrog.  Silrin et Koros ont été conçus en même temps : ce sont des planètes du système Altar et d’autres «  mondes  » étaient prévus. Nous voulions développer des jeux de rôle «  adultes  », quelque part critiques par rapport aux productions d’alors du type Donjons et Dragons. Zone met en scène des marginaux, et dans Silrin et Koros, je commençais à appliquer ce que je retenais des cours de socio que je recevais à la fac. Je pense que  j’ai été influencé  par  les Sciences Sociales et la série Star Trek qui mettait en scène d’autres cultures, avec ses logiques propres, d’où le sous-titre d’Universom : « D’autres mondes, d’autres galaxies ». Le but était d’incarner des personnages avec une idéologie propre  (souvent contestable), découvrant au travers du scénario d’autres « logiques », d’autres mondes, d’autres peuples. Dans Silrin, les personnages sont des humanoïdes ailés d’une caste dominante moyenâgeuse chassant des « primitifs » et méprisant le « peuple ». Au travers du scénario, ils rencontrent des humains maîtrisant une technologie plus avancée et ce sont eux qui deviennent les «  sauvages  », en découvrant au pas-sage que leurs «  dieux  » étaient les ancêtres de ces colons humains venus explorer la planète et ayant abandonné quelques objets qu’ils ont pris pour des reliques...

CB : Aviez-vous vraiment prévu de sortir un supplément de monde sous cette forme tous les mois  (ce qui est mentionné dans  Koros) ou tous les deux mois ? Aviez-vous du matériel d’avance ? Pourquoi ne pas avoir continué ?

LT : Oui, il y avait beaucoup de joueurs plein d’idées au sein de l’association «  20 naturel  » et nous aurions pu assurer cette production. Hélas, le succès escompté ne fut pas au rendez-vous (sans doute à cause de la présentation « cheap » des jeux...) et on revint rapidement à des formes de commercialisation plus classiques autour de produits «  phares  » tels que Berlin XVIII et Whog Shrog. Au fil des mois qui passèrent, « Théry-Bouchaud et Cie » s’endetta beaucoup  (salaires, investissements, publicités dans les magazines,  etc.) ce qui fait que la société déposa son bilan et se transforma en Idéojeux. Éric  Bouchaud  et  Nicolas  Théry abandonnèrent ce secteur d’activité, moi aussi, quelque temps avant d’ailleurs, et indépendamment de ces problèmes financiers. Intéressé par mes études, je m’étais peu à peu désinvesti du monde des jeux de rôle.

Propos recueillis par Géraud « myvyrrian » G.
Extrait de Casus Belli n°8 Novembre – Décembre 2013 publier chez BBE


Dernière édition par LinksLeChat le Mer 26 Fév - 9:48, édité 1 fois

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Message  LinksLeChat Jeu 30 Jan - 0:25

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UNIVERSOM & WHOG SHROG

Quand Predator rencontre l’inspecteur Harry

1987. Laurent Trémel et la Siroz « Dream Team » proposent un concept inédit sur la scène rolistique française : un système générique dopé par un nouvel univers de jeu tous les mois. Bien que le concept se soit rapidement essoufflé, il a permis la parution d’univers hauts en couleur. Notamment Whog Shrog qui, allant à l’encontre du politiquement correct, fit longtemps parler de lui autant pour ses choix graphiques discutables que pour la façon dont ses thèmes étaient abordés. Retour sur ces jeux qui ont fait la gloire des premiers jours de Siroz. À ne pas placer entre toutes les mains !

Après l’excellent  Zone, la jeune équipe de Siroz, menée par Nicolas Thery  et Éric Bouchaud, entreprend un projet ambitieux : chaque mois, une pochette écran avec trois livrets — règles, univers, scénario. L’idée est alléchante. Un nouveau bac à sable  S-F dans lequel les PJ peuvent s’ébattre grâce à un système commun et adaptable que le Maître de jeu peut aisément prendre en main grâce au scénario fourni. Un univers « jetable », que le scénario propose de chambouler profondément. Les personnages ont ici une influence capitale sur le devenir du monde, et ce, dès leur première aventure.

Universom est un concept qui rappelle le modèle de GURPS ( rappelons au passage que la 3e édition de GURPS fut éditée par SIROZ en 1994 ), mais il se présente sous une forme plus « accessible ». Une vingtaine de minutes suffit pour  le  lire et  l’assimiler, même en tant que MJ débutant. Étrange paradoxe quand on considère combien les univers décrits ne sont pas destinés aux rôlistes non-initiés.

Universom, d’autres mondes, d’autres galaxies…

Honnêtement, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas relu tout ce matériel. Le souvenir de Whog Shrog et le bruit des scies circulaires en tête, un album de Metallica dans les oreilles (pour l’ambiance), je me lance la bave aux lèvres. Je ressors les livres, jette un œil circonspect aux couvertures. Hum, je me souvenais que celle de Whog Shrog  faisait mal aux yeux mais finalement ce n’est pas la seule. Je commence à feuilleter le livret de règles.

Décrit sur une vingtaine de pages, le système se maîtrise vraiment sans peine : une dizaine de caractéristiques classiques (évaluées sur 20), des compétences sous forme de pourcentage, le tout modifié par  les races/ethnies/métiers. On ne s’éloigne guère du BRP en somme, ce qui n’est pas pour me déplaire (j’assume mon affection pour le système Basic). Les règles faisant la part belle au combat et aux blessures, on ne peut s’empêcher d’avoir un a priori sur le type de jeux et de scénarios attendus. La gamme Universom paraît s’inscrire dans une optique de « déffoulâge », assumée ou non. On sent la transpiration et les lots de testostérone poindre au travers des pages et des illustrations. Et pourtant.

Sur Silrin, mange ou tais-toi

Premier de la série,  Silrin introduit succinctement le système solaire d’Altar. Il nous fait atterrir sur sa troisième planète, une zone tampon entre Koros, berceau du « Royaume » humain, et un ensemble de planètes sous le joug des Tryrhans, des humanoïdes géants et velus leur faisant la guerre. On entend déjà le claquement des armes lourdes et les cris des innocents. La réalité est pourtant toute autre, car après une longue période de conflits, cette planète est devenue une zone neutre, délaissée par les deux camps (pas même un avant-poste caché !). Cet environnement singulier, tiraillé entre les belligérants, donne le potentiel adéquat pour des scénarios disparates.

D’un côté, il y a les « Gros », descendants des colons de Koros, au mode de vie basé sur l’oisiveté, la gastronomie et les plaisirs de la chair (la vie quoi  !). Reclus dans une cité inexpugnable, ils survivent grâce à une armée de robots s’occupant de tout. Une Imrryr en moins glamour… De l’autre côté, il y a les « Rebelles  », des humains s’étant émancipés. Refusant la «  Corpulocratie  » malsaine édictée par le premier camp, ils ont conquis le reste de la planète. Ou presque. Car d’autres peuplades remplissent les espaces laissés vacants : les Keydils, gros rongeurs zens et pacifistes vivant sous terre ; les Celnaks, société moyenâgeuse d’«  elfes ailés  » se pensant la race supérieure ; et enfin  les Morkors, hommes préhistoriques animistes vivant en communion avec la nature. Ajoutez une faune bigarrée qui évolue dans ce joyeux capharnaüm et les idées de scénarios pleuvent vite.

Des missions d’explorations ou de récupération de ressources jusqu’aux  missions  d’infiltration ou aux intrigues politiques, on peut composer quasiment tout. Ces divers éléments se retrouvent dans le long scénario qui conduit les personnages, des « Celnaks », à rechercher trois reliques issues d’un lointain passé… Conflit de cultures et remise en question des idéologies seront au rendez-vous.

L’Empereur est mort, longue vie à l’Empereur

Point central d’Altar,  Koros est la planète d’origine des colons partis à la conquête des autres planètes (dont Silrin). C’est là que la civilisation Kharène est née, ou plutôt sur une des douze lunes de Koros, Khara. Devenue un vrai petit paradis, cette dernière est le bastion des prêtres d’Elen-kar, le Créateur du Monde. Les autres lunes décrites présentent divers types de personnages qu’il est possible d’incarner dans  la  lutte sans fin contre les Tryrhans. Le Roi, un fervent athée, siège sur Zerig Alpha. Dans le but de supplanter les prêtres, il n’a de cesse d’accroître ses pouvoirs mentaux par le biais de puissantes drogues laissant des séquelles physiques majeures. L’ordre des Chevaliers de Zérig, qui dissimulent leur physique perverti sous des robes noires, est le fer de lance de cette lutte et de cette toxicomanie. Les autres lunes, moins attrayantes d’un point de vue ludique (même si l’armée de femmes de Zérig Béta est une invitation à l’enrôlement), permettent de dresser le panorama complet de Koros. Quant au scénario fourni, il laisse un étrange sentiment de linéarité même si l’idée de défaire l’Empereur et de changer la face du monde reste indéniablement séduisante.

Alors qu’on aurait pu s’attendre à un environnement de jeu bien plus riche avec Koros,  Silrin remporte le match haut la main. D’autant qu’il faut s’équiper du supplément Tryrha pour découvrir les principaux opposants aux Kharènes. L’intérêt devient réel avec ce supplément. Si l’on imagine de prime abord ces velus comme primitifs et dénués de toutes singularités, leur histoire et leur culture, ballotées entre immobilisme naturel et avancées technologiques, se révèlent porteuses d’un éventail d’idées de scénarios transposables aussi bien sur Tryrha  (comme le propose le livre) que dans le reste du système Altar.

T’as envie de jouer un predator toi, non ?

Je le vois bien depuis le début. Le gros costaud de deux mètres avec les scies circulaires au bout des bras et le détonateur thermonucléaire te fait de l’œil. Tu  rêves de pouvoir  rouler des mécaniques dans ta belle armure de combat moulée sur mesure. Tu baves à l’idée de traverser les étendues galactiques au service du Boucher de l’Univers, semant mort et destruction dans ton sillage. Si en plus tu peux consteller les systèmes solaires de ton engeance, tu seras le plus heureux des papas Whog Shrog. Enrôle-toi et tout ça sera à toi, y compris les femmes aux trois toisons de Snuff. Mais prends garde à ne pas laisser ta part d’humanité prendre le dessus : peur, amitié, ou pire, amour, pitié, autant de périls qui te guettent, tapis au détour d’un carnage. Car les Whog Shrog ne sont pas que des bêtes !

Le livre de base dépeint un univers en proie aux exactions du Boucher de l’Univers par l’intermédiaire de ses redoutés Whog Shrog, troupes de choc incarnées par les joueurs, que le puissant Empire de Sunrith : dirigé officieusement par une entité supérieure malade, le Melmoth, conglomérat omnipotent des esprits morts d’êtres d’exception. Essaie tant bien que mal de  juguler. Difficilement, car il exerce son contrôle sur des centaines de planètes dont les plus éloignées sont naturellement les moins surveillées. Sans parler des Conins,  zone touchée par la récession de l’Univers et se mourant à petit feu, de l’Archipel, méli-mélo de civilisations et de races exubérantes, ou encore de la Confédération Azuréenne, parsemée de citées somptueuses, royaume du beau.

Des pistes de jeu à foison

Même si la lutte entre la Boucherie et l’empire de Sunrith promet des scénarios mémorables (tueries, massacres et étripages en règles), la richesse du monde permet d’envisager bien d’autres choses, en particulier grâce aux « Loks », ennemis mortels des Whog Shrog. Les super méchants des méchants sont ici largement à la hauteur de vos PJ bodybuildés et suréquipés  ! Un Lok peut ainsi servir de fil rouge sur plusieurs scénarios et être ce fameux big boss de fin de niveau que l’on n’arrive jamais à battre. Plusieurs exemples sont fournis : Deshraken, ancien Whog Shrog ayant juré la mort de tous les autres ; Aza Krell le fossoyeur, cyborg doté de formidables pouvoirs et se nourrissant de l’énergie stellaire, conçu par les Sentinels pour exécuter tous les déviants moraux enlaidissant la création ;ou encore la Grosse Juju, devineresse polymorphe qui ne supporte pas que le Boucher de l’Univers passe au travers de ses trames prescientes.

Autre source de scénario, l’ordre du Temple. Reclus au sein de grandes pyramides jalonnant l’univers, il aurait pour origine la « Franc- Maçonnerie, secte vaguement religieuse aux origines obscures ».

Avides de connaissances, les prêtres furent les premiers conquérants de l’espace et, malgré des périodes troublées, possèdent à ce jour la technologie la plus avancée de l’univers. Sans compter leurs pouvoirs Psi (un peu trop puissants pour ne pas déséquilibrer le monde) et leur capacité à communiquer avec l’Anti-Univers où vivent les Anti-Légions, réservoir militaire inépuisable dans la lutte contre les Whog Shrog. Cette institution est parfaitement susceptible de fournir la matière pour de scénarios (secrets des pyramides, vraies origines du Temple, son but caché, etc).

Enfin, des races extra-terrestres amènent un peu de piquant : les Cheers, humanoïdes à tête de caméléon dont la cruauté n’a d’égale que celle des Whog Shrog ; les Darbarians, adorables boules de poils capables des pires excès de violence ; les Azuréens, esthètes détachés du monde à la recherche incessante du beau ; les Maraudeurs, voyageurs infatigables ;les Snifsniffs, techniciens hors pair à tête de canard ; les Sentinels, cyborgs garant des « Lois de la Vie » et ne vivant qu’à travers des dogmes inaliénables ; ou  encore  les  Thunderzards,  des humanoïdes reptiliens primitifs. Bien évidemment, compte tenu de l’immensité de l’univers, la variété des races n’a de limite que votre imagination.

En résumé, et même si le background est une nouvelle fois assez succinct, des dizaines d’idées de scénarios fusent à la lecture de l’ouvrage et du supplément. Avec un peu d’investissement de la part du MJ, que ce soit pour modifier ou retravailler les scénarios ou pour créer les siens, Whog Shrog présente un énorme potentiel qui permet de jouer sur la durée sans tomber systématiquement dans les clichés. Vous auriez tort de vous en priver.

Géraud « Myvyrrian » G.
Extrait de Casus Belli n°8 Novembre – Décembre 2013 publier chez BBE

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Message  LinksLeChat Jeu 17 Avr - 12:32

entretien avec Studio 9


Jeu de Rôle Magazine : Studio 09 est tout récent et pourtant vos productions sont déjà nombreuses. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Studio 09 : Bonjour à vous. Au départ, Studio 09 c’est une histoire humaine basique. Nous étions un petit groupe de personnes qui nous étions connus par hasard pour avoir travaillé ensemble au sein d’une revue que vous connaissez bien. Durant cette période, des affinités se sont créées. Après cette expérience «presse», nous avons eu envie de poursuivre la route ensemble et de vivre d’autres défis. C’est ainsi que nous avons fondé fin 2009 le Studio 09, un collectif d’auteurs de jeux de rôles.

JdRM : Vous travaillez parfois sous la casquette d’auteur, parfois sous celle d’éditeur. Pouvez-vous expliquer votre modèle, les services que vous proposez aux autres éditeurs ?

S 09 : L’idée de départ du Studio 09 était de proposer nos services à des éditeurs ou d’autres studios. C’est ainsi que nos membres, à titre personnel ou pour le studio, ont œuvré sur des publications aussi diverses qu’Oikouméné, BIA, Capharnaüm... D’autres travaux pour des éditeurs sont en cours, notamment un supplément pour Trinités et une participation au futur jeu des Deadcrows : MC6.

Il serait très prétentieux de notre part de parler de la qualité de notre travail. Par contre, je pense que nos services sont appréciés pour trois raisons. D’abord, nous regroupons dans notre collectif toutes les compétences nécessaires : écriture, relecture, maquette, illustration... Comme nous nous connaissons bien, nous sommes soudés et efficaces dans  le travail collectif et donc capable de prendre en charge un projet sur la totalité du processus si cela nous est demandé. En second lieu, nous avons pour habitude de tenir nos engagements, par exemple sur les délais, ce qui rassure nos partenaires et renforce notre crédibilité. Enfin, comme nous éditons nous-mêmes des jeux nous avons une certaine connaissance des réalités du monde éditorial du jeu de rôle. Cela dit, nous sommes toujours très clair sur ce que nous faisons. Quand nous travaillons avec des partenaires, c’est à leur service, à leurs conditions et ceux-ci gardent l’entière maîtrise du décisionnel.

JdRM : Quels conseils donneriez-vous à des auteurs de jeu de rôle qui souhaiteraient se lancer dans la création d’un jeu de rôle ?

S 09 : Il faut garder plusieurs éléments à l’esprit. Le premier point, c’est qu’il vaut mieux oublier tout espoir de gains financiers et ne s’engager que par passion. Au moins, ainsi on ne risque pas de déception. Ensuite, je pense qu’il ne faut pas hésiter à regarder comment on travaille dans d’autres médias, pas nécessairement pour copier mais pour prendre du recul sur ce que l’on fait : édition de romans, bandes dessinées,  jeux de société, jeux vidéos... Garder l’esprit ouvert et ne jamais s’enfermer dans ses certitudes.

JdRM : Et quels conseils pour ceux qui voudraient se lancer avec les règles du système D6 ?

S 09 : D’abord, de se détendre. Le système D6 est très abordable et il a la réputation d’être un bon outil pour l’initiation au jeu de rôle. L’esprit du système D6, que nous avons essayé de pousser plus encore avec le système D6 Intégral, c’est le plaisir du jeu. On a voulu valoriser la fluidité et la simplicité pour que les règles s’effacent derrière le jeu plutôt que l’inverse. Si notre ouvrage de base est aussi épais (186 pages), c’est que nous y avons introduit de nombreuses options (avantages et désavantages pour les personnages, création personnalisée de vaisseaux interstellaires, création et gestion des prothèses cybernétiques...) et que nous avons donné un maximum de matériel pour le MJ (profils de monstres, de PNJ, de PJ, listes de matériel...). Mais en réalité, le cœur du jeu peut facilement tenir en une dizaine de pages. Donc, en deux mots, « amusez-vous ».

JdRM : Pouvez-vous expliquer comment fonctionne le système D6 ? Quels sont les avantages de ce système ?

S 09 : La base du système D6 est des plus simples. Lorsque la réussite d’une action est incertaine, le MJ détermine un niveau de difficulté qui s’échelonne de 10 (facile) à 30 (très difficile). Les joueurs lancent alors le nombre de dés qui correspond à l’Attribut ou à la Compétence concerné. Si la somme des dés est supérieure ou égale au niveau de difficulté, c’est une réussite. Dans le cas contraire, c’est un échec.

Le système D6 permet de jouer des aventures sur un rythme soutenu, sans être ralenti par la mécanique des règles. Il offre une grande souplesse. En changeant un chiffre ou un mot, on peut modifier totalement l’esprit du jeu : faire des PJ des êtres faibles qu’une balle peut tuer ou des demi-dieux surpuissants.

Je vois également le système D6 comme une sorte de Meccano, chacun pouvant ajouter aux règles de base les éléments qu’il pense important pour son jeu.

JdRM : Et pour les combats ?

S 09 : Les combats sont assez rapides avec le système D6. Après avoir déterminé l’initiative (le plus souvent, elle découle du contexte), une suite de rounds s’enchaîne. Le personnage qui se défend peut choisir entre trois options. La première est la défense simple. Il faut alors faire 10 pour le toucher. La seconde est la défense active. Son jet en esquive ou de parade détermine le niveau de difficulté pour le toucher. La défense totale, enfin, permet d’ajouter 10 au jet d’esquive ou de parade. Mais dans ce dernier cas, le personnage ne peut rien faire d’autre que de se protéger. Si un personnage est touché, il subit des dégâts qui déterminent des seuils de blessure. Plus le seuil de blessure est grave, plus le person nage subit des pénalités (-1D pour un round, -1D pour le reste du combat, -2D, etc.). Cette base étant posée, il faut savoir que le système est assez létal. Un combat dure rarement plus de trois rounds. Pour ceux qui aiment le côté tactique des combats, des règles spécifiques existent (par exemple pour favoriser un coup précis au détriment des dégâts ou l’inverse). Enfin, il existe aussi un système alternatif aux seuils de blessure, qui utilise des Points de Vie, pour ceux qui ne peuvent pas s’en passer. Personnellement, je préfère largement le système des seuils de blessure, plus fluide, mais chacun sa manière de jouer.

JdRM : Pour l’instant, Studio 09, ce sont trois univers : Tecumah Gulch, Okanga et Campus. Pouvez-vous les présenter ? Quelles sont vos publications à aujourd’hui ? Où les trouve-t-on ?

S 09 : Depuis  octobre  2010, nous avons en effet commencé à éditer nos propres ouvrages, à partir du système Open D6. Nous avons ainsi sorti successivement un livre de règles générique, D6 Intégral, un jeu de rôle à l’ambiance western, Tecumah Gulch, et un jeu de rôle qui s’amuse à recycler les poncifs des séries B et séries Z : Campus. Tecumah Gulch, c’est du western pur et dur. Il n’y a pas de fantastique, seulement de la sueur, du sang et des larmes. Un supplément est disponible : La Frontière, qui amène les personnages au Mexique. Dans un style beaucoup plus enlevé, Campus propose de jouer des étudiants d’une faculté californienne dans un univers complètement délirant peuplé de zombies, d’extra-terrestres et de dinosaures intelligents.
Là aussi, un premier supplément est prêt : Bigger. Il propose notamment une campagne haute en couleur. Tecumah Gulch comme Campus devraient au final, outre le livre de base, comporte trois à cinq suppléments.

Okanga est un jeu qui met en scène un univers complètement différent. Il s’agit d’un monde rappelant l’Afrique des griots avec une forte ambiance medfan. Il pose des questions matures, écologiques mais aussi politiques et place les joueurs face des choix parfois difficiles.

Nous n’avons pas encore les moyens de payer des distributeurs pour mettre nos livres en boutiques1. Pour le moment, on ne peut les trouver que sur lulu.com (http://www.lulu.com/spotlight/d6integral), thebook.com, RapideJdR/DriveThru RPG (http://rpg.drivethrustuff.com/index.php?manufacturers_id=3478) ou par commande postale (voir bon de commande  sur notre site : http://www.studio09.net/).

Nous sommes en train de négocier pour ouvrir des comptes sur Amazon et l’iBookstore.

JdRM : Comment  sont nés des univers aussi divers Tecumah Gulch, Okanga ou Campus ?

S 09 : A vrai dire, nous n’aimons pas tourner en rond et ressasser sans cesse les mêmes idées. Nous cherchons toujours à aller de l’avant, explorer de nouvelles pistes... C’est vrai que travailler sur trois jeux aussi contrastés peut paraître incongru. Mais au contraire nous pensons être cohérents dans notre projet : explorer des univers très  typés et très différents les uns des autres, à la recherche de nouvelles expériences.

JdRM : Pour Campus, j’ai cru comprendre qu’une version jdra existait depuis un certain temps. Quelle est son histoire, son origine ?

S 09 : Campus comme Tecumah Gulch étaient à l’origine des JdRA. Cela nous a permis de les rôder. Des joueurs nous ont fait part de leurs retours. J’ai par exemple eu des échos de la campagne de Tecumah Gulch qui a été jouée en Belgique ! Les versions actuelles ont été totalement refondues. Nouvelles maquettes et  nouvelles illustrations, bien sûr, mais aussi textes corrigés et très largement enrichis. Des nouvelles règles ont été introduites, de nouveaux personnages, de nouveaux lieux, des aides de jeu...

Extrait du Jeu de Rôle Magazine n°14

1 Depuis, ils sont disponible sur commande en boutiques spécialisés.

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Message  LinksLeChat Jeu 17 Avr - 15:33

entretien avec Benoit Attinost et Jérôme « Brand » Larré  pour Within



Jeu de Rôle Magazine : Bonjour, pouvez-vous chacun décrire votre parcours ludique ?

Benoit Attinost : Bonjour. Moi c’est Benoit (bonjooour Benoit !) et je suis second couteau biclassé pigiste dans le milieu du JdR depuis quelques années. Je ne vais pas refaire ma bio, mais globalement, j’ai vite lâché la boite rouge de D&D pour l’AdC, Méga I, Maléfices et autres jeux portés sur une ambiance différente. L’AdC, sous toutes ses formes, reste mon jeu préféré. Le hasard a voulu que je fasse des démos dans une boutique parisienne, Phénomène J, ce qui m’a permis de rencontrer des auteurs et de commencer à bosser comme pigiste. J’écrivais déjà pour un fanzine, Apsara, ce qui a aidé. Shaan, Polaris, Les Tableaux de Chasse, Prophecy, COPS, NP2, des articles dans les mag, du jeu vidéo, de société, de la trado, j’ai touché à un peu de tout avec plus ou moins de bonheur (oui, on écrivait tout de même pas mal de conneries dans Backstab, faut avouer). Aujourd’hui je réside dans le New Jersey et je partage mon temps entre enseigner le français à des corporates, la traduction, la pige, un peu la BD et la peinture de figurines. J’aime les chats, surtout ceux qui énervent Brand.

Jérôme « Brand » Larré : Salut. Jérôme donc. Je suis un rôliste toulousain avide de parties et de conventions et accessoirement le padawan du vieux croûton qui vient de répondre juste avant moi. J’ai eu la chance de participer à quelques gammes de JDR (COPS, Kuro, MDO, Qin, Vermine…) et surtout Tenga qui est mon projet le plus personnel. D’ici peu devrait également sortir un premier jeu de plateau. Parallèlement je signe régulièrement des articles dans plusieurs magazines concurrents de JDR-mag et me passionne notamment pour tout ce qui est « jeuderologie » dès lors qu’elle est réellement applicable et utile autour d’une table de jeu. En ce moment, en plus du suivi pour Tenga, je travaille surtout sur un jeu appelé GUTS et dont j’attends vraiment beaucoup. J’espère que l’on aura l’occasion d’en reparler.

JdRM : Quel a été votre rôle à chacun dans l'écriture du jeu ?

BA : J’ai écrit Within il y a quelques années (aboutissement de la rédaction en 2003 je pense). Ce jeu est dans la continuation d’un ancien projet appelé les Tableaux de Chasse et du roman, jamais terminé d’éditer, le Céphalophage. Donc, pour les uns, le Tiercé, c’est leur dada, moi c’est Within. Mais bon, je suis entouré de Béotiens qui ne savent pas reconnaître la qualité ultime du système que j’avais imaginé (Carac+Comp+2d6/Diff… un truc super original quoi), certains allant jusqu’à le qualifier de système de … . Mon génie ne sera reconnu que le jour de ma mort, je vous jure ! Bref, n’étant ni très grand, ni très fort, ni très courageux, j’ai abandonné la conception du système pour me concentrer sur l’univers, les scénarios, les conseils au MJ (Brand participant, bien entendu aussi à ce niveau). Je laisse la mécanique à ceux qui s’y connaissent.

JL : Il y a huit ans donc, Benoît m’a demandé de relire Within, de le tester et de lui faire un retour. J’ai bien failli le tuer en lui disant ce que je pensais du système, mais j’en ai néanmoins particulièrement apprécié la découverte. De même que pour les Tableaux de Chasse, un peu plus tard. Entre autres choses, cela a été l’occasion pour moi de me remettre aux jeux d’horreur que je ne connaissais que trop peu. Depuis, c’est devenu un de mes genres favoris et je n’ai pas hésité longtemps lorsque l’occasion s’est présentée de rejoindre ce projet. Au final, je me suis retrouvé principalement à bosser sur le système et toutes ces petites choses faites pour compliquer la vie des personnages.

JdRM : Pourquoi avoir choisi ce thème ? Il existe déjà beaucoup de jeux d'horreur sur le marché. En quoi se démarque-t-il ?

BA : En rien. Et en tout en même temps. On peut voir Within un peu comme un COPS de l’horreur. Nous vous proposons un système, un cadre, un univers, plein d’outils, et vous en faites ce que vous voulez. Par exemple, il existe 5 grosses organisations dans le monde qu’on appelle le Pentacle. Elles coopèrent, s’ignorent, s’affrontent, mais gèrent toutes à leur façon le problème du surnaturel. Il y a les agents à la X-Files/Fringe/Millenium (surtout), des religieux qu’on peut jouer façon van Hellsing ou l’Exorciste, des corporations ou les mafieux (encore une fois Fringe), des archivistes (l’Arcanum, la Talamasca et autres sociétés secrètes qui observent), et les scientifiques (bah… tous les films avec des scientifiques face au surnaturel). Mais disons que vous n’aimez pas cette approche : pas de problème, vous virez le Pentacle. L’univers tient la route malgré tout. Et il en est de même pour tous les éléments de l’univers. Vous piochez en fonction de vos préférences. Pour reprendre l’analogie avec COPS, si vous préfériez les gangs, il y avait un supplément sur le sujet et vous pouviez vous passer du reste ou minimiser les autres aspects. De même, il y a des scénarios « One shot », liés à l’univers, ou complètement intégrés dans l’univers (sans être une campagne on peut parler d’une légère storyline).

Donc, oui, il y a obligatoirement des liens avec Kult, l’AdC, Chill, les suppléments White Wolf Year of the Hunter, et je ne le nie pas, au contraire. Une autre chose qui me semblait importante, c’est que TOUS les secrets de l’univers sont dans le Livre de Base. Pas la peine d’acheter whatmille suppléments pour connaître le nom de la secte qui contrôle la secte, qui contrôle la secte, qui contrôle les vamps… non je l’ai pas dit ! Donc le MJ a tout en main et si les scénarios font évoluer un peu l’univers, ils ne le chamboulent pas au point de le rendre incompatible. Enfin, l’approche de la folie est un peu différente. L’idée de base, adaptée ensuite par Brand, est qu’un PJ ne sait pas qu’il est cinglé. C’est sa vision de l’univers qui est déformée. Donc, c’est le MJ qui se charge, par ses descriptions (et souvent avec la complicité du reste de la table, me hurle Brand), de rendre la folie, pas le joueur qui doit agir n’importe comment. Par contre, nous voulions aussi intégrer la notion de peur, de panique, de stress. Cette notion, c’est ce qui fait la différence entre la brune qui contre-attaque face au tueur masqué et la blonde qui part en courant et en agitant les bras (en petite tenue si possible). Le joueur garde complètement le contrôle de son personnage, mais les règles lui suggèrent un comportement. Libre au joueur de s’y plier et de trouver le moyen le plus amusant de l’interpréter (genre s’enfuir et fermer la porte derrière lui, bloquant les autres du même côté que le monstre). S’il ne désire pas s’y plier, il doit alors dépenser des points (en gros, il met ses nerfs à rude épreuve), ce qui l’handicapera par la suite. Rien n’est imposé au joueur, au contraire, tout le pousse à improviser la meilleure réaction possible.

extrait du Jeu de Rôle Magazine n°19

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Message  LinksLeChat Jeu 17 Avr - 16:04

entretien avec Moebius

NDRL : l’interview s’est faite en deux parties. La première avec un reporter de Génération Manga qui interroge Moebius sur ses relations avec les auteurs japonais. La deuxième, exclusive pour Jeu de rôle Magazine, porte sur les relations du maître avec les jeux de rôles.

JdR mag et Génération Manga : Gir, Moebius ou tout simplement Jean Giraud de son vrai nom, est le maître incontesté de la BD française. La simple citation d’une BD comme XIII ou Blueberry fait couler des larmes de nostalgie à tout fan de BD qui se respecte. Et c’est à la grande messe des amoureux de mondes imaginaires et fantastiques, Kultima, que nous avons croisés ce curieux personnage qui, dans une simplicité et une disponibilité qui impressionne, a bien voulu nous accorder une interview; attention, voyage directe vers le monde fantastique de Moebius-sama.

Moebius : Mon nom est Jean Giraud et je signe avec deux pseudonymes : Gir, une abréviation de mon nom, et l’autre, Moebius. Je suis incapable de dire «pourquoi Moebius». Tout ce que je peux dire c’est que ça c’est passé en 1963, pendant la préhistoire, au siècle passé. J’ai été très engagé dans la réalisation de la bande dessinée français à travers «Blueberry», qui a près de 50 ans et a été très populaire ; peut-être que maintenant les jeunes gens la connaissent moins mais cette bande dessinée a été le pain quotidien de toute une génération dans les années 70, J’ai également réalisé pas mal de bandes dessinées de science-fiction sous le pseudonyme de Moebius, des trucs bien déjantés qui m’ont valu une bonne réputation auprès des professionnels du manga ; je suis très apprécié par les auteurs et scénaristes japonais, j’ai également eu quelques bons contacts avec Hikonuau ou Tesuka que j’ai eu la chance de connaître, l’auteur d’œuvres comme Phoenix et surtout Astroboys ! J’ai également travaillé avec Tanibushi qui est pour moi le plus grand artiste du manga japonais niveau graphique et littéraire ; j’ai eu aussi une complicité amicale avec l’auteur de manga cinématographique Miyazaki, on peut dire le plus grand artiste japonais vivant, avec qui j’ai fait une exposition conjointe à la mairie de Paris en 2005.

JdR mag et Génération Manga : Comment se sont déroulées vos rencontres avec Tanibushi et Miyazaki, ce sont eux qui sont venu vous voir suite a vos différentes oeuvres ou c’est vous qui est allé a votre rencontre ?

Moebius : Ma rencontre avec Tanibushi est assez particulière, elle vient d’une décision qui avait été prise dans les années 2000 par les éditions Kodensha d’ouvrir les pages du manga à des auteurs étrangers, parmi ces auteurs étrangers ; j’ai été contacté, ils m’ont proposés une histoire, j’ai préféré leur soumettre un scénario plutôt qu’un dessin, ça leur a beaucoup plus et ils m’ont demandés de choisir un auteur que je préférais et j’ai choisi Tanibushi. C’est comme ça qu’on est devenu des amis, amis de cœur, on s’estime beaucoup l’un envers l’autre. Quant à Miyazaki, la position est un peu différente, je suis un fan, grand fan de base transit, admiratif de l’œuvre de Miyazaki, bien sûr je connais tous ses films, toutes les séries télé qu’il a faite. Je l’ai approché, on ne peut pas dire que je suis un amis, il y a beaucoup de différences entre nous, mais on s’aime beaucoup : il aime bien mon travail, j’aime bien le sien, j’ai beaucoup aidé à la promotion de son œuvre.

JdR mag et Génération Manga : Une anecdote avec Miyazaki ?

Moebius : Oui, ma relation avec Miyazaki et l’œuvre de Miyazaki a eu des conséquences surprenante puisque ma fille qui a deux ans s’appelle Nosikaa ; le choix du prénom s’est fait en partie à la suite de mon admiration pour cette œuvre de Miyasaki.

JdR mag : Venons-en a des questions plus spécifique sur le jeu de rôles. Nous somme un tout nouveau magazine JdR qui ressemble à ça

(nous lui montrons le magazine, visiblement il aime bien), nous sommes un collectif d’illustrateurs et de texteux ;

Avez-vous déjà pratiqué le jeu de rôle ?

Moebius : Je n’en ai pas ressenti le besoin. Mes différents personnages jouent leurs rôles et prennent vie, ils se construisent comme un JdR intérieur. J’ai développé un univers en réseau. Même Blueberry, pourtant en décalage avec mes autres œuvres, je l’ai intégré avec son rôle de personnage face à son créateur, dans un labyrinthe de réalité en miroir. J’ai fais des histoires ésotériques scénarisées, comme le Garage Hermétique. Un JdR a d’ailleurs été développé à partir du Garage dans les années 90, c’est un scénario type pour un JdR. Il s’agit d’un univers parallèle avec des portes de communication et des personnages multiples. J’ai vu apparaître les JDR avec plaisir et amusement, j’ai essayé de capter ce que c’était, en quoi ça consistait, mais je ne suis jamais rentré dans la pratique, j’étais trop occupé entre mes dessins et la réalisation de mes propres histoires. J’aime l’idée et je trouve ça formidable, j’ai même fait des scénarios de films sur la prolongation du concept de jeu de rôle.

S’en suit le synopsis d’un scénario de film qui utilise le concept des jeux de rôles que nous ne révélerons pas à la demande de Moebius, mais que nous espérons un jour voir apparaître sur les écrans. Tout ce que nous pouvons dire c’est que c’est un scénario urbain et très dangereux.

JdR mag : Justement pour rebondir la dessus, sur tous ces univers en réseau, vos dessins, c’est un seul multivers ou des mondes différents ?

Moebius : Ce sont des mondes différents, mais j’ai tout réuni dans un lieu mystique qui s’appelle le désert-B. Pour moi le désert c’est la page blanche, l’imaginaire, et le B c’est l’alternatif. C’est comme si nôtre réalité c’était le désert - A, et le désert - B c’est un monde alternatif dans lequel tout est possible, et surtout dans lequel tous les univers peuvent se connecter. Ce que je voulais dire c’est que quand j’ai vu arriver les jeux de rôles et surtout les artistes qui travaillent pour les jeux de rôles ça m’a beaucoup plu, j’ai beaucoup aimé le concept et j’ai vraiment regretté d’être dans une autre histoire que celle la, parce que vraiment je ne peux pas rentrer dedans, c’est un autre monde, mais vraiment ça m’aurait bien plu.

JdR mag : Jeu de Rôle magazine réunit beaucoup de jeunes et moins jeunes artistes. Qu’est-ce que vous leur donneriez comme conseil ?

Moebius : Rien (silence). Ils sont en train de faire quelque chose de très proche d’un rêve personnel, un plaisir qui se réalise. Le seul conseil que je leur donnerai, c’est de l’étendre à leur vie entière - c’est très difficile.

JdR mag : Vous considérez-vous comme un jeune dessinateur qui a encore une longue route à gravir pour arriver au sommet de son art ?

Moebius : Oui (rires)

JdR mag : Des projets en cours ?

Moebius : Oui, plein, 6 ou 7 idées de scénarios dans ma tête.

JdR mag : Un rêve ?

Moebius : Trouver l’énergie de mettre sur papier toutes mes idées. Si demain je tombe d’un ascenseur ou que j’ai une embolie cérébrale, toutes ces idées seront perdues...

JdR mag : Confiez-les nous ! Nous en ferons des scénarios de JDR et des fiches de personnages, des groupes de joueurs donneront vie à ces histoires...

Moebius : Oui, pourquoi pas. Je crois aux passerelles. Des films, des BD se sont développés ainsi. Mon emploi du temps est très chargé. J’ai plein de projets en cours, et c’est ma femme, qui joue en quelque sorte le rôle d’agent, qui calme mes envies et m’aide à décider lesquels poursuivre.

JdR mag : Une de ces idées en avant première ?

Moebius : Saviez-vous qu’il existe au palais présidentiel de l’Elysée, une porte secrète qui ouvre sur une virtualité, une forêt vierge qui ne serait ni de notre espace, ni de notre temps, et que nos présidents, quand ils sont trop stressés, passe par cette porte parallèle pour y assouvir leurs envies meurtrières. Ils partent à la chasse au gros gibier, tirer de grands fauves ou de placides pachydermes.

JdR mag : Seriez-vous favorable à une adaptation de vos univers en JDR ?

Moebius : Oui, tout à fait. Je crois à la perméabilité des genres. Pourquoi ne pas adapter un opéra ou un ballet à partir d’un jeu de rôle et vice versa ? Il y a des millions de passerelles vierges ou virtuelles à réaliser.

JdR mag : Et pour terminer, un petit secret sur l’univers de Gir/Moebius ?

Moebius : J’ai sorti un album dont le personnage du titre s’appelait Cutlass, où juste après la guerre de sécession, un sorcier albinos fait ressortir de leur tombe tous les esclaves assassinés pour tuer les blancs. Cutlass, pour le convaincre de ne pas aller jusqu’au bout de son projet, lui fait voir l’avenir en montrant qu’il va y avoir un président des Etats-Unis noir. Christian Rossi, le co-dessinateur, m’a dit «ça n’arrivera jamais» ; c’est en train de se produire...

JdR mag et Génération Manga : Merci Moebius pour cette interview.

Propos recueillis par Guillaume et Orphée pour Jeu de Rôle Magazine n°3
Eric Le Bihan

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Message  LinksLeChat Mar 29 Avr - 11:29

entretien avec Nicolas Henry pour Wulin



entretien de Nicolas Henry juste après avoir fait une partie de Wulin par l'équipe de roliste.tv lors de la convention Histoire de Jouer 8 à Caen.

Wulin est un jeu rôle de type “cape et épée” se déroulant dans un dans la Chine médiévale; C’est le deuxième jeu écrit par Nicolas Henry après l’excellent Achéron Edité par Pulp Fever.

Source: Roliste.tv

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Message  LinksLeChat Mer 14 Mai - 20:52

Pourquoi une interview de Croc dans ce numéro spécial BBE ?

Certains ont dû se poser la question, en effet. Il nous a paru assez significatif que Croc, l'auteur de JdR le plus connu et qui a connu le plus de succès en France, autrefois grand détracteur de Donjons & Dragons  (relisez ses anciennes interviewes, ça pique !), se soit tout simplement remis à jouer au JdR (!) grâce à Pathfinder.
Au cours de ces six dernières années, la plupart des anciens rôlistes que l'équipe de BBE a croisés et qui ont eu l'opportunité de lire une Campagne Pathfinder se sont tout simplement remis à jouer et c'est donc à la fois pour comprendre ce phénomène tout de même étonnant et rendre hommage à la gamme Pathfinder que nous avons rencontré Croc au Festival International des Jeux de Cannes.
Comme ce fut aussi l'occasion de déborder du sujet et qu'il était dommage de couper cette interview, nous vous livrons cette dernière en intégralité, pour le plaisir.


entretien avec CROC

« _ Kingmaker m’a redonné envie de jouer » CROC

Il est une légende du JdR français, l’auteur de classiques tels que Bloodlust, In Nomine Satanis/Magna Veritas, Scales, Bitume et de plein d’autres jeux cultes. Il a été rédac’ chef de Backstab, a collaboré à des licences prestigieuses. Mais curieusement, il avait totalement arrêté le JdR jusqu’à une récente rechute. Au festival des Jeux de Cannes, sur la croisette, Croc a pris le temps de nous expliquer comment Pathfinder lui a remis le pied à l’étrier. Au il de la discussion, c’est toute son histoire de rôliste, son rapport à Donjons & Dragons depuis trente ans, que le grand Croc nous raconte. Passionnant.


Casus Belli  : Tu avais complètement arrêté le jeu de rôle et tu es de retour. Que s’est-il passé ?

Croc : C’est très simple, j’étais à la GenCon et j’ai vu un  Adventure Path de Pathfinder, le premier volume de Kingmaker. C’était un peu au bol parce que je n’avais pas lu ce que c’était avant mais j’avais besoin d’un truc à bouquiner dans l’avion du retour. Je l’ai certainement pris à cause de la couv’ qui m’a bien branchée, le dessin du Staglord par Vincent Dutrait. Je l’ai lu et ça m’a donné envie de jouer. C’est vraiment la campagne qui m’a donné envie. Parce que j’avais déjà vu avant des mecs avec le bouquin de base de Pathfinder et je m’étais dit : c’est monstrueux un truc de cette taille-là  ! Je m’étais dit que c’était supra-débile. Sauf que je ne savais pas que, trois mois après, j’allais y jouer et finir par connaître ce bouquin par cœur ! La taille fait quand même un peu peur. Sans les sorts, ça ferait déjà moitié moins. Mais les Américains aiment bien les gros trucs. Grosses bagnoles, gros hamburgers, gros bouquins.

Casus Belli : Tu t’étais intéressé au bouquin de base de Pathfinder avant ?

Croc :  Non, je l’avais vu deux jours plus tôt sur les tables des mecs qui étaient en train de jouer. Après, je ne savais pas trop ce que c’était. Je pensais que c’était un spin-of de Donjons, je pensais qu’ils avaient tout changé, alors qu’en fait, c’est du Donjons vraiment amélioré mais pas trahi. Alors attention, sur le truc de trahi ou pas… Moi, j’avais arrêté de jouer à D&D en 1983 ! Je n’ai joué que deux ou trois ans, de  1980 à  1982-83, avant de passer à  Traveller,  Runequest,  Gamma World, Star Wars, L’Appel de Cthulhu...

En fait, à un moment, j’ai eu une vraie détestation de Donjons. Aujourd’hui, je pense qu’on était trop jeunes et qu’on jouait comme des merdes ! Et puis aussi, déjà à l’époque, le fait que les règles ne soient pas claires, que des trucs se contredisent, ça me gonflait. Voyant des choses plus rigoureuses à côté, genre Traveller, très chiant mais très rigoureux, ça me parlait un peu plus. Il y avait aussi que l’heroic fantasy devenait the place to be. J’avais envie de visiter d’autres univers et Donjons le faisait mal. Après, je suis allé vers des trucs plus sombres, plus noirs, plus cyniques. Jamais le World Of Darkness, mais Cyberpunk, Shadowrun, In Nomine. Quand je me suis remis au JdR avec Pathfinder, il y a quatre ou cinq ans, je cherchais un truc un peu plus positif, avec des héros.

Casus Belli : Pourquoi ?

Croc : Parce que je trouve que le monde tel qu’il est – bonjour à nos amis Ukrainiens qui vont bientôt avoir une vilaine surprise  – le monde est devenu vraiment trop sombre. Du coup, des héros à l’armure étincelante m’allaient bien. Et puis c’est le feeling  Seigneur des Anneaux aussi. Au moment de la sortie des films de Jackson, tu te dis  : ouais, putain, c’est quand même bien !

Casus Belli  : Ça t’a donné envie d’heroic fantasy positive ?

Croc : Ouais. Et quand je joue avec ma famille, les histoires de tueurs en série, les monstres innommables, ça me gonfle. Il y en a assez à la télé et partout ailleurs.

Casus Belli  : Du coup, tu as quand même commencé le jeu de rôle avec Donjons ?

Croc : Ah oui ! C’était la boîte pas rouge du tout, la boîte basique, épaisse, avec le dragon tout moche.

Casus Belli  : La Holmes  ! En anglais donc, tu étais tout jeune !

Croc  : Oui et j’avais tout traduit, du début à la fin. Et j’avais fait n’importe quoi  ! N’importe quoi  ! Je n’avais pas bien compris les dés de vie  ; donc les trolls qui étaient à 8DV+4 étaient à 12 points de vie  ! Les combats étaient assez rapides  (rires). Mais attends  ! Le fait que le dé de vie des monstres était un d8, je vous mets au défi de le trouver dans les règles. Ça doit être indiqué à un moment, caché au milieu d’un paragraphe et j’ai dû passer complètement à côté. Mais le principe y était.
Après, dans AD&D, les règles étaient un peu plus précises et j’ai compris que c’était pour les gros parce que le troll, il avait 8d8+4 points de vie ! Ce n’est pas comme dans le Basic Set !

Ensuite, justement, j’ai beaucoup joué aux Basic Sets, avec les différentes boîtes, le module The Isle of Dread, Keep on the Border Lands... Je trouvais que, par rapport au module B1 –  In search of the Unknown, qui était dans ma toute première boîte dont je parlais tout à l’heure, le B2 – The Keep of The Border Lands, c’était Kingmaker à côté. Il y avait des monstres qui se parlaient entre eux, c’était le délire. Tu avais le choix entre huit cavernes pour entrer dans le complexe, c’était fully interactive !

Casus Belli : Avant de commencer à jouer, tu avais vu des gens le faire ou tu as été un pur autodidacte ?

Croc  : C’est simple. C’est à cause des frères Bogdanov ! Si si ! Parce que dans Temps X, leur émission, ils avaient parlé d’un vieux wargame et j’avais trop kiffé  ! Je m’étais dit : il faut que j’aie ça. Mais j’étais minot, je n’allais pas à Paris et je ne pouvais pas le trouver. Un jour, Jeux Descartes a tenu un stand à Vélizy 2, là où j’allais avec mes parents pour faire les courses. Ils avaient trois-quatre trucs qui se battaient en duel, quelques wargames et j’avais acheté Napoléon à Austerlitz. J’y ai joué pendant des mois. Et comme il y avait l’adresse de Jeux Descartes au dos, mes parents m’ont emmené un jour au magasin. C’est là que j’ai vu la boîte de D&D. Je croyais que c’était un wargame, et comme j’ai vu un dragon, et que ça me branchait plus que les dragons de Napoléon, je l’ai acheté. Ensuite je n’ai rien compris. Et la boîte a un peu dormi.

Casus Belli : Tu parlais anglais ?

Croc : Pas trop. Je regardais les images, et les images du Basic Set, il y a de quoi ruiner une enfance ! J’avais donc plutôt rien compris. Et après, il y a eu Jeux et Stratégies n°4 et ils ont expliqué ce qu’était vraiment le jeu de rôle. Je me suis remis à ma boîte et là c’était fini ! Ou plutôt, ça commençait.

Casus Belli  : Qu’est-ce qui fait que tu t’y remets lorsque tu lis Kingmaker et Pathfinder  ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de rejouer ?

Croc  : J’ai longtemps cru que je détestais Donjons à cause de son système. En fait, non. C’était l’indigence des scénarios. À l’époque, quand j’entendais les gens parler de leurs scénarios, quand je voyais ce qui paraissait dans Casus Belli  – La gorge de Fafnir, tout ça  – ça me gonflait, ça n’avait aucun intérêt ! Pour moi, c’était du wargame, sauf que le wargame le faisait mieux. En découvrant Pathfinder, je me suis dit : putain, ils se sont enfin mis à écrire comme des Européens. Enfin, pas toujours, parce que tu as encore souvent un gros donjon qui craint au milieu du truc, mais en tout cas, moi, ai-je trouve dedans une matière suffisante pour construire ce que je veux. Et surtout, ce n’est pas chiant à lire. Ils te racontent des petites histoires, il y a du background à lire. Le format de ces campagnes est vraiment très bien. Il y a un vrai plaisir de lecture, même avant de jouer. C’est important parce qu’avant, il y a avait plein de scénarios où on se faisait vraiment chier à la lecture.

Casus Belli : L’envie de se remettre au JdR n’était pas déjà là avant de tomber sur Kingmaker à cette GenCon ?

Croc : Non. C’était le hasard.

Casus Belli  : Pourquoi tu avais arrêté le JdR ?

Croc  :  Je n’avais plus l’envie de jouer. J’avais déjà un peu arrêté avant la fin d’In Nomine. C’est pour ça que j’ai arrêté, parce que ça me semblait un peu malhonnête de vendre du JdR sans y jouer. Les scénars étaient testés par des équipes extérieures, donc je savais si ça tournait ou non mais je ne trouvais pas ça très bien… Un éditeur de jeu (et j’en rencontre) qui me dit : «oh moi, j’ai plus le temps de jouer», c’est un escroc. Moi, je n’avais plus envie. Est-ce que c’est à cause de la peinture de figurines Warhammer Battle, de World of Warcraft ? Ou d’autre chose, de mes serpents par exemple ? Je ne sais pas. J’étais passé à autre chose. Un loisir, ça doit rester un loisir.

Casus Belli : Le milieu du JdR est aussi resté un peu sinistré pendant une longue période…

Croc : Oui, en français, il n’y avait plus rien qui me branchait, rien du tout. Et toujours pas d’ailleurs. En américain, c’était le début des trucs undergrounds, donc cheap. Et moi j’aime bien les trucs jolis. En y réfléchissant bien, avant de tomber sur Kingmaker, j’avais fait jouer une ou deux parties à mon fils, et c’était avec la boîte de base de Dragon Age. Il avait joué au jeu vidéo Dragon Age et je voulais lui faire découvrir le truc. Ça l’avait branché sans plus. Parce que c’était trop limité en fait. Les gamins de 13-14 ans, quand ils jouent à WoW, les perso de Dragon Age avec deux ou trois capacités, ce n’est pas possible. Après, quand ils prennent Pathfinder dans la gueule, c’est différent, ça les calme  !  (rires) Et puis j’ai recommencé en faisant jouer mon fils et ses potes mais t’as plus l’impression d’être instit’ que maître de jeu ;
«taisez vous dans les rangs ou je mets zéro à tout le monde !» Au final, c’est aussi parce que les gamins n’étaient pas trop motivés.

Aujourd’hui, mon fils fait jouer les gens chez Asmodée  (l’éditeur). Il veut des joueurs sérieux et les gars de son âge, en tout cas ses potes, ne l’étaient pas. Pour jouer au JdR, il faut vraiment une motivation de dingue et un mec qui fouette, qui dit : «c’est dans quinze jours, annulez tout !» Il faut un peu une tête de con pour faire ça, et personne ne le fait mieux que moi  ! Pour tenir une campagne sur un an, c’est dur  ! C’est comme dans les cours d’école, après les deux mois de vacances, c’est chaud. En septembre, qui reprend ? C’est dur ! D’ailleurs, s’ils nous entendent, si les Américains pouvaient faire un truc un peu plus court... ?

Casus Belli : Entre 1982 et Pathfinder, rien ne t’a branché dans la galaxie D&D, ni AD&D2, D&D3, les univers Planescape, Dark Sun, tout ça ?

Croc  : Rien du tout. Je pense que j’ai fait un rejet à la con. Le système ne me branchait plus trop mais j’avais tort. Par exemple, à un moment, je ne jurais plus que par Shadowrun mais jamais je ne rejouerai à Shadowrun, c’est impossible ! L’univers est extraordinaire, mais ça veut dire pas de decker, pas de rigger parce que ça ralentit tout ! Pourtant, j’y ai beaucoup joué, mais alors beaucoup ! Le système de D&D est un peu basique mais il est hyper intuitif, ça marche bien. C’est vrai que je préférerai que la magie soit gérée avec des points de magie mais bon…

Casus Belli  : Tu n’as pas non plus essayé la 3.5 de D&D ? C’était quand même édité chez vous à Asmodee ?

Croc  : J’ai bien regardé à ce moment-là mais je n’ai pas testé. J’ai admiré le boulot. Voir un jeu de rôle traité enfin comme il se devait, c’est-à-dire comme une extension de Magic, enfin tu vois ce que je veux dire ?

Casus Belli : C’est un compliment ?

Croc  : Oui, c’est un compliment  ! Les mots-clés précis, la rationalisation, les trucs qui ont toujours les mêmes noms et les mêmes effets ! Après, il n’y avait pas de scénario donc je ne voyais pas quoi en faire. J’ai lu des trucs qu’on a traduits, j’ai dit : ok, c’est de la merde ! J’ai écrit Le pic de Malmort, un scénario qui n’a pas eu de suite parce qu’il ne s’est pas assez bien vendu. Ah si ! À l’époque, j’ai fait jouer une campagne entre midi et deux à Asmodée, j’ai fait jouer  Freeport. On s’est super bien marré, tous les joueurs sont morts, ils se sont trouvés trop nuls et on a arrêté. Le groupe n’allait pas. Donc j’ai joué un mois et demi, six sessions. Je l’avais oublié. On savait très bien pourquoi notre groupe n’allait pas, mais dans un contexte de taf, tu ne peux pas dire : notre groupe ne marche pas, c’est toi le problème donc tu t’en vas. Sinon, c’est mauvaise ambiance.

Casus Belli  : Ta vision sur l’ensemble de l’histoire de D&D, c’est quoi ?

Croc  : Je jouais tellement à donf’ avant… En quatrième au collège, enfin, lors de ma deuxième quatrième ( merci le jeu de rôle ) je ne lisais que Donjons & Dragons. Uniquement. Je ne lisais aucun autre livre, je ne travaillais plus en cours, je ne faisais que ça. J’étais complètement accro. En cours, j’écrivais mes scénars, avec le livre des monstres sur les genoux. Je ne faisais plus rien d’autre. Zéro. J’ai tout arrêté immédiatement. Le truc de ma vie m’était tombé dessus. La suite a confirmé que c’était vraiment ça. Après, je m’en suis désintéressé. Je n’avais pas de mépris. Sur la troisième édition, j’ai pris dans la gueule le boulot effectué mais ça ne m’a pas donné assez envie pour m’y remettre. Pas de scénar, pas de jeu. Et je n’avais plus l’envie d’en écrire. Il y a des exceptions après, des jeux où tu peux écrire ton scénario en cinq minutes sur un coin de table. C’est le cas d’In Nomine, de Toon, Paranoïa. On peut aussi improviser. Avec  Donjons, pour improviser, c’est chaud. Aujourd’hui, je suis capable de le faire, mais après trente ans d’expérience.

Casus Belli : Qu’as-tu pensé de la quatrième édition ?

Croc : Le jour où c’est sorti, j’ai acheté les trois bouquins. Le travail n’est pas mauvais mais il y a des trucs pas possibles… L’obligation de jouer avec des cases où sinon tu enlèves la moitié des pouvoirs. Le fait que les pouvoirs utilisables une fois par jour ou une fois par rencontre soient dépendants d’un jet de dé. On peut pas jouer comme ça. Non seulement il n’y a qu’un moment où tu vas briller dans ta journée, mais en plus tu risques de faire 1 sur le dé et de rater ta chance. Normalement, un druide qui se transforme en ours, il va peut être se faire dessus après, mais sur le coup, il se transforme en ours  ! Et ça a de la gueule. Pareil pour le châtiment du mal du paladin. Au-delà de tout, il y avait le problème des scénarios. Et tout ça sans parler de la présentation du bouquin ! Visuellement, ça ne ressemble pas à de l’heroic fantasy. Je ne trouve pas. Et puis pas de barbare ni de druide dans le bouquin de base. Il fallait acheter trois manuels des joueurs pour avoir toutes les classes que j’aimais bien, ce n’est pas possible. Après, le fait que ce soit vraiment jouable au niveau  20, c’est bien. Sauf que c’est aussi compliqué au niveau  20 qu’au niveau  1  ! Tout le monde me dit que les combats vont hyper vite. À chaque fois que j’ai testé, j’ai fait deux combats dans la soirée !

Casus Belli  : Et pour  D&D Next, tu avais l’air à fond au début ?

Croc  : À fond  ! Et puis après, j’attendais autre chose et il n’y a rien eu de plus. Là, je n’ai plus trop suivi mais ça m’avait l’air d’être du  Pathfinder simplifié. Pourquoi pas, je suis client. S’il y a 800 monstres et 15  classes de perso simplifiées, pourquoi pas. Mais à jouer, pour l’instant, ce que j’ai testé, c’est tristounet, il ne se passe pas grand chose.  À la sortie, ce sera peut être bien, mais filer en test les scénarios Keep on the borderlands et The Isle of Dread, voilà quoi. Même si c’est mon enfance, ce n’est plus possible !

Casus Belli : Ils ont sortis ensuite deux autres modules, basés sur  Baldur’s Gate et  Icewind Dale, sans règles. Les scénarios sont intéressants, mais présentés sans les données techniques.

Croc : Je ne les ai pas lus, mais de ce que vous me dites, ils partent sur les univers des jeux vidéo et ça me repousse. Même si j’ai adoré Baldur’s Gate, même si j’y ai joué, le jeu vidéo et le jeu de rôle ce sont deux choses différentes.


Propos recueillis par David Burckle et Damien Coltice au Festival International des jeux de Cannes
Extrait de Casus Belli HS n°0 Avril 2014 publier chez BBE


BONUS : Pourquoi Croc s'appelle Croc !

«  C’était ma première quatrième. Je voulais aller voir le film de Tobe Hooper  Le Crocodile de la mort. Film que je n’ai jamais vu. Je ne voulais pas aller le voir tout seul. Et comme un dingo – parce qu’il fallait me voir à l’époque, un petit gros à lunette avec un cartable plus large que lui – je suis allé demander à tout le monde dans le collège :
tu ne veux pas aller voir Le Crocodile de la mort avec moi ? Personne n’a voulu. Je suis allé voir autre chose. Ce que je ne savais pas, c’est qu’un groupe de potes, dont un mec qui était anglais, m’avait surnommé Croc, pour Crocodile de la mort.
Le jour où j’ai cherché des joueurs de Donjons & Dragons, eux (dont l’Anglais) avaient entendu parler de ça parce que c’était dans l’inconscient collectif des anglais avec le Seigneur des Anneaux et tout ça, alors qu’en France, c’était plutôt le niveau 0. Bref, ils ont accepté de venir jouer avec moi, on est devenus potes.
Un moment, lors d’une partie, j’en ai entendu un qui disait à l’autre : «Ben demande à Croc !». Moi je ne comprends pas, et l’autre me dit : «Ben, c’est comme ça que tu t’appelles parce qu’on t’appelle comme ça depuis six mois, du jour où tu nous as pété les rouleaux pour aller voir Le Crocodile de la mort !» Du coup, mon premier perso de Donjons, je l’ai appelé Croc. Et ce pote-là, que je n’avais pas vu depuis 25 ans, je l’ai recroisé il y a deux ans et il m’a dit : « Si ça avait été L’Alligator de la mort, tu t’appellerais Ali ! » (rires). »

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Message  LinksLeChat Lun 2 Juin - 16:56

entretien avec Sandy Petersen


On ne présente plus Sandy Petersen créateur de L’Appel de Cthulhu. Ce créateur de génie fait partie des Grands Anciens du JdR, au même titre que Gary Gygax ou Greg Staford. Ce sympathique passionné a accordé à Casus Belli une interview où il nous parle de sa carrière, de ses nouveaux projets et de sa vision du monde du jeu.

Casus  Belli  :  Si  vous  deviez résumer votre carrière de créateur de jeux avec quelques produits-clef, lesquels seraient-ils ?

Sandy Petersen  : Eh bien… Les jeux sur lesquels j’ai travaillé et qui ont joué le plus grand rôle dans le monde du jeu sont  L’Appel de Cthulhu en 1981 (le premier jeu de rôle d’horreur),  Borderlands en 1992 (premier supplément au format boîte pour un JdR),  Doom en 1993 (premier jeu vidéo First Person Shooter multijoueurs à succès), Rise of Rome en 1998 (première expansion pour un jeu vidéo amenant plus que quelques niveaux/missions supplémentaires),  Age of Empires III (qui a introduit la notion de monde persistant dans les jeux de stratégie en temps réel), et Cthulhu Wars en 2013 (qui marque mon retour dans le monde du jeu sur table, en plus d’avoir été financé par un Kickstarter au succès retentissant).

CB : Pouvez-vous nous en dire plus sur la création du JdR L’Appel de Cthulhu, et sur votre participation dans ce processus ?

SP : J’étais en contact avec Greg Stafford, qui travaillait à l’époque pour Chaosium Inc., dans le cadre d’un projet pour créer un supplément pour RuneQuest ayant pour base les contrées du rêve de H. P. Lovecraft. Ils voulaient en fait créer un jeu indépendant,  centré  sur le XXe siècle et inspiré par les concepts du Mythe de Cthulhu. Cela m’enthousiasmait énormément bien sûr. J’ai depuis appris que Chaosium n’aimait pas particulièrement Lovecraft en tant qu’auteur, mais qu’ils étaient intelligents et qu’ils comprenaient que seul un créateur avec une grande appréciation pour son œuvre pouvait élaborer un bon jeu sur ce thème. J’ai un grand respect pour leur perspicacité.

CB : Que pensez-vous du regain d'intérêt du grand public pour l’univers du Mythe de Cthulhu ?

SP  : Pour expliquer cela, je vais faire référence à un événement particulier. J’étais récemment invité au festival du cinéma lovecraftien à Portland  (Oregon),  afin  de  recevoir une récompense pour ma contribution à la promotion de l’œuvre de HPL. Là-bas, les organisateurs ont expliqué que les deux plus grands facteurs ayant permis la popularité actuelle de Lovecraft étaient mon jeu (L’Appel de Cthulhu) et les films  de  Stuart  Gordon  (Réanimator et Aux portes de l’au-delà). Ces deux supports médiatiques ont fait découvrir Lovecraft à un plus grand nombre de personnes que tous les autres jusque-là. Littéralement, plusieurs milliers de joueurs m’ont confié  avoir  commencé à lire Lovecraft grâce à mon jeu. Je suis certain qu’il en est de même pour les merveilleux  films de Gordon et Yuzna.
Et maintenant, la boucle est bouclée, puisque je suis le producteur exécutif d’un film dans l’univers de Lovecraft  : The Whisperer in Darkness. Si jamais Yuzna ou Gordon décident de participer à la création d’un jeu, le cycle sera complet !

CB : Avez-vous un secret sur L’Appel de Cthulhu que vous voudriez partager ?

SP : J’ai prétendu que tous les monstres étaient directement tirés des histoires du Mythe, mais en fait, certains sont de pures inventions de ma part. Ils sont depuis devenus de vraies icônes emblématiques et ont été utilisés dans d’autres jeux et sources. Au départ, ils correspondaient juste à un besoin d’étoffer la liste des monstres.

CB : Pensez-vous de nouveau écrire pour le jeu de rôle ? Pour L’Appel de Cthulhu ?

SP : En fait, je suis en train d’écrire une introduction pour la 7e édition de L’Appel de Cthulhu, et une bonne quantité d’articles pour le guide de Glorantha. Donc j’ai déjà commencé mon retour dans ce milieu !

CB : Avez-vous suivi l’évolution de L’Appel de Cthulhu au il de ses éditions, et si oui qu’en pensez-vous ?

SP : J’ai remarqué qu’avec chaque nouvelle version, les Investigateurs avaient de plus en plus de chance de survivre face aux créatures du Mythe. Je pense que cela est dû au fait que Lynn Willis et Charlie Krank, qui tiennent les rênes de Chaosium depuis très longtemps, ont une vision fondamentalement optimiste du monde, qui se relète dans le jeu. Cependant, le plus gros problème à mon avis... c’est qu’à partir de la 5e édition, ils ont retiré mon portrait de la quatrième de couverture !

CB : Que pensez-vous de l’évolution des JdR depuis que vous travaillez dans ce domaine ?

SP : Je déplore la tendance des JdR à vouloir de plus en plus se contenter de raconter une histoire. Selon moi, nous avons déjà de très bonnes façons de conter des histoires. Nous n’avons néanmoins pas beaucoup de moyens dans lesquelles les gens peuvent influencer une histoire en tant que groupe créatif, en interagissant les uns avec les autres et en donnant à la chance une part créative. C’est l’avantage des JdR par rapport aux films, MMORPG et autres systèmes de narration.

CB : Comment sera, selon vous, l’évolution des JdR dans le futur ?

SP : Je ne suis pas certain qu’ils aient besoin d’évoluer. Je suis sûr qu’ils vont changer, mais la narration, la créativité et l’interaction, qui sont des composants des JdR, nous accompagnent depuis les âges paléolithiques.

CB : Êtes-vous plutôt MJ ou joueur ?

SP : J’ai toujours été, et serai toujours un maître de jeu.

CB : Vous rappelez-vous de votre premier personnage de JdR ?

SP  : Pas du tout. En 1974, il était assez clair que nous n’avions qu’une vague idée de ce que le roleplay voulait dire. Je ne me rappelle même pas sa classe de personnage. Dans mon groupe d’amis, PERSONNE n’avait d’expérience dans les jeux de rôle. C’était pour nous un grand mystère. Notre seul guide venait des quelques indices contenus dans le livre III de Dungeons & Dragons. Nous faisions néanmoins de notre mieux.

CB : Avez-vous un bon souvenir d’une session de JdR que vous voudriez partager ?

SP : Je me rappelle d’une session de l’AdC pour laquelle Greg Stafford oficiait. C’était vers la fin des années 80, à la convention Origins de Los Angeles. Tous les joueurs étaient des auteurs professionnels pour la gamme de  L’Appel de Cthulhu (moi-même, Larry DiTillo, Charlie Krank, etc.), et nous avons été si incompétents dans notre enquête que, lorsque nous sommes arrivés au Pérou, nous n’avons même pas eu l’occasion de sortir de l’aéroport.
Nous n’avons pas suivi le moindre indice lovecraftien, nous avons passé notre temps à nous embrouiller les uns les autres et à nous mettre dans le pétrin. L’apothéose est survenue lorsque le personnage de DiTillo devait partir de là au plus vite (nous avions tous commis des actions illégales), et qu’il a pour ce faire volé un avion. Il ne savait pas comment le piloter en revanche, et s’est écrasé sur des réservoirs à pétrole, détruisant ainsi la moitié de Cuzco. Greg présumait que nous allions être super efficaces pour affronter le Mythe, mais il a suffi de quelques flics péruviens pour nous barrer la route !

CB : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

SP : Sur Cthulhu Wars et ses suppléments.

CB : Comment le concept de Cthulhu Wars vous est-il venu ?

SP : Mon partenaire commercial m’embêtait depuis un bout de temps pour créer un jeu de plateau. J’y ai résisté pendant des mois. Puis l’idée m’est venue de créer une application pour iPhone, un jeu de stratégie dans l’univers de Cthulhu. Nous avons fait
un Kickstarter qui s’est planté magistralement. Je me suis alors dit :
« Pourquoi pas un jeu de plateau ? », et voilà. J’ai commencé à plancher dessus en novembre 2012, et mon inspiration était telle que cela venait naturellement. Je ne sais pas si je canalisais une source issue d’un ancien éon, ou si ces idées s’étaient accumulées en moi depuis longtemps et ne demandaient qu’à sortir, mais le jeu a instantanément plu à toutes les personnes qui l’ont essayé.

CB : Pensez-vous que les fans de L’Appel de Cthulhu vont aimer Cthulhu Wars, et si oui, pourquoi ?

SP : Je suis un fan de L’Appel de Cthulhu, et j’adore ce jeu, donc ça fait déjà un ! Sérieusement, je pense qu’ils vont beaucoup l’aimer. Dans L’Appel de Cthulhu, on n’a jamais l’occasion de voir les Dieux Extérieurs et les Grands Anciens dans toute leur splendeur. Si Nyarlathotep ou Cthulhu s’éveillaient complètement dans l’AdC, le jeu serait fini avant même qu’on puisse voir de quoi ils sont capables. Je voulais créer un jeu dans lequel on peut s’amuser avec TOUS les jouets dont disposent les divinités du Mythe, un jeu où Shub-Niggurath peut étendre son horreur à travers le globe, où Ithaqua peut givrer des continents entiers dans la glace, où le Roi en Jaune peut profaner la terre, et où Cthulhu peut envahir le monde à la tête de sa horde de monstres quasi indestructibles. C’est en quelque sort une démangeaison que Cthulhu Wars me permet de gratter. Bien sûr, j’ai aussi toujours voulu voir de jolies igurines  des  monstres du Mythe de Cthulhu, et maintenant je peux les avoir, tout comme quiconque désirant se les procurer. Sans ce jeu, comment pourriez-vous trouver une igurine de Rhan-Tegoth ?

CB : Quelle a été votre projet favori jusqu’ici ?

SP : Voyons… Le jeu de ma création qui a le eu le  plus  d’influence  sur le monde est probablement  Doom. Celui qui selon moi a été le meilleur travail créatif est probablement  Age of Empires III: The Warchiefs : j’ai tout donné dans celui-là. Le jeu de ma création qui a été le plus amusant à concevoir et m’a vraiment fait plaisir est Cthulhu Wars.

CB : Qu’est-ce qui vous motive pour écrire et créer ?

SP : Je suis dans l’heureuse position de pouvoir gagner ma vie grâce à l’écriture et la création, donc je n’ai pas à me justiier d’avoir à « prendre du temps  » sur mon travail pour poursuivre ces activités. Ma réponse la plus cynique serait « pour gagner ma vie », mais en vérité j’aime créer des jeux, et j’aime encore plus interagir et communiquer avec les fans qui y jouent. Lors des dernières heures du Kickstarter de  Cthulhu Wars, j’étais scotché sur la page des commentaires pour communiquer avec les fans tout en regardant l’horloge. En fait, je suis avant tout un fan passionné, et un de ceux qui ont également la chance d’avoir leurs propres fans.

CB : Quel jeu auriez-vous adoré avoir créé vous-même ?

SP : Monster Rancher, curieusement (NdT : il s’agit d’une série de 14 jeux vidéo et JdR japonais).

CB : Jouez-vous souvent et régulièrement ?

SP : Sans compter les heures passées à tester mes créations au quotidien, je joue aux JdR et jeux de plateau presque tous les samedis. Je joue à des jeux vidéos pendant mes breaks, une demi-heure minimum chaque jour.

CB : Jouez-vous à d’autres jeux que les JdR ? Lesquels ?

SP : Je joue à presque tous les types de jeux, sauf ceux à base de sport. J’ai une bibliothèque de jeux de plateau et de JdR gigantesque, et mon expérience professionnelle dans le monde du jeu vidéo signifie aussi que j’en ai une belle collection.

CB : Quels jeux et univers préférez-vous en tant que joueur ?

SP : J’aime avant tout être surpris. Les jeux qui suivent un genre donné de façon trop rigide m’intéressent rarement.

CB : Allez-vous souvent aux conventions de jeu ?

SP : Je vais fréquemment dans des conventions.

CB : Quelles sont vos favorites ?

SP : Cette année, j’ai participé à six conventions, donc cinq aux États-Unis, ce qui est inhabituel. En général la plupart des conventions que je fréquente sont en Europe.

CB : Quelles ont été vos plus grandes influences, pour votre carrière ?

SP : Tout d’abord  D&D pour le concept du roleplay. Puis Runequest pour le concept d’un jeu basé sur un système de compétences. Enfin, mon sens de la contradiction qui a donné L’Appel de Cthulhu : dans les autres JdR, les personnages deviennent de plus en plus puissants. Dans l’AdC ils s’affaiblissent. Dans les autres JdR, les combats occupent une position centrale, et donc les règles disposent de systèmes de simulation intéressants pour cela. Dans l’AdC, on évite les combats et le contact avec les créatures autant que possible. Dans les autres  JdR, ça se finit généralement avec un combat d’apothéose contre un « boss ». Dans l’AdC, l’idée d’un combat contre un « boss » revient à couler du béton dans le puits avant même que le monstre ne pointe le bout de son tentacule. Dans les autres JdR, les personnages sont traités comme des individus spéciaux au-dessus du commun des mortels. Dans l’AdC, il est assumé que vous êtes parfaitement normal, au mieux. À mon avis, c’est cette nature contradictoire et paradoxale de L’Appel de Cthulhu qui lui a permis de bien vieillir et de survivre au passage des années. Si vous voulez vivre une expérience rôlistique normale, vous pouvez le faire avec de nombreux jeux, mais si vous voulez quelque chose d’unique, où trouver un vieux livre moisi dans une bibliothèque est plus important que de trouver un coffre rempli de doublons, alors l’AdC est peut-être pour vous.

CB : Avec vous un rêve que vous voudriez accomplir dans le domaine du JdR ?

SP : J’ai eu l’occasion de participer à la création d’un MMORPG de science-fiction à gros budget, pour lequel j’étais entièrement responsable de la création de l’univers (malheureusement annulé lorsque Microsoft a licencié l’équipe entière d’Ensemble Studios). C’était éclatant ! Je doute d’avoir l’occasion de créer un MMORPG dans le futur, mais j’espère avoir la chance de créer un autre univers de SF.

Propos recueillis, transcrits et traduits par Franck « Booga » Florentin
Extrait de Casus Belli n°9 Mai - Juin 2014

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Message  LinksLeChat Sam 26 Juil - 17:08

entretien avec Frédéric Weil

« L’aventure Multisim s’est révélée passionnante, exaltante et éreintante »

Pour les rôlistes des années 1990 et 2000, Frédéric Weil est un « ponte » du milieu du JdR. Co-fondateur de Multisim éditions et co-auteur de Nephilim avec son ami Fabrice Lamidey, il a également développé des passerelles entre le JdR, le jeu vidéo et le roman et a ressuscité Casus Belli à la mort de la première incarnation du magazine. Bien que l’histoire de Multisim et de Frédéric Weil soit entachée d’une gué-guerre pénible entre « pro » et « anti-Multisim » et d’une fin d’activité très douloureuse pour l'ensemble de la société, il a accepté de revenir avec nous sur l’histoire d’une société en avance sur son temps et qui a marqué le paysage ludique français.


Casus Belli : Bonjour Frédéric. Alors, dis nous, comment a commencé l’aventure Multisim ?

Frédéric Weil : Multisim est né d’un travail commun avec Patrice Lamidey, avec qui j’ai coécrit Nephilim. On était joueurs de JdR depuis nos onze ans environ. On était amis d’enfance et on s’est retrouvé à Paris par petite annonce… Casus Belli ! Le truc incroyable ! Fabrice avait quinze ou seize ans et il cherchait des joueurs pour jouer à Donjons & Dragons et à d’autres jeux comme L’Appel de Cthulhu (AdC) ou Runequest. Moi je venais d’arriver de ma province où je jouais comme un fou au jeu de rôle et je ne connaissais personne à Paris. J’ai lu cette annonce et il se trouvait que Fabrice habitait à côté de là où ma famille s’était installée. Voilà, on a commencé à jouer et on est devenu les meilleurs amis du monde. On s’est éclaté comme ce n’est pas possible, d’abords à Donjons, puis à l’AdC, beaucoup beaucoup d’AdC, et puis on a testé plein de jeux. On a passé des soirées entières sur Chivalry & Sorcery, à jouer à des trucs pas possibles, Tunnels & Trolls…

CB : Des trucs déjà rétro à l’époque !

FW : Tout à fait ! (il cherche, enthousiaste) On a joué à Powers & Perils, un vieux jeu Avalon Hill, pendant de nombreux mois ! On a compris que c’était le truc de notre vie. Ensuite on a commencé nos études et on s’est rapidement rendu compte que les études, ce n’était pas pour nous. Entre temps, on avait vraiment flashé sur Runequest, surtout son univers, Glorantha. À l’époque, on commençait aussi à jouer en club, au Fer de lance par exemple. On avait joué avec Denis Gerfaud à Rêves de dragon, on commençait un peu à rentrer dans le côté associatif du jeu de rôle. Avec Fabrice, on a compris que Glorantha était un univers avec une richesse incroyable qui avait le potentiel pour qu’on puisse y créer des choses et cela reposait aussi sur des règles qui nous intéressaient : règles de construction d’univers, proche de la mythologie, proche des symboles. On a eu la chance de rencontrer Greg Staford relativement tôt et il nous a raconté comment il avait inventé Glorantha. Il avait vraiment suivi un processus artistique. On s’est bien entendu et à la suite de ça on a décidé de faire un fanzine sur Glorantha qui s’appelait Broo.

CB : C’est vous qui aviez monté Broo ?

FW : Oui ! En faisant Broo, finalement, on a commencé à apprendre le métier. En amateurs purs, évidemment. Le fanzine a commencé à avoir un petit public de gens qui trouvaient intéressant ce qu’on faisait. On s’est vite passionné pour la maquette, le fait d’imprimer le magazine, de mettre en place un processus éditorial pour rendre un texte qui soit lisible, etc...
Évidemment, c’était un peu n’importe quoi, mal fait, plein de coquilles. D’autant que c’était le démarrage de la mise en page par informatique… Les premiers Broo, on les faisait à la main, on coupait les articles, on les collait à la main ! Mais, ça nous a beaucoup plu. Il se trouve que Fabrice et moi sommes avant tout des passionnés de lecture donc les deux passions, le jeu et le livre, se sont rejointes. On a beaucoup bossé sur Glorantha, on a amassé beaucoup de matériaux. On s’est mis en relation avec l’éditeur officiel de Runequest à l’époque, Oriflam, puis on a participé à leur magazine, Tatou. Et puis à un moment, on s’est demandé :
« Qu’est-ce qu’on fait de nos vies ? » On avait vingt, vingt-et-un ans. Quelques bouquins nous avaient passionnés. On avait par exemple été renversés par Les voies d’Anubis de Tim Powers, Le Pendule de Foucault d’Umberto Ecco, et on s’est dit qu’il n’y avait pas grand-chose sur ces thèmes-là en JdR. Bref, on s’est dit : « Pourquoi ne pas essayer d’inventer notre propre jeu ? » Mais on ne voulait pas le proposer à un éditeur, car on voulait présenter le jeu d’une façon qui nous corresponde. Et voilà, c’est comme ça qu’on a commencé à bosser sur Nephilim. On est parti un mois en Irlande faire le tour de l’île en sac à dos et on a inventé une partie de la mythologie de Nephilim à ce moment là, en ping-pong permanent, en brainstormant, en voyant les paysages incroyables, les églises, les rencontres avec les gens, etc...
Quand on est revenu, on avait un paquet de notes dont j’ai mis un aperçu dans le collector de la v4 de Nephilim. On s’est enfermé un nouveau mois pour essayer de synthétiser tout ça et puis on a commencé à faire des tests. Et à l’époque… (Il s’arrête) Vous couperez si c’est trop long, hein ?

CB : Oui, oui, ne t’inquiètes pas (rires) !

FW : À l’époque donc, on ne jouait pas les Nephilim. On jouait, comme à l’AdC qui était notre modèle, les personnages qui découvraient les Nephilim. Les premières parties ont été lamentables ! Nulles. Les tests ne marchaient pas. Les gens s’ennuyaient. Ça se passait dans un monde contemporain, il n’y avait pas encore la magie telle qu’elle a été développée ensuite, donc les joueurs disaient : « je rentre chez moi, je mets mon répondeur en marche – il n’y avait pas de portable à l’époque ! – et je m’endors »… Oulala ! Passionnant ! Donc les deux trois premiers tests étaient vraiment mauvais. Et puis, il y a eu un déclic alors qu’on en parlait avec Fabrice. On s’est dit : « Et si on faisait jouer l’inverse ? » C’est comme ça que ça s’est mis en marche. Dès qu’on a renversé la logique, les joueurs ont adhéré de manière extraordinaire à ces Nephilims et leurs éléments. Ils ont tout de suite investi les rôles et compris comment jouer dans le monde contemporain… Et nous, on a compris qu’en mettant en léger décalage le monde contemporain, l’univers de jeu fonctionnait. Le jeu s’est construit comme ça. En revanche, je ne vous raconte pas la production de la première édition… dans la cuisine, trois mois en retard sur le planning, en train de terminer des études qui ne voulaient pas se terminer, les copines à l’époque qui pètent les plombs. Terminer le jeu a été dantesque, mais on est arrivé à faire cette première édition. Dans la foulée, on a monté une boîte avec les quelques économies que nous ont données nos parents, mais vraiment trois fois rien.

CB : Et le jeu rencontre instantanément son public !

FW : Oui, assez rapidement ! Je pense qu’on a eu une bonne intuition en prenant le Basic Roleplaying Game [NdlR : le système de règles de l’AdC] comme système de jeu. On adore faire des règles…
mais on n’est pas très bon pour ça ! Même avec l’expérience, on a du mal à « tuner » un système. Ce n’est pas notre truc. Moi j’adore faire des systèmes de règles, j’en fais tout le temps, c’est presque une maladie. Mais je n’ai pas cette capacité à l’affiner au maximum, ce truc important dans le JdR et dans le jeu vidéo (JV) aussi. Contrairement à la légende qui disait que Multisim n’aimait pas les règles, c’est faux. On a toujours aimé faire des systèmes de règles, mais l’attention qu’on portait – en tous les cas la mienne – n’était pas assez forte pour les « tuner » au maximum. En fait, on avait écrit notre propre système de règles pour la première édition de Nephilim, qu’on aimait bien, mais on s’est dit que les gens allaient devoir apprendre tout ça donc, on a préféré prendre le Basic Roleplaying Game et ça a, je pense, aidé au développement du jeu.

CB : Les débuts ont du être enthousiasmants ! Il y a eu vraiment une très bonne critique dans Casus Belli notamment.

FW : Oui, c’est ça. Ce qui a vraiment été excitant dans le démarrage de Nephilim, avec, pour résumer, cette histoire d’esprits qui venaient de l’Atlantide, c’est qu’on a essayé de coller ensemble une grande partie des mythologies. Donc on a mené ce travail, d’ailleurs un peu fou quand on y pense, un peu mégalo même, d’essayer de racoler toutes les thématiques, l’alchimie, la cabale, etc...
Un truc un peu fourre-tout mais qui a permis à beaucoup de gens de s’y retrouver. Celui qui aime bien la cabale, il va bosser la cabale, celui qui adore la mythologie celtique, il va pouvoir bosser la mythologie celtique. Et tout ça sans que le jeu ne perde trop son identité, puisque le nephilim reste lui ce qu’il est, lié aux éléments. On a eu cette chance là, le jeu n’a pas été un gloubiboulga et il s’est installé assez rapidement, en participant de cette nouvelle façon de jouer, comme on disait à l’époque, que Vampire, la Mascarade a initiée.

CB : C’était aussi peut-être ça le grand coup : sortir un jeu français « à la Vampire » au moment de la sortie de Vampire ?

FW : C’est ça ! Alors que l’on n’avait jamais joué à Vampire. La première fois que j’ai ouvert La Mascarade, Nephilim était déjà dans les boutiques. Dans la création, il y a des tendances, et on a fait partie de ce mouvement là. Le jeu s’est lancé, ça a très bien marché. Je crois qu’on a vendu les 5 000 premiers exemplaires en quelques mois. On a retiré tout de suite. Je pense que ce sont des chiffres qui n’existent plus aujourd’hui.

CB : Oui, ça fait rêver !

FW : Nous aussi, on était sur un petit nuage ! Avec les copains qui nous ont aidé comme Franck Achard, Jean Bey, qui lancera plus tard sa boîte de figurine [NdlR : Rackham], Philippe Chartier, qui travaillait à la célèbre boutique L’Œuf cube – où on bossait également pour payer nos études – on s’est dit « ok, on monte le truc ensemble. Philippe, tu es plutôt commercial, tu vas t’occuper du commercial ». Personne d’entre nous ne connaissait ce qu’était une entreprise…
Mais il se trouve que mon épouse sortait d’école de commerce, donc elle avait un peu les pieds sur terre et elle a pris en main la partie financière de l’entreprise. On est parti vraiment avec trois fois rien ! L’aventure Multisim a commencé comme ça, et elle s’est révélée passionnante, exaltante et éreintante, pendant dix ans en gros.

CB : Tu as dis aux débuts de Multisim que tu voulais plus de rôle et moins de jeu dans le JdR. Quelle était votre approche à l’époque ?

FW : J’ai toujours considéré depuis que j’ai quinze ans – et je n’ai pas changé d’opinion la dessus – que le JdR était une sorte d’aboutissement de tout ce qui était narration. C’est le seul endroit où on peut raconter des histoires, les improviser en même temps et co-écrire les histoires ensemble. C’est toujours ce qui m’a passionné dans le JdR. J’ai perdu des heures et des heures de ma vie à discuter d’un point de détail de simulation de tel système de règles, de tel avantage d’utiliser un d6, un d20, alors que personne n’était statisticien dans les gens avec qui je discutais. En gros, tout ça n’était que des paroles vaines. D’autant qu’en fait, j’ai toujours considéré que le système de jeu n’était pas prédominant dans une mécanique ludique de narration, mais devait « coder » l’univers. Que le système de jeu devait contenir des éléments de narration : quand on jette les dés, c’est pour construire des choses dans l’histoire. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’à Multisim, on a toujours essayé d’attacher beaucoup d’importance à la forme des jeux. Le jeu, le bouquin, la façon dont on écrit les règles, les mots qu’on choisit, sont aussi des éléments de construction de l’univers de jeu.

CB : Tout cela paraît très naturel, sans doute plus qu’à l’époque !

FW : Oui. À l’époque, c’était même souvent l’inverse. Les gens fabriquaient des systèmes de simulation et ensuite ils construisaient des univers pour jouer dedans. Le seul qui faisait l’inverse, c’était Staford et c’est pour ça que Runequest a aussi bien marché selon moi. C’est pour ça qu’on était passionnés par ce que faisait Chaosium. Ce sont eux qui nous ont inspiré. Quand ils ont inventé la santé mentale pour l’AdC, on est dans un point de règles complètement abstrait qui n’a rien à voir avec la psychologie humaine, mais, néanmoins, quand on fait un test de santé mentale, on est tous flippés ! Donc ça marche très bien ! Cet élément ludique, qui n’est pas du tout simulationniste, est une représentation de l’angoisse d’un personnage de l’AdC. C’est ça qui est très très fort et c’est ça qui nous a nous guidé dans notre façon de construire nos JdR. Faire en sorte que les règles servent aussi l’histoire.

CB : En termes de forme, il y a eu un avant et un après Nephilim 2, remarquablement en avance sur son temps. Vous avez trouvé où votre inspiration pour faire évoluer la forme de vos JdR à ce point ?

FW : Je crois que ça, c’est le talent de Franck Achard. Il faut le reconnaître. Bien sûr, on en parlait tous, car Multisim a été un gros travail collectif en permanence. Mais Franck a un talent incroyable. Il représentait vraiment l’esprit de Multisim : il creusait autant dans la culture classique, on ne peut plus classique, gréco-latine, Renaissance, et la pop culture. Graphiquement parlant, il était capable d’aller chercher un graphiste moderne qui déconstruisait les lettres et en même temps il avait toutes les références pour aller chercher de la sculpture gréco-antique… Et il mariait parfaitement les deux ! C’est vraiment quelqu’un que j’aime beaucoup et que j’apprécie énormément, parce qu’il avait ce talent. Multisim, ça a vraiment été ça : marier pop culture et culture classique. J’ai toujours considéré que le JdR était un avatar de la culture classique, du théâtre, contemporain, populaire, que le JdR ne se prenait pas au sérieux, qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux, mais qu’il était néanmoins super intéressant car il changeait la façon dont on racontait une histoire. J’ai toujours considéré que le JdR était un creuset, une sorte de laboratoire de ce que les personnes ont envie de raconter, de ressentir comme émotion...

CB : Le Jeu Vidéo ( JV ) pique un certain nombre de choses au JdR d’ailleurs de ce côté-là…

FW : Plus que piqué ! Il vient se servir ! Pour plein de raisons en fait, parce que les équipes de JV sont composées d’anciens joueurs de JdR, déjà. Un truc très important, c’est que le plaisir ressenti pendant une partie de JdR est un plaisir qui va rester toute une vie !
Toute sa vie, on va se rappeler de la campagne qu’on a fait avec machin ou bidule. Et toute sa vie on se souviendra des émotions qu’on a vécu en jetant le dé, à la dernière minute, pour sauver la situation. Les émotions qui sont reçues et construites pendant les JdR sont encore plus fortes parce qu’elles sont collectives, co-construites. Le JV tend vers ça en permanence, faire en sorte que les joueurs soient intégrés dans la création en permanence. Ça me fait délirer de voir mes enfants, qui ont moins de dix ans, avoir tout le temps recourt pour leurs jeux aux mots du JdR : les « XP », les « progressions de niveau », etc. Dans les années 90, on était des geeks, on faisait peur à tout le monde, et aujourd’hui, c’est devenu normal ! Cette mécanique ludique a été inventée dans le JdR, et s’est répandu dans la culture populaire. Ça, c’est une des plus grandes réussites du JdR, pour moi.

CB : Cela ne s’est pas fait au bénéfice du marché du JdR en revanche…

FW : Non, en effet. Mais quand on fait du JdR, on participe à cette exploration de ce que pourrait être la narration dans plusieurs années.

CB : Justement, tu as l’impression que le jeu de rôle a évolué, ces dernières années ?

FW : Pour dire vrai, quand Multisim a fermé, j’ai un peu arrêté les activités de JdR. J’avais pas mal donné et la fin de Multisim a été assez difficile. J’avais également plein d’autres occupations, en particulier le JV. J’ai remis le nez en tant que lecteur et joueur il y a quelques années, et là j’ai vu effectivement qu’il s’était passé des choses. L’apparition de tout ce qu’on appelle les « jeux narratifs ». J’ai vu aussi que de nombreux jeux dits « classiques » se sont mis à avoir des équilibres entre formes, fonds, règles et univers et sont donc allés dans la direction d’un travail dans lequel nous nous étions inscrits. En gros, on a été les artisans et les jeunes de maintenant sont devenus les artistes ! Ils remettent vraiment en cause les mécanismes de jeu, qui est MJ, etc. Est-ce que ça apporte quelque chose ? En tous les cas, ils essaient. Ils ont bien compris que le JdR avait remis en cause le simple fait de raconter une histoire.

CB : Tu as essayé certains de ces jeux « narratifs » ?

FW : J’en ai essayé oui.

CB : Et tu en as pensé quoi ?

FW : Ça dépend des jeux. Fiasco me passionne par exemple. D’autres, je ne suis pas du tout rentré dedans. Je suis trop vieux sûrement ! Mais en général, ça me donne plein d’idées pour améliorer mes systèmes de jeu. J’ai refait des règles perso purement narratives pour Nephilim et on a commencé à discuter avec Fabien Deneuville d’un système hyper léger pour raconter le passé des Nephilim. Ça me fait réfléchir également. Par exemple, pour moi, Hurlement a été le premier jeu narratif publié. Mais à l’époque, Jean-Luc Bizien ne savait pas qu’il faisait un jeu « narratif ». Il l’a toujours revendiqué quelque part, mais il était trop en avance. Quand on a fait Chimère [NdlR : la réédition de Hurlement chez Multisim], on a essayé de pousser le concept jusqu’au bout, mais on n’avait pas la structure mentale ou la connaissance pour y arriver.
On a essayé d’être innovants dans la narration, la façon de raconter un personnage, mais au bout du bout, on est arrivé à un truc hybride qui marche plus ou moins… plutôt moins que plus d’ailleurs ! Je pense que si on faisait Chimère aujourd’hui, ce serait complètement différent. Mais pour revenir au sujet, oui, il y a bien eu une évolution, je crois.

CB : Arnaud Cuidet nous disait dans une précédente interview que « chez Multisim, si tu n’écrivais pas tes trois cent mille signes par mois, tu n’étais pas un homme ! ». Alors comment ça se passait à Multisim, il y avait des fouets ?

FW : Non ! Il y avait un directeur éditorial, qui était Sébastien Célerin et qui faisait travailler tout le monde. On a toujours beaucoup travaillé. Je pense que vous connaissez ça aussi chez Black Book, mais quand on a une petite structure, on travaille énormément. On ne compte pas ses heures et on bosse comme des fous. Multisim s’est pas mal développé pendant dix ans, et il fallait donc sortir beaucoup de suppléments. Au bout d’un moment, il a fallu rationaliser la création. On ne pouvait plus attendre le texte en retard de machin, le dessin de bidule, donc on s’est dit qu’on devait gérer des lignes de projets comme d’autres gèrent des lignes de production. On a rationalisé la production de l’écriture de JdR, des règles, la gestion des tests. Et, en effet, pour arriver à produire des suppléments qui avaient du sens, cela demandait aux auteurs d’abattre pas mal de volume pour plein de jeux.

CB : C’était de la création interne principalement ?

FW : Alors, les concepts et les idées de scénarios étaient souvent faits en interne et on avait parfois des gens qui nous amenaient également des projets. L’exécution, elle, était faite par des auteurs indépendants, sous forme de contrats d’auteur.

CB : Et il y a eu ce jour où vous avez édité Casus Belli… Mais avant de revenir sur cette période, peux-tu nous dire ce que Casus représentait pour toi ?

FW : C’était ma principale revue pendant des années ! Quand j’étais petit, je lisais Jeux & stratégies. J’avais huit ou dix ans. Au départ, j’ai commencé à lire Le Seigneur des Anneaux – un livre qui a changé ma vie – et après l’avoir lu, un copain de collège m’a dit : « tu sais, il y a un jeu bizarre qui vient des États-Unis, dans lequel on peut jouer les personnages du Seigneur des Anneaux ». C’était Donjons & Dragons. À l’époque, on jouait avec des photocopies. Et il m’a dit aussi qu’il y avait une revue dans laquelle on parlait de ces jeux-là, qui s’appelait Jeux & Stratégies. Et dans Jeux & Stratégies, il y avait une pub pour Casus Belli, qui était à l’époque mi-wargame, mi-JdR. Comme je jouais aussi aux wargames, je me suis dit que c’était la revue pour moi ! J’ai acheté Casus et, avec les copains de l’époque, on passait notre temps à le bouquiner, à tout découper, à jouer tous les modules, à combattre toutes les créatures de Devine qui vient dîner… On était comme des dingues ! Casus a été hyper important dans ma vie de joueur. C’était fondamental ! J’attendais la revue avec une impatience ! Quand on est devenu éditeur, on s’est aperçu que le milieu était tout petit, qu’il n’y avait pas beaucoup d’acteurs sur le marché, que tout cela était fragile, que les boîtes se montaient et tombaient… Donc le fait qu’il y ait un magazine, c’était super important. C’est un lieu primordial pour les éditeurs et les joueurs. Quand j’ai appris que Exelcior arrêtait Casus, je me suis dit qu’il ne fallait pas que Casus s’arrête. On a discuté, on s’est mis d’accord et on a repris le titre. Mon idée à l’époque, c’était d’essayer de faire autre chose que Backstab [NdlR : le magazine concurrent de Casus qui, lui, paraissait toujours], autre chose qu’un magazine « uniquement de JdR ».

CB : Justement, c’était quoi l’approche ? On se souvient tous de la couverture du premier numéro !

FW : Ah oui, la couverture du premier numéro, on m’en parle encore ! (rires) L’approche, c’était d’essayer de proposer un magazine qu’on pourrait qualifier aujourd’hui « des cultures geeks ». Pour nous, jouer au JdR, au JV, s’intéresser au cinéma, c’était la même chose. C’était le bon moment pour proposer cette vision : le début des années 2000, l’arrivée d’Internet, les jeux en réseau, etc. Tout cela, c’était la même culture, donc on s’est dit qu’on allait proposer un magazine qui allait parler de ces cultures. Il n’y avait pas de raison d’enfermer le JdR dans un compartiment. En travaillant avec le JV, notamment, on se rendait bien compte que tous les gens qu’on rencontrait avaient joué au JdR, l’AdC, D&D, Nephilim, INS/MV, etc. On parlait tous le même langage. Les mêmes dessinateurs travaillaient dans le JdR et la BD. On s’est dit qu’il n’y avait pas d’endroit pour parler à tous ces gens et que Casus pouvait devenir cet endroit. D’où le changement de look, de graphisme, et d’où l’idée de prendre un graphiste qui vient de l’art contemporain et pas du jeu, par exemple. La première année, ce Casus a plutôt bien marché. Et puis après, je pense que, soit le projet était arrivé trop tôt, soit on a commencé à être mis en concurrence avec Internet. Les news allaient plus vite sur les réseaux que dans le magazine. Au bout d’un moment, j’ai préféré passer la main, plutôt que continuer alors que le magazine avait du mal à se développer.

CB : Il y a eu quelques années entre les deux cela dit !

FW : Il y a eu cinq ans. Et on a appris le métier à la dure !

CB : C’était encore différent d’être éditeur de livre ?

FW : Ça n’avait rien à voir ! Pour moi, ça a vraiment été apprendre un nouveau métier ! Avoir une conférence de rédaction, respecter les deadlines – terribles, les deadlines. Le mode de diffusion de la revue n’avait rien à voir avec ce qu’on connaissait. On a appris aussi l’attachement profond des lecteurs à leur revue. C’est un truc qui a été très fort. Et pourtant, dans le JdR, les gens aiment déjà vraiment les jeux auxquels ils jouent. Mais une revue, il y a vraiment un attachement très fort du lecteur, surtout Casus Belli. Le moindre changement était critiqué, remis en cause. Il y avait beaucoup de réactions sur nos idées d’innovation. Ça n’a pas été simple, mais en même temps, cela a été passionnant à faire.

CB : Tout ça nous mène à la fin de Multisim ; qu’est-ce qui a signé sa fin ? La baisse des ventes de la fin de l’âge d’or ? Comment ça s’est passé ?

FW : Pour Multisim, ça a vraiment été conjoncturel. On avait eu un développement très important, à la fois en terme de JdR mais aussi d’édition de romans et de JV. Ce qu’il faut savoir, c’est que, tout gamin, j’adorais déjà le JV. Et dès 1995, au début de Multisim, j’avais décidé stratégiquement d’aller vers le JV, parce que c’était la même culture, parce que je voyais bien qu’avec la révolution de la 3D, le JV pouvait commencer à raconter des histoires, pouvait ressembler à ce que, moi, j’aimais dans le JdR. Donc, dès 1995, on a commencé à discuter avec des éditeurs de JV. Et puis il y a eu la rencontre avec Kalisto. Vraiment, c’était une belle histoire. On a décidé de faire un partenariat poussé, puisqu’on a quand même décidé de marier les deux entreprises. Je suis d’ailleurs parti travailler en partie chez Kalisto pour développer la société, en m’occupant toujours plus ou moins – plus moins que plus d’ailleurs – de Multisim, ce qui m’a valu quelques déboires plus tard… mais, globalement, c’était passionnant parce que le JV était en train d’exploser. Penser des univers pour qu’ils soient adaptés au JdR, au JV, au roman, sans que cela soit de simples produits dérivés, c’était passionnant.

CB : C’était à ton initiative, le fait que Kalisto développe un côté très narratif dans leurs JV ?

FW : Non, en fait, ils étaient déjà comme ça ! En particulier Guillaume Le Pennec, qui est celui qui a forgé l’univers de Dark Earth, avec qui je suis toujours super pote. Pour l’anecdote, Guillaume Le Pennec était le premier à avoir critiqué la première édition de Nephilim dans la presse, dans le magazine Tilt… mais on ne le savait pas ! La première fois que j’ai pris contact avec Kalisto, après avoir vu les bandes annonces de Dark Earth en me disant que c’était un univers qu’on aurait pu faire chez Multisim…

CB : … le développement de Dark Earth avait commencé avant que Multisim ne se mette sur le coup ??

FW : Exactement ! En fait, Guillaume était un joueur de JdR, et donc il avait construit sa bible de concept pour son JV comme un JdR ! Nous ne le savions pas et moi, quand j’avais vu les premières images de Dark Earth, je m’étais dit : « ce n’est pas possible, c’est un joueur de JdR qui a fait ce truc ! » Donc j’appelle Kalisto et je leur dis que je trouve vachement bien ce qu’ils font et que j’aimerais bien travailler avec eux. Guillaume me dit alors « Vous savez Monsieur Weil, Nephilim, j’ai été le premier à le critiquer » ! Et voilà, on s’est rencontré comme ça, et ça a été un déclic. On s’est tout de suite mis d’accord pour travailler en parallèle sur le JdR et le JV, on a fait appel à un auteur américain pour les romans, etc. C’était parti ! Il avait aussi été question d’une série télé sur Dark Earth, avec un studio américain. Ce partenariat, c’était vraiment une énergie très forte.

CB : Tout cela t’a détourné de ce qui se passait à Multisim?

FW : Ça m’a détourné de l’écriture surtout, car je ne travaillais plus sur les textes et me concentrais sur les tâches entrepreneuriales. Après, pour faire court, il y a eu le 11 septembre 2001 et l’effondrement de la bulle Internet dans laquelle se trouvait Kalisto. L’entreprise était en train de se développer à mort et la boîte venait de rentrer en bourse. C’était une success story française, très médiatisée, qu’on mettait en avant !
Mais Kalisto s’est planté peu de temps après. Nous, avec Multisim, on était sur un chemin beaucoup moins ambitieux, mais basé sur les mondes virtuels pour les JV. J’avais beaucoup investis dans une équipe de développement dédiée à ça et on s’est vite retrouvé le bec dans l’eau, avec des banques qui t’appellent du jour au lendemain pour rembourser des prêts que, bien sûr, tu ne peux pas payer…

CB : À ce moment là, les baisses des ventes de JdR étaient déjà sensibles ?

FW : En fait, on a fait une année de ce qu’on appelle un « redressement judiciaire », c’est-à-dire une année sous contrôle de l’administration. Ça se passait plutôt bien au début, mais on n’a pas vu tout de suite la baisse des ventes de JdR. On vendait à peu près bien Nephilim, Dark Earth et Guildes mais, sur le reste, on ne voyait pas que ça faiblissait. On a mis plusieurs mois à comprendre qu’en fait, l’économie même du JdR ne pouvait plus faire tourner la boîte comme avant. Face à ça, on avait eu l’idée que Millennium (aujourd’hui distributeur) reprenne le nom Multisim pour que la marque survive, mais cela ne s’est pas fait pour pleins de raisons.

CB : Le temps a passé et Nephilim a fini par ressortir, vingt ans après la première édition. Tu peux nous en parler ?

FW : Les vingt ans du jeu sont arrivés et plein de copains m’on dit : « Mais qu’est-ce que tu fous ! Bouges toi ! Nephilim a vingt ans, tu ne peux pas laisser passer ça ! » Donc on a commencé à discuter et plusieurs éditeurs sont venus nous voir pour nous proposer une v4. On a commencé à bosser, mais les projets ne m’intéressaient pas. Ce n’était pas ce que je pensais être Nephilim. Il y avait le projet d’une méga campagne historique, avec le jeu inséré dedans. Un autre éditeur m’a dit « Oui, je veux bien Nephilim, mais je ne veux pas de Templiers dedans », des choses comme ça. Au bout d’un moment, mon cœur d’éditeur n’a fait qu’un tour et j’ai dit à Fabrice qu’il y avait que nous qui pouvions nous en occuper. J’en ai également parlé à Sébastien Célerin parce que je tenais beaucoup à ce qu’il participe, lui qui avait vraiment développé Nephilim 3 et qui était un peu la mémoire du jeu. Il était super chaud aussi, et on est partis. Je me rappelle de la première réunion, avec Franck Achards aussi, car je ne voyais pas quelqu’un d’autres sur le graphisme, évidemment. On ne voulait pas faire un « revival ». On ne voulait pas faire « Multisim vingt ans après ». On n’était pas du tout nostalgiques. On voulait vraiment proposer une autre expérience. Alors on s’est dit qu’il fallait se faire plaisir et essayer de faire le plus beau jeu qu’on puisse faire. On s’est lâchés, on ne s’est pas donné de limite. On a fait une co-édition avec Edge, et Gilles Garnier de Edge m’a d’ailleurs dit : « pas de limite sur le budget illustrations ! »

CB : Dans le jeu de rôle, c’est pas mal ça !

FW : Voilà ! J’avais gardé un peu d’argent de côté moi aussi pour faire ce genre de truc, donc on s’est dit go ! Contrairement à la v3, qui était vraiment l’édition qui a essayé de tout rassembler en deux volumes autour d’un univers qui s’était beaucoup développé, l’idée de la v4, c’était de synthétiser. Un régal à faire. De voir toute l’équipe super motivée, donner le meilleur de soi pour faire le jeu.

CB : Avant de te laisser, on souhaitait te demander comment était venue cette idée du manifeste pour la reconnaissance du JdR comme le dixième art ? Et comment tu le vois maintenant ?

FW : Déjà, quand on l’a rédigée, on était légèrement ivres (rires). À l’époque, on en avait marre de voir que le JdR était mal considéré. Ce manifeste était notre réaction au mouvement qu’avait lancé l’émission de télé de Mireille Dumas. Une réaction puérile et un peu naïve… Enfin, que je juge aujourd’hui comme ça, mais à l’époque, on l’a vécu comme une atteinte profonde à notre intégrité. Notre réaction, ça a été de dire que non, le JdR peut être un art, et qu’il y a besoin d’un dixième art qui soit, en gros, un art « interactif ». C’était vraiment une réaction forte à la violence médiatique qu’on ressentait et contre laquelle on n’avait pas de pouvoir. Beaucoup d’entre nous avons été atteint…

CB : L’ensemble des rôlistes a été atteint…

FW : Oui, c’est un événement qui a eu beaucoup de conséquences. Beaucoup de clubs de jeux ont fermé dans les collèges et les lycées. Des parents et des associations se sont montés contre le JdR. Avant, le JdR était plutôt à la mode et même dans les journaux de masse il y avait une promotion du jeu. Après cette campagne menée par Mireille Dumas et d’autres, il y a eu un arrêt très fort du JdR. On peut estimer qu’une partie des problèmes économiques du marché du JdR en général datent de là. Chose exceptionnelle, tous les éditeurs de l’époque, Hexagonal, Asmodee, Orilam, Multisim, etc. (sauf Jeux Descartes), se sont réunis en une association. Tous les acteurs, qui étaient auparavant en général en bisbille, se retrouvait régulièrement pour discuter et essayer de monter des opérations de contre-feu, contre ce qu’il se passait. Ça s’appelait Passion jeux de rôle. Mais on n’était pas assez outillé, on n’avait pas assez de connaissance des médias. Et puis, surtout, parmi les journalistes, la vision de Mireille Dumas s’était répandue de manière forte. C’était impressionnant. Du jour au lendemain, le JdR est devenu le lieu où les gamins se suicident ! Pour les sortir de là, c’était devenu impossible. J’ai compris à ce moment-là qu’on ne pouvait s’en sortir qu’en se serrant les coudes. Je me suis aussi aperçu que les pouvoirs publics et une partie des média étaient en train de se couper de la jeunesse qui jouait au JdR et se sentaient très bien en faisant ça. Ils étaient en train de perdre ces personnes, qui sont d’ailleurs passées ensuite à Internet et ne se retrouvent plus du tout dans le lectorat des journaux classiques. On ne voulait pas que cette fracture se mette en place, mais elle a eu lieu.

Propos recueillis à Lyon par David Burckle et Damien Coltice
Extrait de Casus Belli n°10 Juillet - Août 2014


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Frédéric Weil est né en 1967 et à co-fondé Multisim éditions en 1992 avec son ami Fabrice Lamidey. Il a également co-écrit Nephilim avec son compère et développé l’activité de Multisim vers le jeu vidéo via Multisim Interactive et Multisim Guide (publication de guides stratégiques pour les jeux vidéos) et a lancé les éditions Mnémos, toujours actives à ce jour dans la publication de romans français et de beaux livres avec notamment la magnifique collection Ourobores . Après Multisim, il a notamment travaillé dans le milieu du jeu vidéo, mais aussi avec le dessin animé.

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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
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