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entretien avec Nelyhann, auteur et responsable des Ombres d’Esteren
Pour l’apologie du dirigisme (mais pas seulement)
Illustrateur et auteur sur Les Ombres d’Esteren, Nelyhann1 est également responsable de la gamme pour Agate éditions et auteur principal des scénarios de Dearg. Affable, convainquant et enthousiaste, il a accepté sans rechigner de parler de la campagne et de ses particularités, sans jamais prendre ombrage de nos réserves.
Pour l’apologie du dirigisme (mais pas seulement)
Illustrateur et auteur sur Les Ombres d’Esteren, Nelyhann1 est également responsable de la gamme pour Agate éditions et auteur principal des scénarios de Dearg. Affable, convainquant et enthousiaste, il a accepté sans rechigner de parler de la campagne et de ses particularités, sans jamais prendre ombrage de nos réserves.
Casus Belli : Comment avez-vous vécu le formidable succès du financement participatif de la campagne Dearg sur Ulule ?
Nelyhann : On a été les premiers surpris par l’ampleur de ce qu’il s’est passé. Bien sûr on avait eu l’expérience des deux kickstarters de la version américaine, mais les USA, c’est tout de même un autre public, une autre densité de population. Finalement, contre toute attente, la campagne Dearg a fait mieux que les US.
CB : Pourquoi d’ailleurs être passé sur Ulule pour cette campagne ?
N : À cause de la réalité du monde de l’édition du JdR. Il est impossible de sortir un bouquin de cent pages tout en couleur sans passer par ce modèle de financement participatif. Notre référence en matière de résultat final, ce sont les campagnes Pathinder. On a essayé de s’aligner là-dessus, c’est-à-dire : scénario et aides de jeu, en plusieurs épisodes. Je suis fier des bouquins que l’on a fait. Mais c’est vrai que nous, on avait l’ambition de sortir une campagne sur un registre beaucoup plus haut de gamme [sic], avec une boîte, des aides de jeu imprimées, le bouquin en intégrale en couverture rigide, etc. Vous connaissez les chiffres du JdR. Sortir une campagne comme ça sur le circuit traditionnel, c’est du suicide économique. Alors on a décidé de faire un crowdfunding pour voir si on pouvait y arriver. On a fixé le palier à 15 000 €.
CB : Vous aviez envisagé dès l’origine les différents bonus du financement ?
N : On avait déjà l’idée de faire un nouvel album de musique d’ambiance. De rencontres en rencontres, je me suis retrouvé à discuter avec un chef d’orchestre lyonnais et on a commencé à parler d’enregistrer l’album de notre compositeur qui travaillait uniquement sur ordinateur. Il m’a raconté la réalité d’un enregistrement studio d’une heure avec un orchestre de soixante musiciens. Je lui ai dit que ça me ferait rêver de faire ça. Mais pour l’économie du jeu de rôle, c’était juste impossible de l’envisager. Avec le crowdfunding par contre, pourquoi pas ? Le palier pour l’enregistrement, on l’avait défini à 40 000 €. En comparaison, à l’époque, le Ulule d’Ars Magica avait fait 20 000 €. Finalement, on a dépassé les 40 000 € et le chef d’orchestre m’a dit : « si on fait l’enregistrement, il faut faire un concert ». J’ai trouvé ça génial. Et l’histoire a fait qu’on a même pu financer ce concert [NdlR : qui a eu lieu le 30 novembre 2013].
CB : Qu’est-ce que le succès des financements participatifs aux US et en France ont changé pour vous ?
N : Pour nous, en termes d’équipe, le succès du crowdfunding ne change pratiquement rien. Entre l’enregistrement et l’organisation du concert, on en a pour 25 à 30 000 €. Le reste de la somme obtenue, cela permet de financer l’édition limitée dont on rêvait au départ. Par contre, cela permet de façon encore plus transparente encore de rémunérer l’équipe. Tout le monde sait qu’on fait ça par passion. On reste dans le registre des droits d’auteur et j’ai toujours voulu que tout le monde soit sur un pied d’égalité vis-à-vis de cela. Avec la conscience très limpide qu’on va se payer un sandwich au bout de deux ans de travail, mais l’histoire montre, et c’est une fierté pour moi, que quand ça commence à vendre beaucoup, et bien les droits d’auteur ça commence à devenir intéressant. Quand tu ajoutes les livres en français, les livres en anglais, plus les PDF, en France ou aux US, on est à 5 ou 6 000 unités quand même. En trois ans évidemment.
CB : Pour être honnête, la rédaction a été très décontenancée par Dearg. C’est quelque chose d’assez différent de ce qu’on trouve habituellement dans les scénarios.
N : Pour moi, dire « c’est assez différent », « ça vous a décontenancé », c’est un compliment. Après est-ce que ça vous plaît ou pas, c’est autre chose. Ce que tu constates, c’est qu’on a essayé, sans vouloir réinventer le fil à couper le beurre, de faire quelque chose d’un peu particulier. On est très conscient que même parmi notre communauté, les gens vont se dire « C’est quoi ce truc ? », « Ils sont partis où les gars, là ? » (rires). Mais c’est vraiment assumé. On a la chance, grâce à Valentin, l’éditeur, d’avoir un propos et de pouvoir le porter sans aucune concession. Après, votre retour est intéressant et peut-être qu’au travers de ce premier épisode [NdlR : l’interview a été faite après la sortie du premier épisode de Dearg] on ne comprend pas bien encore de quoi il retourne. C’est assez étrange, c’est vrai, mais j’en suis assez content.
CB : Qu’es-ce qui vous a poussé dans cette direction particulière ?
N : La première volonté du premier épisode de la campagne, c’est de poser le décor, les pistes pour les meneurs, tout ça dans un esprit « bac à sable ». On part sur quelque chose de très classique : le village. Avec Esteren, notre volonté a toujours été de revisiter quelque chose de connu, mais en proposant quelque chose qui est « challengeant » pour les meneurs. Moi je suis un vieux meneur de D&D, donc je connais tout ça par cœur. On a essayé de transcender le genre à notre niveau, de proposer quelque chose d’intéressant. La deuxième volonté dans Dearg, ma question centrale dans l’écriture, c’est comment impliquer les joueurs dans l’histoire, avec la contrainte énorme de m’adresser à six cent MJ. Comment est-ce qu’on propose quelque chose d’impliquant pour chaque groupe à partir du même bouquin, alors que chaque groupe aura ses propres histoires ? Notre réponse à ce problème central, c’est de faire en quelque sorte l’apologie du dirigisme. Vous, à Casus, vous savez à quel point c’est décrié. Mais c’est complètement assumé. Pour moi, qu’est-ce qui est dénoncé dans le dirigisme ?
C’est de ne pas avoir de liberté d’action, en tant que joueur. C’est écrit à l’avance. Cela va à l’encontre du JdR où prime la liberté. Quand je dis apologie du dirigisme, c’est de la provocation évidemment. C’est vrai que les joueurs vont devoir le jouer pour s’en rendre compte, mais dans Dearg, l’enjeu ne se trouve pas dans le déroulé narratif, le « Qu’est-ce qui se passe dans l’histoire ». Ça, c’est plutôt du ressort du suspens, et le dirigisme va l’annihiler. Si je vous dis que nous allons jouer telle pièce de théâtre, c’est dirigiste. Mais l’intérêt narratif se situe ailleurs. Avec nos focus, on va demander aux joueurs de se positionner dans ce qui leur arrive, au niveau subjectif de leur personnage. Comment vont-ils incarner leur personnage à ce moment-là ? C’est vraiment cela l’intérêt. Et d’après nous, c’est une façon de répondre à l’implication des joueurs dans la campagne. Voilà des aventures dans lesquelles, pour vous impliquer, vous allez choisir un thème et une histoire que vous allez devoir intégrer à votre background. Ce que j’espère, c’est que les meneurs vont utiliser l’aide de jeu expliquant comment créer des focus pour leurs propres joueurs, en prenant exemple sur ceux de la campagne.
CB : L’approche des focus est très théâtrale finalement ?
N : Tout à fait. D’ailleurs, on est en train d’écrire les scripts de tous les seconds rôles pour faciliter la prise en main. Aujourd’hui, quand tu joues, on estime de façon implicite que chaque joueur est maître des émotions de son personnage. Par conséquence, on suppose que c’est très dirigiste que le MJ dise : « Là tu réagis mal et tu lui mets une claque ». Mais en fait, c’est hyper intéressant. Dans la réalité, l’être humain est passif par rapport à ses émotions. C’est quelque chose qui vient à toi, qui s’impose à toi. Quand vous vous réveillez le matin et que vous pensez à cette fille-là, vous n’avez pas le choix. On ne contrôle pas. En choisissant un focus, le joueur d’Esteren va s’imposer des choses. Quelqu’un qui se réveille et qui est obsédé par la vengeance, qu’est-ce qu’il fait avec ça ?
Je digresse, mais un joueur impliqué dans son personnage, il va faire des apartés avec le meneur. Le système des focus n’est que l’accentuation de ces apartés. C’est dans ces moments-là que le joueur va se concentrer sur son personnage et son implication dans le jeu. Le but de Dearg, c’est que chaque joueur, l’un après l’autre, ait droit à son focus. Le but de tout ça, c’est que dans le 3e et 4e épisode on revienne dans le temps présent. Et là, on va faire des scénarios classiques, dont certains sont playtestés depuis l’origine d’Esteren. Le but avec le focus sur l’histoire d’amour par exemple, c’est de faire en sorte que le joueur dont le personnage est amoureux de la fille se sente profondément impliqué quand celle-ci disparaît à la fin de la campagne. Les focus ne servent qu’à ça.
CB : Cela ne paraît pas évident pour les seconds rôles de graviter autour du personnage principal de chaque focus…
N : Ce n’est pas évident, c’est vrai. Le principe, c’est de se dire qu’il y a un personnage au centre de l’histoire, les autres devenant des co-meneurs de jeu. On détourne un peu les rôles. Dans les playtests, je m’en suis rendu compte : au début, les gens sont perdus ! Par exemple, prenons un second rôle, le père du personnage principal, alors enfant, qui met une rouste à ce dernier. Les autres joueurs autour de la table jouent le reste de la famille. Au début, ils se demandent quoi dire ou quoi faire. C’est là où, c’est étonnant, on retrouve une sorte de fébrilité, de maladresse, des tous débuts du JdR. On ne sait pas trop comment jouer. C’est assez énorme ! Et après, ils savent, ils improvisent complètement. On s’approche assez nettement des JdR avec narration partagé, des JdR avec meneur tournant, etc. De façon détournée, j’ai envie d’initier les gens à cela. C’est génial en terme d’expérience de jeu, surtout pour des joueurs un peu mature, y’a vraiment matière à s’éclater.
CB : La question que nous nous sommes posés, c’est de savoir si on ne s’écarte pas du JdR pour faire du théâtre, finalement ?
N : Quand tu poses la question, tu sous-entends beaucoup « pour les joueurs classiques ». Mais effectivement, les rôlistes ont plus de facilité et trouvent plus naturel certaines formes de mécanismes. C’est une réalité historique. J’espère qu’on arrivera à faire passer notre vision. Comme tu le disais plus tôt, les gens de la communauté sont assez décontenancés. Au final, ils entendent que tout cela n’empêche pas les points d’expérience et la progression. C’est juste que l’enjeu des focus de Dearg, l’adversaire, ce n’est pas celui de d’habitude, ce n’est pas le gros monstre. Il y a bel et bien un enjeu à surpasser, mais différent.
Nos meneurs à l’ancienne ont les mêmes remarques que vous, alors on essaie d’être pédagogique. Ils n’ont pas l’habitude de jouer comme on le leur propose et on doit leur expliquer. Leurs repères sont basés sur l’idée que le dramatique, c’est le suspense. Que le roleplay, c’est avoir le contrôle sur ses émotions. Mais nous, on remet tout ça en question. Ce qui nous a le plus étonné ? Quel est le public qui est le plus été réceptif le plus naturellement ? Ce sont les plus jeunes et les filles. Les filles notamment, parce qu’elles font du JdR par forum, en mode narratif pur, sans savoir que cela en est. Cela fait très longtemps qu’elles font de la narration partagé sur le Net, mais c’est totalement improvisé. Il y a des forums entiers avec dizaines de milliers de messages, que l’on pourrait aussi rapprocher des « fans-fictions ». Les enjeux narratifs qu’elles recherchent, chez nous, ils sont là. Bien sûr, on ne sait pas trop jusqu’où peut aller cette démarche, mais ce qui est beau, c’est que le crowdfunding nous a donné une liberté artistique totale là-dessus. Et puis si ça peut déjà donner des idées aux MJ pour leurs propres parties, c’est déjà une victoire !
CB : Merci à toi Nelyhann pour toutes ces précisions !
Nelyhann : On a été les premiers surpris par l’ampleur de ce qu’il s’est passé. Bien sûr on avait eu l’expérience des deux kickstarters de la version américaine, mais les USA, c’est tout de même un autre public, une autre densité de population. Finalement, contre toute attente, la campagne Dearg a fait mieux que les US.
CB : Pourquoi d’ailleurs être passé sur Ulule pour cette campagne ?
N : À cause de la réalité du monde de l’édition du JdR. Il est impossible de sortir un bouquin de cent pages tout en couleur sans passer par ce modèle de financement participatif. Notre référence en matière de résultat final, ce sont les campagnes Pathinder. On a essayé de s’aligner là-dessus, c’est-à-dire : scénario et aides de jeu, en plusieurs épisodes. Je suis fier des bouquins que l’on a fait. Mais c’est vrai que nous, on avait l’ambition de sortir une campagne sur un registre beaucoup plus haut de gamme [sic], avec une boîte, des aides de jeu imprimées, le bouquin en intégrale en couverture rigide, etc. Vous connaissez les chiffres du JdR. Sortir une campagne comme ça sur le circuit traditionnel, c’est du suicide économique. Alors on a décidé de faire un crowdfunding pour voir si on pouvait y arriver. On a fixé le palier à 15 000 €.
CB : Vous aviez envisagé dès l’origine les différents bonus du financement ?
N : On avait déjà l’idée de faire un nouvel album de musique d’ambiance. De rencontres en rencontres, je me suis retrouvé à discuter avec un chef d’orchestre lyonnais et on a commencé à parler d’enregistrer l’album de notre compositeur qui travaillait uniquement sur ordinateur. Il m’a raconté la réalité d’un enregistrement studio d’une heure avec un orchestre de soixante musiciens. Je lui ai dit que ça me ferait rêver de faire ça. Mais pour l’économie du jeu de rôle, c’était juste impossible de l’envisager. Avec le crowdfunding par contre, pourquoi pas ? Le palier pour l’enregistrement, on l’avait défini à 40 000 €. En comparaison, à l’époque, le Ulule d’Ars Magica avait fait 20 000 €. Finalement, on a dépassé les 40 000 € et le chef d’orchestre m’a dit : « si on fait l’enregistrement, il faut faire un concert ». J’ai trouvé ça génial. Et l’histoire a fait qu’on a même pu financer ce concert [NdlR : qui a eu lieu le 30 novembre 2013].
CB : Qu’est-ce que le succès des financements participatifs aux US et en France ont changé pour vous ?
N : Pour nous, en termes d’équipe, le succès du crowdfunding ne change pratiquement rien. Entre l’enregistrement et l’organisation du concert, on en a pour 25 à 30 000 €. Le reste de la somme obtenue, cela permet de financer l’édition limitée dont on rêvait au départ. Par contre, cela permet de façon encore plus transparente encore de rémunérer l’équipe. Tout le monde sait qu’on fait ça par passion. On reste dans le registre des droits d’auteur et j’ai toujours voulu que tout le monde soit sur un pied d’égalité vis-à-vis de cela. Avec la conscience très limpide qu’on va se payer un sandwich au bout de deux ans de travail, mais l’histoire montre, et c’est une fierté pour moi, que quand ça commence à vendre beaucoup, et bien les droits d’auteur ça commence à devenir intéressant. Quand tu ajoutes les livres en français, les livres en anglais, plus les PDF, en France ou aux US, on est à 5 ou 6 000 unités quand même. En trois ans évidemment.
CB : Pour être honnête, la rédaction a été très décontenancée par Dearg. C’est quelque chose d’assez différent de ce qu’on trouve habituellement dans les scénarios.
N : Pour moi, dire « c’est assez différent », « ça vous a décontenancé », c’est un compliment. Après est-ce que ça vous plaît ou pas, c’est autre chose. Ce que tu constates, c’est qu’on a essayé, sans vouloir réinventer le fil à couper le beurre, de faire quelque chose d’un peu particulier. On est très conscient que même parmi notre communauté, les gens vont se dire « C’est quoi ce truc ? », « Ils sont partis où les gars, là ? » (rires). Mais c’est vraiment assumé. On a la chance, grâce à Valentin, l’éditeur, d’avoir un propos et de pouvoir le porter sans aucune concession. Après, votre retour est intéressant et peut-être qu’au travers de ce premier épisode [NdlR : l’interview a été faite après la sortie du premier épisode de Dearg] on ne comprend pas bien encore de quoi il retourne. C’est assez étrange, c’est vrai, mais j’en suis assez content.
CB : Qu’es-ce qui vous a poussé dans cette direction particulière ?
N : La première volonté du premier épisode de la campagne, c’est de poser le décor, les pistes pour les meneurs, tout ça dans un esprit « bac à sable ». On part sur quelque chose de très classique : le village. Avec Esteren, notre volonté a toujours été de revisiter quelque chose de connu, mais en proposant quelque chose qui est « challengeant » pour les meneurs. Moi je suis un vieux meneur de D&D, donc je connais tout ça par cœur. On a essayé de transcender le genre à notre niveau, de proposer quelque chose d’intéressant. La deuxième volonté dans Dearg, ma question centrale dans l’écriture, c’est comment impliquer les joueurs dans l’histoire, avec la contrainte énorme de m’adresser à six cent MJ. Comment est-ce qu’on propose quelque chose d’impliquant pour chaque groupe à partir du même bouquin, alors que chaque groupe aura ses propres histoires ? Notre réponse à ce problème central, c’est de faire en quelque sorte l’apologie du dirigisme. Vous, à Casus, vous savez à quel point c’est décrié. Mais c’est complètement assumé. Pour moi, qu’est-ce qui est dénoncé dans le dirigisme ?
C’est de ne pas avoir de liberté d’action, en tant que joueur. C’est écrit à l’avance. Cela va à l’encontre du JdR où prime la liberté. Quand je dis apologie du dirigisme, c’est de la provocation évidemment. C’est vrai que les joueurs vont devoir le jouer pour s’en rendre compte, mais dans Dearg, l’enjeu ne se trouve pas dans le déroulé narratif, le « Qu’est-ce qui se passe dans l’histoire ». Ça, c’est plutôt du ressort du suspens, et le dirigisme va l’annihiler. Si je vous dis que nous allons jouer telle pièce de théâtre, c’est dirigiste. Mais l’intérêt narratif se situe ailleurs. Avec nos focus, on va demander aux joueurs de se positionner dans ce qui leur arrive, au niveau subjectif de leur personnage. Comment vont-ils incarner leur personnage à ce moment-là ? C’est vraiment cela l’intérêt. Et d’après nous, c’est une façon de répondre à l’implication des joueurs dans la campagne. Voilà des aventures dans lesquelles, pour vous impliquer, vous allez choisir un thème et une histoire que vous allez devoir intégrer à votre background. Ce que j’espère, c’est que les meneurs vont utiliser l’aide de jeu expliquant comment créer des focus pour leurs propres joueurs, en prenant exemple sur ceux de la campagne.
CB : L’approche des focus est très théâtrale finalement ?
N : Tout à fait. D’ailleurs, on est en train d’écrire les scripts de tous les seconds rôles pour faciliter la prise en main. Aujourd’hui, quand tu joues, on estime de façon implicite que chaque joueur est maître des émotions de son personnage. Par conséquence, on suppose que c’est très dirigiste que le MJ dise : « Là tu réagis mal et tu lui mets une claque ». Mais en fait, c’est hyper intéressant. Dans la réalité, l’être humain est passif par rapport à ses émotions. C’est quelque chose qui vient à toi, qui s’impose à toi. Quand vous vous réveillez le matin et que vous pensez à cette fille-là, vous n’avez pas le choix. On ne contrôle pas. En choisissant un focus, le joueur d’Esteren va s’imposer des choses. Quelqu’un qui se réveille et qui est obsédé par la vengeance, qu’est-ce qu’il fait avec ça ?
Je digresse, mais un joueur impliqué dans son personnage, il va faire des apartés avec le meneur. Le système des focus n’est que l’accentuation de ces apartés. C’est dans ces moments-là que le joueur va se concentrer sur son personnage et son implication dans le jeu. Le but de Dearg, c’est que chaque joueur, l’un après l’autre, ait droit à son focus. Le but de tout ça, c’est que dans le 3e et 4e épisode on revienne dans le temps présent. Et là, on va faire des scénarios classiques, dont certains sont playtestés depuis l’origine d’Esteren. Le but avec le focus sur l’histoire d’amour par exemple, c’est de faire en sorte que le joueur dont le personnage est amoureux de la fille se sente profondément impliqué quand celle-ci disparaît à la fin de la campagne. Les focus ne servent qu’à ça.
CB : Cela ne paraît pas évident pour les seconds rôles de graviter autour du personnage principal de chaque focus…
N : Ce n’est pas évident, c’est vrai. Le principe, c’est de se dire qu’il y a un personnage au centre de l’histoire, les autres devenant des co-meneurs de jeu. On détourne un peu les rôles. Dans les playtests, je m’en suis rendu compte : au début, les gens sont perdus ! Par exemple, prenons un second rôle, le père du personnage principal, alors enfant, qui met une rouste à ce dernier. Les autres joueurs autour de la table jouent le reste de la famille. Au début, ils se demandent quoi dire ou quoi faire. C’est là où, c’est étonnant, on retrouve une sorte de fébrilité, de maladresse, des tous débuts du JdR. On ne sait pas trop comment jouer. C’est assez énorme ! Et après, ils savent, ils improvisent complètement. On s’approche assez nettement des JdR avec narration partagé, des JdR avec meneur tournant, etc. De façon détournée, j’ai envie d’initier les gens à cela. C’est génial en terme d’expérience de jeu, surtout pour des joueurs un peu mature, y’a vraiment matière à s’éclater.
CB : La question que nous nous sommes posés, c’est de savoir si on ne s’écarte pas du JdR pour faire du théâtre, finalement ?
N : Quand tu poses la question, tu sous-entends beaucoup « pour les joueurs classiques ». Mais effectivement, les rôlistes ont plus de facilité et trouvent plus naturel certaines formes de mécanismes. C’est une réalité historique. J’espère qu’on arrivera à faire passer notre vision. Comme tu le disais plus tôt, les gens de la communauté sont assez décontenancés. Au final, ils entendent que tout cela n’empêche pas les points d’expérience et la progression. C’est juste que l’enjeu des focus de Dearg, l’adversaire, ce n’est pas celui de d’habitude, ce n’est pas le gros monstre. Il y a bel et bien un enjeu à surpasser, mais différent.
Nos meneurs à l’ancienne ont les mêmes remarques que vous, alors on essaie d’être pédagogique. Ils n’ont pas l’habitude de jouer comme on le leur propose et on doit leur expliquer. Leurs repères sont basés sur l’idée que le dramatique, c’est le suspense. Que le roleplay, c’est avoir le contrôle sur ses émotions. Mais nous, on remet tout ça en question. Ce qui nous a le plus étonné ? Quel est le public qui est le plus été réceptif le plus naturellement ? Ce sont les plus jeunes et les filles. Les filles notamment, parce qu’elles font du JdR par forum, en mode narratif pur, sans savoir que cela en est. Cela fait très longtemps qu’elles font de la narration partagé sur le Net, mais c’est totalement improvisé. Il y a des forums entiers avec dizaines de milliers de messages, que l’on pourrait aussi rapprocher des « fans-fictions ». Les enjeux narratifs qu’elles recherchent, chez nous, ils sont là. Bien sûr, on ne sait pas trop jusqu’où peut aller cette démarche, mais ce qui est beau, c’est que le crowdfunding nous a donné une liberté artistique totale là-dessus. Et puis si ça peut déjà donner des idées aux MJ pour leurs propres parties, c’est déjà une victoire !
CB : Merci à toi Nelyhann pour toutes ces précisions !
Propos recueillis par Damien Cotice
Extrait de Casus Belli n°8 Novembre – Décembre 2013 publier chez BBE
Extrait de Casus Belli n°8 Novembre – Décembre 2013 publier chez BBE
1 - Nelyhann’s Digest
Avant de participer activement au projet des Ombres d’Esteren en compagnie de l’association ForgeSonges, Nelyhann a débuté dans le jeu de rôle comme illustrateurs pour des jeux confidentiels, comme Essentia, puis pour Aventures dans les mondes intérieurs chez La Boîte à Polpette et les Ludopathes ensuite, ou Labyrinth de chez Icare éditions. Aujourd’hui, il travaille uniquement pour Les Ombres d’Esteren.
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
Hual Bouffeur d'Ecume
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Re: entretien avec...
Entretien avec Laurent Trémel pour Universom
Casus Belli : D’où est venue l’idée d’un système générique alors qu’il existait déjà de nombreux systèmes de jeu ? Pourquoi, notamment, ne pas être parti de celui de Zone ?
Laurent Tremel : Il fallait créer pour ce produit une identité propre, d’où un système de règles spécifique, pouvant simuler des combats, avec différentes armes, simuler différentes actions, les effets de la magie, des pouvoirs psy, etc. Ce projet, quoique publié quelques mois plus tard, s’est développé parallèlement à Zone.
CB : Est-ce vous qui avez amené votre système et l’univers à Siroz ou les connaissiez-vous d’avant ?
LT : Siroz Productions — la SCS « Théry-Bouchaud et Cie » à ses débuts — a été créée par cinq personnes : Éric Bouchaud et Nicolas Théry, qui détenaient l’essentiel des parts de la société, ainsi que trois autres personnes : Olivier Zamora, Marc Nunès et moi-même.
Nous étions pour la plupart des joueurs de jeux de rôle « historiques » (ayant commencé au tout début des années 1980), membres d’une association importante créée en région parisienne en 1984 : le « 20 Naturel ». Nous avons développé ces jeux dans le cadre des activités du « 20 Naturel » en tant « qu’amateurs », puis décidé de créer une structure commerciale pour les publier. Il s’agissait souvent d’œuvres collectives, travaillées par plusieurs personnes.
CB : Est-ce qu’Altar était votre système maison ? Ou faisiez-vous déjà jouer vos campagnes depuis longtemps avec le système Universom ?
LT : Altar a été créé spécifiquement pour Silrin et Koros. Universom était un concept commercial : un jeu pas cher et en quelque sorte « jetable » ; au travers du scénario, les bases de l’univers se trouvaient radicalement modifiées (dans Koros, par exemple, vous faites chuter l’empereur...).
CB : Est-ce que vous pouvez décrire la genèse de Silrin en quelques lignes ? Quel fut le premier monde que vous avez développé, Silrin ou Koros ? Qu’en est-il de Whog Shrog et de Berlin XVIII ?
LT : Différentes personnes étaient impliquées dans différents jeux. Moi, c’était principalement Silrin et Koros (avec son supplément Thryra).
J’étais auteur secondaire sur Berlin XVIII et j’ai un peu travaillé sur Whog Shrog. Silrin et Koros ont été conçus en même temps : ce sont des planètes du système Altar et d’autres « mondes » étaient prévus. Nous voulions développer des jeux de rôle « adultes », quelque part critiques par rapport aux productions d’alors du type Donjons et Dragons. Zone met en scène des marginaux, et dans Silrin et Koros, je commençais à appliquer ce que je retenais des cours de socio que je recevais à la fac. Je pense que j’ai été influencé par les Sciences Sociales et la série Star Trek qui mettait en scène d’autres cultures, avec ses logiques propres, d’où le sous-titre d’Universom : « D’autres mondes, d’autres galaxies ». Le but était d’incarner des personnages avec une idéologie propre (souvent contestable), découvrant au travers du scénario d’autres « logiques », d’autres mondes, d’autres peuples. Dans Silrin, les personnages sont des humanoïdes ailés d’une caste dominante moyenâgeuse chassant des « primitifs » et méprisant le « peuple ». Au travers du scénario, ils rencontrent des humains maîtrisant une technologie plus avancée et ce sont eux qui deviennent les « sauvages », en découvrant au pas-sage que leurs « dieux » étaient les ancêtres de ces colons humains venus explorer la planète et ayant abandonné quelques objets qu’ils ont pris pour des reliques...
CB : Aviez-vous vraiment prévu de sortir un supplément de monde sous cette forme tous les mois (ce qui est mentionné dans Koros) ou tous les deux mois ? Aviez-vous du matériel d’avance ? Pourquoi ne pas avoir continué ?
LT : Oui, il y avait beaucoup de joueurs plein d’idées au sein de l’association « 20 naturel » et nous aurions pu assurer cette production. Hélas, le succès escompté ne fut pas au rendez-vous (sans doute à cause de la présentation « cheap » des jeux...) et on revint rapidement à des formes de commercialisation plus classiques autour de produits « phares » tels que Berlin XVIII et Whog Shrog. Au fil des mois qui passèrent, « Théry-Bouchaud et Cie » s’endetta beaucoup (salaires, investissements, publicités dans les magazines, etc.) ce qui fait que la société déposa son bilan et se transforma en Idéojeux. Éric Bouchaud et Nicolas Théry abandonnèrent ce secteur d’activité, moi aussi, quelque temps avant d’ailleurs, et indépendamment de ces problèmes financiers. Intéressé par mes études, je m’étais peu à peu désinvesti du monde des jeux de rôle.
Laurent Tremel : Il fallait créer pour ce produit une identité propre, d’où un système de règles spécifique, pouvant simuler des combats, avec différentes armes, simuler différentes actions, les effets de la magie, des pouvoirs psy, etc. Ce projet, quoique publié quelques mois plus tard, s’est développé parallèlement à Zone.
CB : Est-ce vous qui avez amené votre système et l’univers à Siroz ou les connaissiez-vous d’avant ?
LT : Siroz Productions — la SCS « Théry-Bouchaud et Cie » à ses débuts — a été créée par cinq personnes : Éric Bouchaud et Nicolas Théry, qui détenaient l’essentiel des parts de la société, ainsi que trois autres personnes : Olivier Zamora, Marc Nunès et moi-même.
Nous étions pour la plupart des joueurs de jeux de rôle « historiques » (ayant commencé au tout début des années 1980), membres d’une association importante créée en région parisienne en 1984 : le « 20 Naturel ». Nous avons développé ces jeux dans le cadre des activités du « 20 Naturel » en tant « qu’amateurs », puis décidé de créer une structure commerciale pour les publier. Il s’agissait souvent d’œuvres collectives, travaillées par plusieurs personnes.
CB : Est-ce qu’Altar était votre système maison ? Ou faisiez-vous déjà jouer vos campagnes depuis longtemps avec le système Universom ?
LT : Altar a été créé spécifiquement pour Silrin et Koros. Universom était un concept commercial : un jeu pas cher et en quelque sorte « jetable » ; au travers du scénario, les bases de l’univers se trouvaient radicalement modifiées (dans Koros, par exemple, vous faites chuter l’empereur...).
CB : Est-ce que vous pouvez décrire la genèse de Silrin en quelques lignes ? Quel fut le premier monde que vous avez développé, Silrin ou Koros ? Qu’en est-il de Whog Shrog et de Berlin XVIII ?
LT : Différentes personnes étaient impliquées dans différents jeux. Moi, c’était principalement Silrin et Koros (avec son supplément Thryra).
J’étais auteur secondaire sur Berlin XVIII et j’ai un peu travaillé sur Whog Shrog. Silrin et Koros ont été conçus en même temps : ce sont des planètes du système Altar et d’autres « mondes » étaient prévus. Nous voulions développer des jeux de rôle « adultes », quelque part critiques par rapport aux productions d’alors du type Donjons et Dragons. Zone met en scène des marginaux, et dans Silrin et Koros, je commençais à appliquer ce que je retenais des cours de socio que je recevais à la fac. Je pense que j’ai été influencé par les Sciences Sociales et la série Star Trek qui mettait en scène d’autres cultures, avec ses logiques propres, d’où le sous-titre d’Universom : « D’autres mondes, d’autres galaxies ». Le but était d’incarner des personnages avec une idéologie propre (souvent contestable), découvrant au travers du scénario d’autres « logiques », d’autres mondes, d’autres peuples. Dans Silrin, les personnages sont des humanoïdes ailés d’une caste dominante moyenâgeuse chassant des « primitifs » et méprisant le « peuple ». Au travers du scénario, ils rencontrent des humains maîtrisant une technologie plus avancée et ce sont eux qui deviennent les « sauvages », en découvrant au pas-sage que leurs « dieux » étaient les ancêtres de ces colons humains venus explorer la planète et ayant abandonné quelques objets qu’ils ont pris pour des reliques...
CB : Aviez-vous vraiment prévu de sortir un supplément de monde sous cette forme tous les mois (ce qui est mentionné dans Koros) ou tous les deux mois ? Aviez-vous du matériel d’avance ? Pourquoi ne pas avoir continué ?
LT : Oui, il y avait beaucoup de joueurs plein d’idées au sein de l’association « 20 naturel » et nous aurions pu assurer cette production. Hélas, le succès escompté ne fut pas au rendez-vous (sans doute à cause de la présentation « cheap » des jeux...) et on revint rapidement à des formes de commercialisation plus classiques autour de produits « phares » tels que Berlin XVIII et Whog Shrog. Au fil des mois qui passèrent, « Théry-Bouchaud et Cie » s’endetta beaucoup (salaires, investissements, publicités dans les magazines, etc.) ce qui fait que la société déposa son bilan et se transforma en Idéojeux. Éric Bouchaud et Nicolas Théry abandonnèrent ce secteur d’activité, moi aussi, quelque temps avant d’ailleurs, et indépendamment de ces problèmes financiers. Intéressé par mes études, je m’étais peu à peu désinvesti du monde des jeux de rôle.
Propos recueillis par Géraud « myvyrrian » G.
Extrait de Casus Belli n°8 Novembre – Décembre 2013 publier chez BBE
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Dernière édition par LinksLeChat le Mer 26 Fév - 9:48, édité 1 fois
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
Hual Bouffeur d'Ecume
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Date d'inscription : 08/03/2012
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Localisation : là où le vent me porte
Re: entretien avec...
Quand Predator rencontre l’inspecteur Harry
1987. Laurent Trémel et la Siroz « Dream Team » proposent un concept inédit sur la scène rolistique française : un système générique dopé par un nouvel univers de jeu tous les mois. Bien que le concept se soit rapidement essoufflé, il a permis la parution d’univers hauts en couleur. Notamment Whog Shrog qui, allant à l’encontre du politiquement correct, fit longtemps parler de lui autant pour ses choix graphiques discutables que pour la façon dont ses thèmes étaient abordés. Retour sur ces jeux qui ont fait la gloire des premiers jours de Siroz. À ne pas placer entre toutes les mains !
Après l’excellent Zone, la jeune équipe de Siroz, menée par Nicolas Thery et Éric Bouchaud, entreprend un projet ambitieux : chaque mois, une pochette écran avec trois livrets — règles, univers, scénario. L’idée est alléchante. Un nouveau bac à sable S-F dans lequel les PJ peuvent s’ébattre grâce à un système commun et adaptable que le Maître de jeu peut aisément prendre en main grâce au scénario fourni. Un univers « jetable », que le scénario propose de chambouler profondément. Les personnages ont ici une influence capitale sur le devenir du monde, et ce, dès leur première aventure.
Universom est un concept qui rappelle le modèle de GURPS ( rappelons au passage que la 3e édition de GURPS fut éditée par SIROZ en 1994 ), mais il se présente sous une forme plus « accessible ». Une vingtaine de minutes suffit pour le lire et l’assimiler, même en tant que MJ débutant. Étrange paradoxe quand on considère combien les univers décrits ne sont pas destinés aux rôlistes non-initiés.
Universom, d’autres mondes, d’autres galaxies…
Honnêtement, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas relu tout ce matériel. Le souvenir de Whog Shrog et le bruit des scies circulaires en tête, un album de Metallica dans les oreilles (pour l’ambiance), je me lance la bave aux lèvres. Je ressors les livres, jette un œil circonspect aux couvertures. Hum, je me souvenais que celle de Whog Shrog faisait mal aux yeux mais finalement ce n’est pas la seule. Je commence à feuilleter le livret de règles.
Décrit sur une vingtaine de pages, le système se maîtrise vraiment sans peine : une dizaine de caractéristiques classiques (évaluées sur 20), des compétences sous forme de pourcentage, le tout modifié par les races/ethnies/métiers. On ne s’éloigne guère du BRP en somme, ce qui n’est pas pour me déplaire (j’assume mon affection pour le système Basic). Les règles faisant la part belle au combat et aux blessures, on ne peut s’empêcher d’avoir un a priori sur le type de jeux et de scénarios attendus. La gamme Universom paraît s’inscrire dans une optique de « déffoulâge », assumée ou non. On sent la transpiration et les lots de testostérone poindre au travers des pages et des illustrations. Et pourtant.
Sur Silrin, mange ou tais-toi
Premier de la série, Silrin introduit succinctement le système solaire d’Altar. Il nous fait atterrir sur sa troisième planète, une zone tampon entre Koros, berceau du « Royaume » humain, et un ensemble de planètes sous le joug des Tryrhans, des humanoïdes géants et velus leur faisant la guerre. On entend déjà le claquement des armes lourdes et les cris des innocents. La réalité est pourtant toute autre, car après une longue période de conflits, cette planète est devenue une zone neutre, délaissée par les deux camps (pas même un avant-poste caché !). Cet environnement singulier, tiraillé entre les belligérants, donne le potentiel adéquat pour des scénarios disparates.
D’un côté, il y a les « Gros », descendants des colons de Koros, au mode de vie basé sur l’oisiveté, la gastronomie et les plaisirs de la chair (la vie quoi !). Reclus dans une cité inexpugnable, ils survivent grâce à une armée de robots s’occupant de tout. Une Imrryr en moins glamour… De l’autre côté, il y a les « Rebelles », des humains s’étant émancipés. Refusant la « Corpulocratie » malsaine édictée par le premier camp, ils ont conquis le reste de la planète. Ou presque. Car d’autres peuplades remplissent les espaces laissés vacants : les Keydils, gros rongeurs zens et pacifistes vivant sous terre ; les Celnaks, société moyenâgeuse d’« elfes ailés » se pensant la race supérieure ; et enfin les Morkors, hommes préhistoriques animistes vivant en communion avec la nature. Ajoutez une faune bigarrée qui évolue dans ce joyeux capharnaüm et les idées de scénarios pleuvent vite.
Des missions d’explorations ou de récupération de ressources jusqu’aux missions d’infiltration ou aux intrigues politiques, on peut composer quasiment tout. Ces divers éléments se retrouvent dans le long scénario qui conduit les personnages, des « Celnaks », à rechercher trois reliques issues d’un lointain passé… Conflit de cultures et remise en question des idéologies seront au rendez-vous.
L’Empereur est mort, longue vie à l’Empereur
Point central d’Altar, Koros est la planète d’origine des colons partis à la conquête des autres planètes (dont Silrin). C’est là que la civilisation Kharène est née, ou plutôt sur une des douze lunes de Koros, Khara. Devenue un vrai petit paradis, cette dernière est le bastion des prêtres d’Elen-kar, le Créateur du Monde. Les autres lunes décrites présentent divers types de personnages qu’il est possible d’incarner dans la lutte sans fin contre les Tryrhans. Le Roi, un fervent athée, siège sur Zerig Alpha. Dans le but de supplanter les prêtres, il n’a de cesse d’accroître ses pouvoirs mentaux par le biais de puissantes drogues laissant des séquelles physiques majeures. L’ordre des Chevaliers de Zérig, qui dissimulent leur physique perverti sous des robes noires, est le fer de lance de cette lutte et de cette toxicomanie. Les autres lunes, moins attrayantes d’un point de vue ludique (même si l’armée de femmes de Zérig Béta est une invitation à l’enrôlement), permettent de dresser le panorama complet de Koros. Quant au scénario fourni, il laisse un étrange sentiment de linéarité même si l’idée de défaire l’Empereur et de changer la face du monde reste indéniablement séduisante.
Alors qu’on aurait pu s’attendre à un environnement de jeu bien plus riche avec Koros, Silrin remporte le match haut la main. D’autant qu’il faut s’équiper du supplément Tryrha pour découvrir les principaux opposants aux Kharènes. L’intérêt devient réel avec ce supplément. Si l’on imagine de prime abord ces velus comme primitifs et dénués de toutes singularités, leur histoire et leur culture, ballotées entre immobilisme naturel et avancées technologiques, se révèlent porteuses d’un éventail d’idées de scénarios transposables aussi bien sur Tryrha (comme le propose le livre) que dans le reste du système Altar.
T’as envie de jouer un predator toi, non ?
Je le vois bien depuis le début. Le gros costaud de deux mètres avec les scies circulaires au bout des bras et le détonateur thermonucléaire te fait de l’œil. Tu rêves de pouvoir rouler des mécaniques dans ta belle armure de combat moulée sur mesure. Tu baves à l’idée de traverser les étendues galactiques au service du Boucher de l’Univers, semant mort et destruction dans ton sillage. Si en plus tu peux consteller les systèmes solaires de ton engeance, tu seras le plus heureux des papas Whog Shrog. Enrôle-toi et tout ça sera à toi, y compris les femmes aux trois toisons de Snuff. Mais prends garde à ne pas laisser ta part d’humanité prendre le dessus : peur, amitié, ou pire, amour, pitié, autant de périls qui te guettent, tapis au détour d’un carnage. Car les Whog Shrog ne sont pas que des bêtes !
Le livre de base dépeint un univers en proie aux exactions du Boucher de l’Univers par l’intermédiaire de ses redoutés Whog Shrog, troupes de choc incarnées par les joueurs, que le puissant Empire de Sunrith : dirigé officieusement par une entité supérieure malade, le Melmoth, conglomérat omnipotent des esprits morts d’êtres d’exception. Essaie tant bien que mal de juguler. Difficilement, car il exerce son contrôle sur des centaines de planètes dont les plus éloignées sont naturellement les moins surveillées. Sans parler des Conins, zone touchée par la récession de l’Univers et se mourant à petit feu, de l’Archipel, méli-mélo de civilisations et de races exubérantes, ou encore de la Confédération Azuréenne, parsemée de citées somptueuses, royaume du beau.
Des pistes de jeu à foison
Même si la lutte entre la Boucherie et l’empire de Sunrith promet des scénarios mémorables (tueries, massacres et étripages en règles), la richesse du monde permet d’envisager bien d’autres choses, en particulier grâce aux « Loks », ennemis mortels des Whog Shrog. Les super méchants des méchants sont ici largement à la hauteur de vos PJ bodybuildés et suréquipés ! Un Lok peut ainsi servir de fil rouge sur plusieurs scénarios et être ce fameux big boss de fin de niveau que l’on n’arrive jamais à battre. Plusieurs exemples sont fournis : Deshraken, ancien Whog Shrog ayant juré la mort de tous les autres ; Aza Krell le fossoyeur, cyborg doté de formidables pouvoirs et se nourrissant de l’énergie stellaire, conçu par les Sentinels pour exécuter tous les déviants moraux enlaidissant la création ;ou encore la Grosse Juju, devineresse polymorphe qui ne supporte pas que le Boucher de l’Univers passe au travers de ses trames prescientes.
Autre source de scénario, l’ordre du Temple. Reclus au sein de grandes pyramides jalonnant l’univers, il aurait pour origine la « Franc- Maçonnerie, secte vaguement religieuse aux origines obscures ».
Avides de connaissances, les prêtres furent les premiers conquérants de l’espace et, malgré des périodes troublées, possèdent à ce jour la technologie la plus avancée de l’univers. Sans compter leurs pouvoirs Psi (un peu trop puissants pour ne pas déséquilibrer le monde) et leur capacité à communiquer avec l’Anti-Univers où vivent les Anti-Légions, réservoir militaire inépuisable dans la lutte contre les Whog Shrog. Cette institution est parfaitement susceptible de fournir la matière pour de scénarios (secrets des pyramides, vraies origines du Temple, son but caché, etc).
Enfin, des races extra-terrestres amènent un peu de piquant : les Cheers, humanoïdes à tête de caméléon dont la cruauté n’a d’égale que celle des Whog Shrog ; les Darbarians, adorables boules de poils capables des pires excès de violence ; les Azuréens, esthètes détachés du monde à la recherche incessante du beau ; les Maraudeurs, voyageurs infatigables ;les Snifsniffs, techniciens hors pair à tête de canard ; les Sentinels, cyborgs garant des « Lois de la Vie » et ne vivant qu’à travers des dogmes inaliénables ; ou encore les Thunderzards, des humanoïdes reptiliens primitifs. Bien évidemment, compte tenu de l’immensité de l’univers, la variété des races n’a de limite que votre imagination.
En résumé, et même si le background est une nouvelle fois assez succinct, des dizaines d’idées de scénarios fusent à la lecture de l’ouvrage et du supplément. Avec un peu d’investissement de la part du MJ, que ce soit pour modifier ou retravailler les scénarios ou pour créer les siens, Whog Shrog présente un énorme potentiel qui permet de jouer sur la durée sans tomber systématiquement dans les clichés. Vous auriez tort de vous en priver.
1987. Laurent Trémel et la Siroz « Dream Team » proposent un concept inédit sur la scène rolistique française : un système générique dopé par un nouvel univers de jeu tous les mois. Bien que le concept se soit rapidement essoufflé, il a permis la parution d’univers hauts en couleur. Notamment Whog Shrog qui, allant à l’encontre du politiquement correct, fit longtemps parler de lui autant pour ses choix graphiques discutables que pour la façon dont ses thèmes étaient abordés. Retour sur ces jeux qui ont fait la gloire des premiers jours de Siroz. À ne pas placer entre toutes les mains !
Après l’excellent Zone, la jeune équipe de Siroz, menée par Nicolas Thery et Éric Bouchaud, entreprend un projet ambitieux : chaque mois, une pochette écran avec trois livrets — règles, univers, scénario. L’idée est alléchante. Un nouveau bac à sable S-F dans lequel les PJ peuvent s’ébattre grâce à un système commun et adaptable que le Maître de jeu peut aisément prendre en main grâce au scénario fourni. Un univers « jetable », que le scénario propose de chambouler profondément. Les personnages ont ici une influence capitale sur le devenir du monde, et ce, dès leur première aventure.
Universom est un concept qui rappelle le modèle de GURPS ( rappelons au passage que la 3e édition de GURPS fut éditée par SIROZ en 1994 ), mais il se présente sous une forme plus « accessible ». Une vingtaine de minutes suffit pour le lire et l’assimiler, même en tant que MJ débutant. Étrange paradoxe quand on considère combien les univers décrits ne sont pas destinés aux rôlistes non-initiés.
Universom, d’autres mondes, d’autres galaxies…
Honnêtement, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas relu tout ce matériel. Le souvenir de Whog Shrog et le bruit des scies circulaires en tête, un album de Metallica dans les oreilles (pour l’ambiance), je me lance la bave aux lèvres. Je ressors les livres, jette un œil circonspect aux couvertures. Hum, je me souvenais que celle de Whog Shrog faisait mal aux yeux mais finalement ce n’est pas la seule. Je commence à feuilleter le livret de règles.
Décrit sur une vingtaine de pages, le système se maîtrise vraiment sans peine : une dizaine de caractéristiques classiques (évaluées sur 20), des compétences sous forme de pourcentage, le tout modifié par les races/ethnies/métiers. On ne s’éloigne guère du BRP en somme, ce qui n’est pas pour me déplaire (j’assume mon affection pour le système Basic). Les règles faisant la part belle au combat et aux blessures, on ne peut s’empêcher d’avoir un a priori sur le type de jeux et de scénarios attendus. La gamme Universom paraît s’inscrire dans une optique de « déffoulâge », assumée ou non. On sent la transpiration et les lots de testostérone poindre au travers des pages et des illustrations. Et pourtant.
Sur Silrin, mange ou tais-toi
Premier de la série, Silrin introduit succinctement le système solaire d’Altar. Il nous fait atterrir sur sa troisième planète, une zone tampon entre Koros, berceau du « Royaume » humain, et un ensemble de planètes sous le joug des Tryrhans, des humanoïdes géants et velus leur faisant la guerre. On entend déjà le claquement des armes lourdes et les cris des innocents. La réalité est pourtant toute autre, car après une longue période de conflits, cette planète est devenue une zone neutre, délaissée par les deux camps (pas même un avant-poste caché !). Cet environnement singulier, tiraillé entre les belligérants, donne le potentiel adéquat pour des scénarios disparates.
D’un côté, il y a les « Gros », descendants des colons de Koros, au mode de vie basé sur l’oisiveté, la gastronomie et les plaisirs de la chair (la vie quoi !). Reclus dans une cité inexpugnable, ils survivent grâce à une armée de robots s’occupant de tout. Une Imrryr en moins glamour… De l’autre côté, il y a les « Rebelles », des humains s’étant émancipés. Refusant la « Corpulocratie » malsaine édictée par le premier camp, ils ont conquis le reste de la planète. Ou presque. Car d’autres peuplades remplissent les espaces laissés vacants : les Keydils, gros rongeurs zens et pacifistes vivant sous terre ; les Celnaks, société moyenâgeuse d’« elfes ailés » se pensant la race supérieure ; et enfin les Morkors, hommes préhistoriques animistes vivant en communion avec la nature. Ajoutez une faune bigarrée qui évolue dans ce joyeux capharnaüm et les idées de scénarios pleuvent vite.
Des missions d’explorations ou de récupération de ressources jusqu’aux missions d’infiltration ou aux intrigues politiques, on peut composer quasiment tout. Ces divers éléments se retrouvent dans le long scénario qui conduit les personnages, des « Celnaks », à rechercher trois reliques issues d’un lointain passé… Conflit de cultures et remise en question des idéologies seront au rendez-vous.
L’Empereur est mort, longue vie à l’Empereur
Point central d’Altar, Koros est la planète d’origine des colons partis à la conquête des autres planètes (dont Silrin). C’est là que la civilisation Kharène est née, ou plutôt sur une des douze lunes de Koros, Khara. Devenue un vrai petit paradis, cette dernière est le bastion des prêtres d’Elen-kar, le Créateur du Monde. Les autres lunes décrites présentent divers types de personnages qu’il est possible d’incarner dans la lutte sans fin contre les Tryrhans. Le Roi, un fervent athée, siège sur Zerig Alpha. Dans le but de supplanter les prêtres, il n’a de cesse d’accroître ses pouvoirs mentaux par le biais de puissantes drogues laissant des séquelles physiques majeures. L’ordre des Chevaliers de Zérig, qui dissimulent leur physique perverti sous des robes noires, est le fer de lance de cette lutte et de cette toxicomanie. Les autres lunes, moins attrayantes d’un point de vue ludique (même si l’armée de femmes de Zérig Béta est une invitation à l’enrôlement), permettent de dresser le panorama complet de Koros. Quant au scénario fourni, il laisse un étrange sentiment de linéarité même si l’idée de défaire l’Empereur et de changer la face du monde reste indéniablement séduisante.
Alors qu’on aurait pu s’attendre à un environnement de jeu bien plus riche avec Koros, Silrin remporte le match haut la main. D’autant qu’il faut s’équiper du supplément Tryrha pour découvrir les principaux opposants aux Kharènes. L’intérêt devient réel avec ce supplément. Si l’on imagine de prime abord ces velus comme primitifs et dénués de toutes singularités, leur histoire et leur culture, ballotées entre immobilisme naturel et avancées technologiques, se révèlent porteuses d’un éventail d’idées de scénarios transposables aussi bien sur Tryrha (comme le propose le livre) que dans le reste du système Altar.
T’as envie de jouer un predator toi, non ?
Je le vois bien depuis le début. Le gros costaud de deux mètres avec les scies circulaires au bout des bras et le détonateur thermonucléaire te fait de l’œil. Tu rêves de pouvoir rouler des mécaniques dans ta belle armure de combat moulée sur mesure. Tu baves à l’idée de traverser les étendues galactiques au service du Boucher de l’Univers, semant mort et destruction dans ton sillage. Si en plus tu peux consteller les systèmes solaires de ton engeance, tu seras le plus heureux des papas Whog Shrog. Enrôle-toi et tout ça sera à toi, y compris les femmes aux trois toisons de Snuff. Mais prends garde à ne pas laisser ta part d’humanité prendre le dessus : peur, amitié, ou pire, amour, pitié, autant de périls qui te guettent, tapis au détour d’un carnage. Car les Whog Shrog ne sont pas que des bêtes !
Le livre de base dépeint un univers en proie aux exactions du Boucher de l’Univers par l’intermédiaire de ses redoutés Whog Shrog, troupes de choc incarnées par les joueurs, que le puissant Empire de Sunrith : dirigé officieusement par une entité supérieure malade, le Melmoth, conglomérat omnipotent des esprits morts d’êtres d’exception. Essaie tant bien que mal de juguler. Difficilement, car il exerce son contrôle sur des centaines de planètes dont les plus éloignées sont naturellement les moins surveillées. Sans parler des Conins, zone touchée par la récession de l’Univers et se mourant à petit feu, de l’Archipel, méli-mélo de civilisations et de races exubérantes, ou encore de la Confédération Azuréenne, parsemée de citées somptueuses, royaume du beau.
Des pistes de jeu à foison
Même si la lutte entre la Boucherie et l’empire de Sunrith promet des scénarios mémorables (tueries, massacres et étripages en règles), la richesse du monde permet d’envisager bien d’autres choses, en particulier grâce aux « Loks », ennemis mortels des Whog Shrog. Les super méchants des méchants sont ici largement à la hauteur de vos PJ bodybuildés et suréquipés ! Un Lok peut ainsi servir de fil rouge sur plusieurs scénarios et être ce fameux big boss de fin de niveau que l’on n’arrive jamais à battre. Plusieurs exemples sont fournis : Deshraken, ancien Whog Shrog ayant juré la mort de tous les autres ; Aza Krell le fossoyeur, cyborg doté de formidables pouvoirs et se nourrissant de l’énergie stellaire, conçu par les Sentinels pour exécuter tous les déviants moraux enlaidissant la création ;ou encore la Grosse Juju, devineresse polymorphe qui ne supporte pas que le Boucher de l’Univers passe au travers de ses trames prescientes.
Autre source de scénario, l’ordre du Temple. Reclus au sein de grandes pyramides jalonnant l’univers, il aurait pour origine la « Franc- Maçonnerie, secte vaguement religieuse aux origines obscures ».
Avides de connaissances, les prêtres furent les premiers conquérants de l’espace et, malgré des périodes troublées, possèdent à ce jour la technologie la plus avancée de l’univers. Sans compter leurs pouvoirs Psi (un peu trop puissants pour ne pas déséquilibrer le monde) et leur capacité à communiquer avec l’Anti-Univers où vivent les Anti-Légions, réservoir militaire inépuisable dans la lutte contre les Whog Shrog. Cette institution est parfaitement susceptible de fournir la matière pour de scénarios (secrets des pyramides, vraies origines du Temple, son but caché, etc).
Enfin, des races extra-terrestres amènent un peu de piquant : les Cheers, humanoïdes à tête de caméléon dont la cruauté n’a d’égale que celle des Whog Shrog ; les Darbarians, adorables boules de poils capables des pires excès de violence ; les Azuréens, esthètes détachés du monde à la recherche incessante du beau ; les Maraudeurs, voyageurs infatigables ;les Snifsniffs, techniciens hors pair à tête de canard ; les Sentinels, cyborgs garant des « Lois de la Vie » et ne vivant qu’à travers des dogmes inaliénables ; ou encore les Thunderzards, des humanoïdes reptiliens primitifs. Bien évidemment, compte tenu de l’immensité de l’univers, la variété des races n’a de limite que votre imagination.
En résumé, et même si le background est une nouvelle fois assez succinct, des dizaines d’idées de scénarios fusent à la lecture de l’ouvrage et du supplément. Avec un peu d’investissement de la part du MJ, que ce soit pour modifier ou retravailler les scénarios ou pour créer les siens, Whog Shrog présente un énorme potentiel qui permet de jouer sur la durée sans tomber systématiquement dans les clichés. Vous auriez tort de vous en priver.
Géraud « Myvyrrian » G.
Extrait de Casus Belli n°8 Novembre – Décembre 2013 publier chez BBE
Extrait de Casus Belli n°8 Novembre – Décembre 2013 publier chez BBE
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
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Re: entretien avec...
entretien avec Studio 9
Jeu de Rôle Magazine : Studio 09 est tout récent et pourtant vos productions sont déjà nombreuses. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Studio 09 : Bonjour à vous. Au départ, Studio 09 c’est une histoire humaine basique. Nous étions un petit groupe de personnes qui nous étions connus par hasard pour avoir travaillé ensemble au sein d’une revue que vous connaissez bien. Durant cette période, des affinités se sont créées. Après cette expérience «presse», nous avons eu envie de poursuivre la route ensemble et de vivre d’autres défis. C’est ainsi que nous avons fondé fin 2009 le Studio 09, un collectif d’auteurs de jeux de rôles.
JdRM : Vous travaillez parfois sous la casquette d’auteur, parfois sous celle d’éditeur. Pouvez-vous expliquer votre modèle, les services que vous proposez aux autres éditeurs ?
S 09 : L’idée de départ du Studio 09 était de proposer nos services à des éditeurs ou d’autres studios. C’est ainsi que nos membres, à titre personnel ou pour le studio, ont œuvré sur des publications aussi diverses qu’Oikouméné, BIA, Capharnaüm... D’autres travaux pour des éditeurs sont en cours, notamment un supplément pour Trinités et une participation au futur jeu des Deadcrows : MC6.
Il serait très prétentieux de notre part de parler de la qualité de notre travail. Par contre, je pense que nos services sont appréciés pour trois raisons. D’abord, nous regroupons dans notre collectif toutes les compétences nécessaires : écriture, relecture, maquette, illustration... Comme nous nous connaissons bien, nous sommes soudés et efficaces dans le travail collectif et donc capable de prendre en charge un projet sur la totalité du processus si cela nous est demandé. En second lieu, nous avons pour habitude de tenir nos engagements, par exemple sur les délais, ce qui rassure nos partenaires et renforce notre crédibilité. Enfin, comme nous éditons nous-mêmes des jeux nous avons une certaine connaissance des réalités du monde éditorial du jeu de rôle. Cela dit, nous sommes toujours très clair sur ce que nous faisons. Quand nous travaillons avec des partenaires, c’est à leur service, à leurs conditions et ceux-ci gardent l’entière maîtrise du décisionnel.
JdRM : Quels conseils donneriez-vous à des auteurs de jeu de rôle qui souhaiteraient se lancer dans la création d’un jeu de rôle ?
S 09 : Il faut garder plusieurs éléments à l’esprit. Le premier point, c’est qu’il vaut mieux oublier tout espoir de gains financiers et ne s’engager que par passion. Au moins, ainsi on ne risque pas de déception. Ensuite, je pense qu’il ne faut pas hésiter à regarder comment on travaille dans d’autres médias, pas nécessairement pour copier mais pour prendre du recul sur ce que l’on fait : édition de romans, bandes dessinées, jeux de société, jeux vidéos... Garder l’esprit ouvert et ne jamais s’enfermer dans ses certitudes.
JdRM : Et quels conseils pour ceux qui voudraient se lancer avec les règles du système D6 ?
S 09 : D’abord, de se détendre. Le système D6 est très abordable et il a la réputation d’être un bon outil pour l’initiation au jeu de rôle. L’esprit du système D6, que nous avons essayé de pousser plus encore avec le système D6 Intégral, c’est le plaisir du jeu. On a voulu valoriser la fluidité et la simplicité pour que les règles s’effacent derrière le jeu plutôt que l’inverse. Si notre ouvrage de base est aussi épais (186 pages), c’est que nous y avons introduit de nombreuses options (avantages et désavantages pour les personnages, création personnalisée de vaisseaux interstellaires, création et gestion des prothèses cybernétiques...) et que nous avons donné un maximum de matériel pour le MJ (profils de monstres, de PNJ, de PJ, listes de matériel...). Mais en réalité, le cœur du jeu peut facilement tenir en une dizaine de pages. Donc, en deux mots, « amusez-vous ».
JdRM : Pouvez-vous expliquer comment fonctionne le système D6 ? Quels sont les avantages de ce système ?
S 09 : La base du système D6 est des plus simples. Lorsque la réussite d’une action est incertaine, le MJ détermine un niveau de difficulté qui s’échelonne de 10 (facile) à 30 (très difficile). Les joueurs lancent alors le nombre de dés qui correspond à l’Attribut ou à la Compétence concerné. Si la somme des dés est supérieure ou égale au niveau de difficulté, c’est une réussite. Dans le cas contraire, c’est un échec.
Le système D6 permet de jouer des aventures sur un rythme soutenu, sans être ralenti par la mécanique des règles. Il offre une grande souplesse. En changeant un chiffre ou un mot, on peut modifier totalement l’esprit du jeu : faire des PJ des êtres faibles qu’une balle peut tuer ou des demi-dieux surpuissants.
Je vois également le système D6 comme une sorte de Meccano, chacun pouvant ajouter aux règles de base les éléments qu’il pense important pour son jeu.
JdRM : Et pour les combats ?
S 09 : Les combats sont assez rapides avec le système D6. Après avoir déterminé l’initiative (le plus souvent, elle découle du contexte), une suite de rounds s’enchaîne. Le personnage qui se défend peut choisir entre trois options. La première est la défense simple. Il faut alors faire 10 pour le toucher. La seconde est la défense active. Son jet en esquive ou de parade détermine le niveau de difficulté pour le toucher. La défense totale, enfin, permet d’ajouter 10 au jet d’esquive ou de parade. Mais dans ce dernier cas, le personnage ne peut rien faire d’autre que de se protéger. Si un personnage est touché, il subit des dégâts qui déterminent des seuils de blessure. Plus le seuil de blessure est grave, plus le person nage subit des pénalités (-1D pour un round, -1D pour le reste du combat, -2D, etc.). Cette base étant posée, il faut savoir que le système est assez létal. Un combat dure rarement plus de trois rounds. Pour ceux qui aiment le côté tactique des combats, des règles spécifiques existent (par exemple pour favoriser un coup précis au détriment des dégâts ou l’inverse). Enfin, il existe aussi un système alternatif aux seuils de blessure, qui utilise des Points de Vie, pour ceux qui ne peuvent pas s’en passer. Personnellement, je préfère largement le système des seuils de blessure, plus fluide, mais chacun sa manière de jouer.
JdRM : Pour l’instant, Studio 09, ce sont trois univers : Tecumah Gulch, Okanga et Campus. Pouvez-vous les présenter ? Quelles sont vos publications à aujourd’hui ? Où les trouve-t-on ?
S 09 : Depuis octobre 2010, nous avons en effet commencé à éditer nos propres ouvrages, à partir du système Open D6. Nous avons ainsi sorti successivement un livre de règles générique, D6 Intégral, un jeu de rôle à l’ambiance western, Tecumah Gulch, et un jeu de rôle qui s’amuse à recycler les poncifs des séries B et séries Z : Campus. Tecumah Gulch, c’est du western pur et dur. Il n’y a pas de fantastique, seulement de la sueur, du sang et des larmes. Un supplément est disponible : La Frontière, qui amène les personnages au Mexique. Dans un style beaucoup plus enlevé, Campus propose de jouer des étudiants d’une faculté californienne dans un univers complètement délirant peuplé de zombies, d’extra-terrestres et de dinosaures intelligents.
Là aussi, un premier supplément est prêt : Bigger. Il propose notamment une campagne haute en couleur. Tecumah Gulch comme Campus devraient au final, outre le livre de base, comporte trois à cinq suppléments.
Okanga est un jeu qui met en scène un univers complètement différent. Il s’agit d’un monde rappelant l’Afrique des griots avec une forte ambiance medfan. Il pose des questions matures, écologiques mais aussi politiques et place les joueurs face des choix parfois difficiles.
Nous n’avons pas encore les moyens de payer des distributeurs pour mettre nos livres en boutiques1. Pour le moment, on ne peut les trouver que sur lulu.com (http://www.lulu.com/spotlight/d6integral), thebook.com, RapideJdR/DriveThru RPG (http://rpg.drivethrustuff.com/index.php?manufacturers_id=3478) ou par commande postale (voir bon de commande sur notre site : http://www.studio09.net/).
Nous sommes en train de négocier pour ouvrir des comptes sur Amazon et l’iBookstore.
JdRM : Comment sont nés des univers aussi divers Tecumah Gulch, Okanga ou Campus ?
S 09 : A vrai dire, nous n’aimons pas tourner en rond et ressasser sans cesse les mêmes idées. Nous cherchons toujours à aller de l’avant, explorer de nouvelles pistes... C’est vrai que travailler sur trois jeux aussi contrastés peut paraître incongru. Mais au contraire nous pensons être cohérents dans notre projet : explorer des univers très typés et très différents les uns des autres, à la recherche de nouvelles expériences.
JdRM : Pour Campus, j’ai cru comprendre qu’une version jdra existait depuis un certain temps. Quelle est son histoire, son origine ?
S 09 : Campus comme Tecumah Gulch étaient à l’origine des JdRA. Cela nous a permis de les rôder. Des joueurs nous ont fait part de leurs retours. J’ai par exemple eu des échos de la campagne de Tecumah Gulch qui a été jouée en Belgique ! Les versions actuelles ont été totalement refondues. Nouvelles maquettes et nouvelles illustrations, bien sûr, mais aussi textes corrigés et très largement enrichis. Des nouvelles règles ont été introduites, de nouveaux personnages, de nouveaux lieux, des aides de jeu...
Studio 09 : Bonjour à vous. Au départ, Studio 09 c’est une histoire humaine basique. Nous étions un petit groupe de personnes qui nous étions connus par hasard pour avoir travaillé ensemble au sein d’une revue que vous connaissez bien. Durant cette période, des affinités se sont créées. Après cette expérience «presse», nous avons eu envie de poursuivre la route ensemble et de vivre d’autres défis. C’est ainsi que nous avons fondé fin 2009 le Studio 09, un collectif d’auteurs de jeux de rôles.
JdRM : Vous travaillez parfois sous la casquette d’auteur, parfois sous celle d’éditeur. Pouvez-vous expliquer votre modèle, les services que vous proposez aux autres éditeurs ?
S 09 : L’idée de départ du Studio 09 était de proposer nos services à des éditeurs ou d’autres studios. C’est ainsi que nos membres, à titre personnel ou pour le studio, ont œuvré sur des publications aussi diverses qu’Oikouméné, BIA, Capharnaüm... D’autres travaux pour des éditeurs sont en cours, notamment un supplément pour Trinités et une participation au futur jeu des Deadcrows : MC6.
Il serait très prétentieux de notre part de parler de la qualité de notre travail. Par contre, je pense que nos services sont appréciés pour trois raisons. D’abord, nous regroupons dans notre collectif toutes les compétences nécessaires : écriture, relecture, maquette, illustration... Comme nous nous connaissons bien, nous sommes soudés et efficaces dans le travail collectif et donc capable de prendre en charge un projet sur la totalité du processus si cela nous est demandé. En second lieu, nous avons pour habitude de tenir nos engagements, par exemple sur les délais, ce qui rassure nos partenaires et renforce notre crédibilité. Enfin, comme nous éditons nous-mêmes des jeux nous avons une certaine connaissance des réalités du monde éditorial du jeu de rôle. Cela dit, nous sommes toujours très clair sur ce que nous faisons. Quand nous travaillons avec des partenaires, c’est à leur service, à leurs conditions et ceux-ci gardent l’entière maîtrise du décisionnel.
JdRM : Quels conseils donneriez-vous à des auteurs de jeu de rôle qui souhaiteraient se lancer dans la création d’un jeu de rôle ?
S 09 : Il faut garder plusieurs éléments à l’esprit. Le premier point, c’est qu’il vaut mieux oublier tout espoir de gains financiers et ne s’engager que par passion. Au moins, ainsi on ne risque pas de déception. Ensuite, je pense qu’il ne faut pas hésiter à regarder comment on travaille dans d’autres médias, pas nécessairement pour copier mais pour prendre du recul sur ce que l’on fait : édition de romans, bandes dessinées, jeux de société, jeux vidéos... Garder l’esprit ouvert et ne jamais s’enfermer dans ses certitudes.
JdRM : Et quels conseils pour ceux qui voudraient se lancer avec les règles du système D6 ?
S 09 : D’abord, de se détendre. Le système D6 est très abordable et il a la réputation d’être un bon outil pour l’initiation au jeu de rôle. L’esprit du système D6, que nous avons essayé de pousser plus encore avec le système D6 Intégral, c’est le plaisir du jeu. On a voulu valoriser la fluidité et la simplicité pour que les règles s’effacent derrière le jeu plutôt que l’inverse. Si notre ouvrage de base est aussi épais (186 pages), c’est que nous y avons introduit de nombreuses options (avantages et désavantages pour les personnages, création personnalisée de vaisseaux interstellaires, création et gestion des prothèses cybernétiques...) et que nous avons donné un maximum de matériel pour le MJ (profils de monstres, de PNJ, de PJ, listes de matériel...). Mais en réalité, le cœur du jeu peut facilement tenir en une dizaine de pages. Donc, en deux mots, « amusez-vous ».
JdRM : Pouvez-vous expliquer comment fonctionne le système D6 ? Quels sont les avantages de ce système ?
S 09 : La base du système D6 est des plus simples. Lorsque la réussite d’une action est incertaine, le MJ détermine un niveau de difficulté qui s’échelonne de 10 (facile) à 30 (très difficile). Les joueurs lancent alors le nombre de dés qui correspond à l’Attribut ou à la Compétence concerné. Si la somme des dés est supérieure ou égale au niveau de difficulté, c’est une réussite. Dans le cas contraire, c’est un échec.
Le système D6 permet de jouer des aventures sur un rythme soutenu, sans être ralenti par la mécanique des règles. Il offre une grande souplesse. En changeant un chiffre ou un mot, on peut modifier totalement l’esprit du jeu : faire des PJ des êtres faibles qu’une balle peut tuer ou des demi-dieux surpuissants.
Je vois également le système D6 comme une sorte de Meccano, chacun pouvant ajouter aux règles de base les éléments qu’il pense important pour son jeu.
JdRM : Et pour les combats ?
S 09 : Les combats sont assez rapides avec le système D6. Après avoir déterminé l’initiative (le plus souvent, elle découle du contexte), une suite de rounds s’enchaîne. Le personnage qui se défend peut choisir entre trois options. La première est la défense simple. Il faut alors faire 10 pour le toucher. La seconde est la défense active. Son jet en esquive ou de parade détermine le niveau de difficulté pour le toucher. La défense totale, enfin, permet d’ajouter 10 au jet d’esquive ou de parade. Mais dans ce dernier cas, le personnage ne peut rien faire d’autre que de se protéger. Si un personnage est touché, il subit des dégâts qui déterminent des seuils de blessure. Plus le seuil de blessure est grave, plus le person nage subit des pénalités (-1D pour un round, -1D pour le reste du combat, -2D, etc.). Cette base étant posée, il faut savoir que le système est assez létal. Un combat dure rarement plus de trois rounds. Pour ceux qui aiment le côté tactique des combats, des règles spécifiques existent (par exemple pour favoriser un coup précis au détriment des dégâts ou l’inverse). Enfin, il existe aussi un système alternatif aux seuils de blessure, qui utilise des Points de Vie, pour ceux qui ne peuvent pas s’en passer. Personnellement, je préfère largement le système des seuils de blessure, plus fluide, mais chacun sa manière de jouer.
JdRM : Pour l’instant, Studio 09, ce sont trois univers : Tecumah Gulch, Okanga et Campus. Pouvez-vous les présenter ? Quelles sont vos publications à aujourd’hui ? Où les trouve-t-on ?
S 09 : Depuis octobre 2010, nous avons en effet commencé à éditer nos propres ouvrages, à partir du système Open D6. Nous avons ainsi sorti successivement un livre de règles générique, D6 Intégral, un jeu de rôle à l’ambiance western, Tecumah Gulch, et un jeu de rôle qui s’amuse à recycler les poncifs des séries B et séries Z : Campus. Tecumah Gulch, c’est du western pur et dur. Il n’y a pas de fantastique, seulement de la sueur, du sang et des larmes. Un supplément est disponible : La Frontière, qui amène les personnages au Mexique. Dans un style beaucoup plus enlevé, Campus propose de jouer des étudiants d’une faculté californienne dans un univers complètement délirant peuplé de zombies, d’extra-terrestres et de dinosaures intelligents.
Là aussi, un premier supplément est prêt : Bigger. Il propose notamment une campagne haute en couleur. Tecumah Gulch comme Campus devraient au final, outre le livre de base, comporte trois à cinq suppléments.
Okanga est un jeu qui met en scène un univers complètement différent. Il s’agit d’un monde rappelant l’Afrique des griots avec une forte ambiance medfan. Il pose des questions matures, écologiques mais aussi politiques et place les joueurs face des choix parfois difficiles.
Nous n’avons pas encore les moyens de payer des distributeurs pour mettre nos livres en boutiques1. Pour le moment, on ne peut les trouver que sur lulu.com (http://www.lulu.com/spotlight/d6integral), thebook.com, RapideJdR/DriveThru RPG (http://rpg.drivethrustuff.com/index.php?manufacturers_id=3478) ou par commande postale (voir bon de commande sur notre site : http://www.studio09.net/).
Nous sommes en train de négocier pour ouvrir des comptes sur Amazon et l’iBookstore.
JdRM : Comment sont nés des univers aussi divers Tecumah Gulch, Okanga ou Campus ?
S 09 : A vrai dire, nous n’aimons pas tourner en rond et ressasser sans cesse les mêmes idées. Nous cherchons toujours à aller de l’avant, explorer de nouvelles pistes... C’est vrai que travailler sur trois jeux aussi contrastés peut paraître incongru. Mais au contraire nous pensons être cohérents dans notre projet : explorer des univers très typés et très différents les uns des autres, à la recherche de nouvelles expériences.
JdRM : Pour Campus, j’ai cru comprendre qu’une version jdra existait depuis un certain temps. Quelle est son histoire, son origine ?
S 09 : Campus comme Tecumah Gulch étaient à l’origine des JdRA. Cela nous a permis de les rôder. Des joueurs nous ont fait part de leurs retours. J’ai par exemple eu des échos de la campagne de Tecumah Gulch qui a été jouée en Belgique ! Les versions actuelles ont été totalement refondues. Nouvelles maquettes et nouvelles illustrations, bien sûr, mais aussi textes corrigés et très largement enrichis. Des nouvelles règles ont été introduites, de nouveaux personnages, de nouveaux lieux, des aides de jeu...
Extrait du Jeu de Rôle Magazine n°14
1 Depuis, ils sont disponible sur commande en boutiques spécialisés.
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
Hual Bouffeur d'Ecume
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Re: entretien avec...
entretien avec Benoit Attinost et Jérôme « Brand » Larré pour Within
Jeu de Rôle Magazine : Bonjour, pouvez-vous chacun décrire votre parcours ludique ?
Benoit Attinost : Bonjour. Moi c’est Benoit (bonjooour Benoit !) et je suis second couteau biclassé pigiste dans le milieu du JdR depuis quelques années. Je ne vais pas refaire ma bio, mais globalement, j’ai vite lâché la boite rouge de D&D pour l’AdC, Méga I, Maléfices et autres jeux portés sur une ambiance différente. L’AdC, sous toutes ses formes, reste mon jeu préféré. Le hasard a voulu que je fasse des démos dans une boutique parisienne, Phénomène J, ce qui m’a permis de rencontrer des auteurs et de commencer à bosser comme pigiste. J’écrivais déjà pour un fanzine, Apsara, ce qui a aidé. Shaan, Polaris, Les Tableaux de Chasse, Prophecy, COPS, NP2, des articles dans les mag, du jeu vidéo, de société, de la trado, j’ai touché à un peu de tout avec plus ou moins de bonheur (oui, on écrivait tout de même pas mal de conneries dans Backstab, faut avouer). Aujourd’hui je réside dans le New Jersey et je partage mon temps entre enseigner le français à des corporates, la traduction, la pige, un peu la BD et la peinture de figurines. J’aime les chats, surtout ceux qui énervent Brand.
Jérôme « Brand » Larré : Salut. Jérôme donc. Je suis un rôliste toulousain avide de parties et de conventions et accessoirement le padawan du vieux croûton qui vient de répondre juste avant moi. J’ai eu la chance de participer à quelques gammes de JDR (COPS, Kuro, MDO, Qin, Vermine…) et surtout Tenga qui est mon projet le plus personnel. D’ici peu devrait également sortir un premier jeu de plateau. Parallèlement je signe régulièrement des articles dans plusieurs magazines concurrents de JDR-mag et me passionne notamment pour tout ce qui est « jeuderologie » dès lors qu’elle est réellement applicable et utile autour d’une table de jeu. En ce moment, en plus du suivi pour Tenga, je travaille surtout sur un jeu appelé GUTS et dont j’attends vraiment beaucoup. J’espère que l’on aura l’occasion d’en reparler.
JdRM : Quel a été votre rôle à chacun dans l'écriture du jeu ?
BA : J’ai écrit Within il y a quelques années (aboutissement de la rédaction en 2003 je pense). Ce jeu est dans la continuation d’un ancien projet appelé les Tableaux de Chasse et du roman, jamais terminé d’éditer, le Céphalophage. Donc, pour les uns, le Tiercé, c’est leur dada, moi c’est Within. Mais bon, je suis entouré de Béotiens qui ne savent pas reconnaître la qualité ultime du système que j’avais imaginé (Carac+Comp+2d6/Diff… un truc super original quoi), certains allant jusqu’à le qualifier de système de … . Mon génie ne sera reconnu que le jour de ma mort, je vous jure ! Bref, n’étant ni très grand, ni très fort, ni très courageux, j’ai abandonné la conception du système pour me concentrer sur l’univers, les scénarios, les conseils au MJ (Brand participant, bien entendu aussi à ce niveau). Je laisse la mécanique à ceux qui s’y connaissent.
JL : Il y a huit ans donc, Benoît m’a demandé de relire Within, de le tester et de lui faire un retour. J’ai bien failli le tuer en lui disant ce que je pensais du système, mais j’en ai néanmoins particulièrement apprécié la découverte. De même que pour les Tableaux de Chasse, un peu plus tard. Entre autres choses, cela a été l’occasion pour moi de me remettre aux jeux d’horreur que je ne connaissais que trop peu. Depuis, c’est devenu un de mes genres favoris et je n’ai pas hésité longtemps lorsque l’occasion s’est présentée de rejoindre ce projet. Au final, je me suis retrouvé principalement à bosser sur le système et toutes ces petites choses faites pour compliquer la vie des personnages.
JdRM : Pourquoi avoir choisi ce thème ? Il existe déjà beaucoup de jeux d'horreur sur le marché. En quoi se démarque-t-il ?
BA : En rien. Et en tout en même temps. On peut voir Within un peu comme un COPS de l’horreur. Nous vous proposons un système, un cadre, un univers, plein d’outils, et vous en faites ce que vous voulez. Par exemple, il existe 5 grosses organisations dans le monde qu’on appelle le Pentacle. Elles coopèrent, s’ignorent, s’affrontent, mais gèrent toutes à leur façon le problème du surnaturel. Il y a les agents à la X-Files/Fringe/Millenium (surtout), des religieux qu’on peut jouer façon van Hellsing ou l’Exorciste, des corporations ou les mafieux (encore une fois Fringe), des archivistes (l’Arcanum, la Talamasca et autres sociétés secrètes qui observent), et les scientifiques (bah… tous les films avec des scientifiques face au surnaturel). Mais disons que vous n’aimez pas cette approche : pas de problème, vous virez le Pentacle. L’univers tient la route malgré tout. Et il en est de même pour tous les éléments de l’univers. Vous piochez en fonction de vos préférences. Pour reprendre l’analogie avec COPS, si vous préfériez les gangs, il y avait un supplément sur le sujet et vous pouviez vous passer du reste ou minimiser les autres aspects. De même, il y a des scénarios « One shot », liés à l’univers, ou complètement intégrés dans l’univers (sans être une campagne on peut parler d’une légère storyline).
Donc, oui, il y a obligatoirement des liens avec Kult, l’AdC, Chill, les suppléments White Wolf Year of the Hunter, et je ne le nie pas, au contraire. Une autre chose qui me semblait importante, c’est que TOUS les secrets de l’univers sont dans le Livre de Base. Pas la peine d’acheter whatmille suppléments pour connaître le nom de la secte qui contrôle la secte, qui contrôle la secte, qui contrôle les vamps… non je l’ai pas dit ! Donc le MJ a tout en main et si les scénarios font évoluer un peu l’univers, ils ne le chamboulent pas au point de le rendre incompatible. Enfin, l’approche de la folie est un peu différente. L’idée de base, adaptée ensuite par Brand, est qu’un PJ ne sait pas qu’il est cinglé. C’est sa vision de l’univers qui est déformée. Donc, c’est le MJ qui se charge, par ses descriptions (et souvent avec la complicité du reste de la table, me hurle Brand), de rendre la folie, pas le joueur qui doit agir n’importe comment. Par contre, nous voulions aussi intégrer la notion de peur, de panique, de stress. Cette notion, c’est ce qui fait la différence entre la brune qui contre-attaque face au tueur masqué et la blonde qui part en courant et en agitant les bras (en petite tenue si possible). Le joueur garde complètement le contrôle de son personnage, mais les règles lui suggèrent un comportement. Libre au joueur de s’y plier et de trouver le moyen le plus amusant de l’interpréter (genre s’enfuir et fermer la porte derrière lui, bloquant les autres du même côté que le monstre). S’il ne désire pas s’y plier, il doit alors dépenser des points (en gros, il met ses nerfs à rude épreuve), ce qui l’handicapera par la suite. Rien n’est imposé au joueur, au contraire, tout le pousse à improviser la meilleure réaction possible.
extrait du Jeu de Rôle Magazine n°19
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
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Re: entretien avec...
entretien avec Moebius
NDRL : l’interview s’est faite en deux parties. La première avec un reporter de Génération Manga qui interroge Moebius sur ses relations avec les auteurs japonais. La deuxième, exclusive pour Jeu de rôle Magazine, porte sur les relations du maître avec les jeux de rôles.
NDRL : l’interview s’est faite en deux parties. La première avec un reporter de Génération Manga qui interroge Moebius sur ses relations avec les auteurs japonais. La deuxième, exclusive pour Jeu de rôle Magazine, porte sur les relations du maître avec les jeux de rôles.
JdR mag et Génération Manga : Gir, Moebius ou tout simplement Jean Giraud de son vrai nom, est le maître incontesté de la BD française. La simple citation d’une BD comme XIII ou Blueberry fait couler des larmes de nostalgie à tout fan de BD qui se respecte. Et c’est à la grande messe des amoureux de mondes imaginaires et fantastiques, Kultima, que nous avons croisés ce curieux personnage qui, dans une simplicité et une disponibilité qui impressionne, a bien voulu nous accorder une interview; attention, voyage directe vers le monde fantastique de Moebius-sama.
Moebius : Mon nom est Jean Giraud et je signe avec deux pseudonymes : Gir, une abréviation de mon nom, et l’autre, Moebius. Je suis incapable de dire «pourquoi Moebius». Tout ce que je peux dire c’est que ça c’est passé en 1963, pendant la préhistoire, au siècle passé. J’ai été très engagé dans la réalisation de la bande dessinée français à travers «Blueberry», qui a près de 50 ans et a été très populaire ; peut-être que maintenant les jeunes gens la connaissent moins mais cette bande dessinée a été le pain quotidien de toute une génération dans les années 70, J’ai également réalisé pas mal de bandes dessinées de science-fiction sous le pseudonyme de Moebius, des trucs bien déjantés qui m’ont valu une bonne réputation auprès des professionnels du manga ; je suis très apprécié par les auteurs et scénaristes japonais, j’ai également eu quelques bons contacts avec Hikonuau ou Tesuka que j’ai eu la chance de connaître, l’auteur d’œuvres comme Phoenix et surtout Astroboys ! J’ai également travaillé avec Tanibushi qui est pour moi le plus grand artiste du manga japonais niveau graphique et littéraire ; j’ai eu aussi une complicité amicale avec l’auteur de manga cinématographique Miyazaki, on peut dire le plus grand artiste japonais vivant, avec qui j’ai fait une exposition conjointe à la mairie de Paris en 2005.
JdR mag et Génération Manga : Comment se sont déroulées vos rencontres avec Tanibushi et Miyazaki, ce sont eux qui sont venu vous voir suite a vos différentes oeuvres ou c’est vous qui est allé a votre rencontre ?
Moebius : Ma rencontre avec Tanibushi est assez particulière, elle vient d’une décision qui avait été prise dans les années 2000 par les éditions Kodensha d’ouvrir les pages du manga à des auteurs étrangers, parmi ces auteurs étrangers ; j’ai été contacté, ils m’ont proposés une histoire, j’ai préféré leur soumettre un scénario plutôt qu’un dessin, ça leur a beaucoup plus et ils m’ont demandés de choisir un auteur que je préférais et j’ai choisi Tanibushi. C’est comme ça qu’on est devenu des amis, amis de cœur, on s’estime beaucoup l’un envers l’autre. Quant à Miyazaki, la position est un peu différente, je suis un fan, grand fan de base transit, admiratif de l’œuvre de Miyazaki, bien sûr je connais tous ses films, toutes les séries télé qu’il a faite. Je l’ai approché, on ne peut pas dire que je suis un amis, il y a beaucoup de différences entre nous, mais on s’aime beaucoup : il aime bien mon travail, j’aime bien le sien, j’ai beaucoup aidé à la promotion de son œuvre.
JdR mag et Génération Manga : Une anecdote avec Miyazaki ?
Moebius : Oui, ma relation avec Miyazaki et l’œuvre de Miyazaki a eu des conséquences surprenante puisque ma fille qui a deux ans s’appelle Nosikaa ; le choix du prénom s’est fait en partie à la suite de mon admiration pour cette œuvre de Miyasaki.
JdR mag : Venons-en a des questions plus spécifique sur le jeu de rôles. Nous somme un tout nouveau magazine JdR qui ressemble à ça
(nous lui montrons le magazine, visiblement il aime bien), nous sommes un collectif d’illustrateurs et de texteux ;
Avez-vous déjà pratiqué le jeu de rôle ?
Moebius : Je n’en ai pas ressenti le besoin. Mes différents personnages jouent leurs rôles et prennent vie, ils se construisent comme un JdR intérieur. J’ai développé un univers en réseau. Même Blueberry, pourtant en décalage avec mes autres œuvres, je l’ai intégré avec son rôle de personnage face à son créateur, dans un labyrinthe de réalité en miroir. J’ai fais des histoires ésotériques scénarisées, comme le Garage Hermétique. Un JdR a d’ailleurs été développé à partir du Garage dans les années 90, c’est un scénario type pour un JdR. Il s’agit d’un univers parallèle avec des portes de communication et des personnages multiples. J’ai vu apparaître les JDR avec plaisir et amusement, j’ai essayé de capter ce que c’était, en quoi ça consistait, mais je ne suis jamais rentré dans la pratique, j’étais trop occupé entre mes dessins et la réalisation de mes propres histoires. J’aime l’idée et je trouve ça formidable, j’ai même fait des scénarios de films sur la prolongation du concept de jeu de rôle.
S’en suit le synopsis d’un scénario de film qui utilise le concept des jeux de rôles que nous ne révélerons pas à la demande de Moebius, mais que nous espérons un jour voir apparaître sur les écrans. Tout ce que nous pouvons dire c’est que c’est un scénario urbain et très dangereux.
JdR mag : Justement pour rebondir la dessus, sur tous ces univers en réseau, vos dessins, c’est un seul multivers ou des mondes différents ?
Moebius : Ce sont des mondes différents, mais j’ai tout réuni dans un lieu mystique qui s’appelle le désert-B. Pour moi le désert c’est la page blanche, l’imaginaire, et le B c’est l’alternatif. C’est comme si nôtre réalité c’était le désert - A, et le désert - B c’est un monde alternatif dans lequel tout est possible, et surtout dans lequel tous les univers peuvent se connecter. Ce que je voulais dire c’est que quand j’ai vu arriver les jeux de rôles et surtout les artistes qui travaillent pour les jeux de rôles ça m’a beaucoup plu, j’ai beaucoup aimé le concept et j’ai vraiment regretté d’être dans une autre histoire que celle la, parce que vraiment je ne peux pas rentrer dedans, c’est un autre monde, mais vraiment ça m’aurait bien plu.
JdR mag : Jeu de Rôle magazine réunit beaucoup de jeunes et moins jeunes artistes. Qu’est-ce que vous leur donneriez comme conseil ?
Moebius : Rien (silence). Ils sont en train de faire quelque chose de très proche d’un rêve personnel, un plaisir qui se réalise. Le seul conseil que je leur donnerai, c’est de l’étendre à leur vie entière - c’est très difficile.
JdR mag : Vous considérez-vous comme un jeune dessinateur qui a encore une longue route à gravir pour arriver au sommet de son art ?
Moebius : Oui (rires)
JdR mag : Des projets en cours ?
Moebius : Oui, plein, 6 ou 7 idées de scénarios dans ma tête.
JdR mag : Un rêve ?
Moebius : Trouver l’énergie de mettre sur papier toutes mes idées. Si demain je tombe d’un ascenseur ou que j’ai une embolie cérébrale, toutes ces idées seront perdues...
JdR mag : Confiez-les nous ! Nous en ferons des scénarios de JDR et des fiches de personnages, des groupes de joueurs donneront vie à ces histoires...
Moebius : Oui, pourquoi pas. Je crois aux passerelles. Des films, des BD se sont développés ainsi. Mon emploi du temps est très chargé. J’ai plein de projets en cours, et c’est ma femme, qui joue en quelque sorte le rôle d’agent, qui calme mes envies et m’aide à décider lesquels poursuivre.
JdR mag : Une de ces idées en avant première ?
Moebius : Saviez-vous qu’il existe au palais présidentiel de l’Elysée, une porte secrète qui ouvre sur une virtualité, une forêt vierge qui ne serait ni de notre espace, ni de notre temps, et que nos présidents, quand ils sont trop stressés, passe par cette porte parallèle pour y assouvir leurs envies meurtrières. Ils partent à la chasse au gros gibier, tirer de grands fauves ou de placides pachydermes.
JdR mag : Seriez-vous favorable à une adaptation de vos univers en JDR ?
Moebius : Oui, tout à fait. Je crois à la perméabilité des genres. Pourquoi ne pas adapter un opéra ou un ballet à partir d’un jeu de rôle et vice versa ? Il y a des millions de passerelles vierges ou virtuelles à réaliser.
JdR mag : Et pour terminer, un petit secret sur l’univers de Gir/Moebius ?
Moebius : J’ai sorti un album dont le personnage du titre s’appelait Cutlass, où juste après la guerre de sécession, un sorcier albinos fait ressortir de leur tombe tous les esclaves assassinés pour tuer les blancs. Cutlass, pour le convaincre de ne pas aller jusqu’au bout de son projet, lui fait voir l’avenir en montrant qu’il va y avoir un président des Etats-Unis noir. Christian Rossi, le co-dessinateur, m’a dit «ça n’arrivera jamais» ; c’est en train de se produire...
JdR mag et Génération Manga : Merci Moebius pour cette interview.
Moebius : Mon nom est Jean Giraud et je signe avec deux pseudonymes : Gir, une abréviation de mon nom, et l’autre, Moebius. Je suis incapable de dire «pourquoi Moebius». Tout ce que je peux dire c’est que ça c’est passé en 1963, pendant la préhistoire, au siècle passé. J’ai été très engagé dans la réalisation de la bande dessinée français à travers «Blueberry», qui a près de 50 ans et a été très populaire ; peut-être que maintenant les jeunes gens la connaissent moins mais cette bande dessinée a été le pain quotidien de toute une génération dans les années 70, J’ai également réalisé pas mal de bandes dessinées de science-fiction sous le pseudonyme de Moebius, des trucs bien déjantés qui m’ont valu une bonne réputation auprès des professionnels du manga ; je suis très apprécié par les auteurs et scénaristes japonais, j’ai également eu quelques bons contacts avec Hikonuau ou Tesuka que j’ai eu la chance de connaître, l’auteur d’œuvres comme Phoenix et surtout Astroboys ! J’ai également travaillé avec Tanibushi qui est pour moi le plus grand artiste du manga japonais niveau graphique et littéraire ; j’ai eu aussi une complicité amicale avec l’auteur de manga cinématographique Miyazaki, on peut dire le plus grand artiste japonais vivant, avec qui j’ai fait une exposition conjointe à la mairie de Paris en 2005.
JdR mag et Génération Manga : Comment se sont déroulées vos rencontres avec Tanibushi et Miyazaki, ce sont eux qui sont venu vous voir suite a vos différentes oeuvres ou c’est vous qui est allé a votre rencontre ?
Moebius : Ma rencontre avec Tanibushi est assez particulière, elle vient d’une décision qui avait été prise dans les années 2000 par les éditions Kodensha d’ouvrir les pages du manga à des auteurs étrangers, parmi ces auteurs étrangers ; j’ai été contacté, ils m’ont proposés une histoire, j’ai préféré leur soumettre un scénario plutôt qu’un dessin, ça leur a beaucoup plus et ils m’ont demandés de choisir un auteur que je préférais et j’ai choisi Tanibushi. C’est comme ça qu’on est devenu des amis, amis de cœur, on s’estime beaucoup l’un envers l’autre. Quant à Miyazaki, la position est un peu différente, je suis un fan, grand fan de base transit, admiratif de l’œuvre de Miyazaki, bien sûr je connais tous ses films, toutes les séries télé qu’il a faite. Je l’ai approché, on ne peut pas dire que je suis un amis, il y a beaucoup de différences entre nous, mais on s’aime beaucoup : il aime bien mon travail, j’aime bien le sien, j’ai beaucoup aidé à la promotion de son œuvre.
JdR mag et Génération Manga : Une anecdote avec Miyazaki ?
Moebius : Oui, ma relation avec Miyazaki et l’œuvre de Miyazaki a eu des conséquences surprenante puisque ma fille qui a deux ans s’appelle Nosikaa ; le choix du prénom s’est fait en partie à la suite de mon admiration pour cette œuvre de Miyasaki.
JdR mag : Venons-en a des questions plus spécifique sur le jeu de rôles. Nous somme un tout nouveau magazine JdR qui ressemble à ça
(nous lui montrons le magazine, visiblement il aime bien), nous sommes un collectif d’illustrateurs et de texteux ;
Avez-vous déjà pratiqué le jeu de rôle ?
Moebius : Je n’en ai pas ressenti le besoin. Mes différents personnages jouent leurs rôles et prennent vie, ils se construisent comme un JdR intérieur. J’ai développé un univers en réseau. Même Blueberry, pourtant en décalage avec mes autres œuvres, je l’ai intégré avec son rôle de personnage face à son créateur, dans un labyrinthe de réalité en miroir. J’ai fais des histoires ésotériques scénarisées, comme le Garage Hermétique. Un JdR a d’ailleurs été développé à partir du Garage dans les années 90, c’est un scénario type pour un JdR. Il s’agit d’un univers parallèle avec des portes de communication et des personnages multiples. J’ai vu apparaître les JDR avec plaisir et amusement, j’ai essayé de capter ce que c’était, en quoi ça consistait, mais je ne suis jamais rentré dans la pratique, j’étais trop occupé entre mes dessins et la réalisation de mes propres histoires. J’aime l’idée et je trouve ça formidable, j’ai même fait des scénarios de films sur la prolongation du concept de jeu de rôle.
S’en suit le synopsis d’un scénario de film qui utilise le concept des jeux de rôles que nous ne révélerons pas à la demande de Moebius, mais que nous espérons un jour voir apparaître sur les écrans. Tout ce que nous pouvons dire c’est que c’est un scénario urbain et très dangereux.
JdR mag : Justement pour rebondir la dessus, sur tous ces univers en réseau, vos dessins, c’est un seul multivers ou des mondes différents ?
Moebius : Ce sont des mondes différents, mais j’ai tout réuni dans un lieu mystique qui s’appelle le désert-B. Pour moi le désert c’est la page blanche, l’imaginaire, et le B c’est l’alternatif. C’est comme si nôtre réalité c’était le désert - A, et le désert - B c’est un monde alternatif dans lequel tout est possible, et surtout dans lequel tous les univers peuvent se connecter. Ce que je voulais dire c’est que quand j’ai vu arriver les jeux de rôles et surtout les artistes qui travaillent pour les jeux de rôles ça m’a beaucoup plu, j’ai beaucoup aimé le concept et j’ai vraiment regretté d’être dans une autre histoire que celle la, parce que vraiment je ne peux pas rentrer dedans, c’est un autre monde, mais vraiment ça m’aurait bien plu.
JdR mag : Jeu de Rôle magazine réunit beaucoup de jeunes et moins jeunes artistes. Qu’est-ce que vous leur donneriez comme conseil ?
Moebius : Rien (silence). Ils sont en train de faire quelque chose de très proche d’un rêve personnel, un plaisir qui se réalise. Le seul conseil que je leur donnerai, c’est de l’étendre à leur vie entière - c’est très difficile.
JdR mag : Vous considérez-vous comme un jeune dessinateur qui a encore une longue route à gravir pour arriver au sommet de son art ?
Moebius : Oui (rires)
JdR mag : Des projets en cours ?
Moebius : Oui, plein, 6 ou 7 idées de scénarios dans ma tête.
JdR mag : Un rêve ?
Moebius : Trouver l’énergie de mettre sur papier toutes mes idées. Si demain je tombe d’un ascenseur ou que j’ai une embolie cérébrale, toutes ces idées seront perdues...
JdR mag : Confiez-les nous ! Nous en ferons des scénarios de JDR et des fiches de personnages, des groupes de joueurs donneront vie à ces histoires...
Moebius : Oui, pourquoi pas. Je crois aux passerelles. Des films, des BD se sont développés ainsi. Mon emploi du temps est très chargé. J’ai plein de projets en cours, et c’est ma femme, qui joue en quelque sorte le rôle d’agent, qui calme mes envies et m’aide à décider lesquels poursuivre.
JdR mag : Une de ces idées en avant première ?
Moebius : Saviez-vous qu’il existe au palais présidentiel de l’Elysée, une porte secrète qui ouvre sur une virtualité, une forêt vierge qui ne serait ni de notre espace, ni de notre temps, et que nos présidents, quand ils sont trop stressés, passe par cette porte parallèle pour y assouvir leurs envies meurtrières. Ils partent à la chasse au gros gibier, tirer de grands fauves ou de placides pachydermes.
JdR mag : Seriez-vous favorable à une adaptation de vos univers en JDR ?
Moebius : Oui, tout à fait. Je crois à la perméabilité des genres. Pourquoi ne pas adapter un opéra ou un ballet à partir d’un jeu de rôle et vice versa ? Il y a des millions de passerelles vierges ou virtuelles à réaliser.
JdR mag : Et pour terminer, un petit secret sur l’univers de Gir/Moebius ?
Moebius : J’ai sorti un album dont le personnage du titre s’appelait Cutlass, où juste après la guerre de sécession, un sorcier albinos fait ressortir de leur tombe tous les esclaves assassinés pour tuer les blancs. Cutlass, pour le convaincre de ne pas aller jusqu’au bout de son projet, lui fait voir l’avenir en montrant qu’il va y avoir un président des Etats-Unis noir. Christian Rossi, le co-dessinateur, m’a dit «ça n’arrivera jamais» ; c’est en train de se produire...
JdR mag et Génération Manga : Merci Moebius pour cette interview.
Propos recueillis par Guillaume et Orphée pour Jeu de Rôle Magazine n°3
Eric Le Bihan
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
Hual Bouffeur d'Ecume
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Re: entretien avec...
entretien avec Nicolas Henry pour Wulin
entretien de Nicolas Henry juste après avoir fait une partie de Wulin par l'équipe de roliste.tv lors de la convention Histoire de Jouer 8 à Caen.
Wulin est un jeu rôle de type “cape et épée” se déroulant dans un dans la Chine médiévale; C’est le deuxième jeu écrit par Nicolas Henry après l’excellent Achéron Edité par Pulp Fever.
Source: Roliste.tv
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Re: entretien avec...
Pourquoi une interview de Croc dans ce numéro spécial BBE ?
Certains ont dû se poser la question, en effet. Il nous a paru assez significatif que Croc, l'auteur de JdR le plus connu et qui a connu le plus de succès en France, autrefois grand détracteur de Donjons & Dragons (relisez ses anciennes interviewes, ça pique !), se soit tout simplement remis à jouer au JdR (!) grâce à Pathfinder.
Au cours de ces six dernières années, la plupart des anciens rôlistes que l'équipe de BBE a croisés et qui ont eu l'opportunité de lire une Campagne Pathfinder se sont tout simplement remis à jouer et c'est donc à la fois pour comprendre ce phénomène tout de même étonnant et rendre hommage à la gamme Pathfinder que nous avons rencontré Croc au Festival International des Jeux de Cannes.
Comme ce fut aussi l'occasion de déborder du sujet et qu'il était dommage de couper cette interview, nous vous livrons cette dernière en intégralité, pour le plaisir.
Certains ont dû se poser la question, en effet. Il nous a paru assez significatif que Croc, l'auteur de JdR le plus connu et qui a connu le plus de succès en France, autrefois grand détracteur de Donjons & Dragons (relisez ses anciennes interviewes, ça pique !), se soit tout simplement remis à jouer au JdR (!) grâce à Pathfinder.
Au cours de ces six dernières années, la plupart des anciens rôlistes que l'équipe de BBE a croisés et qui ont eu l'opportunité de lire une Campagne Pathfinder se sont tout simplement remis à jouer et c'est donc à la fois pour comprendre ce phénomène tout de même étonnant et rendre hommage à la gamme Pathfinder que nous avons rencontré Croc au Festival International des Jeux de Cannes.
Comme ce fut aussi l'occasion de déborder du sujet et qu'il était dommage de couper cette interview, nous vous livrons cette dernière en intégralité, pour le plaisir.
entretien avec CROC
« _ Kingmaker m’a redonné envie de jouer » CROC
Il est une légende du JdR français, l’auteur de classiques tels que Bloodlust, In Nomine Satanis/Magna Veritas, Scales, Bitume et de plein d’autres jeux cultes. Il a été rédac’ chef de Backstab, a collaboré à des licences prestigieuses. Mais curieusement, il avait totalement arrêté le JdR jusqu’à une récente rechute. Au festival des Jeux de Cannes, sur la croisette, Croc a pris le temps de nous expliquer comment Pathfinder lui a remis le pied à l’étrier. Au il de la discussion, c’est toute son histoire de rôliste, son rapport à Donjons & Dragons depuis trente ans, que le grand Croc nous raconte. Passionnant.
« _ Kingmaker m’a redonné envie de jouer » CROC
Il est une légende du JdR français, l’auteur de classiques tels que Bloodlust, In Nomine Satanis/Magna Veritas, Scales, Bitume et de plein d’autres jeux cultes. Il a été rédac’ chef de Backstab, a collaboré à des licences prestigieuses. Mais curieusement, il avait totalement arrêté le JdR jusqu’à une récente rechute. Au festival des Jeux de Cannes, sur la croisette, Croc a pris le temps de nous expliquer comment Pathfinder lui a remis le pied à l’étrier. Au il de la discussion, c’est toute son histoire de rôliste, son rapport à Donjons & Dragons depuis trente ans, que le grand Croc nous raconte. Passionnant.
Casus Belli : Tu avais complètement arrêté le jeu de rôle et tu es de retour. Que s’est-il passé ?
Croc : C’est très simple, j’étais à la GenCon et j’ai vu un Adventure Path de Pathfinder, le premier volume de Kingmaker. C’était un peu au bol parce que je n’avais pas lu ce que c’était avant mais j’avais besoin d’un truc à bouquiner dans l’avion du retour. Je l’ai certainement pris à cause de la couv’ qui m’a bien branchée, le dessin du Staglord par Vincent Dutrait. Je l’ai lu et ça m’a donné envie de jouer. C’est vraiment la campagne qui m’a donné envie. Parce que j’avais déjà vu avant des mecs avec le bouquin de base de Pathfinder et je m’étais dit : c’est monstrueux un truc de cette taille-là ! Je m’étais dit que c’était supra-débile. Sauf que je ne savais pas que, trois mois après, j’allais y jouer et finir par connaître ce bouquin par cœur ! La taille fait quand même un peu peur. Sans les sorts, ça ferait déjà moitié moins. Mais les Américains aiment bien les gros trucs. Grosses bagnoles, gros hamburgers, gros bouquins.
Casus Belli : Tu t’étais intéressé au bouquin de base de Pathfinder avant ?
Croc : Non, je l’avais vu deux jours plus tôt sur les tables des mecs qui étaient en train de jouer. Après, je ne savais pas trop ce que c’était. Je pensais que c’était un spin-of de Donjons, je pensais qu’ils avaient tout changé, alors qu’en fait, c’est du Donjons vraiment amélioré mais pas trahi. Alors attention, sur le truc de trahi ou pas… Moi, j’avais arrêté de jouer à D&D en 1983 ! Je n’ai joué que deux ou trois ans, de 1980 à 1982-83, avant de passer à Traveller, Runequest, Gamma World, Star Wars, L’Appel de Cthulhu...
En fait, à un moment, j’ai eu une vraie détestation de Donjons. Aujourd’hui, je pense qu’on était trop jeunes et qu’on jouait comme des merdes ! Et puis aussi, déjà à l’époque, le fait que les règles ne soient pas claires, que des trucs se contredisent, ça me gonflait. Voyant des choses plus rigoureuses à côté, genre Traveller, très chiant mais très rigoureux, ça me parlait un peu plus. Il y avait aussi que l’heroic fantasy devenait the place to be. J’avais envie de visiter d’autres univers et Donjons le faisait mal. Après, je suis allé vers des trucs plus sombres, plus noirs, plus cyniques. Jamais le World Of Darkness, mais Cyberpunk, Shadowrun, In Nomine. Quand je me suis remis au JdR avec Pathfinder, il y a quatre ou cinq ans, je cherchais un truc un peu plus positif, avec des héros.
Casus Belli : Pourquoi ?
Croc : Parce que je trouve que le monde tel qu’il est – bonjour à nos amis Ukrainiens qui vont bientôt avoir une vilaine surprise – le monde est devenu vraiment trop sombre. Du coup, des héros à l’armure étincelante m’allaient bien. Et puis c’est le feeling Seigneur des Anneaux aussi. Au moment de la sortie des films de Jackson, tu te dis : ouais, putain, c’est quand même bien !
Casus Belli : Ça t’a donné envie d’heroic fantasy positive ?
Croc : Ouais. Et quand je joue avec ma famille, les histoires de tueurs en série, les monstres innommables, ça me gonfle. Il y en a assez à la télé et partout ailleurs.
Casus Belli : Du coup, tu as quand même commencé le jeu de rôle avec Donjons ?
Croc : Ah oui ! C’était la boîte pas rouge du tout, la boîte basique, épaisse, avec le dragon tout moche.
Casus Belli : La Holmes ! En anglais donc, tu étais tout jeune !
Croc : Oui et j’avais tout traduit, du début à la fin. Et j’avais fait n’importe quoi ! N’importe quoi ! Je n’avais pas bien compris les dés de vie ; donc les trolls qui étaient à 8DV+4 étaient à 12 points de vie ! Les combats étaient assez rapides (rires). Mais attends ! Le fait que le dé de vie des monstres était un d8, je vous mets au défi de le trouver dans les règles. Ça doit être indiqué à un moment, caché au milieu d’un paragraphe et j’ai dû passer complètement à côté. Mais le principe y était.
Après, dans AD&D, les règles étaient un peu plus précises et j’ai compris que c’était pour les gros parce que le troll, il avait 8d8+4 points de vie ! Ce n’est pas comme dans le Basic Set !
Ensuite, justement, j’ai beaucoup joué aux Basic Sets, avec les différentes boîtes, le module The Isle of Dread, Keep on the Border Lands... Je trouvais que, par rapport au module B1 – In search of the Unknown, qui était dans ma toute première boîte dont je parlais tout à l’heure, le B2 – The Keep of The Border Lands, c’était Kingmaker à côté. Il y avait des monstres qui se parlaient entre eux, c’était le délire. Tu avais le choix entre huit cavernes pour entrer dans le complexe, c’était fully interactive !
Casus Belli : Avant de commencer à jouer, tu avais vu des gens le faire ou tu as été un pur autodidacte ?
Croc : C’est simple. C’est à cause des frères Bogdanov ! Si si ! Parce que dans Temps X, leur émission, ils avaient parlé d’un vieux wargame et j’avais trop kiffé ! Je m’étais dit : il faut que j’aie ça. Mais j’étais minot, je n’allais pas à Paris et je ne pouvais pas le trouver. Un jour, Jeux Descartes a tenu un stand à Vélizy 2, là où j’allais avec mes parents pour faire les courses. Ils avaient trois-quatre trucs qui se battaient en duel, quelques wargames et j’avais acheté Napoléon à Austerlitz. J’y ai joué pendant des mois. Et comme il y avait l’adresse de Jeux Descartes au dos, mes parents m’ont emmené un jour au magasin. C’est là que j’ai vu la boîte de D&D. Je croyais que c’était un wargame, et comme j’ai vu un dragon, et que ça me branchait plus que les dragons de Napoléon, je l’ai acheté. Ensuite je n’ai rien compris. Et la boîte a un peu dormi.
Casus Belli : Tu parlais anglais ?
Croc : Pas trop. Je regardais les images, et les images du Basic Set, il y a de quoi ruiner une enfance ! J’avais donc plutôt rien compris. Et après, il y a eu Jeux et Stratégies n°4 et ils ont expliqué ce qu’était vraiment le jeu de rôle. Je me suis remis à ma boîte et là c’était fini ! Ou plutôt, ça commençait.
Casus Belli : Qu’est-ce qui fait que tu t’y remets lorsque tu lis Kingmaker et Pathfinder ? Qu’est-ce qui t’a donné envie de rejouer ?
Croc : J’ai longtemps cru que je détestais Donjons à cause de son système. En fait, non. C’était l’indigence des scénarios. À l’époque, quand j’entendais les gens parler de leurs scénarios, quand je voyais ce qui paraissait dans Casus Belli – La gorge de Fafnir, tout ça – ça me gonflait, ça n’avait aucun intérêt ! Pour moi, c’était du wargame, sauf que le wargame le faisait mieux. En découvrant Pathfinder, je me suis dit : putain, ils se sont enfin mis à écrire comme des Européens. Enfin, pas toujours, parce que tu as encore souvent un gros donjon qui craint au milieu du truc, mais en tout cas, moi, ai-je trouve dedans une matière suffisante pour construire ce que je veux. Et surtout, ce n’est pas chiant à lire. Ils te racontent des petites histoires, il y a du background à lire. Le format de ces campagnes est vraiment très bien. Il y a un vrai plaisir de lecture, même avant de jouer. C’est important parce qu’avant, il y a avait plein de scénarios où on se faisait vraiment chier à la lecture.
Casus Belli : L’envie de se remettre au JdR n’était pas déjà là avant de tomber sur Kingmaker à cette GenCon ?
Croc : Non. C’était le hasard.
Casus Belli : Pourquoi tu avais arrêté le JdR ?
Croc : Je n’avais plus l’envie de jouer. J’avais déjà un peu arrêté avant la fin d’In Nomine. C’est pour ça que j’ai arrêté, parce que ça me semblait un peu malhonnête de vendre du JdR sans y jouer. Les scénars étaient testés par des équipes extérieures, donc je savais si ça tournait ou non mais je ne trouvais pas ça très bien… Un éditeur de jeu (et j’en rencontre) qui me dit : «oh moi, j’ai plus le temps de jouer», c’est un escroc. Moi, je n’avais plus envie. Est-ce que c’est à cause de la peinture de figurines Warhammer Battle, de World of Warcraft ? Ou d’autre chose, de mes serpents par exemple ? Je ne sais pas. J’étais passé à autre chose. Un loisir, ça doit rester un loisir.
Casus Belli : Le milieu du JdR est aussi resté un peu sinistré pendant une longue période…
Croc : Oui, en français, il n’y avait plus rien qui me branchait, rien du tout. Et toujours pas d’ailleurs. En américain, c’était le début des trucs undergrounds, donc cheap. Et moi j’aime bien les trucs jolis. En y réfléchissant bien, avant de tomber sur Kingmaker, j’avais fait jouer une ou deux parties à mon fils, et c’était avec la boîte de base de Dragon Age. Il avait joué au jeu vidéo Dragon Age et je voulais lui faire découvrir le truc. Ça l’avait branché sans plus. Parce que c’était trop limité en fait. Les gamins de 13-14 ans, quand ils jouent à WoW, les perso de Dragon Age avec deux ou trois capacités, ce n’est pas possible. Après, quand ils prennent Pathfinder dans la gueule, c’est différent, ça les calme ! (rires) Et puis j’ai recommencé en faisant jouer mon fils et ses potes mais t’as plus l’impression d’être instit’ que maître de jeu ;
«taisez vous dans les rangs ou je mets zéro à tout le monde !» Au final, c’est aussi parce que les gamins n’étaient pas trop motivés.
Aujourd’hui, mon fils fait jouer les gens chez Asmodée (l’éditeur). Il veut des joueurs sérieux et les gars de son âge, en tout cas ses potes, ne l’étaient pas. Pour jouer au JdR, il faut vraiment une motivation de dingue et un mec qui fouette, qui dit : «c’est dans quinze jours, annulez tout !» Il faut un peu une tête de con pour faire ça, et personne ne le fait mieux que moi ! Pour tenir une campagne sur un an, c’est dur ! C’est comme dans les cours d’école, après les deux mois de vacances, c’est chaud. En septembre, qui reprend ? C’est dur ! D’ailleurs, s’ils nous entendent, si les Américains pouvaient faire un truc un peu plus court... ?
Casus Belli : Entre 1982 et Pathfinder, rien ne t’a branché dans la galaxie D&D, ni AD&D2, D&D3, les univers Planescape, Dark Sun, tout ça ?
Croc : Rien du tout. Je pense que j’ai fait un rejet à la con. Le système ne me branchait plus trop mais j’avais tort. Par exemple, à un moment, je ne jurais plus que par Shadowrun mais jamais je ne rejouerai à Shadowrun, c’est impossible ! L’univers est extraordinaire, mais ça veut dire pas de decker, pas de rigger parce que ça ralentit tout ! Pourtant, j’y ai beaucoup joué, mais alors beaucoup ! Le système de D&D est un peu basique mais il est hyper intuitif, ça marche bien. C’est vrai que je préférerai que la magie soit gérée avec des points de magie mais bon…
Casus Belli : Tu n’as pas non plus essayé la 3.5 de D&D ? C’était quand même édité chez vous à Asmodee ?
Croc : J’ai bien regardé à ce moment-là mais je n’ai pas testé. J’ai admiré le boulot. Voir un jeu de rôle traité enfin comme il se devait, c’est-à-dire comme une extension de Magic, enfin tu vois ce que je veux dire ?
Casus Belli : C’est un compliment ?
Croc : Oui, c’est un compliment ! Les mots-clés précis, la rationalisation, les trucs qui ont toujours les mêmes noms et les mêmes effets ! Après, il n’y avait pas de scénario donc je ne voyais pas quoi en faire. J’ai lu des trucs qu’on a traduits, j’ai dit : ok, c’est de la merde ! J’ai écrit Le pic de Malmort, un scénario qui n’a pas eu de suite parce qu’il ne s’est pas assez bien vendu. Ah si ! À l’époque, j’ai fait jouer une campagne entre midi et deux à Asmodée, j’ai fait jouer Freeport. On s’est super bien marré, tous les joueurs sont morts, ils se sont trouvés trop nuls et on a arrêté. Le groupe n’allait pas. Donc j’ai joué un mois et demi, six sessions. Je l’avais oublié. On savait très bien pourquoi notre groupe n’allait pas, mais dans un contexte de taf, tu ne peux pas dire : notre groupe ne marche pas, c’est toi le problème donc tu t’en vas. Sinon, c’est mauvaise ambiance.
Casus Belli : Ta vision sur l’ensemble de l’histoire de D&D, c’est quoi ?
Croc : Je jouais tellement à donf’ avant… En quatrième au collège, enfin, lors de ma deuxième quatrième ( merci le jeu de rôle ) je ne lisais que Donjons & Dragons. Uniquement. Je ne lisais aucun autre livre, je ne travaillais plus en cours, je ne faisais que ça. J’étais complètement accro. En cours, j’écrivais mes scénars, avec le livre des monstres sur les genoux. Je ne faisais plus rien d’autre. Zéro. J’ai tout arrêté immédiatement. Le truc de ma vie m’était tombé dessus. La suite a confirmé que c’était vraiment ça. Après, je m’en suis désintéressé. Je n’avais pas de mépris. Sur la troisième édition, j’ai pris dans la gueule le boulot effectué mais ça ne m’a pas donné assez envie pour m’y remettre. Pas de scénar, pas de jeu. Et je n’avais plus l’envie d’en écrire. Il y a des exceptions après, des jeux où tu peux écrire ton scénario en cinq minutes sur un coin de table. C’est le cas d’In Nomine, de Toon, Paranoïa. On peut aussi improviser. Avec Donjons, pour improviser, c’est chaud. Aujourd’hui, je suis capable de le faire, mais après trente ans d’expérience.
Casus Belli : Qu’as-tu pensé de la quatrième édition ?
Croc : Le jour où c’est sorti, j’ai acheté les trois bouquins. Le travail n’est pas mauvais mais il y a des trucs pas possibles… L’obligation de jouer avec des cases où sinon tu enlèves la moitié des pouvoirs. Le fait que les pouvoirs utilisables une fois par jour ou une fois par rencontre soient dépendants d’un jet de dé. On peut pas jouer comme ça. Non seulement il n’y a qu’un moment où tu vas briller dans ta journée, mais en plus tu risques de faire 1 sur le dé et de rater ta chance. Normalement, un druide qui se transforme en ours, il va peut être se faire dessus après, mais sur le coup, il se transforme en ours ! Et ça a de la gueule. Pareil pour le châtiment du mal du paladin. Au-delà de tout, il y avait le problème des scénarios. Et tout ça sans parler de la présentation du bouquin ! Visuellement, ça ne ressemble pas à de l’heroic fantasy. Je ne trouve pas. Et puis pas de barbare ni de druide dans le bouquin de base. Il fallait acheter trois manuels des joueurs pour avoir toutes les classes que j’aimais bien, ce n’est pas possible. Après, le fait que ce soit vraiment jouable au niveau 20, c’est bien. Sauf que c’est aussi compliqué au niveau 20 qu’au niveau 1 ! Tout le monde me dit que les combats vont hyper vite. À chaque fois que j’ai testé, j’ai fait deux combats dans la soirée !
Casus Belli : Et pour D&D Next, tu avais l’air à fond au début ?
Croc : À fond ! Et puis après, j’attendais autre chose et il n’y a rien eu de plus. Là, je n’ai plus trop suivi mais ça m’avait l’air d’être du Pathfinder simplifié. Pourquoi pas, je suis client. S’il y a 800 monstres et 15 classes de perso simplifiées, pourquoi pas. Mais à jouer, pour l’instant, ce que j’ai testé, c’est tristounet, il ne se passe pas grand chose. À la sortie, ce sera peut être bien, mais filer en test les scénarios Keep on the borderlands et The Isle of Dread, voilà quoi. Même si c’est mon enfance, ce n’est plus possible !
Casus Belli : Ils ont sortis ensuite deux autres modules, basés sur Baldur’s Gate et Icewind Dale, sans règles. Les scénarios sont intéressants, mais présentés sans les données techniques.
Croc : Je ne les ai pas lus, mais de ce que vous me dites, ils partent sur les univers des jeux vidéo et ça me repousse. Même si j’ai adoré Baldur’s Gate, même si j’y ai joué, le jeu vidéo et le jeu de rôle ce sont deux choses différentes.
Propos recueillis par David Burckle et Damien Coltice au Festival International des jeux de Cannes
Extrait de Casus Belli HS n°0 Avril 2014 publier chez BBE
Extrait de Casus Belli HS n°0 Avril 2014 publier chez BBE
BONUS : Pourquoi Croc s'appelle Croc !
« C’était ma première quatrième. Je voulais aller voir le film de Tobe Hooper Le Crocodile de la mort. Film que je n’ai jamais vu. Je ne voulais pas aller le voir tout seul. Et comme un dingo – parce qu’il fallait me voir à l’époque, un petit gros à lunette avec un cartable plus large que lui – je suis allé demander à tout le monde dans le collège :
tu ne veux pas aller voir Le Crocodile de la mort avec moi ? Personne n’a voulu. Je suis allé voir autre chose. Ce que je ne savais pas, c’est qu’un groupe de potes, dont un mec qui était anglais, m’avait surnommé Croc, pour Crocodile de la mort.
Le jour où j’ai cherché des joueurs de Donjons & Dragons, eux (dont l’Anglais) avaient entendu parler de ça parce que c’était dans l’inconscient collectif des anglais avec le Seigneur des Anneaux et tout ça, alors qu’en France, c’était plutôt le niveau 0. Bref, ils ont accepté de venir jouer avec moi, on est devenus potes.
Un moment, lors d’une partie, j’en ai entendu un qui disait à l’autre : «Ben demande à Croc !». Moi je ne comprends pas, et l’autre me dit : «Ben, c’est comme ça que tu t’appelles parce qu’on t’appelle comme ça depuis six mois, du jour où tu nous as pété les rouleaux pour aller voir Le Crocodile de la mort !» Du coup, mon premier perso de Donjons, je l’ai appelé Croc. Et ce pote-là, que je n’avais pas vu depuis 25 ans, je l’ai recroisé il y a deux ans et il m’a dit : « Si ça avait été L’Alligator de la mort, tu t’appellerais Ali ! » (rires). »
tu ne veux pas aller voir Le Crocodile de la mort avec moi ? Personne n’a voulu. Je suis allé voir autre chose. Ce que je ne savais pas, c’est qu’un groupe de potes, dont un mec qui était anglais, m’avait surnommé Croc, pour Crocodile de la mort.
Le jour où j’ai cherché des joueurs de Donjons & Dragons, eux (dont l’Anglais) avaient entendu parler de ça parce que c’était dans l’inconscient collectif des anglais avec le Seigneur des Anneaux et tout ça, alors qu’en France, c’était plutôt le niveau 0. Bref, ils ont accepté de venir jouer avec moi, on est devenus potes.
Un moment, lors d’une partie, j’en ai entendu un qui disait à l’autre : «Ben demande à Croc !». Moi je ne comprends pas, et l’autre me dit : «Ben, c’est comme ça que tu t’appelles parce qu’on t’appelle comme ça depuis six mois, du jour où tu nous as pété les rouleaux pour aller voir Le Crocodile de la mort !» Du coup, mon premier perso de Donjons, je l’ai appelé Croc. Et ce pote-là, que je n’avais pas vu depuis 25 ans, je l’ai recroisé il y a deux ans et il m’a dit : « Si ça avait été L’Alligator de la mort, tu t’appellerais Ali ! » (rires). »
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
Hual Bouffeur d'Ecume
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Date d'inscription : 08/03/2012
Age : 44
Localisation : là où le vent me porte
Re: entretien avec...
entretien avec Sandy Petersen
On ne présente plus Sandy Petersen créateur de L’Appel de Cthulhu. Ce créateur de génie fait partie des Grands Anciens du JdR, au même titre que Gary Gygax ou Greg Staford. Ce sympathique passionné a accordé à Casus Belli une interview où il nous parle de sa carrière, de ses nouveaux projets et de sa vision du monde du jeu.
On ne présente plus Sandy Petersen créateur de L’Appel de Cthulhu. Ce créateur de génie fait partie des Grands Anciens du JdR, au même titre que Gary Gygax ou Greg Staford. Ce sympathique passionné a accordé à Casus Belli une interview où il nous parle de sa carrière, de ses nouveaux projets et de sa vision du monde du jeu.
Casus Belli : Si vous deviez résumer votre carrière de créateur de jeux avec quelques produits-clef, lesquels seraient-ils ?
Sandy Petersen : Eh bien… Les jeux sur lesquels j’ai travaillé et qui ont joué le plus grand rôle dans le monde du jeu sont L’Appel de Cthulhu en 1981 (le premier jeu de rôle d’horreur), Borderlands en 1992 (premier supplément au format boîte pour un JdR), Doom en 1993 (premier jeu vidéo First Person Shooter multijoueurs à succès), Rise of Rome en 1998 (première expansion pour un jeu vidéo amenant plus que quelques niveaux/missions supplémentaires), Age of Empires III (qui a introduit la notion de monde persistant dans les jeux de stratégie en temps réel), et Cthulhu Wars en 2013 (qui marque mon retour dans le monde du jeu sur table, en plus d’avoir été financé par un Kickstarter au succès retentissant).
CB : Pouvez-vous nous en dire plus sur la création du JdR L’Appel de Cthulhu, et sur votre participation dans ce processus ?
SP : J’étais en contact avec Greg Stafford, qui travaillait à l’époque pour Chaosium Inc., dans le cadre d’un projet pour créer un supplément pour RuneQuest ayant pour base les contrées du rêve de H. P. Lovecraft. Ils voulaient en fait créer un jeu indépendant, centré sur le XXe siècle et inspiré par les concepts du Mythe de Cthulhu. Cela m’enthousiasmait énormément bien sûr. J’ai depuis appris que Chaosium n’aimait pas particulièrement Lovecraft en tant qu’auteur, mais qu’ils étaient intelligents et qu’ils comprenaient que seul un créateur avec une grande appréciation pour son œuvre pouvait élaborer un bon jeu sur ce thème. J’ai un grand respect pour leur perspicacité.
CB : Que pensez-vous du regain d'intérêt du grand public pour l’univers du Mythe de Cthulhu ?
SP : Pour expliquer cela, je vais faire référence à un événement particulier. J’étais récemment invité au festival du cinéma lovecraftien à Portland (Oregon), afin de recevoir une récompense pour ma contribution à la promotion de l’œuvre de HPL. Là-bas, les organisateurs ont expliqué que les deux plus grands facteurs ayant permis la popularité actuelle de Lovecraft étaient mon jeu (L’Appel de Cthulhu) et les films de Stuart Gordon (Réanimator et Aux portes de l’au-delà). Ces deux supports médiatiques ont fait découvrir Lovecraft à un plus grand nombre de personnes que tous les autres jusque-là. Littéralement, plusieurs milliers de joueurs m’ont confié avoir commencé à lire Lovecraft grâce à mon jeu. Je suis certain qu’il en est de même pour les merveilleux films de Gordon et Yuzna.
Et maintenant, la boucle est bouclée, puisque je suis le producteur exécutif d’un film dans l’univers de Lovecraft : The Whisperer in Darkness. Si jamais Yuzna ou Gordon décident de participer à la création d’un jeu, le cycle sera complet !
CB : Avez-vous un secret sur L’Appel de Cthulhu que vous voudriez partager ?
SP : J’ai prétendu que tous les monstres étaient directement tirés des histoires du Mythe, mais en fait, certains sont de pures inventions de ma part. Ils sont depuis devenus de vraies icônes emblématiques et ont été utilisés dans d’autres jeux et sources. Au départ, ils correspondaient juste à un besoin d’étoffer la liste des monstres.
CB : Pensez-vous de nouveau écrire pour le jeu de rôle ? Pour L’Appel de Cthulhu ?
SP : En fait, je suis en train d’écrire une introduction pour la 7e édition de L’Appel de Cthulhu, et une bonne quantité d’articles pour le guide de Glorantha. Donc j’ai déjà commencé mon retour dans ce milieu !
CB : Avez-vous suivi l’évolution de L’Appel de Cthulhu au il de ses éditions, et si oui qu’en pensez-vous ?
SP : J’ai remarqué qu’avec chaque nouvelle version, les Investigateurs avaient de plus en plus de chance de survivre face aux créatures du Mythe. Je pense que cela est dû au fait que Lynn Willis et Charlie Krank, qui tiennent les rênes de Chaosium depuis très longtemps, ont une vision fondamentalement optimiste du monde, qui se relète dans le jeu. Cependant, le plus gros problème à mon avis... c’est qu’à partir de la 5e édition, ils ont retiré mon portrait de la quatrième de couverture !
CB : Que pensez-vous de l’évolution des JdR depuis que vous travaillez dans ce domaine ?
SP : Je déplore la tendance des JdR à vouloir de plus en plus se contenter de raconter une histoire. Selon moi, nous avons déjà de très bonnes façons de conter des histoires. Nous n’avons néanmoins pas beaucoup de moyens dans lesquelles les gens peuvent influencer une histoire en tant que groupe créatif, en interagissant les uns avec les autres et en donnant à la chance une part créative. C’est l’avantage des JdR par rapport aux films, MMORPG et autres systèmes de narration.
CB : Comment sera, selon vous, l’évolution des JdR dans le futur ?
SP : Je ne suis pas certain qu’ils aient besoin d’évoluer. Je suis sûr qu’ils vont changer, mais la narration, la créativité et l’interaction, qui sont des composants des JdR, nous accompagnent depuis les âges paléolithiques.
CB : Êtes-vous plutôt MJ ou joueur ?
SP : J’ai toujours été, et serai toujours un maître de jeu.
CB : Vous rappelez-vous de votre premier personnage de JdR ?
SP : Pas du tout. En 1974, il était assez clair que nous n’avions qu’une vague idée de ce que le roleplay voulait dire. Je ne me rappelle même pas sa classe de personnage. Dans mon groupe d’amis, PERSONNE n’avait d’expérience dans les jeux de rôle. C’était pour nous un grand mystère. Notre seul guide venait des quelques indices contenus dans le livre III de Dungeons & Dragons. Nous faisions néanmoins de notre mieux.
CB : Avez-vous un bon souvenir d’une session de JdR que vous voudriez partager ?
SP : Je me rappelle d’une session de l’AdC pour laquelle Greg Stafford oficiait. C’était vers la fin des années 80, à la convention Origins de Los Angeles. Tous les joueurs étaient des auteurs professionnels pour la gamme de L’Appel de Cthulhu (moi-même, Larry DiTillo, Charlie Krank, etc.), et nous avons été si incompétents dans notre enquête que, lorsque nous sommes arrivés au Pérou, nous n’avons même pas eu l’occasion de sortir de l’aéroport.
Nous n’avons pas suivi le moindre indice lovecraftien, nous avons passé notre temps à nous embrouiller les uns les autres et à nous mettre dans le pétrin. L’apothéose est survenue lorsque le personnage de DiTillo devait partir de là au plus vite (nous avions tous commis des actions illégales), et qu’il a pour ce faire volé un avion. Il ne savait pas comment le piloter en revanche, et s’est écrasé sur des réservoirs à pétrole, détruisant ainsi la moitié de Cuzco. Greg présumait que nous allions être super efficaces pour affronter le Mythe, mais il a suffi de quelques flics péruviens pour nous barrer la route !
CB : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
SP : Sur Cthulhu Wars et ses suppléments.
CB : Comment le concept de Cthulhu Wars vous est-il venu ?
SP : Mon partenaire commercial m’embêtait depuis un bout de temps pour créer un jeu de plateau. J’y ai résisté pendant des mois. Puis l’idée m’est venue de créer une application pour iPhone, un jeu de stratégie dans l’univers de Cthulhu. Nous avons fait
un Kickstarter qui s’est planté magistralement. Je me suis alors dit :
« Pourquoi pas un jeu de plateau ? », et voilà. J’ai commencé à plancher dessus en novembre 2012, et mon inspiration était telle que cela venait naturellement. Je ne sais pas si je canalisais une source issue d’un ancien éon, ou si ces idées s’étaient accumulées en moi depuis longtemps et ne demandaient qu’à sortir, mais le jeu a instantanément plu à toutes les personnes qui l’ont essayé.
CB : Pensez-vous que les fans de L’Appel de Cthulhu vont aimer Cthulhu Wars, et si oui, pourquoi ?
SP : Je suis un fan de L’Appel de Cthulhu, et j’adore ce jeu, donc ça fait déjà un ! Sérieusement, je pense qu’ils vont beaucoup l’aimer. Dans L’Appel de Cthulhu, on n’a jamais l’occasion de voir les Dieux Extérieurs et les Grands Anciens dans toute leur splendeur. Si Nyarlathotep ou Cthulhu s’éveillaient complètement dans l’AdC, le jeu serait fini avant même qu’on puisse voir de quoi ils sont capables. Je voulais créer un jeu dans lequel on peut s’amuser avec TOUS les jouets dont disposent les divinités du Mythe, un jeu où Shub-Niggurath peut étendre son horreur à travers le globe, où Ithaqua peut givrer des continents entiers dans la glace, où le Roi en Jaune peut profaner la terre, et où Cthulhu peut envahir le monde à la tête de sa horde de monstres quasi indestructibles. C’est en quelque sort une démangeaison que Cthulhu Wars me permet de gratter. Bien sûr, j’ai aussi toujours voulu voir de jolies igurines des monstres du Mythe de Cthulhu, et maintenant je peux les avoir, tout comme quiconque désirant se les procurer. Sans ce jeu, comment pourriez-vous trouver une igurine de Rhan-Tegoth ?
CB : Quelle a été votre projet favori jusqu’ici ?
SP : Voyons… Le jeu de ma création qui a le eu le plus d’influence sur le monde est probablement Doom. Celui qui selon moi a été le meilleur travail créatif est probablement Age of Empires III: The Warchiefs : j’ai tout donné dans celui-là. Le jeu de ma création qui a été le plus amusant à concevoir et m’a vraiment fait plaisir est Cthulhu Wars.
CB : Qu’est-ce qui vous motive pour écrire et créer ?
SP : Je suis dans l’heureuse position de pouvoir gagner ma vie grâce à l’écriture et la création, donc je n’ai pas à me justiier d’avoir à « prendre du temps » sur mon travail pour poursuivre ces activités. Ma réponse la plus cynique serait « pour gagner ma vie », mais en vérité j’aime créer des jeux, et j’aime encore plus interagir et communiquer avec les fans qui y jouent. Lors des dernières heures du Kickstarter de Cthulhu Wars, j’étais scotché sur la page des commentaires pour communiquer avec les fans tout en regardant l’horloge. En fait, je suis avant tout un fan passionné, et un de ceux qui ont également la chance d’avoir leurs propres fans.
CB : Quel jeu auriez-vous adoré avoir créé vous-même ?
SP : Monster Rancher, curieusement (NdT : il s’agit d’une série de 14 jeux vidéo et JdR japonais).
CB : Jouez-vous souvent et régulièrement ?
SP : Sans compter les heures passées à tester mes créations au quotidien, je joue aux JdR et jeux de plateau presque tous les samedis. Je joue à des jeux vidéos pendant mes breaks, une demi-heure minimum chaque jour.
CB : Jouez-vous à d’autres jeux que les JdR ? Lesquels ?
SP : Je joue à presque tous les types de jeux, sauf ceux à base de sport. J’ai une bibliothèque de jeux de plateau et de JdR gigantesque, et mon expérience professionnelle dans le monde du jeu vidéo signifie aussi que j’en ai une belle collection.
CB : Quels jeux et univers préférez-vous en tant que joueur ?
SP : J’aime avant tout être surpris. Les jeux qui suivent un genre donné de façon trop rigide m’intéressent rarement.
CB : Allez-vous souvent aux conventions de jeu ?
SP : Je vais fréquemment dans des conventions.
CB : Quelles sont vos favorites ?
SP : Cette année, j’ai participé à six conventions, donc cinq aux États-Unis, ce qui est inhabituel. En général la plupart des conventions que je fréquente sont en Europe.
CB : Quelles ont été vos plus grandes influences, pour votre carrière ?
SP : Tout d’abord D&D pour le concept du roleplay. Puis Runequest pour le concept d’un jeu basé sur un système de compétences. Enfin, mon sens de la contradiction qui a donné L’Appel de Cthulhu : dans les autres JdR, les personnages deviennent de plus en plus puissants. Dans l’AdC ils s’affaiblissent. Dans les autres JdR, les combats occupent une position centrale, et donc les règles disposent de systèmes de simulation intéressants pour cela. Dans l’AdC, on évite les combats et le contact avec les créatures autant que possible. Dans les autres JdR, ça se finit généralement avec un combat d’apothéose contre un « boss ». Dans l’AdC, l’idée d’un combat contre un « boss » revient à couler du béton dans le puits avant même que le monstre ne pointe le bout de son tentacule. Dans les autres JdR, les personnages sont traités comme des individus spéciaux au-dessus du commun des mortels. Dans l’AdC, il est assumé que vous êtes parfaitement normal, au mieux. À mon avis, c’est cette nature contradictoire et paradoxale de L’Appel de Cthulhu qui lui a permis de bien vieillir et de survivre au passage des années. Si vous voulez vivre une expérience rôlistique normale, vous pouvez le faire avec de nombreux jeux, mais si vous voulez quelque chose d’unique, où trouver un vieux livre moisi dans une bibliothèque est plus important que de trouver un coffre rempli de doublons, alors l’AdC est peut-être pour vous.
CB : Avec vous un rêve que vous voudriez accomplir dans le domaine du JdR ?
SP : J’ai eu l’occasion de participer à la création d’un MMORPG de science-fiction à gros budget, pour lequel j’étais entièrement responsable de la création de l’univers (malheureusement annulé lorsque Microsoft a licencié l’équipe entière d’Ensemble Studios). C’était éclatant ! Je doute d’avoir l’occasion de créer un MMORPG dans le futur, mais j’espère avoir la chance de créer un autre univers de SF.
Sandy Petersen : Eh bien… Les jeux sur lesquels j’ai travaillé et qui ont joué le plus grand rôle dans le monde du jeu sont L’Appel de Cthulhu en 1981 (le premier jeu de rôle d’horreur), Borderlands en 1992 (premier supplément au format boîte pour un JdR), Doom en 1993 (premier jeu vidéo First Person Shooter multijoueurs à succès), Rise of Rome en 1998 (première expansion pour un jeu vidéo amenant plus que quelques niveaux/missions supplémentaires), Age of Empires III (qui a introduit la notion de monde persistant dans les jeux de stratégie en temps réel), et Cthulhu Wars en 2013 (qui marque mon retour dans le monde du jeu sur table, en plus d’avoir été financé par un Kickstarter au succès retentissant).
CB : Pouvez-vous nous en dire plus sur la création du JdR L’Appel de Cthulhu, et sur votre participation dans ce processus ?
SP : J’étais en contact avec Greg Stafford, qui travaillait à l’époque pour Chaosium Inc., dans le cadre d’un projet pour créer un supplément pour RuneQuest ayant pour base les contrées du rêve de H. P. Lovecraft. Ils voulaient en fait créer un jeu indépendant, centré sur le XXe siècle et inspiré par les concepts du Mythe de Cthulhu. Cela m’enthousiasmait énormément bien sûr. J’ai depuis appris que Chaosium n’aimait pas particulièrement Lovecraft en tant qu’auteur, mais qu’ils étaient intelligents et qu’ils comprenaient que seul un créateur avec une grande appréciation pour son œuvre pouvait élaborer un bon jeu sur ce thème. J’ai un grand respect pour leur perspicacité.
CB : Que pensez-vous du regain d'intérêt du grand public pour l’univers du Mythe de Cthulhu ?
SP : Pour expliquer cela, je vais faire référence à un événement particulier. J’étais récemment invité au festival du cinéma lovecraftien à Portland (Oregon), afin de recevoir une récompense pour ma contribution à la promotion de l’œuvre de HPL. Là-bas, les organisateurs ont expliqué que les deux plus grands facteurs ayant permis la popularité actuelle de Lovecraft étaient mon jeu (L’Appel de Cthulhu) et les films de Stuart Gordon (Réanimator et Aux portes de l’au-delà). Ces deux supports médiatiques ont fait découvrir Lovecraft à un plus grand nombre de personnes que tous les autres jusque-là. Littéralement, plusieurs milliers de joueurs m’ont confié avoir commencé à lire Lovecraft grâce à mon jeu. Je suis certain qu’il en est de même pour les merveilleux films de Gordon et Yuzna.
Et maintenant, la boucle est bouclée, puisque je suis le producteur exécutif d’un film dans l’univers de Lovecraft : The Whisperer in Darkness. Si jamais Yuzna ou Gordon décident de participer à la création d’un jeu, le cycle sera complet !
CB : Avez-vous un secret sur L’Appel de Cthulhu que vous voudriez partager ?
SP : J’ai prétendu que tous les monstres étaient directement tirés des histoires du Mythe, mais en fait, certains sont de pures inventions de ma part. Ils sont depuis devenus de vraies icônes emblématiques et ont été utilisés dans d’autres jeux et sources. Au départ, ils correspondaient juste à un besoin d’étoffer la liste des monstres.
CB : Pensez-vous de nouveau écrire pour le jeu de rôle ? Pour L’Appel de Cthulhu ?
SP : En fait, je suis en train d’écrire une introduction pour la 7e édition de L’Appel de Cthulhu, et une bonne quantité d’articles pour le guide de Glorantha. Donc j’ai déjà commencé mon retour dans ce milieu !
CB : Avez-vous suivi l’évolution de L’Appel de Cthulhu au il de ses éditions, et si oui qu’en pensez-vous ?
SP : J’ai remarqué qu’avec chaque nouvelle version, les Investigateurs avaient de plus en plus de chance de survivre face aux créatures du Mythe. Je pense que cela est dû au fait que Lynn Willis et Charlie Krank, qui tiennent les rênes de Chaosium depuis très longtemps, ont une vision fondamentalement optimiste du monde, qui se relète dans le jeu. Cependant, le plus gros problème à mon avis... c’est qu’à partir de la 5e édition, ils ont retiré mon portrait de la quatrième de couverture !
CB : Que pensez-vous de l’évolution des JdR depuis que vous travaillez dans ce domaine ?
SP : Je déplore la tendance des JdR à vouloir de plus en plus se contenter de raconter une histoire. Selon moi, nous avons déjà de très bonnes façons de conter des histoires. Nous n’avons néanmoins pas beaucoup de moyens dans lesquelles les gens peuvent influencer une histoire en tant que groupe créatif, en interagissant les uns avec les autres et en donnant à la chance une part créative. C’est l’avantage des JdR par rapport aux films, MMORPG et autres systèmes de narration.
CB : Comment sera, selon vous, l’évolution des JdR dans le futur ?
SP : Je ne suis pas certain qu’ils aient besoin d’évoluer. Je suis sûr qu’ils vont changer, mais la narration, la créativité et l’interaction, qui sont des composants des JdR, nous accompagnent depuis les âges paléolithiques.
CB : Êtes-vous plutôt MJ ou joueur ?
SP : J’ai toujours été, et serai toujours un maître de jeu.
CB : Vous rappelez-vous de votre premier personnage de JdR ?
SP : Pas du tout. En 1974, il était assez clair que nous n’avions qu’une vague idée de ce que le roleplay voulait dire. Je ne me rappelle même pas sa classe de personnage. Dans mon groupe d’amis, PERSONNE n’avait d’expérience dans les jeux de rôle. C’était pour nous un grand mystère. Notre seul guide venait des quelques indices contenus dans le livre III de Dungeons & Dragons. Nous faisions néanmoins de notre mieux.
CB : Avez-vous un bon souvenir d’une session de JdR que vous voudriez partager ?
SP : Je me rappelle d’une session de l’AdC pour laquelle Greg Stafford oficiait. C’était vers la fin des années 80, à la convention Origins de Los Angeles. Tous les joueurs étaient des auteurs professionnels pour la gamme de L’Appel de Cthulhu (moi-même, Larry DiTillo, Charlie Krank, etc.), et nous avons été si incompétents dans notre enquête que, lorsque nous sommes arrivés au Pérou, nous n’avons même pas eu l’occasion de sortir de l’aéroport.
Nous n’avons pas suivi le moindre indice lovecraftien, nous avons passé notre temps à nous embrouiller les uns les autres et à nous mettre dans le pétrin. L’apothéose est survenue lorsque le personnage de DiTillo devait partir de là au plus vite (nous avions tous commis des actions illégales), et qu’il a pour ce faire volé un avion. Il ne savait pas comment le piloter en revanche, et s’est écrasé sur des réservoirs à pétrole, détruisant ainsi la moitié de Cuzco. Greg présumait que nous allions être super efficaces pour affronter le Mythe, mais il a suffi de quelques flics péruviens pour nous barrer la route !
CB : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
SP : Sur Cthulhu Wars et ses suppléments.
CB : Comment le concept de Cthulhu Wars vous est-il venu ?
SP : Mon partenaire commercial m’embêtait depuis un bout de temps pour créer un jeu de plateau. J’y ai résisté pendant des mois. Puis l’idée m’est venue de créer une application pour iPhone, un jeu de stratégie dans l’univers de Cthulhu. Nous avons fait
un Kickstarter qui s’est planté magistralement. Je me suis alors dit :
« Pourquoi pas un jeu de plateau ? », et voilà. J’ai commencé à plancher dessus en novembre 2012, et mon inspiration était telle que cela venait naturellement. Je ne sais pas si je canalisais une source issue d’un ancien éon, ou si ces idées s’étaient accumulées en moi depuis longtemps et ne demandaient qu’à sortir, mais le jeu a instantanément plu à toutes les personnes qui l’ont essayé.
CB : Pensez-vous que les fans de L’Appel de Cthulhu vont aimer Cthulhu Wars, et si oui, pourquoi ?
SP : Je suis un fan de L’Appel de Cthulhu, et j’adore ce jeu, donc ça fait déjà un ! Sérieusement, je pense qu’ils vont beaucoup l’aimer. Dans L’Appel de Cthulhu, on n’a jamais l’occasion de voir les Dieux Extérieurs et les Grands Anciens dans toute leur splendeur. Si Nyarlathotep ou Cthulhu s’éveillaient complètement dans l’AdC, le jeu serait fini avant même qu’on puisse voir de quoi ils sont capables. Je voulais créer un jeu dans lequel on peut s’amuser avec TOUS les jouets dont disposent les divinités du Mythe, un jeu où Shub-Niggurath peut étendre son horreur à travers le globe, où Ithaqua peut givrer des continents entiers dans la glace, où le Roi en Jaune peut profaner la terre, et où Cthulhu peut envahir le monde à la tête de sa horde de monstres quasi indestructibles. C’est en quelque sort une démangeaison que Cthulhu Wars me permet de gratter. Bien sûr, j’ai aussi toujours voulu voir de jolies igurines des monstres du Mythe de Cthulhu, et maintenant je peux les avoir, tout comme quiconque désirant se les procurer. Sans ce jeu, comment pourriez-vous trouver une igurine de Rhan-Tegoth ?
CB : Quelle a été votre projet favori jusqu’ici ?
SP : Voyons… Le jeu de ma création qui a le eu le plus d’influence sur le monde est probablement Doom. Celui qui selon moi a été le meilleur travail créatif est probablement Age of Empires III: The Warchiefs : j’ai tout donné dans celui-là. Le jeu de ma création qui a été le plus amusant à concevoir et m’a vraiment fait plaisir est Cthulhu Wars.
CB : Qu’est-ce qui vous motive pour écrire et créer ?
SP : Je suis dans l’heureuse position de pouvoir gagner ma vie grâce à l’écriture et la création, donc je n’ai pas à me justiier d’avoir à « prendre du temps » sur mon travail pour poursuivre ces activités. Ma réponse la plus cynique serait « pour gagner ma vie », mais en vérité j’aime créer des jeux, et j’aime encore plus interagir et communiquer avec les fans qui y jouent. Lors des dernières heures du Kickstarter de Cthulhu Wars, j’étais scotché sur la page des commentaires pour communiquer avec les fans tout en regardant l’horloge. En fait, je suis avant tout un fan passionné, et un de ceux qui ont également la chance d’avoir leurs propres fans.
CB : Quel jeu auriez-vous adoré avoir créé vous-même ?
SP : Monster Rancher, curieusement (NdT : il s’agit d’une série de 14 jeux vidéo et JdR japonais).
CB : Jouez-vous souvent et régulièrement ?
SP : Sans compter les heures passées à tester mes créations au quotidien, je joue aux JdR et jeux de plateau presque tous les samedis. Je joue à des jeux vidéos pendant mes breaks, une demi-heure minimum chaque jour.
CB : Jouez-vous à d’autres jeux que les JdR ? Lesquels ?
SP : Je joue à presque tous les types de jeux, sauf ceux à base de sport. J’ai une bibliothèque de jeux de plateau et de JdR gigantesque, et mon expérience professionnelle dans le monde du jeu vidéo signifie aussi que j’en ai une belle collection.
CB : Quels jeux et univers préférez-vous en tant que joueur ?
SP : J’aime avant tout être surpris. Les jeux qui suivent un genre donné de façon trop rigide m’intéressent rarement.
CB : Allez-vous souvent aux conventions de jeu ?
SP : Je vais fréquemment dans des conventions.
CB : Quelles sont vos favorites ?
SP : Cette année, j’ai participé à six conventions, donc cinq aux États-Unis, ce qui est inhabituel. En général la plupart des conventions que je fréquente sont en Europe.
CB : Quelles ont été vos plus grandes influences, pour votre carrière ?
SP : Tout d’abord D&D pour le concept du roleplay. Puis Runequest pour le concept d’un jeu basé sur un système de compétences. Enfin, mon sens de la contradiction qui a donné L’Appel de Cthulhu : dans les autres JdR, les personnages deviennent de plus en plus puissants. Dans l’AdC ils s’affaiblissent. Dans les autres JdR, les combats occupent une position centrale, et donc les règles disposent de systèmes de simulation intéressants pour cela. Dans l’AdC, on évite les combats et le contact avec les créatures autant que possible. Dans les autres JdR, ça se finit généralement avec un combat d’apothéose contre un « boss ». Dans l’AdC, l’idée d’un combat contre un « boss » revient à couler du béton dans le puits avant même que le monstre ne pointe le bout de son tentacule. Dans les autres JdR, les personnages sont traités comme des individus spéciaux au-dessus du commun des mortels. Dans l’AdC, il est assumé que vous êtes parfaitement normal, au mieux. À mon avis, c’est cette nature contradictoire et paradoxale de L’Appel de Cthulhu qui lui a permis de bien vieillir et de survivre au passage des années. Si vous voulez vivre une expérience rôlistique normale, vous pouvez le faire avec de nombreux jeux, mais si vous voulez quelque chose d’unique, où trouver un vieux livre moisi dans une bibliothèque est plus important que de trouver un coffre rempli de doublons, alors l’AdC est peut-être pour vous.
CB : Avec vous un rêve que vous voudriez accomplir dans le domaine du JdR ?
SP : J’ai eu l’occasion de participer à la création d’un MMORPG de science-fiction à gros budget, pour lequel j’étais entièrement responsable de la création de l’univers (malheureusement annulé lorsque Microsoft a licencié l’équipe entière d’Ensemble Studios). C’était éclatant ! Je doute d’avoir l’occasion de créer un MMORPG dans le futur, mais j’espère avoir la chance de créer un autre univers de SF.
Propos recueillis, transcrits et traduits par Franck « Booga » Florentin
Extrait de Casus Belli n°9 Mai - Juin 2014
Extrait de Casus Belli n°9 Mai - Juin 2014
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
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Re: entretien avec...
entretien avec Frédéric Weil
« L’aventure Multisim s’est révélée passionnante, exaltante et éreintante »
Pour les rôlistes des années 1990 et 2000, Frédéric Weil est un « ponte » du milieu du JdR. Co-fondateur de Multisim éditions et co-auteur de Nephilim avec son ami Fabrice Lamidey, il a également développé des passerelles entre le JdR, le jeu vidéo et le roman et a ressuscité Casus Belli à la mort de la première incarnation du magazine. Bien que l’histoire de Multisim et de Frédéric Weil soit entachée d’une gué-guerre pénible entre « pro » et « anti-Multisim » et d’une fin d’activité très douloureuse pour l'ensemble de la société, il a accepté de revenir avec nous sur l’histoire d’une société en avance sur son temps et qui a marqué le paysage ludique français.
« L’aventure Multisim s’est révélée passionnante, exaltante et éreintante »
Pour les rôlistes des années 1990 et 2000, Frédéric Weil est un « ponte » du milieu du JdR. Co-fondateur de Multisim éditions et co-auteur de Nephilim avec son ami Fabrice Lamidey, il a également développé des passerelles entre le JdR, le jeu vidéo et le roman et a ressuscité Casus Belli à la mort de la première incarnation du magazine. Bien que l’histoire de Multisim et de Frédéric Weil soit entachée d’une gué-guerre pénible entre « pro » et « anti-Multisim » et d’une fin d’activité très douloureuse pour l'ensemble de la société, il a accepté de revenir avec nous sur l’histoire d’une société en avance sur son temps et qui a marqué le paysage ludique français.
Casus Belli : Bonjour Frédéric. Alors, dis nous, comment a commencé l’aventure Multisim ?
Frédéric Weil : Multisim est né d’un travail commun avec Patrice Lamidey, avec qui j’ai coécrit Nephilim. On était joueurs de JdR depuis nos onze ans environ. On était amis d’enfance et on s’est retrouvé à Paris par petite annonce… Casus Belli ! Le truc incroyable ! Fabrice avait quinze ou seize ans et il cherchait des joueurs pour jouer à Donjons & Dragons et à d’autres jeux comme L’Appel de Cthulhu (AdC) ou Runequest. Moi je venais d’arriver de ma province où je jouais comme un fou au jeu de rôle et je ne connaissais personne à Paris. J’ai lu cette annonce et il se trouvait que Fabrice habitait à côté de là où ma famille s’était installée. Voilà, on a commencé à jouer et on est devenu les meilleurs amis du monde. On s’est éclaté comme ce n’est pas possible, d’abords à Donjons, puis à l’AdC, beaucoup beaucoup d’AdC, et puis on a testé plein de jeux. On a passé des soirées entières sur Chivalry & Sorcery, à jouer à des trucs pas possibles, Tunnels & Trolls…
CB : Des trucs déjà rétro à l’époque !
FW : Tout à fait ! (il cherche, enthousiaste) On a joué à Powers & Perils, un vieux jeu Avalon Hill, pendant de nombreux mois ! On a compris que c’était le truc de notre vie. Ensuite on a commencé nos études et on s’est rapidement rendu compte que les études, ce n’était pas pour nous. Entre temps, on avait vraiment flashé sur Runequest, surtout son univers, Glorantha. À l’époque, on commençait aussi à jouer en club, au Fer de lance par exemple. On avait joué avec Denis Gerfaud à Rêves de dragon, on commençait un peu à rentrer dans le côté associatif du jeu de rôle. Avec Fabrice, on a compris que Glorantha était un univers avec une richesse incroyable qui avait le potentiel pour qu’on puisse y créer des choses et cela reposait aussi sur des règles qui nous intéressaient : règles de construction d’univers, proche de la mythologie, proche des symboles. On a eu la chance de rencontrer Greg Staford relativement tôt et il nous a raconté comment il avait inventé Glorantha. Il avait vraiment suivi un processus artistique. On s’est bien entendu et à la suite de ça on a décidé de faire un fanzine sur Glorantha qui s’appelait Broo.
CB : C’est vous qui aviez monté Broo ?
FW : Oui ! En faisant Broo, finalement, on a commencé à apprendre le métier. En amateurs purs, évidemment. Le fanzine a commencé à avoir un petit public de gens qui trouvaient intéressant ce qu’on faisait. On s’est vite passionné pour la maquette, le fait d’imprimer le magazine, de mettre en place un processus éditorial pour rendre un texte qui soit lisible, etc...
Évidemment, c’était un peu n’importe quoi, mal fait, plein de coquilles. D’autant que c’était le démarrage de la mise en page par informatique… Les premiers Broo, on les faisait à la main, on coupait les articles, on les collait à la main ! Mais, ça nous a beaucoup plu. Il se trouve que Fabrice et moi sommes avant tout des passionnés de lecture donc les deux passions, le jeu et le livre, se sont rejointes. On a beaucoup bossé sur Glorantha, on a amassé beaucoup de matériaux. On s’est mis en relation avec l’éditeur officiel de Runequest à l’époque, Oriflam, puis on a participé à leur magazine, Tatou. Et puis à un moment, on s’est demandé :
« Qu’est-ce qu’on fait de nos vies ? » On avait vingt, vingt-et-un ans. Quelques bouquins nous avaient passionnés. On avait par exemple été renversés par Les voies d’Anubis de Tim Powers, Le Pendule de Foucault d’Umberto Ecco, et on s’est dit qu’il n’y avait pas grand-chose sur ces thèmes-là en JdR. Bref, on s’est dit : « Pourquoi ne pas essayer d’inventer notre propre jeu ? » Mais on ne voulait pas le proposer à un éditeur, car on voulait présenter le jeu d’une façon qui nous corresponde. Et voilà, c’est comme ça qu’on a commencé à bosser sur Nephilim. On est parti un mois en Irlande faire le tour de l’île en sac à dos et on a inventé une partie de la mythologie de Nephilim à ce moment là, en ping-pong permanent, en brainstormant, en voyant les paysages incroyables, les églises, les rencontres avec les gens, etc...
Quand on est revenu, on avait un paquet de notes dont j’ai mis un aperçu dans le collector de la v4 de Nephilim. On s’est enfermé un nouveau mois pour essayer de synthétiser tout ça et puis on a commencé à faire des tests. Et à l’époque… (Il s’arrête) Vous couperez si c’est trop long, hein ?
CB : Oui, oui, ne t’inquiètes pas (rires) !
FW : À l’époque donc, on ne jouait pas les Nephilim. On jouait, comme à l’AdC qui était notre modèle, les personnages qui découvraient les Nephilim. Les premières parties ont été lamentables ! Nulles. Les tests ne marchaient pas. Les gens s’ennuyaient. Ça se passait dans un monde contemporain, il n’y avait pas encore la magie telle qu’elle a été développée ensuite, donc les joueurs disaient : « je rentre chez moi, je mets mon répondeur en marche – il n’y avait pas de portable à l’époque ! – et je m’endors »… Oulala ! Passionnant ! Donc les deux trois premiers tests étaient vraiment mauvais. Et puis, il y a eu un déclic alors qu’on en parlait avec Fabrice. On s’est dit : « Et si on faisait jouer l’inverse ? » C’est comme ça que ça s’est mis en marche. Dès qu’on a renversé la logique, les joueurs ont adhéré de manière extraordinaire à ces Nephilims et leurs éléments. Ils ont tout de suite investi les rôles et compris comment jouer dans le monde contemporain… Et nous, on a compris qu’en mettant en léger décalage le monde contemporain, l’univers de jeu fonctionnait. Le jeu s’est construit comme ça. En revanche, je ne vous raconte pas la production de la première édition… dans la cuisine, trois mois en retard sur le planning, en train de terminer des études qui ne voulaient pas se terminer, les copines à l’époque qui pètent les plombs. Terminer le jeu a été dantesque, mais on est arrivé à faire cette première édition. Dans la foulée, on a monté une boîte avec les quelques économies que nous ont données nos parents, mais vraiment trois fois rien.
CB : Et le jeu rencontre instantanément son public !
FW : Oui, assez rapidement ! Je pense qu’on a eu une bonne intuition en prenant le Basic Roleplaying Game [NdlR : le système de règles de l’AdC] comme système de jeu. On adore faire des règles…
mais on n’est pas très bon pour ça ! Même avec l’expérience, on a du mal à « tuner » un système. Ce n’est pas notre truc. Moi j’adore faire des systèmes de règles, j’en fais tout le temps, c’est presque une maladie. Mais je n’ai pas cette capacité à l’affiner au maximum, ce truc important dans le JdR et dans le jeu vidéo (JV) aussi. Contrairement à la légende qui disait que Multisim n’aimait pas les règles, c’est faux. On a toujours aimé faire des systèmes de règles, mais l’attention qu’on portait – en tous les cas la mienne – n’était pas assez forte pour les « tuner » au maximum. En fait, on avait écrit notre propre système de règles pour la première édition de Nephilim, qu’on aimait bien, mais on s’est dit que les gens allaient devoir apprendre tout ça donc, on a préféré prendre le Basic Roleplaying Game et ça a, je pense, aidé au développement du jeu.
CB : Les débuts ont du être enthousiasmants ! Il y a eu vraiment une très bonne critique dans Casus Belli notamment.
FW : Oui, c’est ça. Ce qui a vraiment été excitant dans le démarrage de Nephilim, avec, pour résumer, cette histoire d’esprits qui venaient de l’Atlantide, c’est qu’on a essayé de coller ensemble une grande partie des mythologies. Donc on a mené ce travail, d’ailleurs un peu fou quand on y pense, un peu mégalo même, d’essayer de racoler toutes les thématiques, l’alchimie, la cabale, etc...
Un truc un peu fourre-tout mais qui a permis à beaucoup de gens de s’y retrouver. Celui qui aime bien la cabale, il va bosser la cabale, celui qui adore la mythologie celtique, il va pouvoir bosser la mythologie celtique. Et tout ça sans que le jeu ne perde trop son identité, puisque le nephilim reste lui ce qu’il est, lié aux éléments. On a eu cette chance là, le jeu n’a pas été un gloubiboulga et il s’est installé assez rapidement, en participant de cette nouvelle façon de jouer, comme on disait à l’époque, que Vampire, la Mascarade a initiée.
CB : C’était aussi peut-être ça le grand coup : sortir un jeu français « à la Vampire » au moment de la sortie de Vampire ?
FW : C’est ça ! Alors que l’on n’avait jamais joué à Vampire. La première fois que j’ai ouvert La Mascarade, Nephilim était déjà dans les boutiques. Dans la création, il y a des tendances, et on a fait partie de ce mouvement là. Le jeu s’est lancé, ça a très bien marché. Je crois qu’on a vendu les 5 000 premiers exemplaires en quelques mois. On a retiré tout de suite. Je pense que ce sont des chiffres qui n’existent plus aujourd’hui.
CB : Oui, ça fait rêver !
FW : Nous aussi, on était sur un petit nuage ! Avec les copains qui nous ont aidé comme Franck Achard, Jean Bey, qui lancera plus tard sa boîte de figurine [NdlR : Rackham], Philippe Chartier, qui travaillait à la célèbre boutique L’Œuf cube – où on bossait également pour payer nos études – on s’est dit « ok, on monte le truc ensemble. Philippe, tu es plutôt commercial, tu vas t’occuper du commercial ». Personne d’entre nous ne connaissait ce qu’était une entreprise…
Mais il se trouve que mon épouse sortait d’école de commerce, donc elle avait un peu les pieds sur terre et elle a pris en main la partie financière de l’entreprise. On est parti vraiment avec trois fois rien ! L’aventure Multisim a commencé comme ça, et elle s’est révélée passionnante, exaltante et éreintante, pendant dix ans en gros.
CB : Tu as dis aux débuts de Multisim que tu voulais plus de rôle et moins de jeu dans le JdR. Quelle était votre approche à l’époque ?
FW : J’ai toujours considéré depuis que j’ai quinze ans – et je n’ai pas changé d’opinion la dessus – que le JdR était une sorte d’aboutissement de tout ce qui était narration. C’est le seul endroit où on peut raconter des histoires, les improviser en même temps et co-écrire les histoires ensemble. C’est toujours ce qui m’a passionné dans le JdR. J’ai perdu des heures et des heures de ma vie à discuter d’un point de détail de simulation de tel système de règles, de tel avantage d’utiliser un d6, un d20, alors que personne n’était statisticien dans les gens avec qui je discutais. En gros, tout ça n’était que des paroles vaines. D’autant qu’en fait, j’ai toujours considéré que le système de jeu n’était pas prédominant dans une mécanique ludique de narration, mais devait « coder » l’univers. Que le système de jeu devait contenir des éléments de narration : quand on jette les dés, c’est pour construire des choses dans l’histoire. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’à Multisim, on a toujours essayé d’attacher beaucoup d’importance à la forme des jeux. Le jeu, le bouquin, la façon dont on écrit les règles, les mots qu’on choisit, sont aussi des éléments de construction de l’univers de jeu.
CB : Tout cela paraît très naturel, sans doute plus qu’à l’époque !
FW : Oui. À l’époque, c’était même souvent l’inverse. Les gens fabriquaient des systèmes de simulation et ensuite ils construisaient des univers pour jouer dedans. Le seul qui faisait l’inverse, c’était Staford et c’est pour ça que Runequest a aussi bien marché selon moi. C’est pour ça qu’on était passionnés par ce que faisait Chaosium. Ce sont eux qui nous ont inspiré. Quand ils ont inventé la santé mentale pour l’AdC, on est dans un point de règles complètement abstrait qui n’a rien à voir avec la psychologie humaine, mais, néanmoins, quand on fait un test de santé mentale, on est tous flippés ! Donc ça marche très bien ! Cet élément ludique, qui n’est pas du tout simulationniste, est une représentation de l’angoisse d’un personnage de l’AdC. C’est ça qui est très très fort et c’est ça qui nous a nous guidé dans notre façon de construire nos JdR. Faire en sorte que les règles servent aussi l’histoire.
CB : En termes de forme, il y a eu un avant et un après Nephilim 2, remarquablement en avance sur son temps. Vous avez trouvé où votre inspiration pour faire évoluer la forme de vos JdR à ce point ?
FW : Je crois que ça, c’est le talent de Franck Achard. Il faut le reconnaître. Bien sûr, on en parlait tous, car Multisim a été un gros travail collectif en permanence. Mais Franck a un talent incroyable. Il représentait vraiment l’esprit de Multisim : il creusait autant dans la culture classique, on ne peut plus classique, gréco-latine, Renaissance, et la pop culture. Graphiquement parlant, il était capable d’aller chercher un graphiste moderne qui déconstruisait les lettres et en même temps il avait toutes les références pour aller chercher de la sculpture gréco-antique… Et il mariait parfaitement les deux ! C’est vraiment quelqu’un que j’aime beaucoup et que j’apprécie énormément, parce qu’il avait ce talent. Multisim, ça a vraiment été ça : marier pop culture et culture classique. J’ai toujours considéré que le JdR était un avatar de la culture classique, du théâtre, contemporain, populaire, que le JdR ne se prenait pas au sérieux, qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux, mais qu’il était néanmoins super intéressant car il changeait la façon dont on racontait une histoire. J’ai toujours considéré que le JdR était un creuset, une sorte de laboratoire de ce que les personnes ont envie de raconter, de ressentir comme émotion...
CB : Le Jeu Vidéo ( JV ) pique un certain nombre de choses au JdR d’ailleurs de ce côté-là…
FW : Plus que piqué ! Il vient se servir ! Pour plein de raisons en fait, parce que les équipes de JV sont composées d’anciens joueurs de JdR, déjà. Un truc très important, c’est que le plaisir ressenti pendant une partie de JdR est un plaisir qui va rester toute une vie !
Toute sa vie, on va se rappeler de la campagne qu’on a fait avec machin ou bidule. Et toute sa vie on se souviendra des émotions qu’on a vécu en jetant le dé, à la dernière minute, pour sauver la situation. Les émotions qui sont reçues et construites pendant les JdR sont encore plus fortes parce qu’elles sont collectives, co-construites. Le JV tend vers ça en permanence, faire en sorte que les joueurs soient intégrés dans la création en permanence. Ça me fait délirer de voir mes enfants, qui ont moins de dix ans, avoir tout le temps recourt pour leurs jeux aux mots du JdR : les « XP », les « progressions de niveau », etc. Dans les années 90, on était des geeks, on faisait peur à tout le monde, et aujourd’hui, c’est devenu normal ! Cette mécanique ludique a été inventée dans le JdR, et s’est répandu dans la culture populaire. Ça, c’est une des plus grandes réussites du JdR, pour moi.
CB : Cela ne s’est pas fait au bénéfice du marché du JdR en revanche…
FW : Non, en effet. Mais quand on fait du JdR, on participe à cette exploration de ce que pourrait être la narration dans plusieurs années.
CB : Justement, tu as l’impression que le jeu de rôle a évolué, ces dernières années ?
FW : Pour dire vrai, quand Multisim a fermé, j’ai un peu arrêté les activités de JdR. J’avais pas mal donné et la fin de Multisim a été assez difficile. J’avais également plein d’autres occupations, en particulier le JV. J’ai remis le nez en tant que lecteur et joueur il y a quelques années, et là j’ai vu effectivement qu’il s’était passé des choses. L’apparition de tout ce qu’on appelle les « jeux narratifs ». J’ai vu aussi que de nombreux jeux dits « classiques » se sont mis à avoir des équilibres entre formes, fonds, règles et univers et sont donc allés dans la direction d’un travail dans lequel nous nous étions inscrits. En gros, on a été les artisans et les jeunes de maintenant sont devenus les artistes ! Ils remettent vraiment en cause les mécanismes de jeu, qui est MJ, etc. Est-ce que ça apporte quelque chose ? En tous les cas, ils essaient. Ils ont bien compris que le JdR avait remis en cause le simple fait de raconter une histoire.
CB : Tu as essayé certains de ces jeux « narratifs » ?
FW : J’en ai essayé oui.
CB : Et tu en as pensé quoi ?
FW : Ça dépend des jeux. Fiasco me passionne par exemple. D’autres, je ne suis pas du tout rentré dedans. Je suis trop vieux sûrement ! Mais en général, ça me donne plein d’idées pour améliorer mes systèmes de jeu. J’ai refait des règles perso purement narratives pour Nephilim et on a commencé à discuter avec Fabien Deneuville d’un système hyper léger pour raconter le passé des Nephilim. Ça me fait réfléchir également. Par exemple, pour moi, Hurlement a été le premier jeu narratif publié. Mais à l’époque, Jean-Luc Bizien ne savait pas qu’il faisait un jeu « narratif ». Il l’a toujours revendiqué quelque part, mais il était trop en avance. Quand on a fait Chimère [NdlR : la réédition de Hurlement chez Multisim], on a essayé de pousser le concept jusqu’au bout, mais on n’avait pas la structure mentale ou la connaissance pour y arriver.
On a essayé d’être innovants dans la narration, la façon de raconter un personnage, mais au bout du bout, on est arrivé à un truc hybride qui marche plus ou moins… plutôt moins que plus d’ailleurs ! Je pense que si on faisait Chimère aujourd’hui, ce serait complètement différent. Mais pour revenir au sujet, oui, il y a bien eu une évolution, je crois.
CB : Arnaud Cuidet nous disait dans une précédente interview que « chez Multisim, si tu n’écrivais pas tes trois cent mille signes par mois, tu n’étais pas un homme ! ». Alors comment ça se passait à Multisim, il y avait des fouets ?
FW : Non ! Il y avait un directeur éditorial, qui était Sébastien Célerin et qui faisait travailler tout le monde. On a toujours beaucoup travaillé. Je pense que vous connaissez ça aussi chez Black Book, mais quand on a une petite structure, on travaille énormément. On ne compte pas ses heures et on bosse comme des fous. Multisim s’est pas mal développé pendant dix ans, et il fallait donc sortir beaucoup de suppléments. Au bout d’un moment, il a fallu rationaliser la création. On ne pouvait plus attendre le texte en retard de machin, le dessin de bidule, donc on s’est dit qu’on devait gérer des lignes de projets comme d’autres gèrent des lignes de production. On a rationalisé la production de l’écriture de JdR, des règles, la gestion des tests. Et, en effet, pour arriver à produire des suppléments qui avaient du sens, cela demandait aux auteurs d’abattre pas mal de volume pour plein de jeux.
CB : C’était de la création interne principalement ?
FW : Alors, les concepts et les idées de scénarios étaient souvent faits en interne et on avait parfois des gens qui nous amenaient également des projets. L’exécution, elle, était faite par des auteurs indépendants, sous forme de contrats d’auteur.
CB : Et il y a eu ce jour où vous avez édité Casus Belli… Mais avant de revenir sur cette période, peux-tu nous dire ce que Casus représentait pour toi ?
FW : C’était ma principale revue pendant des années ! Quand j’étais petit, je lisais Jeux & stratégies. J’avais huit ou dix ans. Au départ, j’ai commencé à lire Le Seigneur des Anneaux – un livre qui a changé ma vie – et après l’avoir lu, un copain de collège m’a dit : « tu sais, il y a un jeu bizarre qui vient des États-Unis, dans lequel on peut jouer les personnages du Seigneur des Anneaux ». C’était Donjons & Dragons. À l’époque, on jouait avec des photocopies. Et il m’a dit aussi qu’il y avait une revue dans laquelle on parlait de ces jeux-là, qui s’appelait Jeux & Stratégies. Et dans Jeux & Stratégies, il y avait une pub pour Casus Belli, qui était à l’époque mi-wargame, mi-JdR. Comme je jouais aussi aux wargames, je me suis dit que c’était la revue pour moi ! J’ai acheté Casus et, avec les copains de l’époque, on passait notre temps à le bouquiner, à tout découper, à jouer tous les modules, à combattre toutes les créatures de Devine qui vient dîner… On était comme des dingues ! Casus a été hyper important dans ma vie de joueur. C’était fondamental ! J’attendais la revue avec une impatience ! Quand on est devenu éditeur, on s’est aperçu que le milieu était tout petit, qu’il n’y avait pas beaucoup d’acteurs sur le marché, que tout cela était fragile, que les boîtes se montaient et tombaient… Donc le fait qu’il y ait un magazine, c’était super important. C’est un lieu primordial pour les éditeurs et les joueurs. Quand j’ai appris que Exelcior arrêtait Casus, je me suis dit qu’il ne fallait pas que Casus s’arrête. On a discuté, on s’est mis d’accord et on a repris le titre. Mon idée à l’époque, c’était d’essayer de faire autre chose que Backstab [NdlR : le magazine concurrent de Casus qui, lui, paraissait toujours], autre chose qu’un magazine « uniquement de JdR ».
CB : Justement, c’était quoi l’approche ? On se souvient tous de la couverture du premier numéro !
FW : Ah oui, la couverture du premier numéro, on m’en parle encore ! (rires) L’approche, c’était d’essayer de proposer un magazine qu’on pourrait qualifier aujourd’hui « des cultures geeks ». Pour nous, jouer au JdR, au JV, s’intéresser au cinéma, c’était la même chose. C’était le bon moment pour proposer cette vision : le début des années 2000, l’arrivée d’Internet, les jeux en réseau, etc. Tout cela, c’était la même culture, donc on s’est dit qu’on allait proposer un magazine qui allait parler de ces cultures. Il n’y avait pas de raison d’enfermer le JdR dans un compartiment. En travaillant avec le JV, notamment, on se rendait bien compte que tous les gens qu’on rencontrait avaient joué au JdR, l’AdC, D&D, Nephilim, INS/MV, etc. On parlait tous le même langage. Les mêmes dessinateurs travaillaient dans le JdR et la BD. On s’est dit qu’il n’y avait pas d’endroit pour parler à tous ces gens et que Casus pouvait devenir cet endroit. D’où le changement de look, de graphisme, et d’où l’idée de prendre un graphiste qui vient de l’art contemporain et pas du jeu, par exemple. La première année, ce Casus a plutôt bien marché. Et puis après, je pense que, soit le projet était arrivé trop tôt, soit on a commencé à être mis en concurrence avec Internet. Les news allaient plus vite sur les réseaux que dans le magazine. Au bout d’un moment, j’ai préféré passer la main, plutôt que continuer alors que le magazine avait du mal à se développer.
CB : Il y a eu quelques années entre les deux cela dit !
FW : Il y a eu cinq ans. Et on a appris le métier à la dure !
CB : C’était encore différent d’être éditeur de livre ?
FW : Ça n’avait rien à voir ! Pour moi, ça a vraiment été apprendre un nouveau métier ! Avoir une conférence de rédaction, respecter les deadlines – terribles, les deadlines. Le mode de diffusion de la revue n’avait rien à voir avec ce qu’on connaissait. On a appris aussi l’attachement profond des lecteurs à leur revue. C’est un truc qui a été très fort. Et pourtant, dans le JdR, les gens aiment déjà vraiment les jeux auxquels ils jouent. Mais une revue, il y a vraiment un attachement très fort du lecteur, surtout Casus Belli. Le moindre changement était critiqué, remis en cause. Il y avait beaucoup de réactions sur nos idées d’innovation. Ça n’a pas été simple, mais en même temps, cela a été passionnant à faire.
CB : Tout ça nous mène à la fin de Multisim ; qu’est-ce qui a signé sa fin ? La baisse des ventes de la fin de l’âge d’or ? Comment ça s’est passé ?
FW : Pour Multisim, ça a vraiment été conjoncturel. On avait eu un développement très important, à la fois en terme de JdR mais aussi d’édition de romans et de JV. Ce qu’il faut savoir, c’est que, tout gamin, j’adorais déjà le JV. Et dès 1995, au début de Multisim, j’avais décidé stratégiquement d’aller vers le JV, parce que c’était la même culture, parce que je voyais bien qu’avec la révolution de la 3D, le JV pouvait commencer à raconter des histoires, pouvait ressembler à ce que, moi, j’aimais dans le JdR. Donc, dès 1995, on a commencé à discuter avec des éditeurs de JV. Et puis il y a eu la rencontre avec Kalisto. Vraiment, c’était une belle histoire. On a décidé de faire un partenariat poussé, puisqu’on a quand même décidé de marier les deux entreprises. Je suis d’ailleurs parti travailler en partie chez Kalisto pour développer la société, en m’occupant toujours plus ou moins – plus moins que plus d’ailleurs – de Multisim, ce qui m’a valu quelques déboires plus tard… mais, globalement, c’était passionnant parce que le JV était en train d’exploser. Penser des univers pour qu’ils soient adaptés au JdR, au JV, au roman, sans que cela soit de simples produits dérivés, c’était passionnant.
CB : C’était à ton initiative, le fait que Kalisto développe un côté très narratif dans leurs JV ?
FW : Non, en fait, ils étaient déjà comme ça ! En particulier Guillaume Le Pennec, qui est celui qui a forgé l’univers de Dark Earth, avec qui je suis toujours super pote. Pour l’anecdote, Guillaume Le Pennec était le premier à avoir critiqué la première édition de Nephilim dans la presse, dans le magazine Tilt… mais on ne le savait pas ! La première fois que j’ai pris contact avec Kalisto, après avoir vu les bandes annonces de Dark Earth en me disant que c’était un univers qu’on aurait pu faire chez Multisim…
CB : … le développement de Dark Earth avait commencé avant que Multisim ne se mette sur le coup ??
FW : Exactement ! En fait, Guillaume était un joueur de JdR, et donc il avait construit sa bible de concept pour son JV comme un JdR ! Nous ne le savions pas et moi, quand j’avais vu les premières images de Dark Earth, je m’étais dit : « ce n’est pas possible, c’est un joueur de JdR qui a fait ce truc ! » Donc j’appelle Kalisto et je leur dis que je trouve vachement bien ce qu’ils font et que j’aimerais bien travailler avec eux. Guillaume me dit alors « Vous savez Monsieur Weil, Nephilim, j’ai été le premier à le critiquer » ! Et voilà, on s’est rencontré comme ça, et ça a été un déclic. On s’est tout de suite mis d’accord pour travailler en parallèle sur le JdR et le JV, on a fait appel à un auteur américain pour les romans, etc. C’était parti ! Il avait aussi été question d’une série télé sur Dark Earth, avec un studio américain. Ce partenariat, c’était vraiment une énergie très forte.
CB : Tout cela t’a détourné de ce qui se passait à Multisim?
FW : Ça m’a détourné de l’écriture surtout, car je ne travaillais plus sur les textes et me concentrais sur les tâches entrepreneuriales. Après, pour faire court, il y a eu le 11 septembre 2001 et l’effondrement de la bulle Internet dans laquelle se trouvait Kalisto. L’entreprise était en train de se développer à mort et la boîte venait de rentrer en bourse. C’était une success story française, très médiatisée, qu’on mettait en avant !
Mais Kalisto s’est planté peu de temps après. Nous, avec Multisim, on était sur un chemin beaucoup moins ambitieux, mais basé sur les mondes virtuels pour les JV. J’avais beaucoup investis dans une équipe de développement dédiée à ça et on s’est vite retrouvé le bec dans l’eau, avec des banques qui t’appellent du jour au lendemain pour rembourser des prêts que, bien sûr, tu ne peux pas payer…
CB : À ce moment là, les baisses des ventes de JdR étaient déjà sensibles ?
FW : En fait, on a fait une année de ce qu’on appelle un « redressement judiciaire », c’est-à-dire une année sous contrôle de l’administration. Ça se passait plutôt bien au début, mais on n’a pas vu tout de suite la baisse des ventes de JdR. On vendait à peu près bien Nephilim, Dark Earth et Guildes mais, sur le reste, on ne voyait pas que ça faiblissait. On a mis plusieurs mois à comprendre qu’en fait, l’économie même du JdR ne pouvait plus faire tourner la boîte comme avant. Face à ça, on avait eu l’idée que Millennium (aujourd’hui distributeur) reprenne le nom Multisim pour que la marque survive, mais cela ne s’est pas fait pour pleins de raisons.
CB : Le temps a passé et Nephilim a fini par ressortir, vingt ans après la première édition. Tu peux nous en parler ?
FW : Les vingt ans du jeu sont arrivés et plein de copains m’on dit : « Mais qu’est-ce que tu fous ! Bouges toi ! Nephilim a vingt ans, tu ne peux pas laisser passer ça ! » Donc on a commencé à discuter et plusieurs éditeurs sont venus nous voir pour nous proposer une v4. On a commencé à bosser, mais les projets ne m’intéressaient pas. Ce n’était pas ce que je pensais être Nephilim. Il y avait le projet d’une méga campagne historique, avec le jeu inséré dedans. Un autre éditeur m’a dit « Oui, je veux bien Nephilim, mais je ne veux pas de Templiers dedans », des choses comme ça. Au bout d’un moment, mon cœur d’éditeur n’a fait qu’un tour et j’ai dit à Fabrice qu’il y avait que nous qui pouvions nous en occuper. J’en ai également parlé à Sébastien Célerin parce que je tenais beaucoup à ce qu’il participe, lui qui avait vraiment développé Nephilim 3 et qui était un peu la mémoire du jeu. Il était super chaud aussi, et on est partis. Je me rappelle de la première réunion, avec Franck Achards aussi, car je ne voyais pas quelqu’un d’autres sur le graphisme, évidemment. On ne voulait pas faire un « revival ». On ne voulait pas faire « Multisim vingt ans après ». On n’était pas du tout nostalgiques. On voulait vraiment proposer une autre expérience. Alors on s’est dit qu’il fallait se faire plaisir et essayer de faire le plus beau jeu qu’on puisse faire. On s’est lâchés, on ne s’est pas donné de limite. On a fait une co-édition avec Edge, et Gilles Garnier de Edge m’a d’ailleurs dit : « pas de limite sur le budget illustrations ! »
CB : Dans le jeu de rôle, c’est pas mal ça !
FW : Voilà ! J’avais gardé un peu d’argent de côté moi aussi pour faire ce genre de truc, donc on s’est dit go ! Contrairement à la v3, qui était vraiment l’édition qui a essayé de tout rassembler en deux volumes autour d’un univers qui s’était beaucoup développé, l’idée de la v4, c’était de synthétiser. Un régal à faire. De voir toute l’équipe super motivée, donner le meilleur de soi pour faire le jeu.
CB : Avant de te laisser, on souhaitait te demander comment était venue cette idée du manifeste pour la reconnaissance du JdR comme le dixième art ? Et comment tu le vois maintenant ?
FW : Déjà, quand on l’a rédigée, on était légèrement ivres (rires). À l’époque, on en avait marre de voir que le JdR était mal considéré. Ce manifeste était notre réaction au mouvement qu’avait lancé l’émission de télé de Mireille Dumas. Une réaction puérile et un peu naïve… Enfin, que je juge aujourd’hui comme ça, mais à l’époque, on l’a vécu comme une atteinte profonde à notre intégrité. Notre réaction, ça a été de dire que non, le JdR peut être un art, et qu’il y a besoin d’un dixième art qui soit, en gros, un art « interactif ». C’était vraiment une réaction forte à la violence médiatique qu’on ressentait et contre laquelle on n’avait pas de pouvoir. Beaucoup d’entre nous avons été atteint…
CB : L’ensemble des rôlistes a été atteint…
FW : Oui, c’est un événement qui a eu beaucoup de conséquences. Beaucoup de clubs de jeux ont fermé dans les collèges et les lycées. Des parents et des associations se sont montés contre le JdR. Avant, le JdR était plutôt à la mode et même dans les journaux de masse il y avait une promotion du jeu. Après cette campagne menée par Mireille Dumas et d’autres, il y a eu un arrêt très fort du JdR. On peut estimer qu’une partie des problèmes économiques du marché du JdR en général datent de là. Chose exceptionnelle, tous les éditeurs de l’époque, Hexagonal, Asmodee, Orilam, Multisim, etc. (sauf Jeux Descartes), se sont réunis en une association. Tous les acteurs, qui étaient auparavant en général en bisbille, se retrouvait régulièrement pour discuter et essayer de monter des opérations de contre-feu, contre ce qu’il se passait. Ça s’appelait Passion jeux de rôle. Mais on n’était pas assez outillé, on n’avait pas assez de connaissance des médias. Et puis, surtout, parmi les journalistes, la vision de Mireille Dumas s’était répandue de manière forte. C’était impressionnant. Du jour au lendemain, le JdR est devenu le lieu où les gamins se suicident ! Pour les sortir de là, c’était devenu impossible. J’ai compris à ce moment-là qu’on ne pouvait s’en sortir qu’en se serrant les coudes. Je me suis aussi aperçu que les pouvoirs publics et une partie des média étaient en train de se couper de la jeunesse qui jouait au JdR et se sentaient très bien en faisant ça. Ils étaient en train de perdre ces personnes, qui sont d’ailleurs passées ensuite à Internet et ne se retrouvent plus du tout dans le lectorat des journaux classiques. On ne voulait pas que cette fracture se mette en place, mais elle a eu lieu.
Frédéric Weil : Multisim est né d’un travail commun avec Patrice Lamidey, avec qui j’ai coécrit Nephilim. On était joueurs de JdR depuis nos onze ans environ. On était amis d’enfance et on s’est retrouvé à Paris par petite annonce… Casus Belli ! Le truc incroyable ! Fabrice avait quinze ou seize ans et il cherchait des joueurs pour jouer à Donjons & Dragons et à d’autres jeux comme L’Appel de Cthulhu (AdC) ou Runequest. Moi je venais d’arriver de ma province où je jouais comme un fou au jeu de rôle et je ne connaissais personne à Paris. J’ai lu cette annonce et il se trouvait que Fabrice habitait à côté de là où ma famille s’était installée. Voilà, on a commencé à jouer et on est devenu les meilleurs amis du monde. On s’est éclaté comme ce n’est pas possible, d’abords à Donjons, puis à l’AdC, beaucoup beaucoup d’AdC, et puis on a testé plein de jeux. On a passé des soirées entières sur Chivalry & Sorcery, à jouer à des trucs pas possibles, Tunnels & Trolls…
CB : Des trucs déjà rétro à l’époque !
FW : Tout à fait ! (il cherche, enthousiaste) On a joué à Powers & Perils, un vieux jeu Avalon Hill, pendant de nombreux mois ! On a compris que c’était le truc de notre vie. Ensuite on a commencé nos études et on s’est rapidement rendu compte que les études, ce n’était pas pour nous. Entre temps, on avait vraiment flashé sur Runequest, surtout son univers, Glorantha. À l’époque, on commençait aussi à jouer en club, au Fer de lance par exemple. On avait joué avec Denis Gerfaud à Rêves de dragon, on commençait un peu à rentrer dans le côté associatif du jeu de rôle. Avec Fabrice, on a compris que Glorantha était un univers avec une richesse incroyable qui avait le potentiel pour qu’on puisse y créer des choses et cela reposait aussi sur des règles qui nous intéressaient : règles de construction d’univers, proche de la mythologie, proche des symboles. On a eu la chance de rencontrer Greg Staford relativement tôt et il nous a raconté comment il avait inventé Glorantha. Il avait vraiment suivi un processus artistique. On s’est bien entendu et à la suite de ça on a décidé de faire un fanzine sur Glorantha qui s’appelait Broo.
CB : C’est vous qui aviez monté Broo ?
FW : Oui ! En faisant Broo, finalement, on a commencé à apprendre le métier. En amateurs purs, évidemment. Le fanzine a commencé à avoir un petit public de gens qui trouvaient intéressant ce qu’on faisait. On s’est vite passionné pour la maquette, le fait d’imprimer le magazine, de mettre en place un processus éditorial pour rendre un texte qui soit lisible, etc...
Évidemment, c’était un peu n’importe quoi, mal fait, plein de coquilles. D’autant que c’était le démarrage de la mise en page par informatique… Les premiers Broo, on les faisait à la main, on coupait les articles, on les collait à la main ! Mais, ça nous a beaucoup plu. Il se trouve que Fabrice et moi sommes avant tout des passionnés de lecture donc les deux passions, le jeu et le livre, se sont rejointes. On a beaucoup bossé sur Glorantha, on a amassé beaucoup de matériaux. On s’est mis en relation avec l’éditeur officiel de Runequest à l’époque, Oriflam, puis on a participé à leur magazine, Tatou. Et puis à un moment, on s’est demandé :
« Qu’est-ce qu’on fait de nos vies ? » On avait vingt, vingt-et-un ans. Quelques bouquins nous avaient passionnés. On avait par exemple été renversés par Les voies d’Anubis de Tim Powers, Le Pendule de Foucault d’Umberto Ecco, et on s’est dit qu’il n’y avait pas grand-chose sur ces thèmes-là en JdR. Bref, on s’est dit : « Pourquoi ne pas essayer d’inventer notre propre jeu ? » Mais on ne voulait pas le proposer à un éditeur, car on voulait présenter le jeu d’une façon qui nous corresponde. Et voilà, c’est comme ça qu’on a commencé à bosser sur Nephilim. On est parti un mois en Irlande faire le tour de l’île en sac à dos et on a inventé une partie de la mythologie de Nephilim à ce moment là, en ping-pong permanent, en brainstormant, en voyant les paysages incroyables, les églises, les rencontres avec les gens, etc...
Quand on est revenu, on avait un paquet de notes dont j’ai mis un aperçu dans le collector de la v4 de Nephilim. On s’est enfermé un nouveau mois pour essayer de synthétiser tout ça et puis on a commencé à faire des tests. Et à l’époque… (Il s’arrête) Vous couperez si c’est trop long, hein ?
CB : Oui, oui, ne t’inquiètes pas (rires) !
FW : À l’époque donc, on ne jouait pas les Nephilim. On jouait, comme à l’AdC qui était notre modèle, les personnages qui découvraient les Nephilim. Les premières parties ont été lamentables ! Nulles. Les tests ne marchaient pas. Les gens s’ennuyaient. Ça se passait dans un monde contemporain, il n’y avait pas encore la magie telle qu’elle a été développée ensuite, donc les joueurs disaient : « je rentre chez moi, je mets mon répondeur en marche – il n’y avait pas de portable à l’époque ! – et je m’endors »… Oulala ! Passionnant ! Donc les deux trois premiers tests étaient vraiment mauvais. Et puis, il y a eu un déclic alors qu’on en parlait avec Fabrice. On s’est dit : « Et si on faisait jouer l’inverse ? » C’est comme ça que ça s’est mis en marche. Dès qu’on a renversé la logique, les joueurs ont adhéré de manière extraordinaire à ces Nephilims et leurs éléments. Ils ont tout de suite investi les rôles et compris comment jouer dans le monde contemporain… Et nous, on a compris qu’en mettant en léger décalage le monde contemporain, l’univers de jeu fonctionnait. Le jeu s’est construit comme ça. En revanche, je ne vous raconte pas la production de la première édition… dans la cuisine, trois mois en retard sur le planning, en train de terminer des études qui ne voulaient pas se terminer, les copines à l’époque qui pètent les plombs. Terminer le jeu a été dantesque, mais on est arrivé à faire cette première édition. Dans la foulée, on a monté une boîte avec les quelques économies que nous ont données nos parents, mais vraiment trois fois rien.
CB : Et le jeu rencontre instantanément son public !
FW : Oui, assez rapidement ! Je pense qu’on a eu une bonne intuition en prenant le Basic Roleplaying Game [NdlR : le système de règles de l’AdC] comme système de jeu. On adore faire des règles…
mais on n’est pas très bon pour ça ! Même avec l’expérience, on a du mal à « tuner » un système. Ce n’est pas notre truc. Moi j’adore faire des systèmes de règles, j’en fais tout le temps, c’est presque une maladie. Mais je n’ai pas cette capacité à l’affiner au maximum, ce truc important dans le JdR et dans le jeu vidéo (JV) aussi. Contrairement à la légende qui disait que Multisim n’aimait pas les règles, c’est faux. On a toujours aimé faire des systèmes de règles, mais l’attention qu’on portait – en tous les cas la mienne – n’était pas assez forte pour les « tuner » au maximum. En fait, on avait écrit notre propre système de règles pour la première édition de Nephilim, qu’on aimait bien, mais on s’est dit que les gens allaient devoir apprendre tout ça donc, on a préféré prendre le Basic Roleplaying Game et ça a, je pense, aidé au développement du jeu.
CB : Les débuts ont du être enthousiasmants ! Il y a eu vraiment une très bonne critique dans Casus Belli notamment.
FW : Oui, c’est ça. Ce qui a vraiment été excitant dans le démarrage de Nephilim, avec, pour résumer, cette histoire d’esprits qui venaient de l’Atlantide, c’est qu’on a essayé de coller ensemble une grande partie des mythologies. Donc on a mené ce travail, d’ailleurs un peu fou quand on y pense, un peu mégalo même, d’essayer de racoler toutes les thématiques, l’alchimie, la cabale, etc...
Un truc un peu fourre-tout mais qui a permis à beaucoup de gens de s’y retrouver. Celui qui aime bien la cabale, il va bosser la cabale, celui qui adore la mythologie celtique, il va pouvoir bosser la mythologie celtique. Et tout ça sans que le jeu ne perde trop son identité, puisque le nephilim reste lui ce qu’il est, lié aux éléments. On a eu cette chance là, le jeu n’a pas été un gloubiboulga et il s’est installé assez rapidement, en participant de cette nouvelle façon de jouer, comme on disait à l’époque, que Vampire, la Mascarade a initiée.
CB : C’était aussi peut-être ça le grand coup : sortir un jeu français « à la Vampire » au moment de la sortie de Vampire ?
FW : C’est ça ! Alors que l’on n’avait jamais joué à Vampire. La première fois que j’ai ouvert La Mascarade, Nephilim était déjà dans les boutiques. Dans la création, il y a des tendances, et on a fait partie de ce mouvement là. Le jeu s’est lancé, ça a très bien marché. Je crois qu’on a vendu les 5 000 premiers exemplaires en quelques mois. On a retiré tout de suite. Je pense que ce sont des chiffres qui n’existent plus aujourd’hui.
CB : Oui, ça fait rêver !
FW : Nous aussi, on était sur un petit nuage ! Avec les copains qui nous ont aidé comme Franck Achard, Jean Bey, qui lancera plus tard sa boîte de figurine [NdlR : Rackham], Philippe Chartier, qui travaillait à la célèbre boutique L’Œuf cube – où on bossait également pour payer nos études – on s’est dit « ok, on monte le truc ensemble. Philippe, tu es plutôt commercial, tu vas t’occuper du commercial ». Personne d’entre nous ne connaissait ce qu’était une entreprise…
Mais il se trouve que mon épouse sortait d’école de commerce, donc elle avait un peu les pieds sur terre et elle a pris en main la partie financière de l’entreprise. On est parti vraiment avec trois fois rien ! L’aventure Multisim a commencé comme ça, et elle s’est révélée passionnante, exaltante et éreintante, pendant dix ans en gros.
CB : Tu as dis aux débuts de Multisim que tu voulais plus de rôle et moins de jeu dans le JdR. Quelle était votre approche à l’époque ?
FW : J’ai toujours considéré depuis que j’ai quinze ans – et je n’ai pas changé d’opinion la dessus – que le JdR était une sorte d’aboutissement de tout ce qui était narration. C’est le seul endroit où on peut raconter des histoires, les improviser en même temps et co-écrire les histoires ensemble. C’est toujours ce qui m’a passionné dans le JdR. J’ai perdu des heures et des heures de ma vie à discuter d’un point de détail de simulation de tel système de règles, de tel avantage d’utiliser un d6, un d20, alors que personne n’était statisticien dans les gens avec qui je discutais. En gros, tout ça n’était que des paroles vaines. D’autant qu’en fait, j’ai toujours considéré que le système de jeu n’était pas prédominant dans une mécanique ludique de narration, mais devait « coder » l’univers. Que le système de jeu devait contenir des éléments de narration : quand on jette les dés, c’est pour construire des choses dans l’histoire. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’à Multisim, on a toujours essayé d’attacher beaucoup d’importance à la forme des jeux. Le jeu, le bouquin, la façon dont on écrit les règles, les mots qu’on choisit, sont aussi des éléments de construction de l’univers de jeu.
CB : Tout cela paraît très naturel, sans doute plus qu’à l’époque !
FW : Oui. À l’époque, c’était même souvent l’inverse. Les gens fabriquaient des systèmes de simulation et ensuite ils construisaient des univers pour jouer dedans. Le seul qui faisait l’inverse, c’était Staford et c’est pour ça que Runequest a aussi bien marché selon moi. C’est pour ça qu’on était passionnés par ce que faisait Chaosium. Ce sont eux qui nous ont inspiré. Quand ils ont inventé la santé mentale pour l’AdC, on est dans un point de règles complètement abstrait qui n’a rien à voir avec la psychologie humaine, mais, néanmoins, quand on fait un test de santé mentale, on est tous flippés ! Donc ça marche très bien ! Cet élément ludique, qui n’est pas du tout simulationniste, est une représentation de l’angoisse d’un personnage de l’AdC. C’est ça qui est très très fort et c’est ça qui nous a nous guidé dans notre façon de construire nos JdR. Faire en sorte que les règles servent aussi l’histoire.
CB : En termes de forme, il y a eu un avant et un après Nephilim 2, remarquablement en avance sur son temps. Vous avez trouvé où votre inspiration pour faire évoluer la forme de vos JdR à ce point ?
FW : Je crois que ça, c’est le talent de Franck Achard. Il faut le reconnaître. Bien sûr, on en parlait tous, car Multisim a été un gros travail collectif en permanence. Mais Franck a un talent incroyable. Il représentait vraiment l’esprit de Multisim : il creusait autant dans la culture classique, on ne peut plus classique, gréco-latine, Renaissance, et la pop culture. Graphiquement parlant, il était capable d’aller chercher un graphiste moderne qui déconstruisait les lettres et en même temps il avait toutes les références pour aller chercher de la sculpture gréco-antique… Et il mariait parfaitement les deux ! C’est vraiment quelqu’un que j’aime beaucoup et que j’apprécie énormément, parce qu’il avait ce talent. Multisim, ça a vraiment été ça : marier pop culture et culture classique. J’ai toujours considéré que le JdR était un avatar de la culture classique, du théâtre, contemporain, populaire, que le JdR ne se prenait pas au sérieux, qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux, mais qu’il était néanmoins super intéressant car il changeait la façon dont on racontait une histoire. J’ai toujours considéré que le JdR était un creuset, une sorte de laboratoire de ce que les personnes ont envie de raconter, de ressentir comme émotion...
CB : Le Jeu Vidéo ( JV ) pique un certain nombre de choses au JdR d’ailleurs de ce côté-là…
FW : Plus que piqué ! Il vient se servir ! Pour plein de raisons en fait, parce que les équipes de JV sont composées d’anciens joueurs de JdR, déjà. Un truc très important, c’est que le plaisir ressenti pendant une partie de JdR est un plaisir qui va rester toute une vie !
Toute sa vie, on va se rappeler de la campagne qu’on a fait avec machin ou bidule. Et toute sa vie on se souviendra des émotions qu’on a vécu en jetant le dé, à la dernière minute, pour sauver la situation. Les émotions qui sont reçues et construites pendant les JdR sont encore plus fortes parce qu’elles sont collectives, co-construites. Le JV tend vers ça en permanence, faire en sorte que les joueurs soient intégrés dans la création en permanence. Ça me fait délirer de voir mes enfants, qui ont moins de dix ans, avoir tout le temps recourt pour leurs jeux aux mots du JdR : les « XP », les « progressions de niveau », etc. Dans les années 90, on était des geeks, on faisait peur à tout le monde, et aujourd’hui, c’est devenu normal ! Cette mécanique ludique a été inventée dans le JdR, et s’est répandu dans la culture populaire. Ça, c’est une des plus grandes réussites du JdR, pour moi.
CB : Cela ne s’est pas fait au bénéfice du marché du JdR en revanche…
FW : Non, en effet. Mais quand on fait du JdR, on participe à cette exploration de ce que pourrait être la narration dans plusieurs années.
CB : Justement, tu as l’impression que le jeu de rôle a évolué, ces dernières années ?
FW : Pour dire vrai, quand Multisim a fermé, j’ai un peu arrêté les activités de JdR. J’avais pas mal donné et la fin de Multisim a été assez difficile. J’avais également plein d’autres occupations, en particulier le JV. J’ai remis le nez en tant que lecteur et joueur il y a quelques années, et là j’ai vu effectivement qu’il s’était passé des choses. L’apparition de tout ce qu’on appelle les « jeux narratifs ». J’ai vu aussi que de nombreux jeux dits « classiques » se sont mis à avoir des équilibres entre formes, fonds, règles et univers et sont donc allés dans la direction d’un travail dans lequel nous nous étions inscrits. En gros, on a été les artisans et les jeunes de maintenant sont devenus les artistes ! Ils remettent vraiment en cause les mécanismes de jeu, qui est MJ, etc. Est-ce que ça apporte quelque chose ? En tous les cas, ils essaient. Ils ont bien compris que le JdR avait remis en cause le simple fait de raconter une histoire.
CB : Tu as essayé certains de ces jeux « narratifs » ?
FW : J’en ai essayé oui.
CB : Et tu en as pensé quoi ?
FW : Ça dépend des jeux. Fiasco me passionne par exemple. D’autres, je ne suis pas du tout rentré dedans. Je suis trop vieux sûrement ! Mais en général, ça me donne plein d’idées pour améliorer mes systèmes de jeu. J’ai refait des règles perso purement narratives pour Nephilim et on a commencé à discuter avec Fabien Deneuville d’un système hyper léger pour raconter le passé des Nephilim. Ça me fait réfléchir également. Par exemple, pour moi, Hurlement a été le premier jeu narratif publié. Mais à l’époque, Jean-Luc Bizien ne savait pas qu’il faisait un jeu « narratif ». Il l’a toujours revendiqué quelque part, mais il était trop en avance. Quand on a fait Chimère [NdlR : la réédition de Hurlement chez Multisim], on a essayé de pousser le concept jusqu’au bout, mais on n’avait pas la structure mentale ou la connaissance pour y arriver.
On a essayé d’être innovants dans la narration, la façon de raconter un personnage, mais au bout du bout, on est arrivé à un truc hybride qui marche plus ou moins… plutôt moins que plus d’ailleurs ! Je pense que si on faisait Chimère aujourd’hui, ce serait complètement différent. Mais pour revenir au sujet, oui, il y a bien eu une évolution, je crois.
CB : Arnaud Cuidet nous disait dans une précédente interview que « chez Multisim, si tu n’écrivais pas tes trois cent mille signes par mois, tu n’étais pas un homme ! ». Alors comment ça se passait à Multisim, il y avait des fouets ?
FW : Non ! Il y avait un directeur éditorial, qui était Sébastien Célerin et qui faisait travailler tout le monde. On a toujours beaucoup travaillé. Je pense que vous connaissez ça aussi chez Black Book, mais quand on a une petite structure, on travaille énormément. On ne compte pas ses heures et on bosse comme des fous. Multisim s’est pas mal développé pendant dix ans, et il fallait donc sortir beaucoup de suppléments. Au bout d’un moment, il a fallu rationaliser la création. On ne pouvait plus attendre le texte en retard de machin, le dessin de bidule, donc on s’est dit qu’on devait gérer des lignes de projets comme d’autres gèrent des lignes de production. On a rationalisé la production de l’écriture de JdR, des règles, la gestion des tests. Et, en effet, pour arriver à produire des suppléments qui avaient du sens, cela demandait aux auteurs d’abattre pas mal de volume pour plein de jeux.
CB : C’était de la création interne principalement ?
FW : Alors, les concepts et les idées de scénarios étaient souvent faits en interne et on avait parfois des gens qui nous amenaient également des projets. L’exécution, elle, était faite par des auteurs indépendants, sous forme de contrats d’auteur.
CB : Et il y a eu ce jour où vous avez édité Casus Belli… Mais avant de revenir sur cette période, peux-tu nous dire ce que Casus représentait pour toi ?
FW : C’était ma principale revue pendant des années ! Quand j’étais petit, je lisais Jeux & stratégies. J’avais huit ou dix ans. Au départ, j’ai commencé à lire Le Seigneur des Anneaux – un livre qui a changé ma vie – et après l’avoir lu, un copain de collège m’a dit : « tu sais, il y a un jeu bizarre qui vient des États-Unis, dans lequel on peut jouer les personnages du Seigneur des Anneaux ». C’était Donjons & Dragons. À l’époque, on jouait avec des photocopies. Et il m’a dit aussi qu’il y avait une revue dans laquelle on parlait de ces jeux-là, qui s’appelait Jeux & Stratégies. Et dans Jeux & Stratégies, il y avait une pub pour Casus Belli, qui était à l’époque mi-wargame, mi-JdR. Comme je jouais aussi aux wargames, je me suis dit que c’était la revue pour moi ! J’ai acheté Casus et, avec les copains de l’époque, on passait notre temps à le bouquiner, à tout découper, à jouer tous les modules, à combattre toutes les créatures de Devine qui vient dîner… On était comme des dingues ! Casus a été hyper important dans ma vie de joueur. C’était fondamental ! J’attendais la revue avec une impatience ! Quand on est devenu éditeur, on s’est aperçu que le milieu était tout petit, qu’il n’y avait pas beaucoup d’acteurs sur le marché, que tout cela était fragile, que les boîtes se montaient et tombaient… Donc le fait qu’il y ait un magazine, c’était super important. C’est un lieu primordial pour les éditeurs et les joueurs. Quand j’ai appris que Exelcior arrêtait Casus, je me suis dit qu’il ne fallait pas que Casus s’arrête. On a discuté, on s’est mis d’accord et on a repris le titre. Mon idée à l’époque, c’était d’essayer de faire autre chose que Backstab [NdlR : le magazine concurrent de Casus qui, lui, paraissait toujours], autre chose qu’un magazine « uniquement de JdR ».
CB : Justement, c’était quoi l’approche ? On se souvient tous de la couverture du premier numéro !
FW : Ah oui, la couverture du premier numéro, on m’en parle encore ! (rires) L’approche, c’était d’essayer de proposer un magazine qu’on pourrait qualifier aujourd’hui « des cultures geeks ». Pour nous, jouer au JdR, au JV, s’intéresser au cinéma, c’était la même chose. C’était le bon moment pour proposer cette vision : le début des années 2000, l’arrivée d’Internet, les jeux en réseau, etc. Tout cela, c’était la même culture, donc on s’est dit qu’on allait proposer un magazine qui allait parler de ces cultures. Il n’y avait pas de raison d’enfermer le JdR dans un compartiment. En travaillant avec le JV, notamment, on se rendait bien compte que tous les gens qu’on rencontrait avaient joué au JdR, l’AdC, D&D, Nephilim, INS/MV, etc. On parlait tous le même langage. Les mêmes dessinateurs travaillaient dans le JdR et la BD. On s’est dit qu’il n’y avait pas d’endroit pour parler à tous ces gens et que Casus pouvait devenir cet endroit. D’où le changement de look, de graphisme, et d’où l’idée de prendre un graphiste qui vient de l’art contemporain et pas du jeu, par exemple. La première année, ce Casus a plutôt bien marché. Et puis après, je pense que, soit le projet était arrivé trop tôt, soit on a commencé à être mis en concurrence avec Internet. Les news allaient plus vite sur les réseaux que dans le magazine. Au bout d’un moment, j’ai préféré passer la main, plutôt que continuer alors que le magazine avait du mal à se développer.
CB : Il y a eu quelques années entre les deux cela dit !
FW : Il y a eu cinq ans. Et on a appris le métier à la dure !
CB : C’était encore différent d’être éditeur de livre ?
FW : Ça n’avait rien à voir ! Pour moi, ça a vraiment été apprendre un nouveau métier ! Avoir une conférence de rédaction, respecter les deadlines – terribles, les deadlines. Le mode de diffusion de la revue n’avait rien à voir avec ce qu’on connaissait. On a appris aussi l’attachement profond des lecteurs à leur revue. C’est un truc qui a été très fort. Et pourtant, dans le JdR, les gens aiment déjà vraiment les jeux auxquels ils jouent. Mais une revue, il y a vraiment un attachement très fort du lecteur, surtout Casus Belli. Le moindre changement était critiqué, remis en cause. Il y avait beaucoup de réactions sur nos idées d’innovation. Ça n’a pas été simple, mais en même temps, cela a été passionnant à faire.
CB : Tout ça nous mène à la fin de Multisim ; qu’est-ce qui a signé sa fin ? La baisse des ventes de la fin de l’âge d’or ? Comment ça s’est passé ?
FW : Pour Multisim, ça a vraiment été conjoncturel. On avait eu un développement très important, à la fois en terme de JdR mais aussi d’édition de romans et de JV. Ce qu’il faut savoir, c’est que, tout gamin, j’adorais déjà le JV. Et dès 1995, au début de Multisim, j’avais décidé stratégiquement d’aller vers le JV, parce que c’était la même culture, parce que je voyais bien qu’avec la révolution de la 3D, le JV pouvait commencer à raconter des histoires, pouvait ressembler à ce que, moi, j’aimais dans le JdR. Donc, dès 1995, on a commencé à discuter avec des éditeurs de JV. Et puis il y a eu la rencontre avec Kalisto. Vraiment, c’était une belle histoire. On a décidé de faire un partenariat poussé, puisqu’on a quand même décidé de marier les deux entreprises. Je suis d’ailleurs parti travailler en partie chez Kalisto pour développer la société, en m’occupant toujours plus ou moins – plus moins que plus d’ailleurs – de Multisim, ce qui m’a valu quelques déboires plus tard… mais, globalement, c’était passionnant parce que le JV était en train d’exploser. Penser des univers pour qu’ils soient adaptés au JdR, au JV, au roman, sans que cela soit de simples produits dérivés, c’était passionnant.
CB : C’était à ton initiative, le fait que Kalisto développe un côté très narratif dans leurs JV ?
FW : Non, en fait, ils étaient déjà comme ça ! En particulier Guillaume Le Pennec, qui est celui qui a forgé l’univers de Dark Earth, avec qui je suis toujours super pote. Pour l’anecdote, Guillaume Le Pennec était le premier à avoir critiqué la première édition de Nephilim dans la presse, dans le magazine Tilt… mais on ne le savait pas ! La première fois que j’ai pris contact avec Kalisto, après avoir vu les bandes annonces de Dark Earth en me disant que c’était un univers qu’on aurait pu faire chez Multisim…
CB : … le développement de Dark Earth avait commencé avant que Multisim ne se mette sur le coup ??
FW : Exactement ! En fait, Guillaume était un joueur de JdR, et donc il avait construit sa bible de concept pour son JV comme un JdR ! Nous ne le savions pas et moi, quand j’avais vu les premières images de Dark Earth, je m’étais dit : « ce n’est pas possible, c’est un joueur de JdR qui a fait ce truc ! » Donc j’appelle Kalisto et je leur dis que je trouve vachement bien ce qu’ils font et que j’aimerais bien travailler avec eux. Guillaume me dit alors « Vous savez Monsieur Weil, Nephilim, j’ai été le premier à le critiquer » ! Et voilà, on s’est rencontré comme ça, et ça a été un déclic. On s’est tout de suite mis d’accord pour travailler en parallèle sur le JdR et le JV, on a fait appel à un auteur américain pour les romans, etc. C’était parti ! Il avait aussi été question d’une série télé sur Dark Earth, avec un studio américain. Ce partenariat, c’était vraiment une énergie très forte.
CB : Tout cela t’a détourné de ce qui se passait à Multisim?
FW : Ça m’a détourné de l’écriture surtout, car je ne travaillais plus sur les textes et me concentrais sur les tâches entrepreneuriales. Après, pour faire court, il y a eu le 11 septembre 2001 et l’effondrement de la bulle Internet dans laquelle se trouvait Kalisto. L’entreprise était en train de se développer à mort et la boîte venait de rentrer en bourse. C’était une success story française, très médiatisée, qu’on mettait en avant !
Mais Kalisto s’est planté peu de temps après. Nous, avec Multisim, on était sur un chemin beaucoup moins ambitieux, mais basé sur les mondes virtuels pour les JV. J’avais beaucoup investis dans une équipe de développement dédiée à ça et on s’est vite retrouvé le bec dans l’eau, avec des banques qui t’appellent du jour au lendemain pour rembourser des prêts que, bien sûr, tu ne peux pas payer…
CB : À ce moment là, les baisses des ventes de JdR étaient déjà sensibles ?
FW : En fait, on a fait une année de ce qu’on appelle un « redressement judiciaire », c’est-à-dire une année sous contrôle de l’administration. Ça se passait plutôt bien au début, mais on n’a pas vu tout de suite la baisse des ventes de JdR. On vendait à peu près bien Nephilim, Dark Earth et Guildes mais, sur le reste, on ne voyait pas que ça faiblissait. On a mis plusieurs mois à comprendre qu’en fait, l’économie même du JdR ne pouvait plus faire tourner la boîte comme avant. Face à ça, on avait eu l’idée que Millennium (aujourd’hui distributeur) reprenne le nom Multisim pour que la marque survive, mais cela ne s’est pas fait pour pleins de raisons.
CB : Le temps a passé et Nephilim a fini par ressortir, vingt ans après la première édition. Tu peux nous en parler ?
FW : Les vingt ans du jeu sont arrivés et plein de copains m’on dit : « Mais qu’est-ce que tu fous ! Bouges toi ! Nephilim a vingt ans, tu ne peux pas laisser passer ça ! » Donc on a commencé à discuter et plusieurs éditeurs sont venus nous voir pour nous proposer une v4. On a commencé à bosser, mais les projets ne m’intéressaient pas. Ce n’était pas ce que je pensais être Nephilim. Il y avait le projet d’une méga campagne historique, avec le jeu inséré dedans. Un autre éditeur m’a dit « Oui, je veux bien Nephilim, mais je ne veux pas de Templiers dedans », des choses comme ça. Au bout d’un moment, mon cœur d’éditeur n’a fait qu’un tour et j’ai dit à Fabrice qu’il y avait que nous qui pouvions nous en occuper. J’en ai également parlé à Sébastien Célerin parce que je tenais beaucoup à ce qu’il participe, lui qui avait vraiment développé Nephilim 3 et qui était un peu la mémoire du jeu. Il était super chaud aussi, et on est partis. Je me rappelle de la première réunion, avec Franck Achards aussi, car je ne voyais pas quelqu’un d’autres sur le graphisme, évidemment. On ne voulait pas faire un « revival ». On ne voulait pas faire « Multisim vingt ans après ». On n’était pas du tout nostalgiques. On voulait vraiment proposer une autre expérience. Alors on s’est dit qu’il fallait se faire plaisir et essayer de faire le plus beau jeu qu’on puisse faire. On s’est lâchés, on ne s’est pas donné de limite. On a fait une co-édition avec Edge, et Gilles Garnier de Edge m’a d’ailleurs dit : « pas de limite sur le budget illustrations ! »
CB : Dans le jeu de rôle, c’est pas mal ça !
FW : Voilà ! J’avais gardé un peu d’argent de côté moi aussi pour faire ce genre de truc, donc on s’est dit go ! Contrairement à la v3, qui était vraiment l’édition qui a essayé de tout rassembler en deux volumes autour d’un univers qui s’était beaucoup développé, l’idée de la v4, c’était de synthétiser. Un régal à faire. De voir toute l’équipe super motivée, donner le meilleur de soi pour faire le jeu.
CB : Avant de te laisser, on souhaitait te demander comment était venue cette idée du manifeste pour la reconnaissance du JdR comme le dixième art ? Et comment tu le vois maintenant ?
FW : Déjà, quand on l’a rédigée, on était légèrement ivres (rires). À l’époque, on en avait marre de voir que le JdR était mal considéré. Ce manifeste était notre réaction au mouvement qu’avait lancé l’émission de télé de Mireille Dumas. Une réaction puérile et un peu naïve… Enfin, que je juge aujourd’hui comme ça, mais à l’époque, on l’a vécu comme une atteinte profonde à notre intégrité. Notre réaction, ça a été de dire que non, le JdR peut être un art, et qu’il y a besoin d’un dixième art qui soit, en gros, un art « interactif ». C’était vraiment une réaction forte à la violence médiatique qu’on ressentait et contre laquelle on n’avait pas de pouvoir. Beaucoup d’entre nous avons été atteint…
CB : L’ensemble des rôlistes a été atteint…
FW : Oui, c’est un événement qui a eu beaucoup de conséquences. Beaucoup de clubs de jeux ont fermé dans les collèges et les lycées. Des parents et des associations se sont montés contre le JdR. Avant, le JdR était plutôt à la mode et même dans les journaux de masse il y avait une promotion du jeu. Après cette campagne menée par Mireille Dumas et d’autres, il y a eu un arrêt très fort du JdR. On peut estimer qu’une partie des problèmes économiques du marché du JdR en général datent de là. Chose exceptionnelle, tous les éditeurs de l’époque, Hexagonal, Asmodee, Orilam, Multisim, etc. (sauf Jeux Descartes), se sont réunis en une association. Tous les acteurs, qui étaient auparavant en général en bisbille, se retrouvait régulièrement pour discuter et essayer de monter des opérations de contre-feu, contre ce qu’il se passait. Ça s’appelait Passion jeux de rôle. Mais on n’était pas assez outillé, on n’avait pas assez de connaissance des médias. Et puis, surtout, parmi les journalistes, la vision de Mireille Dumas s’était répandue de manière forte. C’était impressionnant. Du jour au lendemain, le JdR est devenu le lieu où les gamins se suicident ! Pour les sortir de là, c’était devenu impossible. J’ai compris à ce moment-là qu’on ne pouvait s’en sortir qu’en se serrant les coudes. Je me suis aussi aperçu que les pouvoirs publics et une partie des média étaient en train de se couper de la jeunesse qui jouait au JdR et se sentaient très bien en faisant ça. Ils étaient en train de perdre ces personnes, qui sont d’ailleurs passées ensuite à Internet et ne se retrouvent plus du tout dans le lectorat des journaux classiques. On ne voulait pas que cette fracture se mette en place, mais elle a eu lieu.
Propos recueillis à Lyon par David Burckle et Damien Coltice
Extrait de Casus Belli n°10 Juillet - Août 2014
Extrait de Casus Belli n°10 Juillet - Août 2014
Frédéric Weil’s Digest
Frédéric Weil est né en 1967 et à co-fondé Multisim éditions en 1992 avec son ami Fabrice Lamidey. Il a également co-écrit Nephilim avec son compère et développé l’activité de Multisim vers le jeu vidéo via Multisim Interactive et Multisim Guide (publication de guides stratégiques pour les jeux vidéos) et a lancé les éditions Mnémos, toujours actives à ce jour dans la publication de romans français et de beaux livres avec notamment la magnifique collection Ourobores . Après Multisim, il a notamment travaillé dans le milieu du jeu vidéo, mais aussi avec le dessin animé.
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
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Re: entretien avec...
Didier Guiserix qui nous raconte...
Quand un fait divers est utilisé par la télé pour tuer le JdR !
Il y a vingt ans, le numéro 82 de Casus Belli s’ouvrait sur un article écrit par Didier Guiserix et Franck Stora, décryptant un événement qui affectera profondément le paysage rôlistique. La télévision, à travers l’émission de Jacques Pradel Témoin n° 1 (sur TF1), avait désigné le jeu de rôle comme le principal responsable du suicide d’un adolescent. 20 ans après, Didier Guiserix nous livre son témoignage sur toute l’affaire, dont le point culminant sera l’émission truquée de Mirelle Dumas.
Quand un fait divers est utilisé par la télé pour tuer le JdR !
Il y a vingt ans, le numéro 82 de Casus Belli s’ouvrait sur un article écrit par Didier Guiserix et Franck Stora, décryptant un événement qui affectera profondément le paysage rôlistique. La télévision, à travers l’émission de Jacques Pradel Témoin n° 1 (sur TF1), avait désigné le jeu de rôle comme le principal responsable du suicide d’un adolescent. 20 ans après, Didier Guiserix nous livre son témoignage sur toute l’affaire, dont le point culminant sera l’émission truquée de Mirelle Dumas.
Casus Belli : Bonjour Didier ! Peux-tu nous rappeler le contexte de cette émission de Jacques Pradel Témoin n°1, diffusée en mai 1994 sur TF1 ?
Didier Guiserix : Cela faisait quelques temps que des lecteurs commençaient à nous dire qu’il y a avait une histoire qui paraissait dans la presse écrite et qui concernait le JdR. Mais pour reprendre le contexte d’avant la diffusion de l’émission, il faut savoir que les parents, M. et Mme Maltese n’acceptaient pas les explications officielles du suicide de leur ils Christophe. Ce qui leur a mis la puce à l’oreille, c’est que même leur avocat n’arrivait pas à récupérer les effets personnels de leur fils qui était en internat. Ils se sont dit qu’il y avait là quelque chose que l’administration ne voulait pas révéler. D’autant que j’ai su après, quand on a vraiment discuté avec les parents, que l’enquêteur en question n’était pas du tout l’enquêteur théoriquement concerné par les faits de suicide dans la région. De plus, il semblait être une relation personnelle du chef d’établissement. Pour les parents, cette conjonction d’éléments sentait le coup fourré.
CB : Vous avez parlé aux parents ? À quel moment ? Après la publication de votre article ?
DG : En fait, on a eu plusieurs fois contact avec les parents. On les a eus au début de l’affaire. Leur démarche, à ce moment là, c’est que puisqu’ils ont l’impression que les autorités du coin leur cachent quelque chose, ils ont décidé d’utiliser les médias pour faire parler de la mort de leur ils, de manière à savoir ce qui lui est réellement arrivé. Quoi qu’il lui soit arrivé, ils veulent savoir la vérité, avec confiance.
À ce moment-là, ils n’ont pas encore récupéré les affaires de leur ils. Comme ils savaient qu’il jouait au JdR à l’internat, ils pensent à n’importe quoi ! À un prof qui joue un peu les gourous, par exemple…
Ils ne savent pas avec qui il joue, dans quel contexte. Ils connaissent bien un ou deux copains qui jouaient avec Christophe mais, à ce moment là, les parents des copains interdisent à leurs enfants de parler aux parents Maltese. Il y a une espèce de parano ambiante qui est créée par l’omerta globale. Cette parano se comprend de la part de ces parents mais aussi, après coup, de la part du chef d’établissement, puisqu’officieusement - et on en a discuté avec des enseignants de la région beaucoup plus tard - il y a eu effectivement à cette époque une vague de déprime qui a affecté les établissements scolaires. Il faut savoir qu’il y a toujours des suicides chez les adolescents. Et avant les événements dont on parle, il y a eu une vague de suicides chez les ados d’internat du coin et, du coup, il y a peut-être une consigne ou au moins un non-dit de la part des institutions, qui vise à minimiser ou cacher les affaires de ce type. En somme, tout un engrenage expliquant pourquoi les parents n’ont pas d’information se met en place.
Les parents, donc, font jouer en premier lieu la presse écrite locale. Très vite, les chasseurs de sujet des émissions de télé repèrent l’affaire. L’équipe de Pradel y voit du bon « miam-miam » et fait venir les parents sur le plateau pour Témoin n°1. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’époque, même pour un « vrai » journaliste qui veut faire son boulot, sur le jeu de rôle, il n’y a rien. Le seul bouquin qui s’appelle « jeu de rôle », c’est un Que sais-je sur les techniques de jeu de rôle en psychothérapie, écrit par Moreno dans les années 1920 (!). Il n’y aucune trace ! Rien. Pour Pradel, rien de plus facile que de tomber dans l’amalgame, le « Qu’est-ce que c’est que ces ados qui font de la psychothérapie à l’intérieur de l’école ?» Ils peuvent attaquer le sujet par n’importe quel biais, personne ne va leur apporter la contradiction. Seul le fameux Docteur Abgrall, le psychothérapeute invité pour l’occasion, est là pour apporter son regard d’expert. Lui-même essaie d’avoir un avis sur le sujet parce qu’il traite trois ou quatre patients adolescents ayant des problèmes et jouant au jeu de rôle. Par ailleurs, il est connu parce qu’il lutte contre la secte de la scientologie en essayant d’aider des gens qui veulent s’en sortir. Il faut se rappeler que le docteur Abgrall est, à cette époque, un peu dans un contexte parano, puisqu’ il est victime des manigances de la scientologie, qui veut le briser. Il n’est pas menacé de mort, mais il est sous pression. Il a reconnu après l’affaire qu’il n’avait pas assez de connaissances pour parler du JdR. Mais, au moment de l’émission, il s’était fait une certaine idée du JdR puisque ses patients lui en parlent, et pense donc en savoir assez pour pouvoir en parler. En vérité, il ne connaît le JdR ludique qu’à travers des ados qui ont des problèmes psychologiques et il a donc une vision extrêmement déformée, d’autant qu’il a aussi cette vision du jeu de rôle issue de la psychothérapie. Dans le cadre d’une émission de télé, on parle de tout ça vite fait, avec tous les amalgames et raccourcis possibles.
CB : Que s’est-il passé après Témoin n°1 ?
DG : Les émissions télé se sont enchaînées rapidement ! Ce qui a été dit dans Témoin n°1 provoque l’intérêt et des gens de la télé recontactent les parents Maltese. Quand on les a eus la première fois pour notre enquête, ils nous ont juste décrit les circonstances qui les ont poussés à agir par voie de presse (et on ne leur a rien demandé de plus). Sauf que le temps a passé et qu’il y a eu ensuite l’émission de M6, Zone interdite, un reportage un peu sensationnaliste avec beaucoup d’erreurs et d’approximations, mais pas véritablement à charge contre le JdR et, pour finir, Bas les masques, l’émission de Mireille Dumas.
CB : Celle dont on se souvient tous !
DG : Oui. C’est celle qui a le plus marqué les gens, parce que l’émission de Pradel a, certes, montré le JdR sous un mauvais jour, mais tout le monde savait que l’émission de Pradel était larmoyante…
CB : Et puis Pradel, c’est celui qui faisait les émissions sur les Petits Gris de Roswell !
DG : Oui. En y réfléchissant, son émission correspondait bien à l’attente initiale des parents pour sortir de l’omerta. L’émission consistait souvent à retrouver des gens, recueillir des témoignages. Il était naturel que les parents aillent chez lui. Mais ce qui a porté un grand coup au JdR, c’est bien sûr l’accumulation des émissions et surtout celle de Mireille Dumas, qui était truquée et à charge contre notre loisir. Après cette émission terrible, on a rappelé les parents Maltese pour leur demander comment ils avaient pu dire tout ça contre le JdR, et les parents nous ont révélé qu’ils n’avaient jamais dit ce qui était passé pendant l’émission…
CB : !!!
DG : Eh oui… En fait, il semblerait que Mireille Dumas ait eu une amie dont les enfants jouaient aux jeux de rôle et qui n’aimait pas du tout ça. La présentatrice a pris la balle au bond, programmant un sujet d’émission à charge contre le JdR dans le contexte du suicide de Christophe, histoire de bien démolir. Les parents ont servi de gibier, sans aucun respect pour leur histoire. Quand, dans l’émission, on parle de la façon de jouer de Christophe, Mireille Dumas demande : « Est-ce que vous pensez que c’est à cause du JdR ? », au moment de l’enregistrement de l’émission, la mère répond : « Non, pas du tout » mais, quand elle se voit dans l’émission, le monteur a remplacé sa réponse par une image d’elle en train de hocher de la tête, comme si elle acquiesçait à la question de Mireille Dumas ! Cela nous a permis d’apprendre qu’à la télévision, il existe un beau métier qui s’appelle « monteur-truqueur ».
CB : Et la suite ?
DG : Et bien, la mère était vraiment révulsée par ce qu’on lui avait fait dire et elle s’est insurgée violemment. C’était une émission à charge, avec toute la panoplie de la désinformation. À cette époque-là, le magazine était encore dans le wargame et on avait un gros bouquin sur les méthodes de propagande des nazis et des soviétiques pendant la deuxième guerre mondiale, et on s’est « amusé », à Casus Belli – enfin, ça nous a fait rire jaune – à pointer toutes les recettes qu’elle avait employé pour son émission. Résultat, les deux tiers des astuces employées par la propagande pendant la guerre ont été utilisée dans cette émission…
CB : Heureusement, vous aviez eu la chance d’avoir les retours des parents pour comprendre comment l’émission s’était réellement passée !
DG : On les a eu après, et on est revenu là-dessus dans un autre article plus tard… Mais Casus n’est lu que par les lecteurs de Casus, donc ça n’a pas pu empêcher la double réaction primaire des gens qui n’y connaissent rien, du type : « Ouhlala, c’est dangereux, Mireille Dumas l’a dit », ni celle des gens qui étaient responsables dans les mairies et qui nous disaient : « Oui, nous on sait bien que ce n’est pas dangereux, que c’est sympa, mais on ne peut pas braver tous les parents de la commune, et donc désolé, mais le club ferme ».
CB : Si j’ai bien compris, l’impact sur les clubs n’était pas encore très sensible après la diffusion de Témoin n°1, mais il l’est devenu après l’émission de Mireille Dumas, c’est ça ?
DG : Pour Témoin n°1, c’est vraiment sensible auprès des joueurs, qui se sentent légitimement concernés, blessés et à qui cela pose déjà des problèmes. Mais effectivement, il n’y a pas encore de vague de fermeture de clubs. Cette vague, elle va être totale après Bas les masques. Parce qu’il existait à cette époque 15 000 petits clubs de dix copains environs dans les MJC de village et autres… Et tous ces petits clubs-là vont fermer ! Et ces 15 000 petits clubs qui ferment, c’est 150 000 joueurs qui n’ont plus de lieu où jouer parce que chez eux, ce n’est pas toujours pratique.
CB : On aurait vraiment pu imaginer que les parents Maltese n’ont pas essayé de comprendre le JdR, mais en fait, ça semble être l’inverse ?
DG : Oui, ils ont vraiment pris la peine de parler avec nous, et puis il faut dire quand même que nous avons essayé de montrer que nous cherchions à savoir, à comprendre, et qu’on était ni contre eux, ni pour eux. Ce qu’on leur a dit clairement et ce qui, je crois, les a touché, c’est qu’il y avait 400 000 joueurs en France et que si, vraiment, il y avait eu des vagues de suicides, nous l’aurions su. Nous leur avons dit que tous ces gens-là étaient profondément blessés par cette émission. D’ailleurs, pour clarifier un peu l’histoire, la mère de la famille Maltese était en fait la belle-mère de Christophe. C’était une famille recomposée. C’est elle que nous avons eue un peu plus au téléphone. Après son remariage avec le père de Christophe, elle allait avoir un enfant et, rétrospectivement, ils pensent aujourd’hui que Christophe, déjà abandonné par sa mère, s’est senti abandonné par sa belle-mère, qu’il aimait bien. Il était très agité par tout ce contexte et les parents ne l’ont pas vu. Pour revenir à Casus, on a essayé de démonter les problèmes un par un, au moins pour nos lecteurs, pour qu’ils aient des arguments basés sur des faits pour leurs propres discussions.
CB : Mais face au pouvoir de la télé...
DG : Voilà ! L’émission a fait énormément de mal, mais elle a fait réagir les parents Maltese et le docteur Abgrall. Ce dernier habitait près de Toulon, où se tenait le France Sud Open au Fort Faron, qui réunissait 600 joueurs. Les gens qui organisaient cet événement travaillaient avec les institutions locales, avaient un peu pignon sur rue et ils se sont permis de l’appeler et de lui demander pourquoi il avait soutenu ces émissions-là. L’année après Mireille Dumas, ils ont carrément invité le docteur pour lui poser ces mêmes questions. Et bien il a eu le courage de venir et, ce qui est bien, c’est qu’il a discuté avec les organisateurs et les joueurs. Il n’est pas venu que pour sa conférence. Il a pris le temps de discuter avec les joueurs avant et après et il a expliqué pourquoi il était si raide à l’époque et pourquoi, dans les comportements autour de la table, il avait vu des dérives (le souffre-douleur des joueurs, le maître de jeu qui profite de sa position...). Il avait conscience des problèmes autour de la fiction en général et de la différence qu’il y a entre s’évader et fuir la réalité, en fonction du degré de mal-être d’un individu. Mais, pour rester sur Toulon, l’histoire la plus étrange suite à tout cela, c’est que juste après, un éditeur de la région a envoyé des émissaires dans les clubs de la ville pour trouver des auteurs et créer un jeu de rôle. Les gens ont bossé assez longtemps là-dessus, des mois, et puis finalement, sans explication, l’éditeur a laissé tomber l’affaire. Les auteurs, qui n’étaient pas très contents, se sont un peu renseignés sur l’éditeur pour savoir ce qu’il s’était passé… Et ils se sont aperçus que l’éditeur était un des multiples avatars liés à la scientologie ! En repensant à tout le processus, les auteurs se sont souvenus que l’éditeur leur avait donné petit à petit tout un tas d’éléments de règles étranges. Par exemple, les caractéristiques des personnages et leurs intitulés correspondaient à la grille de lecture de la scientologie ! Bref, au final, les auteurs étaient contents de ne pas s’être faits avoir !
CB : On n'est pas passé loin de quelque chose de terrible, là !
DG : Oui ! Et en fait, en réfléchissant, la conclusion à laquelle l’éditeur semble être arrivé, c’est que les auteurs ne faisaient jamais ce que les mecs de la scientologie voulaient. Les tests autour de la table étaient effectués avec des rôlistes, bien sûr, et, quand les gens de la maison d’édition venaient les voir, ils voyaient que ça partait en vrille, en bordel complet (rires)… alors qu’eux, ce qu’ils voulaient, c’était manipuler les gens. Mais non, ça ne marchait pas ! Autour d’une table, les rôlistes font ce qu’ils veulent, et ça ne servait pas du tout leur démarche de faire passer la grille de lecture de la scientologie de Ron Hubbard auprès de ce nouveau public.
Didier Guiserix : Cela faisait quelques temps que des lecteurs commençaient à nous dire qu’il y a avait une histoire qui paraissait dans la presse écrite et qui concernait le JdR. Mais pour reprendre le contexte d’avant la diffusion de l’émission, il faut savoir que les parents, M. et Mme Maltese n’acceptaient pas les explications officielles du suicide de leur ils Christophe. Ce qui leur a mis la puce à l’oreille, c’est que même leur avocat n’arrivait pas à récupérer les effets personnels de leur fils qui était en internat. Ils se sont dit qu’il y avait là quelque chose que l’administration ne voulait pas révéler. D’autant que j’ai su après, quand on a vraiment discuté avec les parents, que l’enquêteur en question n’était pas du tout l’enquêteur théoriquement concerné par les faits de suicide dans la région. De plus, il semblait être une relation personnelle du chef d’établissement. Pour les parents, cette conjonction d’éléments sentait le coup fourré.
CB : Vous avez parlé aux parents ? À quel moment ? Après la publication de votre article ?
DG : En fait, on a eu plusieurs fois contact avec les parents. On les a eus au début de l’affaire. Leur démarche, à ce moment là, c’est que puisqu’ils ont l’impression que les autorités du coin leur cachent quelque chose, ils ont décidé d’utiliser les médias pour faire parler de la mort de leur ils, de manière à savoir ce qui lui est réellement arrivé. Quoi qu’il lui soit arrivé, ils veulent savoir la vérité, avec confiance.
À ce moment-là, ils n’ont pas encore récupéré les affaires de leur ils. Comme ils savaient qu’il jouait au JdR à l’internat, ils pensent à n’importe quoi ! À un prof qui joue un peu les gourous, par exemple…
Ils ne savent pas avec qui il joue, dans quel contexte. Ils connaissent bien un ou deux copains qui jouaient avec Christophe mais, à ce moment là, les parents des copains interdisent à leurs enfants de parler aux parents Maltese. Il y a une espèce de parano ambiante qui est créée par l’omerta globale. Cette parano se comprend de la part de ces parents mais aussi, après coup, de la part du chef d’établissement, puisqu’officieusement - et on en a discuté avec des enseignants de la région beaucoup plus tard - il y a eu effectivement à cette époque une vague de déprime qui a affecté les établissements scolaires. Il faut savoir qu’il y a toujours des suicides chez les adolescents. Et avant les événements dont on parle, il y a eu une vague de suicides chez les ados d’internat du coin et, du coup, il y a peut-être une consigne ou au moins un non-dit de la part des institutions, qui vise à minimiser ou cacher les affaires de ce type. En somme, tout un engrenage expliquant pourquoi les parents n’ont pas d’information se met en place.
Les parents, donc, font jouer en premier lieu la presse écrite locale. Très vite, les chasseurs de sujet des émissions de télé repèrent l’affaire. L’équipe de Pradel y voit du bon « miam-miam » et fait venir les parents sur le plateau pour Témoin n°1. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’époque, même pour un « vrai » journaliste qui veut faire son boulot, sur le jeu de rôle, il n’y a rien. Le seul bouquin qui s’appelle « jeu de rôle », c’est un Que sais-je sur les techniques de jeu de rôle en psychothérapie, écrit par Moreno dans les années 1920 (!). Il n’y aucune trace ! Rien. Pour Pradel, rien de plus facile que de tomber dans l’amalgame, le « Qu’est-ce que c’est que ces ados qui font de la psychothérapie à l’intérieur de l’école ?» Ils peuvent attaquer le sujet par n’importe quel biais, personne ne va leur apporter la contradiction. Seul le fameux Docteur Abgrall, le psychothérapeute invité pour l’occasion, est là pour apporter son regard d’expert. Lui-même essaie d’avoir un avis sur le sujet parce qu’il traite trois ou quatre patients adolescents ayant des problèmes et jouant au jeu de rôle. Par ailleurs, il est connu parce qu’il lutte contre la secte de la scientologie en essayant d’aider des gens qui veulent s’en sortir. Il faut se rappeler que le docteur Abgrall est, à cette époque, un peu dans un contexte parano, puisqu’ il est victime des manigances de la scientologie, qui veut le briser. Il n’est pas menacé de mort, mais il est sous pression. Il a reconnu après l’affaire qu’il n’avait pas assez de connaissances pour parler du JdR. Mais, au moment de l’émission, il s’était fait une certaine idée du JdR puisque ses patients lui en parlent, et pense donc en savoir assez pour pouvoir en parler. En vérité, il ne connaît le JdR ludique qu’à travers des ados qui ont des problèmes psychologiques et il a donc une vision extrêmement déformée, d’autant qu’il a aussi cette vision du jeu de rôle issue de la psychothérapie. Dans le cadre d’une émission de télé, on parle de tout ça vite fait, avec tous les amalgames et raccourcis possibles.
CB : Que s’est-il passé après Témoin n°1 ?
DG : Les émissions télé se sont enchaînées rapidement ! Ce qui a été dit dans Témoin n°1 provoque l’intérêt et des gens de la télé recontactent les parents Maltese. Quand on les a eus la première fois pour notre enquête, ils nous ont juste décrit les circonstances qui les ont poussés à agir par voie de presse (et on ne leur a rien demandé de plus). Sauf que le temps a passé et qu’il y a eu ensuite l’émission de M6, Zone interdite, un reportage un peu sensationnaliste avec beaucoup d’erreurs et d’approximations, mais pas véritablement à charge contre le JdR et, pour finir, Bas les masques, l’émission de Mireille Dumas.
CB : Celle dont on se souvient tous !
DG : Oui. C’est celle qui a le plus marqué les gens, parce que l’émission de Pradel a, certes, montré le JdR sous un mauvais jour, mais tout le monde savait que l’émission de Pradel était larmoyante…
CB : Et puis Pradel, c’est celui qui faisait les émissions sur les Petits Gris de Roswell !
DG : Oui. En y réfléchissant, son émission correspondait bien à l’attente initiale des parents pour sortir de l’omerta. L’émission consistait souvent à retrouver des gens, recueillir des témoignages. Il était naturel que les parents aillent chez lui. Mais ce qui a porté un grand coup au JdR, c’est bien sûr l’accumulation des émissions et surtout celle de Mireille Dumas, qui était truquée et à charge contre notre loisir. Après cette émission terrible, on a rappelé les parents Maltese pour leur demander comment ils avaient pu dire tout ça contre le JdR, et les parents nous ont révélé qu’ils n’avaient jamais dit ce qui était passé pendant l’émission…
CB : !!!
DG : Eh oui… En fait, il semblerait que Mireille Dumas ait eu une amie dont les enfants jouaient aux jeux de rôle et qui n’aimait pas du tout ça. La présentatrice a pris la balle au bond, programmant un sujet d’émission à charge contre le JdR dans le contexte du suicide de Christophe, histoire de bien démolir. Les parents ont servi de gibier, sans aucun respect pour leur histoire. Quand, dans l’émission, on parle de la façon de jouer de Christophe, Mireille Dumas demande : « Est-ce que vous pensez que c’est à cause du JdR ? », au moment de l’enregistrement de l’émission, la mère répond : « Non, pas du tout » mais, quand elle se voit dans l’émission, le monteur a remplacé sa réponse par une image d’elle en train de hocher de la tête, comme si elle acquiesçait à la question de Mireille Dumas ! Cela nous a permis d’apprendre qu’à la télévision, il existe un beau métier qui s’appelle « monteur-truqueur ».
CB : Et la suite ?
DG : Et bien, la mère était vraiment révulsée par ce qu’on lui avait fait dire et elle s’est insurgée violemment. C’était une émission à charge, avec toute la panoplie de la désinformation. À cette époque-là, le magazine était encore dans le wargame et on avait un gros bouquin sur les méthodes de propagande des nazis et des soviétiques pendant la deuxième guerre mondiale, et on s’est « amusé », à Casus Belli – enfin, ça nous a fait rire jaune – à pointer toutes les recettes qu’elle avait employé pour son émission. Résultat, les deux tiers des astuces employées par la propagande pendant la guerre ont été utilisée dans cette émission…
CB : Heureusement, vous aviez eu la chance d’avoir les retours des parents pour comprendre comment l’émission s’était réellement passée !
DG : On les a eu après, et on est revenu là-dessus dans un autre article plus tard… Mais Casus n’est lu que par les lecteurs de Casus, donc ça n’a pas pu empêcher la double réaction primaire des gens qui n’y connaissent rien, du type : « Ouhlala, c’est dangereux, Mireille Dumas l’a dit », ni celle des gens qui étaient responsables dans les mairies et qui nous disaient : « Oui, nous on sait bien que ce n’est pas dangereux, que c’est sympa, mais on ne peut pas braver tous les parents de la commune, et donc désolé, mais le club ferme ».
CB : Si j’ai bien compris, l’impact sur les clubs n’était pas encore très sensible après la diffusion de Témoin n°1, mais il l’est devenu après l’émission de Mireille Dumas, c’est ça ?
DG : Pour Témoin n°1, c’est vraiment sensible auprès des joueurs, qui se sentent légitimement concernés, blessés et à qui cela pose déjà des problèmes. Mais effectivement, il n’y a pas encore de vague de fermeture de clubs. Cette vague, elle va être totale après Bas les masques. Parce qu’il existait à cette époque 15 000 petits clubs de dix copains environs dans les MJC de village et autres… Et tous ces petits clubs-là vont fermer ! Et ces 15 000 petits clubs qui ferment, c’est 150 000 joueurs qui n’ont plus de lieu où jouer parce que chez eux, ce n’est pas toujours pratique.
CB : On aurait vraiment pu imaginer que les parents Maltese n’ont pas essayé de comprendre le JdR, mais en fait, ça semble être l’inverse ?
DG : Oui, ils ont vraiment pris la peine de parler avec nous, et puis il faut dire quand même que nous avons essayé de montrer que nous cherchions à savoir, à comprendre, et qu’on était ni contre eux, ni pour eux. Ce qu’on leur a dit clairement et ce qui, je crois, les a touché, c’est qu’il y avait 400 000 joueurs en France et que si, vraiment, il y avait eu des vagues de suicides, nous l’aurions su. Nous leur avons dit que tous ces gens-là étaient profondément blessés par cette émission. D’ailleurs, pour clarifier un peu l’histoire, la mère de la famille Maltese était en fait la belle-mère de Christophe. C’était une famille recomposée. C’est elle que nous avons eue un peu plus au téléphone. Après son remariage avec le père de Christophe, elle allait avoir un enfant et, rétrospectivement, ils pensent aujourd’hui que Christophe, déjà abandonné par sa mère, s’est senti abandonné par sa belle-mère, qu’il aimait bien. Il était très agité par tout ce contexte et les parents ne l’ont pas vu. Pour revenir à Casus, on a essayé de démonter les problèmes un par un, au moins pour nos lecteurs, pour qu’ils aient des arguments basés sur des faits pour leurs propres discussions.
CB : Mais face au pouvoir de la télé...
DG : Voilà ! L’émission a fait énormément de mal, mais elle a fait réagir les parents Maltese et le docteur Abgrall. Ce dernier habitait près de Toulon, où se tenait le France Sud Open au Fort Faron, qui réunissait 600 joueurs. Les gens qui organisaient cet événement travaillaient avec les institutions locales, avaient un peu pignon sur rue et ils se sont permis de l’appeler et de lui demander pourquoi il avait soutenu ces émissions-là. L’année après Mireille Dumas, ils ont carrément invité le docteur pour lui poser ces mêmes questions. Et bien il a eu le courage de venir et, ce qui est bien, c’est qu’il a discuté avec les organisateurs et les joueurs. Il n’est pas venu que pour sa conférence. Il a pris le temps de discuter avec les joueurs avant et après et il a expliqué pourquoi il était si raide à l’époque et pourquoi, dans les comportements autour de la table, il avait vu des dérives (le souffre-douleur des joueurs, le maître de jeu qui profite de sa position...). Il avait conscience des problèmes autour de la fiction en général et de la différence qu’il y a entre s’évader et fuir la réalité, en fonction du degré de mal-être d’un individu. Mais, pour rester sur Toulon, l’histoire la plus étrange suite à tout cela, c’est que juste après, un éditeur de la région a envoyé des émissaires dans les clubs de la ville pour trouver des auteurs et créer un jeu de rôle. Les gens ont bossé assez longtemps là-dessus, des mois, et puis finalement, sans explication, l’éditeur a laissé tomber l’affaire. Les auteurs, qui n’étaient pas très contents, se sont un peu renseignés sur l’éditeur pour savoir ce qu’il s’était passé… Et ils se sont aperçus que l’éditeur était un des multiples avatars liés à la scientologie ! En repensant à tout le processus, les auteurs se sont souvenus que l’éditeur leur avait donné petit à petit tout un tas d’éléments de règles étranges. Par exemple, les caractéristiques des personnages et leurs intitulés correspondaient à la grille de lecture de la scientologie ! Bref, au final, les auteurs étaient contents de ne pas s’être faits avoir !
CB : On n'est pas passé loin de quelque chose de terrible, là !
DG : Oui ! Et en fait, en réfléchissant, la conclusion à laquelle l’éditeur semble être arrivé, c’est que les auteurs ne faisaient jamais ce que les mecs de la scientologie voulaient. Les tests autour de la table étaient effectués avec des rôlistes, bien sûr, et, quand les gens de la maison d’édition venaient les voir, ils voyaient que ça partait en vrille, en bordel complet (rires)… alors qu’eux, ce qu’ils voulaient, c’était manipuler les gens. Mais non, ça ne marchait pas ! Autour d’une table, les rôlistes font ce qu’ils veulent, et ça ne servait pas du tout leur démarche de faire passer la grille de lecture de la scientologie de Ron Hubbard auprès de ce nouveau public.
Propos recueillis par Damien Coltice
Extrait Casus Belli n°11 Septembre - Octobre 2014
Extrait Casus Belli n°11 Septembre - Octobre 2014
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
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Re: entretien avec...
Entretiens avec les tauliers de John Doe
John Grümpf et Emmanuel Gharbi sont respectivement illustrateur/auteur et gérant des éditions John Doe, petite maison très sympathique ayant publié entre autre : le dK système, Bloodlust, Les Mille Marches ou encore Final Frontier.
Il y a peu, eux-mêmes ainsi que d'autres auteurs/éditeurs ont été interviewés par Coralie David, doctorante en littérature comparée, travaillant sur la relation que le jeu de rôle entretient avec le reste de la culture populaire. Le site de John Doe a d'ailleurs publié un lien vers un Podcast de Radio Rôliste, ou la demoiselle est interrogée sur ses travaux.
Je vous propose ici le lien pour accéder à l'interview des gens de John Doe ! Bonne lecture !
http://johndoe-rpg.com/wp-content/uploads/2014/09/Entretien-avec-Le-Gr%C3%BCmph-et-Emmanuel-Gharbi.pdf
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Re: entretien avec...
MARC NUNÈS
« Je suis nostalgique »
Il aura fallu attendre un reportage sur la Tric Trac Tv (ici) pour que le grand public entende parler de Marc Nunès, le millionnaire fondateur d’Asmodée, le géant de la distribution mondiale de jeux. Car l’homme est discret et n’a accordé dans toute sa vie que trois interviewes. Dont celle-ci, accordée en exclusivité pour Casus Belli !
« Je suis nostalgique »
Il aura fallu attendre un reportage sur la Tric Trac Tv (ici) pour que le grand public entende parler de Marc Nunès, le millionnaire fondateur d’Asmodée, le géant de la distribution mondiale de jeux. Car l’homme est discret et n’a accordé dans toute sa vie que trois interviewes. Dont celle-ci, accordée en exclusivité pour Casus Belli !
C’est Croc lui-même qui nous emmène voir Marc Nunès dans les locaux de Space Cowboys, le nouvel éditeur de jeu de société au sein duquel se sont retrouvés des anciens d’Asmodée et quelques personnalités ayant réussi dans le milieu ces dernières années. « Le plus simple pour le voir, c’est de passer au bureau. Il a bien envie de parler du bon vieux temps », nous dit Croc, qui a fait l’ensemble de sa carrière à ses côtés. Après quelques minutes d’attente, Marc arrive, détendu comme il l’est toujours, et la discussion commence. Retour sur les premières années de la plus formidable « success story » du milieu du jeu.
Casus Belli : Il paraît que tu es avant tout un rôliste ?
Marc Numès : Oui, oui, je viens du JdR avant de venir du jeu.
CB : Comment as-tu commencé le jeu de rôle ?
Marc Nunès : J’ai commencé le JdR avec un groupe de copains, alors que j’étais en troisième, je pense. J’entendais des gens parler de trucs étranges dans la cour de récréation et ça m’interpellait. C’était des gens qui jouaient à Donjons & Dragons et je leur ai demandé de m’en dire un peu plus. Je suis allé voir une partie ou deux et puis, à partir de là, j’ai chopé le virus.
CB : Vous jouiez en anglais, à l’époque ?
MN : Oui, oui, il n’y avait pas encore de version française. On a joué de manière très très courte à Donjon, pendant six mois peut-être, et après on est passé directement sur Runequest. Et là, j’ai dû jouer à Runequest pendant quatre ou cinq ans dans une campagne écrite par un copain.
CB : Tu as quel âge à ce moment-là ?
MN : Je ne me souviens plus… (Il cherche) Quinze ou seize ans. Après, avec le même groupe de joueurs, on a fondé un club de JdR à Virolay qui s’appelait le « 20 naturel ».
CB : Beaucoup de gens jouaient dans ce club à cette époque ?
MN : Il y avait deux clubs en fait. Le 20 naturel était ouvert le samedi après-midi, et il existait un club à Chaville où on jouait le vendredi soir. On était entre vingt-cinq et trente-cinq. Le président du club était Laurent Trémel, qui a écrit notamment Silrin et Kronos, deux jeux d’une vieille gamme Siroz qui s’appelait Universom et dans laquelle il y a avait Berlin XVIII, notamment (PLACER LE LIEN DU POST Universom dans CB#08).
CB : À quel moment as-tu croisé Croc ?
MN : Le MJ qui nous faisait jouer régulièrement dans ma classe était Eric Bouchaud, qui a fondé Siroz Productions, avec Nicolas Théry (qui lui était moins joueur de JdR mais plus graphiste), Laurent Trémel était également au club et Croc, lui, venait de temps en temps. À ce moment-là, il habitait Versailles et il jouait aussi dans un autre club de JdR dont j’ai oublié le nom. Il est venu nous voir quand son club a fermé et il a commencé à nous faire tester Bitume. Il nous a fait aussi découvrir Warhammer, Warhammer Battle, enfin ce genre de jeux.
CB : Tous ces jeux étaient faciles d’accès à l’époque, ou vous aviez des photocopies ?
MN : C’était pas mal de la photocopie (rires). Nous, on achetait nos jeux dans un magasin. Enfin, de temps en temps ! On faisait des expéditions complètement folles jusqu’à chez Descartes ou L’Œuf Cube. Et sinon, dans le centre commercial de Vélizy, il y avait un magasin Games avec un rayon JdR et on achetait nos jeux là-bas.
CB : Donc tu croises tous ces gens là et certains, comme Croc, veulent déjà être édités ?
MN : Croc veut se faire éditer, Eric Bouchaud et Nicolas Théry aussi. En fait, on teste leurs jeux. Eric écrivait beaucoup, c’est lui qui avait écrit toute la campagne de Runequest à laquelle on a joué pendant des années. Un jour, il a l’idée de faire un jeu qui se passe en banlieue. Avec des skins, des punks, des redskins, qui étaient des sujets d’actualité à cette époque-là. Il écrit Zone, on le teste, on aime ça, et tous les gens à qui on fait jouer adorent. À un moment, il leur prend l’envie de monter une boîte et de l’éditer. C’est comme ça que l’aventure Siroz commence.
CB : Et toi, à ce moment-là, tu regardes ça de loin ?
MN : Moi, à ce moment-là, je suis actionnaire dans la boîte de manière hyper minoritaire. Je n’en ai pas le souvenir, mais on doit parler d’une société de 200 € de capital, je pense. Je dois avoir même pas 10% du capital et je commence d’ailleurs à bosser et à m’orienter plutôt vers le commercial. Je vends des offres d’emploi dans un journal. Du coup, Eric, qui n’est pas du tout commercial, me demande de venir vendre les jeux. Le samedi après-midi, je me rends dans sa chambre, avec une liste et des fiches client bristol, et on appelle les magasins pour vendre des Zone, des Zonequest, etc. On avait un facturier fait à la main, c’était rigolo. Je faisais les ventes, lui faisait les factures, sa mère les colis… C’était une très petite entreprise ! Ensuite, ça a commencé à se développer, on a sorti des extensions à Zone, la gamme Universom, avec Silrin écrit par Laurent Trémel, Berlin XVIII première édition, qui était alors dans la gamme Universom, et enfin notre premier jeu sous couverture cartonnée, Whog Shrog.
CB : Comment est né le concept de Whog Shrog (WS) ?
MN : À la base, WS devait être un épisode d’Universom, mais on s’est tellement éclatés en jouant à ce truc qu’on s'est dit que ça allait marcher ! Cela dit, je pense qu’on a quand même réussi à faire la couverture la plus hideuse du monde du jeu. C’était aussi un jeu qui avait l’air hyper bourrin. En fait, Eric était tellement bon MJ que quand on jouait à WS, ce n’était pas du tout bourrin, mais ce qu’il a écrit et ce qu’on a donné aux joueurs… Par exemple, nous, les grenades atomiques, on les avait, mais on ne les a jamais fait exploser, et on n’a pas pensé une seule seconde que quelqu’un penserait à les faire sauter !
CB : Il y a l’aspect graphique qui apportait aussi ce côté bourrin, non ?
MN : Ouais, mais l’aspect graphique n’était pas plus réfléchi que ça. On connaissait quatre mecs qui savaient faire des dessins, et c’est eux qui s’en occupaient.
CB : Là, vous aviez vingt balais, pas plus ?
MN : Oui, vingt. Je devais sortir de l’armée. Mais malheureusement, la boîte se plante parce que Eric était très bon MJ, mais pas forcément bon gestionnaire. Le père de Nicolas avait un ami qui faisait des affaires et était d’accord pour reprendre la boîte, au moins pour rembourser les dettes. Et les dettes représentaient beaucoup d’argent à l’époque, c’était compliqué. Après quelques péripéties, le gars éponge les dettes, les actionnaires historiques s’en vont, mais le mec demande à ce que je reste parce qu’il faut quelqu’un pour faire le commercial. Et c’est là que Croc me rejoint. On a besoin de quelqu’un qui fasse de la création et le premier jeu de cette nouvelle boîte, qui s’appelle Idéojeux, c’est In Nomine Satanis/Magna Veritas.
CB : Un petit succès d’estime…
MN : Petit succès d’estime, oui (sourire), qui est le premier jeu Siroz qui marche vraiment, en fait. Paradoxalement, ce n’est pas un jeu Siroz parce que c’est Croc qui l’a fait. Croc avait sa propre marque, qui s’appelait Futur proche, mais il est bien dans l’esprit de ce qu’on voulait faire avec Siroz auparavant. Des jeux rock’n roll, avec un esprit un peu décalé, un peu rigolo.
CB : Qu’est-ce qui provoque le rapprochement avec Croc ?
MN : Il faut savoir que quand je vendais les jeux Siroz, je vendais aussi les siens. On avait donc déjà regroupé nos efforts. Il avait In Nomine en tête. INS/MV devait être signé chez Siroz, si je ne dis pas de bêtise. Il avait écrit le jeu pour nous avant la reprise. C’est sur Idéojeux qu’on a commencé notre collaboration et, depuis, on ne s’est plus quittés !
CB : Le vieux couple ! Parlons des conditions de travail à cette époque, comment ça se passait ? Vous bossiez dans une cave ?
MN : Non, on travaillait dans un bureau Place Clichy, à la Fourche. On partageait ça avec Gilles Maurice qui faisait un jeu par correspondance dont j’ai oublié le nom et qui marchait bien. On jouait des guerriers… Attendez, Croc va retrouver le nom… (Il part voir Croc pour lui poser la question et revient). Duel master ! En réalité, on avait repris les anciens locaux de Chroniques d’Outre-monde et on les partageait avec Gilles Maurice.
CB : Au cours de cette période, vous jouiez encore beaucoup ?
MN : Je crois que je ne jouais déjà plus énormément au JdR. Je commençais à jouer beaucoup plus aux jeux de plateau, Diplo, Machiaveli. Philippe Mouret, avec qui on jouait au JdR, n’était pas encore chez nous, mais il était déjà un pote, et lui collectionnait les jeux de plateau. Tous les vendredi soir, on faisait des soirées jeux de plateau chez lui. On ne jouait plus beaucoup au JdR. J’avais déjà pas mal décroché. J’y suis retourné après, j’ai fait des campagnes de L5R un petit peu, de Cthulhu et Warhammer. C’est à dire que ça prenait beaucoup de temps, et ce n’était pas très compatible avec les filles et deux trois autres trucs qui m’intéressaient à l’époque ! (Rires)
CB : Idéojeux, ça a duré combien d’années ?
MN : Jusqu’en 1995. Ça doit commencer vaguement en 1989, jusqu’en 1995.
CB : Vous vous développez vraiment, à ce moment-là ?
MN : Oui. On lance nos deux premiers jeux : In Nomine et Car Wars. Après suivent Bloodlust, Heavy Metal, Scales.... et je pense que c’est déjà sur Idéojeux qu’on signe L5R en français, mais je ne peux pas vous le jurer.
CB : Est-ce que vous passez à côté de certains trucs à l’époque ?
MN : Magic, Vampire. (Il s’esclaffe). Un jour, il y a un type qui vient en France jusqu’à notre bureau et qui nous dit : « Regardez mon jeu, Vampire, it’s wonderful »… et je lui dis : « Non, monsieur, il faut me laisser, il faut partir maintenant ». À l’époque, on n’était pas du tout dans une logique de gagner de l’argent et on faisait des trucs qui nous plaisaient. Faire de la traduction, ce n’était pas nous. Il y avait des boîtes qui faisaient de la traduction (Hexagonal, Oriflam, Descartes), mais Siroz, non. Donc globalement, Vampire ou un autre jeu, ça ne m’intéressait pas par principe. Si on m’avait proposé D&D à cette époque là, que l’on a fait plus tard avec Asmodée, on ne l’aurait pas fait je pense, parce que c’était exactement l’inverse de ce que nous voulions faire. Quelque part, on n’a pas raté Vampire, on n’était pas intéressés. Ce n’est pas comme ça que je voyais la boîte. On avait cette idée que Siroz, c’était la boîte qui créait des JdR en France. C’est pour ça que quand Multisim est apparu, ça a tout de suite été nos concurrents. Ils sont venus sur notre territoire. Et ils sont bien venus, car avec des jeux beaucoup plus beaux que nous à l’époque, mieux fabriqués, etc. Et puis c’était l’anti-Siroz. Nous on était des bourrins et eux des intellos. Quelque part, c’était assez rigolo.
CB : Alors dis-nous, c’était vrai au fond ? Vous étiez vraiment les bourrins et eux vraiment les intellos ?
MN : (Blagueur) Si, à la fin, ce sont les bourrins qui gagnent, alors oui ! Plus sérieusement, on ne cherchait pas la même chose. J’en avais discuté avec Frédéric Weil [PLACER LE LIEN DU POST dans CB#11] qui était un type avec qui je ne m’entendais pas bien à l’époque, mais avec qui ça s’est pas mal détendu par la suite. Lui, il ne faisait pas des jeux, il faisait des œuvres de l’esprit. Et nous, on faisait des jeux. On n’était pas sur la même planète et je crois qu’on ne recherchait pas la même chose. On a essayé de faire des trucs qui nous éclataient et leur trip n’était pas le nôtre. Par exemple, quand on a lancé Scales, on a offert des romans. On a fait écrire un roman à Gérard et Anne Guéraud, et on en a offert 10 000 avant que le jeu ne sorte. On a inventé des trucs comme ça, mais le but n’était pas de lancer une gamme de romans comme Multisim, ce n’était pas sérieux. D’ailleurs, on avait appelé ça les éditions du Khom-Heïdon !
CB : Ça vous a bousculé cette compétition avec Multsim ?
MN : Ça nous a obligé à être meilleurs. Ça nous a obligé à être bien meilleurs ! À nous remettre en cause sur les illustrations, sur le graphisme, la fabrication.
CB : Vous avez tout de suite pris la mesure de ça ou cela a pris du temps ?
MN : Oui. Très vite. Moi, ça me saoulait un peu quand on ouvrait un de leur jeu à côté d'un des nôtres ! Le leur était beaucoup plus beau ! Je pense qu’il y avait vraiment la forme et le fond. Nous, on était là pour amener les gens dans notre délire et on n’attachait pas trop d’importance au look en général. Eux, ils étaient vraiment là pour faire des œuvres. Ça nous a obligé à remonter notre niveau… Par contre, on n’a jamais fait d’œuvre, bien sûr...
CB : Après toute cette période, qu’est-ce qui vous a décidé à vous développer dans le jeu de société ?
MN : Comme je l’ai expliqué dans le reportage Tric Trac sur les Space Cowboys, c’est Magic : L’assemblée.
C’est Magic qui a tué le JdR chez nous. J’ai des souvenirs très précis. J’appelle un magasin à Nice, qui s’appelait Jeux et réflexion et qui n’existe plus. C’était un magasin avec qui on travaillait beaucoup, tenu par un mec avec qui je m’entendais très bien au téléphone. Donc je l’appelle et je me souviens, on commercialisait le nouvel écran de In Nomine, qui était un produit important. Le nouvel écran de la nouvelle édition d’In Nomine. Je lui dis : « Salut, je t’appelle, j’ai le nouvel écran de la nouvelle édition de In Nomine… » et il me dit : « Salut, t’as du Magic ? Non ? Et bien, ça ne m’intéresse pas. » Et il me raccroche au nez ! Je me souviens qu’à la fin de ce coup de fil là, je me dis que si on ne trouve pas autre chose, on est morts. En fait, ce qu'il s’est passé à l’époque, c’est que tous les joueurs de JdR se sont mis à jouer à Magic. On a été obligés de réinventer de nouveaux produits qui pouvaient plaire à des gens pris dans Magic. On a sorti Elixir. (il s’interrompt) Mais rendons à César ce qui appartient à César. Dans un édito de Didier Guiserix dans Casus Belli, je vois écris : « à quand un magazine de jeux de cartes ? » C’était la dernière phrase de son édito et je me dis que c’est une putain d’idée ! À cette période, on faisait Plasma, qui était un magazine de JdR traitant des jeux Siroz… (Malicieux) Bref, un fanzine ! Et comme Plasma ne se vendait pas du tout et que c’était les gens d’Halloween Concept qui faisaient Plasma, je leur ai dit : « Hé, les gars, pourquoi vous ne feriez pas à la place de Plasma qui ne se vend pas un magazine de jeux de cartes à collectionner ? » Ils trouvent que c’est une bonne idée et on lance Lotus Noir. Premier numéro de Lotus Noir, la tronche de Croc avec le lancement d’Intervention Divine (le jeu de cartes à collectionner dans l’univers d’INS/MV). En fait, on a d’abord lancé Intervention Divine et, quasiment parallèlement à ça, Halloween publie un jeu qui s’appelle Il était une fois.
CB : Halloween, c’était quoi par rapport à Siroz à l’époque ?
MN : C’était des gens complètement séparés de nous, mais c’était des potes et on les distribuait parce que eux n’avait pas de distributeur à l’époque. Et puis, ils faisaient Plasma. Les trois, quatre premiers numéros de Lotus noir ne sont pas distribués en kiosques et c’est Asmodée qui assure la distribution. On se rend compte qu’Il était une fois marche pas mal et Asmodée lance Elixir dans la foulée. C’est là que se situe le début de l’évolution d’Asmodée vers le jeu de société. Le seul retour qu’on a effectué vers le JdR, c’est l’épisode L5R, où l’on fait le jeu de cartes et le jeu de rôle, qui marche pas mal, d’ailleurs. Dans la foulée, on fait le deuxième jeu de AEG, 7ème mer, qui marche moins bien.
CB :Et tout ça nous mène à D&D3 !
MN : [il réfléchit] Je ne me souviens même plus comment on le récupère !
CB : Ça ne t’intéresse pas trop à ce moment-là ?
MN : Si, si, à ce moment-là, oui. Asmodée est vraiment devenu une boîte qui est là pour vendre des jeux. On a déjà racheté Jeux Descartes. Je suppose qu’on récupère D&D parce qu’on récupère Jeux Descartes. À moins qu’on nous l’ait proposé... À la base, on n’est pas très Donjon. On nous aurait proposé Runequest, on l’aurait fait avec beaucoup plus d’enthousiasme, je suppose.
CB : Pourquoi vous n’étiez pas très Donjon ?
MN : Je pense que le JdR, c’est avant tout une rencontre avec un MJ et moi, le MJ que j’ai rencontré, c’est Eric Bouchaud, le co-fondateur de Siroz. Et lui était plus parti sur Runequest, Cthulhu, Space Opera… des jeux bizarres quoi! On ne jouait pas à D&D.
CB : Est-ce que ça n’a pas été difficile aussi de voir mourir le JdR ?
MN : Je pense que ça correspondait à une époque et le sentiment que j’avais sur la fin quand on faisait D&D, c’est que les gens continuaient d’acheter, mais qu’ils ne jouaient plus. Ça fait un peu vieux con de dire ça, mais je pense que le JdR tel qu’on l’a connu, c’est plus compliqué aujourd’hui parce que le public qui faisait du JdR a vieilli et quand on vieillit… On a une vie sociale, familiale, des choses à faire, un travail et c’est plus compliqué de passer ses nuits à jouer. Alors je me trompe peut-être, c’est sans doute une analyse à deux sous. Sinon, Asmodée est devenu une entreprise importante où tu es obligé de faire le calcul temps passé contre rentabilité et quand tu fais ce calcul-là, entre un booster Pokémon et un scénario D&D, c’est vite fait ! Je ne jouais plus. Plus personne ne jouait à part Croc de temps en temps....
CB : Mais tu finances quand même COPS, sans doute à perte ?
MN : C’est Croc qui a envie de faire ce truc et c’est Geof qui y a passé énormément de temps. Au début, le cahier des charges, c’est de faire un jeu de flics. On fait une ou deux parties qui marchent bien. Je suis un nostalgique de Berlin XVIII, qui est sans doute mon jeu préféré. C’est un peu comme dans l’automobile quand tu sors un modèle de prestige où tu sais que tu ne vas pas gagner d’argent, mais que c’est nécessaire pour l’image. COPS c’était ça, avec un budget illimité. On continue de faire du JdR pour montrer qu’on continue d’être une boîte qui fait du JdR. L’équipe a fait un travail extraordinaire ! COPS, c’était du super boulot.
Ils sont allés jusqu’au bout de l’histoire mais, quand tu vois le travail fourni par rapport au nombre de gens qui ont lu le truc jusqu’au bout, ça ne le fait pas du tout. On est allés jusqu’au bout, et peu de boîtes auraient pu se le permettre. On a dédié une petite partie de nos revenus à faire des choses dont on est fiers. COPS, je ne vais pas vous dire que j’ai lu tous les suppléments car ce n’est pas vrai, mais c’est un produit dont je suis fier. On l’a fait. En création de JdR, je ne suis pas sûr qu’il y ait eu une gamme aussi importante récemment. Mais malheureusement, le jeu n’a pas rencontré le succès qu’il méritait. Pour moi, un succès en termes de JdR, c’est Bloodlust. Premier jour d’implantation, 3000 jeux fabriqués, 3000 jeux vendus en une journée !
CB : En parlant de Bloodlust, tu peux nous dire, maintenant, comment vous aviez fait pour récupérer les illustrations de Frazetta ?
MN : On a dû payer une agence. (Il cherche) Pour toutes les illustrations de Frazetta qu’on a utilisées, on a dû payer 500 € à un type aux USA pour la première couverture. Je pense que le type était un escroc et n’avait jamais eu les droits, mais nous on a dû payer régulièrement les droits jusqu’à ce qu’on apprenne après que tous les droits étaient complètement bouclés et que personne ne pouvait utiliser Frazetta ! On peut prouver en toute bonne fois qu’on a payé quelqu’un, qu’on lui a fait des virements, mais à l’époque on était jeunes et naïfs, je pense…
CB : Vous n’avez jamais été embêtés par la suite ?
MN : Jamais ! Et pourtant, on a eu une certaine visibilité. Tout ça part d’un truc complètement débile ! On se disait que ce qu’il nous fallait, c’était le Death Dealer (NdlR : l’illustration présente sur la boîte de base) et puis, à un moment, on s’est dit que peut-être ça ne coûtait pas si cher que ça ! Je ne sais plus comment on s’y est pris, car il n’y avait pas Internet à l’époque. Je crois qu’on a acheté un bouquin où il y avait toutes les illustrations de Frazetta et c’est l’éditeur qu’on a appelé et il a du nous dire : « wonderful, envoyez-moi 500 dollars ». Il ne nous envoyait pas de fichier ! Rien ! On se démerdait à récupérer les scans avec le bouquin. Une escroquerie. Paradoxalement, ça coûtait moins cher que de faire une couverture normale... Le Death Dealer nous a coûté moins cher que la couverture de Whog Shrog ! (Rires) C’était une belle époque. Une époque rigolote !
CB : Tu es nostalgique de cette époque là ?
MN : Je suis nostalgique… parce que j’avais vingt berges, que j’avais moins de responsabilités, qu’on se marrait bien. Oui, je suis nostalgique. Asmodée, c’est une aventure fabuleuse bien sûr, mais la période Siroz, c’était la plus rigolote. On faisait ça en se disant que de toute façon ça allait s’arrêter demain ! Moi je me disais, je fais ça et puis quand il n’y aura plus de sous, j’irai chercher un vrai travail ! On était vraiment dans cet état d’esprit là. Tu te lèves le matin, tu sais que tu vas retrouver tes potes, tu vas jouer. En fait c’est exactement comme ici (NdlR : chez Space Cowboys) aujourd’hui.
CB : C’est ce que tu as voulu retrouver en créant Space Cowboys ?
MN : Ouais. Après ici, aujourd’hui, c’est quand même différent. On a tous réussi. Donc on n’a pas l’angoisse de la rentabilité, mais c’est exactement le même esprit. Quand tu viens le matin, tu retrouves tes potes. Quand tu n’as pas envie de venir, tu ne viens pas. C’était ça l’esprit. Et puis le milieu était différent, il y avait Jeux Descartes... Les gens du milieu aussi étaient différents…
CB : En parlant de choses plus piquantes, il y a aussi eu l’époque Backstab. Qu’est-ce qui vous a amenés à monter ce magazine pour concurrencer Casus ?
MN : Ce qui nous a amené à faire Backstab, c’était le succès de Lotus noir. On ne trouvait plus dans Casus Belli ce qu’on attendait à ce moment-là. CB : Quelles étaient vos critiques à l’égard de Casus à l’époque ?
MN : Pour l’avoir dit 50 000 fois à Didier (Guisérix) et à Pierre (Rosenthal), pour nous, ça manquait de testostérone. Ce n’était pas assez Siroz et trop Multisim, en quelque sorte. Ils avaient une ligne éditoriale à la Jeux Descartes, c’était tranquille, comme Pierre et Didier qui sont des gens tranquilles, qui n’aiment pas le conflit. Alors que nous, on était déjà des branleurs, on voulait que ça bouge, que ça remue un peu, et on a fait Backstab comme ça ! Alors, on s’est dit « on va faire un magazine, ça va être facile ». Chez Halloween Concept, ils y ont passé des nuits, c’était un boulot énorme, comme le travail qu’abattait Casus était un boulot énorme aussi !
CB : Quelles étaient vos relations avec les gars de Casus ? Vous vous connaissiez très bien ?
MN : Moi je connaissais bien Pierre (Rosenthal), on jouait ensemble à Capitaine Vaudou. Je connaissais bien Didier (Guisérix) aussi, et Jean-Marie le maquettiste. Un peu moins bien Tristan Lhomme, André Foussat, Anne Vétillard, mais je les connaissais. Vraiment, on ne trouvait pas dans Casus ce qu’on cherchait. Ça ne nous plaisait plus. Pour nous, c’était le JdR de papa. Et puis c’est vrai qu’à l’époque, c’était l’administration. Nous, on bossait à des horaires complètement décalés, eux avaient des vrais emplois à des heures de bureau. Mais c’était des gens fabuleux ! Pierre, je ne le vois plus beaucoup, mais je l’aime vraiment beaucoup. Didier, c’est Didier, c’est impossible de se fâcher avec lui. Cela dit, moi, j’ai toujours détesté la presse en temps que business. C’est un business que je ne comprends pas ! Les relevés des NMPP (distributeurs de presse), quand on a lancé Backstab, et pourtant je pense avoir vu quelques tableurs, c’était complètement incompréhensible ! Tu ne contrôles rien ! Ce sont des gens qui décident si vous avez gagné de l’argent ou pas. Bref, j’ai décroché très vite. Pour moi, Backstab, c’était Plasma qui avait réussi. Je pense qu’on a décroché au dixième numéro. J’ai le souvenir que Frédéric Weil nous avait proposé de reprendre Casus Belli, c’était en 2003 à peu près.
CB : Et tu n’as pas voulu de Casus ?
MN : Non, mais je le répète, Backstab, ça m’avait vacciné de la presse ! C’est un métier trop compliqué.
CB : Tu le lisais Casus à la grande époque ?
MN : Je lisais les news, les critiques en colonne. Je ne lisais pas les scénars, pas les aides de jeu… Je lisais les news en fait. Et les BD !
CB : Et aujourd’hui, tu ne joues plus au JdR ?
MN : Je n’ai pas le temps. Je n’ai pas trop d’envie. J’ai plus des envies de jeux de plateau.
CB : Ils se sont remis à jouer un peu chez Space Cowboys, Croc notamment…
MN : Oui, ils veulent même rééditer des jeux. Je regarde ça d’un œil attentif. Mais pour que le JdR me plaise, il faut que la table me plaise. Et les gens avec qui j’ai envie de jouer n’ont probablement pas le temps ou l’envie de le faire.
CB : On peut parler de ta collaboration avec Croc ? Il paraît qu’au départ, vous aviez un peu de mal à vous comprendre, c’est vrai ?
MN : On venait de deux mondes totalement différents ! C’est-à-dire que moi, j’étais commercial, je voulais vendre des jeux et lui était créateur pur.
CB : Vous vous entendiez bien sur les jeux ?
MN : On ne jouait pas ensemble du tout. On était collègues au début ! À la base, on ne vient pas de la même planète, mais on s’entendait quand même. On n’avait pas les mêmes envies, ni les mêmes centres d’intérêt. Lui, il est hyper concentré sur ce qu’il fait. C’est sa passion. Moi, c’est une de mes passions. J’en ai plein d’autres dans la vie et, au départ, c’est compliqué.
CB : Qui a fait le plus de compromis ?
MN : Lui, forcément ! Parce que c’était une petite boîte ! Le supplément qui sortait en octobre nous permettait de payer celui qui était sorti en septembre. On était obligés d’en sortir plein. On devait sortir un supplément In Nomine par mois à peu près. Il fallait quand même les cracher ! Donc il a forcément fait des compromis. Après, j’ai toujours essayé de lui donner le mieux pour qu’il fasse les meilleurs jeux, en fonction des moyens qu’on avait à l’époque. Moi, je n’ai jamais réellement fait de compromis. Parfois, il m’a agacé !
CB : Il paraît qu’une fois, il a détruit un fichier complet parce que tu lui avais fait une remarque désagréable dessus !
MN : Sur une simple coquille ! Il était à fleur de peau. Je crois que ça devait être l’ancêtre du Scriptarium Veritas avec la pochette en cuir. Je lui montre un truc et je lui dis que c’est pourri. Direct, il prend le truc qui avait été imprimé et le jette à la poubelle. Il va à l’ordinateur et efface le fichier… au final, il a du le recopier intégralement ! Mais après, on a appris à se connaître. Au début, il ne me faisait pas confiance. Il pensait que je vendais des jeux aujourd’hui et que, dans six mois, j’allais vendre des photocopieurs. D’autant qu’à l’époque, ça devait certainement être ça mon idée ! Je me disais que ça ne pouvait pas être ça mon travail ! J’étais dans cette espèce de truc où je papillonnais, mais où je faisais les choses sérieusement et lui, c’était sa vie ! Son Graal. Bosser dans le jeu. On n’avait pas la même implication dans les choses et ça ne l’aidait pas à me faire confiance !
CB : On dirait que tu avais quand même déjà ce respect du créatif ?
MN : Oui ! Si tu ne respectes pas les gens qui créent des jeux, tu n’auras pas de bons jeux.
CB : Si on te dit ça, c’est parce qu’on dit souvent des commerciaux que, pour eux, l’aspect le plus important, c’est comment tu vends le jeu, et pas le jeu lui-même...
MN : Ça c’est vrai ! Le plus important, c’est comment tu vends le jeu. Mais j’avais la volonté d’être fier de ce que je vendais. À partir du moment où on était fier de ce qu’on vendait…
CB : Ne pas avoir à mentir pour ses jeux…
MN : Ça si ! Mentir, ça ne m’a jamais gêné (rires) ! Mais on se disait : voilà ce qu’on pouvait faire de mieux avec les moyens qu’on avait. Ça, cela a toujours été la vérité. Croc n’est pas non plus une diva. Il essaie de faire du mieux possible, il va se battre pour que le truc soit le mieux possible, et puis si ce n’est pas possible, pour plein de raisons, financières ou autres, on lui explique et il comprend. Il boude, il bougonne parfois, mais il comprend. Aujourd’hui, on vit une situation de rêve, même si ce n’est pas pour le JdR. On a « budget illimité » pour faire des jeux. Le marché à tant changé… Un jeu comme Splendor, on l’aurait sorti il y a sept ou huit ans, on en aurait tiré 3000 en France, on les aurait vendus en un an et on aurait été hyper contents. Là, le marché étant devenu mondial, on en a vendu 130 000 en neuf mois ! Donc ça change complètement l’économie des choses, les budgets que tu peux mettre sur tes dessins, ton développement, ta fabrication.
CB : Toi, ça te plaît cette évolution mondiale du marché ?
MN : Ça plaît toujours quand tu fais quelque chose qui marche ! J’ai créé Asmodée, je l’ai dirigé, j’en ai fait une grosse boîte. Maintenant, je l’ai vendu donc je suis tranquille, mais ça m’amuse de pouvoir refaire ce que je faisais au départ et de voir que ça marche dix fois mieux qu’avant parce qu’une boîte comme Asmodée existe et a des tuyaux qui vont dans tous les pays du monde. On bénéficie aujourd’hui de ce qu’on a fait ces dernières années.
Casus Belli : Il paraît que tu es avant tout un rôliste ?
Marc Numès : Oui, oui, je viens du JdR avant de venir du jeu.
CB : Comment as-tu commencé le jeu de rôle ?
Marc Nunès : J’ai commencé le JdR avec un groupe de copains, alors que j’étais en troisième, je pense. J’entendais des gens parler de trucs étranges dans la cour de récréation et ça m’interpellait. C’était des gens qui jouaient à Donjons & Dragons et je leur ai demandé de m’en dire un peu plus. Je suis allé voir une partie ou deux et puis, à partir de là, j’ai chopé le virus.
CB : Vous jouiez en anglais, à l’époque ?
MN : Oui, oui, il n’y avait pas encore de version française. On a joué de manière très très courte à Donjon, pendant six mois peut-être, et après on est passé directement sur Runequest. Et là, j’ai dû jouer à Runequest pendant quatre ou cinq ans dans une campagne écrite par un copain.
CB : Tu as quel âge à ce moment-là ?
MN : Je ne me souviens plus… (Il cherche) Quinze ou seize ans. Après, avec le même groupe de joueurs, on a fondé un club de JdR à Virolay qui s’appelait le « 20 naturel ».
CB : Beaucoup de gens jouaient dans ce club à cette époque ?
MN : Il y avait deux clubs en fait. Le 20 naturel était ouvert le samedi après-midi, et il existait un club à Chaville où on jouait le vendredi soir. On était entre vingt-cinq et trente-cinq. Le président du club était Laurent Trémel, qui a écrit notamment Silrin et Kronos, deux jeux d’une vieille gamme Siroz qui s’appelait Universom et dans laquelle il y a avait Berlin XVIII, notamment (PLACER LE LIEN DU POST Universom dans CB#08).
CB : À quel moment as-tu croisé Croc ?
MN : Le MJ qui nous faisait jouer régulièrement dans ma classe était Eric Bouchaud, qui a fondé Siroz Productions, avec Nicolas Théry (qui lui était moins joueur de JdR mais plus graphiste), Laurent Trémel était également au club et Croc, lui, venait de temps en temps. À ce moment-là, il habitait Versailles et il jouait aussi dans un autre club de JdR dont j’ai oublié le nom. Il est venu nous voir quand son club a fermé et il a commencé à nous faire tester Bitume. Il nous a fait aussi découvrir Warhammer, Warhammer Battle, enfin ce genre de jeux.
CB : Tous ces jeux étaient faciles d’accès à l’époque, ou vous aviez des photocopies ?
MN : C’était pas mal de la photocopie (rires). Nous, on achetait nos jeux dans un magasin. Enfin, de temps en temps ! On faisait des expéditions complètement folles jusqu’à chez Descartes ou L’Œuf Cube. Et sinon, dans le centre commercial de Vélizy, il y avait un magasin Games avec un rayon JdR et on achetait nos jeux là-bas.
CB : Donc tu croises tous ces gens là et certains, comme Croc, veulent déjà être édités ?
MN : Croc veut se faire éditer, Eric Bouchaud et Nicolas Théry aussi. En fait, on teste leurs jeux. Eric écrivait beaucoup, c’est lui qui avait écrit toute la campagne de Runequest à laquelle on a joué pendant des années. Un jour, il a l’idée de faire un jeu qui se passe en banlieue. Avec des skins, des punks, des redskins, qui étaient des sujets d’actualité à cette époque-là. Il écrit Zone, on le teste, on aime ça, et tous les gens à qui on fait jouer adorent. À un moment, il leur prend l’envie de monter une boîte et de l’éditer. C’est comme ça que l’aventure Siroz commence.
CB : Et toi, à ce moment-là, tu regardes ça de loin ?
MN : Moi, à ce moment-là, je suis actionnaire dans la boîte de manière hyper minoritaire. Je n’en ai pas le souvenir, mais on doit parler d’une société de 200 € de capital, je pense. Je dois avoir même pas 10% du capital et je commence d’ailleurs à bosser et à m’orienter plutôt vers le commercial. Je vends des offres d’emploi dans un journal. Du coup, Eric, qui n’est pas du tout commercial, me demande de venir vendre les jeux. Le samedi après-midi, je me rends dans sa chambre, avec une liste et des fiches client bristol, et on appelle les magasins pour vendre des Zone, des Zonequest, etc. On avait un facturier fait à la main, c’était rigolo. Je faisais les ventes, lui faisait les factures, sa mère les colis… C’était une très petite entreprise ! Ensuite, ça a commencé à se développer, on a sorti des extensions à Zone, la gamme Universom, avec Silrin écrit par Laurent Trémel, Berlin XVIII première édition, qui était alors dans la gamme Universom, et enfin notre premier jeu sous couverture cartonnée, Whog Shrog.
CB : Comment est né le concept de Whog Shrog (WS) ?
MN : À la base, WS devait être un épisode d’Universom, mais on s’est tellement éclatés en jouant à ce truc qu’on s'est dit que ça allait marcher ! Cela dit, je pense qu’on a quand même réussi à faire la couverture la plus hideuse du monde du jeu. C’était aussi un jeu qui avait l’air hyper bourrin. En fait, Eric était tellement bon MJ que quand on jouait à WS, ce n’était pas du tout bourrin, mais ce qu’il a écrit et ce qu’on a donné aux joueurs… Par exemple, nous, les grenades atomiques, on les avait, mais on ne les a jamais fait exploser, et on n’a pas pensé une seule seconde que quelqu’un penserait à les faire sauter !
CB : Il y a l’aspect graphique qui apportait aussi ce côté bourrin, non ?
MN : Ouais, mais l’aspect graphique n’était pas plus réfléchi que ça. On connaissait quatre mecs qui savaient faire des dessins, et c’est eux qui s’en occupaient.
CB : Là, vous aviez vingt balais, pas plus ?
MN : Oui, vingt. Je devais sortir de l’armée. Mais malheureusement, la boîte se plante parce que Eric était très bon MJ, mais pas forcément bon gestionnaire. Le père de Nicolas avait un ami qui faisait des affaires et était d’accord pour reprendre la boîte, au moins pour rembourser les dettes. Et les dettes représentaient beaucoup d’argent à l’époque, c’était compliqué. Après quelques péripéties, le gars éponge les dettes, les actionnaires historiques s’en vont, mais le mec demande à ce que je reste parce qu’il faut quelqu’un pour faire le commercial. Et c’est là que Croc me rejoint. On a besoin de quelqu’un qui fasse de la création et le premier jeu de cette nouvelle boîte, qui s’appelle Idéojeux, c’est In Nomine Satanis/Magna Veritas.
CB : Un petit succès d’estime…
MN : Petit succès d’estime, oui (sourire), qui est le premier jeu Siroz qui marche vraiment, en fait. Paradoxalement, ce n’est pas un jeu Siroz parce que c’est Croc qui l’a fait. Croc avait sa propre marque, qui s’appelait Futur proche, mais il est bien dans l’esprit de ce qu’on voulait faire avec Siroz auparavant. Des jeux rock’n roll, avec un esprit un peu décalé, un peu rigolo.
CB : Qu’est-ce qui provoque le rapprochement avec Croc ?
MN : Il faut savoir que quand je vendais les jeux Siroz, je vendais aussi les siens. On avait donc déjà regroupé nos efforts. Il avait In Nomine en tête. INS/MV devait être signé chez Siroz, si je ne dis pas de bêtise. Il avait écrit le jeu pour nous avant la reprise. C’est sur Idéojeux qu’on a commencé notre collaboration et, depuis, on ne s’est plus quittés !
CB : Le vieux couple ! Parlons des conditions de travail à cette époque, comment ça se passait ? Vous bossiez dans une cave ?
MN : Non, on travaillait dans un bureau Place Clichy, à la Fourche. On partageait ça avec Gilles Maurice qui faisait un jeu par correspondance dont j’ai oublié le nom et qui marchait bien. On jouait des guerriers… Attendez, Croc va retrouver le nom… (Il part voir Croc pour lui poser la question et revient). Duel master ! En réalité, on avait repris les anciens locaux de Chroniques d’Outre-monde et on les partageait avec Gilles Maurice.
CB : Au cours de cette période, vous jouiez encore beaucoup ?
MN : Je crois que je ne jouais déjà plus énormément au JdR. Je commençais à jouer beaucoup plus aux jeux de plateau, Diplo, Machiaveli. Philippe Mouret, avec qui on jouait au JdR, n’était pas encore chez nous, mais il était déjà un pote, et lui collectionnait les jeux de plateau. Tous les vendredi soir, on faisait des soirées jeux de plateau chez lui. On ne jouait plus beaucoup au JdR. J’avais déjà pas mal décroché. J’y suis retourné après, j’ai fait des campagnes de L5R un petit peu, de Cthulhu et Warhammer. C’est à dire que ça prenait beaucoup de temps, et ce n’était pas très compatible avec les filles et deux trois autres trucs qui m’intéressaient à l’époque ! (Rires)
CB : Idéojeux, ça a duré combien d’années ?
MN : Jusqu’en 1995. Ça doit commencer vaguement en 1989, jusqu’en 1995.
CB : Vous vous développez vraiment, à ce moment-là ?
MN : Oui. On lance nos deux premiers jeux : In Nomine et Car Wars. Après suivent Bloodlust, Heavy Metal, Scales.... et je pense que c’est déjà sur Idéojeux qu’on signe L5R en français, mais je ne peux pas vous le jurer.
CB : Est-ce que vous passez à côté de certains trucs à l’époque ?
MN : Magic, Vampire. (Il s’esclaffe). Un jour, il y a un type qui vient en France jusqu’à notre bureau et qui nous dit : « Regardez mon jeu, Vampire, it’s wonderful »… et je lui dis : « Non, monsieur, il faut me laisser, il faut partir maintenant ». À l’époque, on n’était pas du tout dans une logique de gagner de l’argent et on faisait des trucs qui nous plaisaient. Faire de la traduction, ce n’était pas nous. Il y avait des boîtes qui faisaient de la traduction (Hexagonal, Oriflam, Descartes), mais Siroz, non. Donc globalement, Vampire ou un autre jeu, ça ne m’intéressait pas par principe. Si on m’avait proposé D&D à cette époque là, que l’on a fait plus tard avec Asmodée, on ne l’aurait pas fait je pense, parce que c’était exactement l’inverse de ce que nous voulions faire. Quelque part, on n’a pas raté Vampire, on n’était pas intéressés. Ce n’est pas comme ça que je voyais la boîte. On avait cette idée que Siroz, c’était la boîte qui créait des JdR en France. C’est pour ça que quand Multisim est apparu, ça a tout de suite été nos concurrents. Ils sont venus sur notre territoire. Et ils sont bien venus, car avec des jeux beaucoup plus beaux que nous à l’époque, mieux fabriqués, etc. Et puis c’était l’anti-Siroz. Nous on était des bourrins et eux des intellos. Quelque part, c’était assez rigolo.
CB : Alors dis-nous, c’était vrai au fond ? Vous étiez vraiment les bourrins et eux vraiment les intellos ?
MN : (Blagueur) Si, à la fin, ce sont les bourrins qui gagnent, alors oui ! Plus sérieusement, on ne cherchait pas la même chose. J’en avais discuté avec Frédéric Weil [PLACER LE LIEN DU POST dans CB#11] qui était un type avec qui je ne m’entendais pas bien à l’époque, mais avec qui ça s’est pas mal détendu par la suite. Lui, il ne faisait pas des jeux, il faisait des œuvres de l’esprit. Et nous, on faisait des jeux. On n’était pas sur la même planète et je crois qu’on ne recherchait pas la même chose. On a essayé de faire des trucs qui nous éclataient et leur trip n’était pas le nôtre. Par exemple, quand on a lancé Scales, on a offert des romans. On a fait écrire un roman à Gérard et Anne Guéraud, et on en a offert 10 000 avant que le jeu ne sorte. On a inventé des trucs comme ça, mais le but n’était pas de lancer une gamme de romans comme Multisim, ce n’était pas sérieux. D’ailleurs, on avait appelé ça les éditions du Khom-Heïdon !
CB : Ça vous a bousculé cette compétition avec Multsim ?
MN : Ça nous a obligé à être meilleurs. Ça nous a obligé à être bien meilleurs ! À nous remettre en cause sur les illustrations, sur le graphisme, la fabrication.
CB : Vous avez tout de suite pris la mesure de ça ou cela a pris du temps ?
MN : Oui. Très vite. Moi, ça me saoulait un peu quand on ouvrait un de leur jeu à côté d'un des nôtres ! Le leur était beaucoup plus beau ! Je pense qu’il y avait vraiment la forme et le fond. Nous, on était là pour amener les gens dans notre délire et on n’attachait pas trop d’importance au look en général. Eux, ils étaient vraiment là pour faire des œuvres. Ça nous a obligé à remonter notre niveau… Par contre, on n’a jamais fait d’œuvre, bien sûr...
CB : Après toute cette période, qu’est-ce qui vous a décidé à vous développer dans le jeu de société ?
MN : Comme je l’ai expliqué dans le reportage Tric Trac sur les Space Cowboys, c’est Magic : L’assemblée.
C’est Magic qui a tué le JdR chez nous. J’ai des souvenirs très précis. J’appelle un magasin à Nice, qui s’appelait Jeux et réflexion et qui n’existe plus. C’était un magasin avec qui on travaillait beaucoup, tenu par un mec avec qui je m’entendais très bien au téléphone. Donc je l’appelle et je me souviens, on commercialisait le nouvel écran de In Nomine, qui était un produit important. Le nouvel écran de la nouvelle édition d’In Nomine. Je lui dis : « Salut, je t’appelle, j’ai le nouvel écran de la nouvelle édition de In Nomine… » et il me dit : « Salut, t’as du Magic ? Non ? Et bien, ça ne m’intéresse pas. » Et il me raccroche au nez ! Je me souviens qu’à la fin de ce coup de fil là, je me dis que si on ne trouve pas autre chose, on est morts. En fait, ce qu'il s’est passé à l’époque, c’est que tous les joueurs de JdR se sont mis à jouer à Magic. On a été obligés de réinventer de nouveaux produits qui pouvaient plaire à des gens pris dans Magic. On a sorti Elixir. (il s’interrompt) Mais rendons à César ce qui appartient à César. Dans un édito de Didier Guiserix dans Casus Belli, je vois écris : « à quand un magazine de jeux de cartes ? » C’était la dernière phrase de son édito et je me dis que c’est une putain d’idée ! À cette période, on faisait Plasma, qui était un magazine de JdR traitant des jeux Siroz… (Malicieux) Bref, un fanzine ! Et comme Plasma ne se vendait pas du tout et que c’était les gens d’Halloween Concept qui faisaient Plasma, je leur ai dit : « Hé, les gars, pourquoi vous ne feriez pas à la place de Plasma qui ne se vend pas un magazine de jeux de cartes à collectionner ? » Ils trouvent que c’est une bonne idée et on lance Lotus Noir. Premier numéro de Lotus Noir, la tronche de Croc avec le lancement d’Intervention Divine (le jeu de cartes à collectionner dans l’univers d’INS/MV). En fait, on a d’abord lancé Intervention Divine et, quasiment parallèlement à ça, Halloween publie un jeu qui s’appelle Il était une fois.
CB : Halloween, c’était quoi par rapport à Siroz à l’époque ?
MN : C’était des gens complètement séparés de nous, mais c’était des potes et on les distribuait parce que eux n’avait pas de distributeur à l’époque. Et puis, ils faisaient Plasma. Les trois, quatre premiers numéros de Lotus noir ne sont pas distribués en kiosques et c’est Asmodée qui assure la distribution. On se rend compte qu’Il était une fois marche pas mal et Asmodée lance Elixir dans la foulée. C’est là que se situe le début de l’évolution d’Asmodée vers le jeu de société. Le seul retour qu’on a effectué vers le JdR, c’est l’épisode L5R, où l’on fait le jeu de cartes et le jeu de rôle, qui marche pas mal, d’ailleurs. Dans la foulée, on fait le deuxième jeu de AEG, 7ème mer, qui marche moins bien.
CB :Et tout ça nous mène à D&D3 !
MN : [il réfléchit] Je ne me souviens même plus comment on le récupère !
CB : Ça ne t’intéresse pas trop à ce moment-là ?
MN : Si, si, à ce moment-là, oui. Asmodée est vraiment devenu une boîte qui est là pour vendre des jeux. On a déjà racheté Jeux Descartes. Je suppose qu’on récupère D&D parce qu’on récupère Jeux Descartes. À moins qu’on nous l’ait proposé... À la base, on n’est pas très Donjon. On nous aurait proposé Runequest, on l’aurait fait avec beaucoup plus d’enthousiasme, je suppose.
CB : Pourquoi vous n’étiez pas très Donjon ?
MN : Je pense que le JdR, c’est avant tout une rencontre avec un MJ et moi, le MJ que j’ai rencontré, c’est Eric Bouchaud, le co-fondateur de Siroz. Et lui était plus parti sur Runequest, Cthulhu, Space Opera… des jeux bizarres quoi! On ne jouait pas à D&D.
CB : Est-ce que ça n’a pas été difficile aussi de voir mourir le JdR ?
MN : Je pense que ça correspondait à une époque et le sentiment que j’avais sur la fin quand on faisait D&D, c’est que les gens continuaient d’acheter, mais qu’ils ne jouaient plus. Ça fait un peu vieux con de dire ça, mais je pense que le JdR tel qu’on l’a connu, c’est plus compliqué aujourd’hui parce que le public qui faisait du JdR a vieilli et quand on vieillit… On a une vie sociale, familiale, des choses à faire, un travail et c’est plus compliqué de passer ses nuits à jouer. Alors je me trompe peut-être, c’est sans doute une analyse à deux sous. Sinon, Asmodée est devenu une entreprise importante où tu es obligé de faire le calcul temps passé contre rentabilité et quand tu fais ce calcul-là, entre un booster Pokémon et un scénario D&D, c’est vite fait ! Je ne jouais plus. Plus personne ne jouait à part Croc de temps en temps....
CB : Mais tu finances quand même COPS, sans doute à perte ?
MN : C’est Croc qui a envie de faire ce truc et c’est Geof qui y a passé énormément de temps. Au début, le cahier des charges, c’est de faire un jeu de flics. On fait une ou deux parties qui marchent bien. Je suis un nostalgique de Berlin XVIII, qui est sans doute mon jeu préféré. C’est un peu comme dans l’automobile quand tu sors un modèle de prestige où tu sais que tu ne vas pas gagner d’argent, mais que c’est nécessaire pour l’image. COPS c’était ça, avec un budget illimité. On continue de faire du JdR pour montrer qu’on continue d’être une boîte qui fait du JdR. L’équipe a fait un travail extraordinaire ! COPS, c’était du super boulot.
Ils sont allés jusqu’au bout de l’histoire mais, quand tu vois le travail fourni par rapport au nombre de gens qui ont lu le truc jusqu’au bout, ça ne le fait pas du tout. On est allés jusqu’au bout, et peu de boîtes auraient pu se le permettre. On a dédié une petite partie de nos revenus à faire des choses dont on est fiers. COPS, je ne vais pas vous dire que j’ai lu tous les suppléments car ce n’est pas vrai, mais c’est un produit dont je suis fier. On l’a fait. En création de JdR, je ne suis pas sûr qu’il y ait eu une gamme aussi importante récemment. Mais malheureusement, le jeu n’a pas rencontré le succès qu’il méritait. Pour moi, un succès en termes de JdR, c’est Bloodlust. Premier jour d’implantation, 3000 jeux fabriqués, 3000 jeux vendus en une journée !
CB : En parlant de Bloodlust, tu peux nous dire, maintenant, comment vous aviez fait pour récupérer les illustrations de Frazetta ?
MN : On a dû payer une agence. (Il cherche) Pour toutes les illustrations de Frazetta qu’on a utilisées, on a dû payer 500 € à un type aux USA pour la première couverture. Je pense que le type était un escroc et n’avait jamais eu les droits, mais nous on a dû payer régulièrement les droits jusqu’à ce qu’on apprenne après que tous les droits étaient complètement bouclés et que personne ne pouvait utiliser Frazetta ! On peut prouver en toute bonne fois qu’on a payé quelqu’un, qu’on lui a fait des virements, mais à l’époque on était jeunes et naïfs, je pense…
CB : Vous n’avez jamais été embêtés par la suite ?
MN : Jamais ! Et pourtant, on a eu une certaine visibilité. Tout ça part d’un truc complètement débile ! On se disait que ce qu’il nous fallait, c’était le Death Dealer (NdlR : l’illustration présente sur la boîte de base) et puis, à un moment, on s’est dit que peut-être ça ne coûtait pas si cher que ça ! Je ne sais plus comment on s’y est pris, car il n’y avait pas Internet à l’époque. Je crois qu’on a acheté un bouquin où il y avait toutes les illustrations de Frazetta et c’est l’éditeur qu’on a appelé et il a du nous dire : « wonderful, envoyez-moi 500 dollars ». Il ne nous envoyait pas de fichier ! Rien ! On se démerdait à récupérer les scans avec le bouquin. Une escroquerie. Paradoxalement, ça coûtait moins cher que de faire une couverture normale... Le Death Dealer nous a coûté moins cher que la couverture de Whog Shrog ! (Rires) C’était une belle époque. Une époque rigolote !
CB : Tu es nostalgique de cette époque là ?
MN : Je suis nostalgique… parce que j’avais vingt berges, que j’avais moins de responsabilités, qu’on se marrait bien. Oui, je suis nostalgique. Asmodée, c’est une aventure fabuleuse bien sûr, mais la période Siroz, c’était la plus rigolote. On faisait ça en se disant que de toute façon ça allait s’arrêter demain ! Moi je me disais, je fais ça et puis quand il n’y aura plus de sous, j’irai chercher un vrai travail ! On était vraiment dans cet état d’esprit là. Tu te lèves le matin, tu sais que tu vas retrouver tes potes, tu vas jouer. En fait c’est exactement comme ici (NdlR : chez Space Cowboys) aujourd’hui.
CB : C’est ce que tu as voulu retrouver en créant Space Cowboys ?
MN : Ouais. Après ici, aujourd’hui, c’est quand même différent. On a tous réussi. Donc on n’a pas l’angoisse de la rentabilité, mais c’est exactement le même esprit. Quand tu viens le matin, tu retrouves tes potes. Quand tu n’as pas envie de venir, tu ne viens pas. C’était ça l’esprit. Et puis le milieu était différent, il y avait Jeux Descartes... Les gens du milieu aussi étaient différents…
CB : En parlant de choses plus piquantes, il y a aussi eu l’époque Backstab. Qu’est-ce qui vous a amenés à monter ce magazine pour concurrencer Casus ?
MN : Ce qui nous a amené à faire Backstab, c’était le succès de Lotus noir. On ne trouvait plus dans Casus Belli ce qu’on attendait à ce moment-là. CB : Quelles étaient vos critiques à l’égard de Casus à l’époque ?
MN : Pour l’avoir dit 50 000 fois à Didier (Guisérix) et à Pierre (Rosenthal), pour nous, ça manquait de testostérone. Ce n’était pas assez Siroz et trop Multisim, en quelque sorte. Ils avaient une ligne éditoriale à la Jeux Descartes, c’était tranquille, comme Pierre et Didier qui sont des gens tranquilles, qui n’aiment pas le conflit. Alors que nous, on était déjà des branleurs, on voulait que ça bouge, que ça remue un peu, et on a fait Backstab comme ça ! Alors, on s’est dit « on va faire un magazine, ça va être facile ». Chez Halloween Concept, ils y ont passé des nuits, c’était un boulot énorme, comme le travail qu’abattait Casus était un boulot énorme aussi !
CB : Quelles étaient vos relations avec les gars de Casus ? Vous vous connaissiez très bien ?
MN : Moi je connaissais bien Pierre (Rosenthal), on jouait ensemble à Capitaine Vaudou. Je connaissais bien Didier (Guisérix) aussi, et Jean-Marie le maquettiste. Un peu moins bien Tristan Lhomme, André Foussat, Anne Vétillard, mais je les connaissais. Vraiment, on ne trouvait pas dans Casus ce qu’on cherchait. Ça ne nous plaisait plus. Pour nous, c’était le JdR de papa. Et puis c’est vrai qu’à l’époque, c’était l’administration. Nous, on bossait à des horaires complètement décalés, eux avaient des vrais emplois à des heures de bureau. Mais c’était des gens fabuleux ! Pierre, je ne le vois plus beaucoup, mais je l’aime vraiment beaucoup. Didier, c’est Didier, c’est impossible de se fâcher avec lui. Cela dit, moi, j’ai toujours détesté la presse en temps que business. C’est un business que je ne comprends pas ! Les relevés des NMPP (distributeurs de presse), quand on a lancé Backstab, et pourtant je pense avoir vu quelques tableurs, c’était complètement incompréhensible ! Tu ne contrôles rien ! Ce sont des gens qui décident si vous avez gagné de l’argent ou pas. Bref, j’ai décroché très vite. Pour moi, Backstab, c’était Plasma qui avait réussi. Je pense qu’on a décroché au dixième numéro. J’ai le souvenir que Frédéric Weil nous avait proposé de reprendre Casus Belli, c’était en 2003 à peu près.
CB : Et tu n’as pas voulu de Casus ?
MN : Non, mais je le répète, Backstab, ça m’avait vacciné de la presse ! C’est un métier trop compliqué.
CB : Tu le lisais Casus à la grande époque ?
MN : Je lisais les news, les critiques en colonne. Je ne lisais pas les scénars, pas les aides de jeu… Je lisais les news en fait. Et les BD !
CB : Et aujourd’hui, tu ne joues plus au JdR ?
MN : Je n’ai pas le temps. Je n’ai pas trop d’envie. J’ai plus des envies de jeux de plateau.
CB : Ils se sont remis à jouer un peu chez Space Cowboys, Croc notamment…
MN : Oui, ils veulent même rééditer des jeux. Je regarde ça d’un œil attentif. Mais pour que le JdR me plaise, il faut que la table me plaise. Et les gens avec qui j’ai envie de jouer n’ont probablement pas le temps ou l’envie de le faire.
CB : On peut parler de ta collaboration avec Croc ? Il paraît qu’au départ, vous aviez un peu de mal à vous comprendre, c’est vrai ?
MN : On venait de deux mondes totalement différents ! C’est-à-dire que moi, j’étais commercial, je voulais vendre des jeux et lui était créateur pur.
CB : Vous vous entendiez bien sur les jeux ?
MN : On ne jouait pas ensemble du tout. On était collègues au début ! À la base, on ne vient pas de la même planète, mais on s’entendait quand même. On n’avait pas les mêmes envies, ni les mêmes centres d’intérêt. Lui, il est hyper concentré sur ce qu’il fait. C’est sa passion. Moi, c’est une de mes passions. J’en ai plein d’autres dans la vie et, au départ, c’est compliqué.
CB : Qui a fait le plus de compromis ?
MN : Lui, forcément ! Parce que c’était une petite boîte ! Le supplément qui sortait en octobre nous permettait de payer celui qui était sorti en septembre. On était obligés d’en sortir plein. On devait sortir un supplément In Nomine par mois à peu près. Il fallait quand même les cracher ! Donc il a forcément fait des compromis. Après, j’ai toujours essayé de lui donner le mieux pour qu’il fasse les meilleurs jeux, en fonction des moyens qu’on avait à l’époque. Moi, je n’ai jamais réellement fait de compromis. Parfois, il m’a agacé !
CB : Il paraît qu’une fois, il a détruit un fichier complet parce que tu lui avais fait une remarque désagréable dessus !
MN : Sur une simple coquille ! Il était à fleur de peau. Je crois que ça devait être l’ancêtre du Scriptarium Veritas avec la pochette en cuir. Je lui montre un truc et je lui dis que c’est pourri. Direct, il prend le truc qui avait été imprimé et le jette à la poubelle. Il va à l’ordinateur et efface le fichier… au final, il a du le recopier intégralement ! Mais après, on a appris à se connaître. Au début, il ne me faisait pas confiance. Il pensait que je vendais des jeux aujourd’hui et que, dans six mois, j’allais vendre des photocopieurs. D’autant qu’à l’époque, ça devait certainement être ça mon idée ! Je me disais que ça ne pouvait pas être ça mon travail ! J’étais dans cette espèce de truc où je papillonnais, mais où je faisais les choses sérieusement et lui, c’était sa vie ! Son Graal. Bosser dans le jeu. On n’avait pas la même implication dans les choses et ça ne l’aidait pas à me faire confiance !
CB : On dirait que tu avais quand même déjà ce respect du créatif ?
MN : Oui ! Si tu ne respectes pas les gens qui créent des jeux, tu n’auras pas de bons jeux.
CB : Si on te dit ça, c’est parce qu’on dit souvent des commerciaux que, pour eux, l’aspect le plus important, c’est comment tu vends le jeu, et pas le jeu lui-même...
MN : Ça c’est vrai ! Le plus important, c’est comment tu vends le jeu. Mais j’avais la volonté d’être fier de ce que je vendais. À partir du moment où on était fier de ce qu’on vendait…
CB : Ne pas avoir à mentir pour ses jeux…
MN : Ça si ! Mentir, ça ne m’a jamais gêné (rires) ! Mais on se disait : voilà ce qu’on pouvait faire de mieux avec les moyens qu’on avait. Ça, cela a toujours été la vérité. Croc n’est pas non plus une diva. Il essaie de faire du mieux possible, il va se battre pour que le truc soit le mieux possible, et puis si ce n’est pas possible, pour plein de raisons, financières ou autres, on lui explique et il comprend. Il boude, il bougonne parfois, mais il comprend. Aujourd’hui, on vit une situation de rêve, même si ce n’est pas pour le JdR. On a « budget illimité » pour faire des jeux. Le marché à tant changé… Un jeu comme Splendor, on l’aurait sorti il y a sept ou huit ans, on en aurait tiré 3000 en France, on les aurait vendus en un an et on aurait été hyper contents. Là, le marché étant devenu mondial, on en a vendu 130 000 en neuf mois ! Donc ça change complètement l’économie des choses, les budgets que tu peux mettre sur tes dessins, ton développement, ta fabrication.
CB : Toi, ça te plaît cette évolution mondiale du marché ?
MN : Ça plaît toujours quand tu fais quelque chose qui marche ! J’ai créé Asmodée, je l’ai dirigé, j’en ai fait une grosse boîte. Maintenant, je l’ai vendu donc je suis tranquille, mais ça m’amuse de pouvoir refaire ce que je faisais au départ et de voir que ça marche dix fois mieux qu’avant parce qu’une boîte comme Asmodée existe et a des tuyaux qui vont dans tous les pays du monde. On bénéficie aujourd’hui de ce qu’on a fait ces dernières années.
Propos recueillis par David Burckle & Damien Coltice dans le local des Space Cowboys
Remerciements particuliers à Croc
Extrait Casus Belli n°12 Novembre - Décembre 2014
Remerciements particuliers à Croc
Extrait Casus Belli n°12 Novembre - Décembre 2014
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
Hual Bouffeur d'Ecume
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Re: entretien avec...
Je vous propose une petite vidéo retraçant l'histoire de Casus Belli avec, comme commentateur éclairé, Mr Guiserix !
http://www.trictrac.tv/videos/people-guiserix-didier
http://www.trictrac.tv/videos/people-guiserix-didier
Invité- Invité
Re: entretien avec...
Voici une ancienne interview glanée sur Casus NO. Ceux qui vont sur ce forum et qui en plus apprécie Rêve de Dragon l'ont donc peut-être déjà lu !
Le débat sur la place des règles, le bruit des dés derrière l'écran, la bûchette négociée à coup de bons mots ou de moyens plus inavouables ("Haribo c'est beau la vie !") : ce développement apporte
un point de vue tranché, mais pas inintéressant ! On peut passer les exemples tirés de RDD si le jeux laisse indifférent, le fond n'en reste pas moins bien intéressant !
Par contre, pas moyen de retrouver la bonne référence pour dater l'article. Une voix venue de loin, en quelque sorte...
Comme cela parle beaucoup de RDD, peut-être faudrait-il déplacer ce post : je laisse notre Bon Maître en décider !
« Gardien » et non pas « maître »
" Le jeu de rôle est un jeu de simulation. Or avec quoi simule-t-on ? Avec des règles et un meneur de jeu. Plus ces dernières sont nombreuses, et plus le travail du MJ se résume à les appliquer, moins elles le sont et plus sa responsabilité augmente. On pourrait imaginer un jeu de rôle sans aucune règle du tout, où le MJ ferait ce qu’il voudrait. A juste titre, alors, pourrait-on l’appeler Maître. Ce n’est pas le cas de Rêve de Dragon.
Pourquoi ? Parce que m’a toujours paru suspect ce titre de « maître » qui tend à faire de celui qui est caché derrière le paravent un petit chef tout puissant, et des esclaves soumis ceux qui sont de l’autre côté. C’est parce que j’ai souvent eu ce sentiment en tant que joueur que j’ai créé Rêve de Dragon tel qu’il est : un jeu aux règles nombreuses, un système qui tente d’apporter une réponse à tous les problèmes que le cours de l’action peut soulever, où tout soit écrit. C’est à mon avis un gage de respect envers les joueurs. Ce n’est pas parce que le jeu de rôle est un jeu « libre », par rapport aux jeux de plateau, qu’il ne doit pas être aussi rigoureux, qu’il doit être un délire ponctué des décisions arbitraires d’un soi-disant « maître ». Certes, j’applaudis au courant actuel des jeux qui prônent une simplification des règles au profit d’une responsabilité accrue du MJ, mais je me demande s’ils n’ont pas la naïveté de supposer a priori que tous les meneurs de jeu sont par définition excellents.
Avec Rêve de Dragon, j’ai voulu créer un ensemble de règles qui fonctionne comme une mécanique avec ses rouages. Dès lors, le travail du Gardien des Rêves consiste à mettre la machine en marche, à veiller à ce qu’elle ne se dérègle pas en cours de route, à pousser les leviers au bon moment, et l’alimenter en combustible, c’est-à-dire en jeu de rôle. L’improvisation, quand elle doit avoir lieu, se situe au niveau du scénario, et non pas au niveau de la simulation.
Pour débuter
Le problème, c’est que la profusion des règles intimide parfois le débutant. Est-ce un vrai ou un faux problème ? Ce n’est pas à moi d’y répondre. Les règles sont nombreuses — je viens d’expliquer pourquoi —, et je ne pense pas qu’elles soient compliquées. Quoi qu’il en soit, il est toujours possible de simplifier pour débuter. En reprenant l’exemple de la mécanique, certains rouages sont fondamentaux et ne sauraient être supprimés; d’autres sont plus accessoires et ne sont là que pour donner plus de vie à l’automate. Ainsi, on peut négliger au départ :
— l’encombrement, la vitesse,
— les facteurs de résistance et de temps (F.R. et F.T.),
— la sustentation,
— le moral,
— l’astrologie et ses modificateurs aux jets de Chance.
Il est même possible de débuter avec des scénarios simples sans aucune magie. Dans bien des cas, la magie apporte un « plus » aux personnages des joueurs, mais bien des scénarios peuvent être résolus sans elle.
Une fois cela supprimé, il reste le principal, la base de tout le système : les jets de caractéristique par rapport à une compétence et une difficulté, résolus sur la table unique.
La base
Le jeu fonctionne avec caractéristiques et compétences, mais tous les jets de dés d’action sont des jets de caractéristique. La compétence n’intervient que comme un modificateur et n’est jamais utilisée seule. Ce qu’il est important de comprendre dans Rêve de Dragon, c’est que les niveaux de compétence ne signifient rien en eux-mêmes. Le véritable « niveau de compétence d’un personnage face à une entreprise quelconque est toujours un rapport entre la caractéristique utilisée (Force, Agilité, etc.) et la compétence (Saut, Escalade, etc.). Les niveaux de compétence proprement dits doivent un peu se comprendre comme des diplômes. Prenons deux étudiants en troisième année d’Histoire, par exemple ; seront-ils exactement aussi compétents l’un que l’autre ? Non, il y a gros à parier que, toutes proportions gardées, l’un des deux sera plus ou moins doué que son voisin, Il en est de même de deux personnages ayant tous les deux +3 en Légendes. Celui qui a 15 en intellect restera supérieur à celui qui n’a que 10.
Les difficultés
La table unique de résolution sert à obtenir un pourcentage qui, une fois déterminé, est joué classiquement avec 1d100. Le pourcentage indiqué est toujours un multiple de la caractéristique utilisée (caractéristique multipliée par 1; par 1,5 ; par 2 ; par 2,5 ; etc., par incrément de 0,5). Le niveau de compétence est ajouté algébriquement à un niveau de difficulté pour déterminer le multiplicateur à utiliser. De ce fait le niveau de difficulté est capital. Avec une faible difficulté, le multiplicateur est haut et les fortes caractéristiques sont favorisées. Avec un multiplicateur de 7 par exemple (difficulté +4), 15 en caractéristique donnera 105% de chances de réussite, tandis qu’une caractéristique de 6 n’aura que 42 %. En revanche, les grandes difficultés (bas multiplicateurs) nivellent les chances de réussite. Avec un multiplicateur de 0,5 (difficulté -9), 15 obtiendra 7 % et 6 obtiendra 3 %. Certes, les chances de réussite varient du simple au double, mais les chances d’échec sont quasiment les mêmes:
93 % et 97 %. Ceci sert à illustrer le fait que face à une difficulté écrasante, les plus faibles comme les plus forts se retrouvent au même niveau d’impuissance, tandis que confrontés à une relative facilité les plus forts l’emportent aisément
Le choix
La question qui se pose régulièrement au Gardien des Rêves face à une entreprise donnée, est : quelle difficulté choisir ? En général. les scénarios publiés résolvent ce choix pour les cas importants. Mais il reste tous les cas d’improvisation lorsque les personnages dévient du scénario. Là encore intervient l’apparente profusion des règles. La majeure partie du Livre I n’est pas autre chose que la réponse à cette question pour les cas les plus fréquents (Saut, Escalade, Combat, Soins, etc.). Et les règles additionnelles publiées au fil des Miroirs des Terres Médianes ne sont pas non plus autre chose que des réponses à cette même question. Mais l’ensemble se trouve en fait résumé dans une table minuscule, une classique table des difficultés, allant de « routine » à« difficulté chimérique » en passant par « assez facile », « moyen », « malaisé » etc., et indiquant à chaque fois, sous forme de modificateur, l’ajustement à utiliser. Prises à leur plus simple expression, les règles peuvent se résumer à cette table et l’on n’a pas besoin d’autre chose
Difficulté moyenne
Pour bien utiliser la table des difficultés, il faut d’abord comprendre ce que représente une difficulté dite moyenne, autrement dit une difficulté zéro. Le mot moyen est pris dans son sens arithmétique. Les caractéristiques allant de 6 à 15,10 est une caractéristique moyenne (tout étant arrondi à l’inférieur). Une difficulté moyenne est celle qui donne une chance sur deux à une caractéristique moyenne (10). En effet, le multiplicateur correspondant à la difficulté zéro est 5, et 5 x 10 = 50. On voit donc que pour une caractéristique moyenne, la difficulté zéro donne autant de chances de réussite que d’échec. Le Gardien des Rêves doit toujours garder cela présent à l’esprit lorsqu’il évalue les difficultés.
Compétence moyenne
Tout comme la difficulté, la compétence moyenne est de niveau zéro. C’est dire qu’elle ne retire ni n’ajoute rien à la difficulté. Quand le Gardien des Rêves demande par exemple de faire un jet d’Agilité/Escalade, difficulté zéro, il doit se souvenir que cela correspond à une chance sur deux (pile ou face) pour une Agilité moyenne (10) et une compétence moyenne (0). Autrement dit, rien d’assuré. Mais bien des personnages n’ont même pas développé la compétence Escalade, et quelle que soit leur Agilité, leurs chances seront dès lors inférieures à 50%. En revanche, un personnage avec une Agilité moyenne et un niveau + 3 en compétence aura 65 % qui peuvent monter jusqu’à 97 % s’il a 15 en Agilité.
L’évaluation des difficultés n’est pas une mince affaire. C’est là que repose tout l’art du Gardien des Rêves, et c’est à mon sens la seule vraie difficulté du jeu. Mais encore une fois, l’apparente profusion des règles est là pour proposer des exemples dans un grand nombre de cas. Un Gardien des Rêves débutant aura intérêt à suivre scrupuleusement ces tables et ces exemples; puis quand il se sera intimement familiarisé avec le principe, il pourra se contenter pour mémoire de la simple table des difficultés; et il réalisera que les rouages de la mécanique tournent bien plus aisément qu’il ne l’aurait cru possible.
Restreindre les jets de dés
Le grand choix de caractéristiques et de compétences et la possibilité de les combiner font qu’il est possible de tirer des jets de dés pour virtuellement n’importe quoi. Par exemple Vue/Equitation pour apprécier la qualité d’un cheval, Intellect/Equitation pour déterminer sa race, Agilité/Equitation pour le monter, Eloquence/Equitation pour le calmer par la voix, Ouïe/Equitation pour reconnaître son hennissement parmi d’autres, et ainsi de suite, parfois jusqu’à l’absurde. Bien souvent, la tentation est grande. Or il est évident que trop de jets de dés brisent la fluidité du jeu de rôle. Face à cela il n’y a qu’une chose à dire : ne pas multiplier inutilement les jets de dés. Ne les faire tirer que lorsqu’il y a un doute réel sur l’issue de l’entreprise. Et dans bien des cas, à partir du moment où un personnage possède une caractéristique ou une compétence à un degré suffisant, le jet de dés devient même inutile. Ne le faire tirer que si la caractéristique ou la compétence sont sous-développées (caractéristique inférieure à 10 ou compétence inférieure à 0). Dans l’exemple de l’Equitation, si le personnage possède au moins un niveau moyen (0), inutile de lui faire tirer un jet d’Équitation chaque fois qu’il met le pied à l’étrier.
La magie
Rêve de Dragon est un jeu pour les magiciens. C’est sa qualité et son défaut. Sa qualité parce que ceux qui aiment jouer des magiciens peuvent y faire réellement leur magie et non pas se contenter de dire : « je lance un sort... ».
Ils ont toute une stratégie à développer non pas tant face à leurs cibles que face à leur art lui-même, art rétif qui ne demande qu’à leur jouer des tours. Défaut, parce que lancer un sort prend parfois une ou deux minutes de temps réel, et les non-magiciens ont pendant ce temps l’impression que seuls les hauts-rêvants s’amusent.
Pratiquement, l’action de lancer un sort se résout exactement de la même façon que n’importe quelle autre action une caractéristique (le Rêve), une compétence (l’une des 4 voies de magie), une difficulté (celle du sort), et par rapport à tout cela, un pourcentage de succès sur la table unique de résolution.
Ce qui déroute, c’est la carte des Terres Médianes. On aurait pu s’en passer. Mais pourquoi les combattants auraient-ils droit à de multiples options dans l’exercice de leur art : attaques, parades, feintes, esquives, etc., ce qui existe dans de nombreux autres jeux, et pourquoi les magiciens devraient-ils se contenter d’un bête pourcentage (quand bien même celui-ci serait obtenu après une demi-heure de calculs) ? La carte des Terres Médianes représente tout le périple mental qu’un magicien doit effectuer avant de pouvoir lancer un sort. Tout ne se passe que dans sa tête, mais pour effectuer ledit périple, il n’en a pas moins des choix à faire : l’option d’une stratégie plus ou moins payante, des dangers à affronter —dangers purement mentaux, mais dangers quand même. Il m’a semblé plus récréatif d’imager ce périple et ces dangers par un mini-voyage sur une sorte de plateau de jeu plutôt que par une liste de modificateurs et de formules abstraites.
De fait, la magie est un ensemble de rouages qui ne peut être altéré. Soit on l’utilise dans son intégralité, soit on s’en passe — ce qui est tout fait possible. Mais s’il est peu recommandé qu’un joueur débutant interprète un magicien, le temps qu’il se familiarise avec les principes du jeu, il n’y a aucun inconvénient à ce qu’ensuite tous les personnages soient des magiciens. Tous seront alors sur un pied d’égalité. La magie est un plus et son usage n’entraîne aucune restriction. Les magiciens peuvent avoir les mêmes compétences que les autres, y compris les compétences de combat. Les règles prévoient moins de points d’expérience préliminaires pour eux dans les compétences physiques, mais à partir du moment où une campagne débuterait avec uniquement des magiciens, ce nombre de points pourrait être augmenté sans inconvénient.
Heure par heure
A cause des sorts qui durent jusqu’à la fin d’une certaine heure (de naissance, celle du magicien ou de sa cible), à cause des récupérations d’endurance et de rêve, du temps passé à étudier des parchemins, il est recommandé de jouer heure par heure. Pour cette raison, la journée a été divisée en 12 heures de 120’ (et non 24 de 60’) pour accélérer un peu le processus. Même s’il ne se passe rien pendant plusieurs heures, comme lorsque les personnages marchent sur une route, il est bon de les faire défiler une à une et de ne passer à la suivante que lorsque tout a été résolu (expiration d’un sort, récupération, etc.). Le jeu y gagne en clarté.
La santé mentale
Quoiqu’il ne porte pas ce nom, Rêve de Dragon possède son système de santé mentale. Les Queues et Souffles de Dragon ne sont pas autre chose que des détériorations plus ou moins momentanées de ladite santé. Ce sont surtout les magiciens qui en font les frais, mais les autres ne sont pas pour autant à l’abri. Quoique cela ne soit pas explicitement mentionné dans les règles, face à une horreur particulièrement dérangeante, le Gardien des Rêves peut fort bien demander un jet de Rêve, avec une difficulté en rapport avec l’horreur, et le personnage ayant manqué ce jet peut recevoir une Queue de Dragon.
Les soins
Nombre de joueurs trouvent le chapitre traitant des soins un peu compliqué. Comme si l’on pouvait guérir facilement d’un coup de hache! En réalité, le problème se pose rarement car neuf fois sur dix, il y a une potion enchantée qui remet le blessé d’aplomb en quelques minutes. Quand la potion fait défaut, il faut avoir recours à la guérison naturelle, les herbes de soin pouvant être appliquées sous forme de cataplasmes. Sans entrer dans les détails, le jeu prévoit trois sortes de blessures: légères, graves et critiques. A ces blessures correspondent respectivement les ajustements 2, 4 et 6. Ce qui signifie que le premier soin d’une blessure légère est de difficulté -2, celui d’une grave de -4 et celui d’une critique de -6. Si l’on y met des herbes, il faudra 2 brins pour une légère, 4 pour une grave et 6 pour une critique. Et la blessure pourra commencer à guérir au bout de : 2 jours pour une légère, 4 pour une grave, et 6 pour une critique. C’est assez facile à retenir.
Les herbes ont quant à elles des bonus allant de 1 à 10. En réalité, le temps de guérison est de 2,4 ou 6 jours (selon la blessure), moins un nombre de jours égal au bonus de l’herbe, mais minimum 1 jour dans tous les cas.
Quand le nombre de jours est écoulé, faire un jet de Constitution ajusté négativement au nombre de points de Vie perdus (zéro si aucun point de Vie n’a été perdu) et positivement au bonus de l’herbe utilisée. En cas de réussite, la gravité rétrograde d’un stade (passe de critique à grave par exemple); et le même processus pourra être recommencé le lendemain. En cas d’échec, la blessure demeure ce qu’elle est : mais le jet pourra néanmoins être retenté le lendemain, puisque maintenant le temps minimum est écoulé. Et ainsi de suite, de jour en jour, jusqu’à ce que la blessure ait disparu, c’est dire rétrogradée au stade de contusion. Les herbes ne donnent leur bonus qu’une seule fois, c’est-à-dire qu’entre chaque jet, il faut changer le pansement et en remettre de nouvelles. Quand toutes les blessures ont été éliminées (= ont rétrogradé au stade de contusion), les points de Vie perdus peuvent commencer à être récupérés à leur tour selon le même processus. Chaque jour, faire un jet de Constitution ajusté au nombre de points perdus. En cas de réussite, on en regagne un : sinon, pas de changement. A ce stade, les herbes peuvent conférer leur bonus si elles sont bues en décoction (même non enchantée)
Le voyage
Tous les personnages de Rêve de Dragon sont censés être des voyageurs, des gens qui pratiquent le voyage pour lui-même, comme une fin en soi. Dès lors, imaginer un scénario de Rêve de Dragon est très facile : c’est un voyage, avec ses péripéties et ses rencontres. Bien souvent, il est inutile d’imaginer un scénario extravagant et compliqué pour aboutir au vécu d’une aventure intéressante. Les rouages de la mécanique sont tels qu’une fois le levier de départ enclenché, le jeu déroule tout seul. Bien souvent, le problème n’est pas de le faire marcher, mais de l’arrêter ou de redresser la direction quand on s’écarte du scénario originel. Encore qu’à mon avis, ce soit un faux problème. Peu importe le scénario originel, si le vécu actuel est tout aussi intéressant. Le prétexte de départ le plus futile peut déboucher sur les campagnes les plus ahurissantes. Supposons un « scénario » où, faute de temps ou d’imagination, le Gardien des Rêves n’ait rien prévu. Ce n’est pas gênant. Il commence classiquement. « Vous voyagez sur une petite route... bientôt un village.., une maison des voyageurs... ». Cela suffit. Le voyage a démarré. Les voyageurs feront le reste. Tout peut se produire. Par exemple, un des magiciens du groupe tente, le soir, de mettre un sort en réserve. Il fait un échec total et flanque le feu à l’auberge. Avec un minimum d’improvisation, on envisage la suite. Cependant, un autre magicien rêve mal. Une Queue de Dragon l’oblige à injurier le premier villageois venu ou à lui faire les poches, ou à tomber amoureux de la première passante rencontrée. Il est peu probable que cela s’obtienne sans heurt. Autant de péripéties qui naissent d’elles-mêmes et auxquelles il faut trouver une solution. Ce faisant, d’autres péripéties naîtront spontanément, comme autant de roues dentées entraînant d’autres rouages.
Face à cela, la tâche du meneur de jeu consistera à surveiller le déroulement, à le garder, à faire en sorte que la mécanique ne s’enraie pas, que le rêve ne s’arrête jamais. Le rêve est un voyage, et la réciproque est vraie. Le seul maître dans l’histoire est le jeu de rôle lui-même."
Denis Gerfaud
Et pour vos réaction c'est par là : https://legion-celte.forumgratuit.org/t1066-reaction-a-un-entretien#11737
Le débat sur la place des règles, le bruit des dés derrière l'écran, la bûchette négociée à coup de bons mots ou de moyens plus inavouables ("Haribo c'est beau la vie !") : ce développement apporte
un point de vue tranché, mais pas inintéressant ! On peut passer les exemples tirés de RDD si le jeux laisse indifférent, le fond n'en reste pas moins bien intéressant !
Par contre, pas moyen de retrouver la bonne référence pour dater l'article. Une voix venue de loin, en quelque sorte...
Comme cela parle beaucoup de RDD, peut-être faudrait-il déplacer ce post : je laisse notre Bon Maître en décider !
« Gardien » et non pas « maître »
" Le jeu de rôle est un jeu de simulation. Or avec quoi simule-t-on ? Avec des règles et un meneur de jeu. Plus ces dernières sont nombreuses, et plus le travail du MJ se résume à les appliquer, moins elles le sont et plus sa responsabilité augmente. On pourrait imaginer un jeu de rôle sans aucune règle du tout, où le MJ ferait ce qu’il voudrait. A juste titre, alors, pourrait-on l’appeler Maître. Ce n’est pas le cas de Rêve de Dragon.
Pourquoi ? Parce que m’a toujours paru suspect ce titre de « maître » qui tend à faire de celui qui est caché derrière le paravent un petit chef tout puissant, et des esclaves soumis ceux qui sont de l’autre côté. C’est parce que j’ai souvent eu ce sentiment en tant que joueur que j’ai créé Rêve de Dragon tel qu’il est : un jeu aux règles nombreuses, un système qui tente d’apporter une réponse à tous les problèmes que le cours de l’action peut soulever, où tout soit écrit. C’est à mon avis un gage de respect envers les joueurs. Ce n’est pas parce que le jeu de rôle est un jeu « libre », par rapport aux jeux de plateau, qu’il ne doit pas être aussi rigoureux, qu’il doit être un délire ponctué des décisions arbitraires d’un soi-disant « maître ». Certes, j’applaudis au courant actuel des jeux qui prônent une simplification des règles au profit d’une responsabilité accrue du MJ, mais je me demande s’ils n’ont pas la naïveté de supposer a priori que tous les meneurs de jeu sont par définition excellents.
Avec Rêve de Dragon, j’ai voulu créer un ensemble de règles qui fonctionne comme une mécanique avec ses rouages. Dès lors, le travail du Gardien des Rêves consiste à mettre la machine en marche, à veiller à ce qu’elle ne se dérègle pas en cours de route, à pousser les leviers au bon moment, et l’alimenter en combustible, c’est-à-dire en jeu de rôle. L’improvisation, quand elle doit avoir lieu, se situe au niveau du scénario, et non pas au niveau de la simulation.
Pour débuter
Le problème, c’est que la profusion des règles intimide parfois le débutant. Est-ce un vrai ou un faux problème ? Ce n’est pas à moi d’y répondre. Les règles sont nombreuses — je viens d’expliquer pourquoi —, et je ne pense pas qu’elles soient compliquées. Quoi qu’il en soit, il est toujours possible de simplifier pour débuter. En reprenant l’exemple de la mécanique, certains rouages sont fondamentaux et ne sauraient être supprimés; d’autres sont plus accessoires et ne sont là que pour donner plus de vie à l’automate. Ainsi, on peut négliger au départ :
— l’encombrement, la vitesse,
— les facteurs de résistance et de temps (F.R. et F.T.),
— la sustentation,
— le moral,
— l’astrologie et ses modificateurs aux jets de Chance.
Il est même possible de débuter avec des scénarios simples sans aucune magie. Dans bien des cas, la magie apporte un « plus » aux personnages des joueurs, mais bien des scénarios peuvent être résolus sans elle.
Une fois cela supprimé, il reste le principal, la base de tout le système : les jets de caractéristique par rapport à une compétence et une difficulté, résolus sur la table unique.
La base
Le jeu fonctionne avec caractéristiques et compétences, mais tous les jets de dés d’action sont des jets de caractéristique. La compétence n’intervient que comme un modificateur et n’est jamais utilisée seule. Ce qu’il est important de comprendre dans Rêve de Dragon, c’est que les niveaux de compétence ne signifient rien en eux-mêmes. Le véritable « niveau de compétence d’un personnage face à une entreprise quelconque est toujours un rapport entre la caractéristique utilisée (Force, Agilité, etc.) et la compétence (Saut, Escalade, etc.). Les niveaux de compétence proprement dits doivent un peu se comprendre comme des diplômes. Prenons deux étudiants en troisième année d’Histoire, par exemple ; seront-ils exactement aussi compétents l’un que l’autre ? Non, il y a gros à parier que, toutes proportions gardées, l’un des deux sera plus ou moins doué que son voisin, Il en est de même de deux personnages ayant tous les deux +3 en Légendes. Celui qui a 15 en intellect restera supérieur à celui qui n’a que 10.
Les difficultés
La table unique de résolution sert à obtenir un pourcentage qui, une fois déterminé, est joué classiquement avec 1d100. Le pourcentage indiqué est toujours un multiple de la caractéristique utilisée (caractéristique multipliée par 1; par 1,5 ; par 2 ; par 2,5 ; etc., par incrément de 0,5). Le niveau de compétence est ajouté algébriquement à un niveau de difficulté pour déterminer le multiplicateur à utiliser. De ce fait le niveau de difficulté est capital. Avec une faible difficulté, le multiplicateur est haut et les fortes caractéristiques sont favorisées. Avec un multiplicateur de 7 par exemple (difficulté +4), 15 en caractéristique donnera 105% de chances de réussite, tandis qu’une caractéristique de 6 n’aura que 42 %. En revanche, les grandes difficultés (bas multiplicateurs) nivellent les chances de réussite. Avec un multiplicateur de 0,5 (difficulté -9), 15 obtiendra 7 % et 6 obtiendra 3 %. Certes, les chances de réussite varient du simple au double, mais les chances d’échec sont quasiment les mêmes:
93 % et 97 %. Ceci sert à illustrer le fait que face à une difficulté écrasante, les plus faibles comme les plus forts se retrouvent au même niveau d’impuissance, tandis que confrontés à une relative facilité les plus forts l’emportent aisément
Le choix
La question qui se pose régulièrement au Gardien des Rêves face à une entreprise donnée, est : quelle difficulté choisir ? En général. les scénarios publiés résolvent ce choix pour les cas importants. Mais il reste tous les cas d’improvisation lorsque les personnages dévient du scénario. Là encore intervient l’apparente profusion des règles. La majeure partie du Livre I n’est pas autre chose que la réponse à cette question pour les cas les plus fréquents (Saut, Escalade, Combat, Soins, etc.). Et les règles additionnelles publiées au fil des Miroirs des Terres Médianes ne sont pas non plus autre chose que des réponses à cette même question. Mais l’ensemble se trouve en fait résumé dans une table minuscule, une classique table des difficultés, allant de « routine » à« difficulté chimérique » en passant par « assez facile », « moyen », « malaisé » etc., et indiquant à chaque fois, sous forme de modificateur, l’ajustement à utiliser. Prises à leur plus simple expression, les règles peuvent se résumer à cette table et l’on n’a pas besoin d’autre chose
Difficulté moyenne
Pour bien utiliser la table des difficultés, il faut d’abord comprendre ce que représente une difficulté dite moyenne, autrement dit une difficulté zéro. Le mot moyen est pris dans son sens arithmétique. Les caractéristiques allant de 6 à 15,10 est une caractéristique moyenne (tout étant arrondi à l’inférieur). Une difficulté moyenne est celle qui donne une chance sur deux à une caractéristique moyenne (10). En effet, le multiplicateur correspondant à la difficulté zéro est 5, et 5 x 10 = 50. On voit donc que pour une caractéristique moyenne, la difficulté zéro donne autant de chances de réussite que d’échec. Le Gardien des Rêves doit toujours garder cela présent à l’esprit lorsqu’il évalue les difficultés.
Compétence moyenne
Tout comme la difficulté, la compétence moyenne est de niveau zéro. C’est dire qu’elle ne retire ni n’ajoute rien à la difficulté. Quand le Gardien des Rêves demande par exemple de faire un jet d’Agilité/Escalade, difficulté zéro, il doit se souvenir que cela correspond à une chance sur deux (pile ou face) pour une Agilité moyenne (10) et une compétence moyenne (0). Autrement dit, rien d’assuré. Mais bien des personnages n’ont même pas développé la compétence Escalade, et quelle que soit leur Agilité, leurs chances seront dès lors inférieures à 50%. En revanche, un personnage avec une Agilité moyenne et un niveau + 3 en compétence aura 65 % qui peuvent monter jusqu’à 97 % s’il a 15 en Agilité.
L’évaluation des difficultés n’est pas une mince affaire. C’est là que repose tout l’art du Gardien des Rêves, et c’est à mon sens la seule vraie difficulté du jeu. Mais encore une fois, l’apparente profusion des règles est là pour proposer des exemples dans un grand nombre de cas. Un Gardien des Rêves débutant aura intérêt à suivre scrupuleusement ces tables et ces exemples; puis quand il se sera intimement familiarisé avec le principe, il pourra se contenter pour mémoire de la simple table des difficultés; et il réalisera que les rouages de la mécanique tournent bien plus aisément qu’il ne l’aurait cru possible.
Restreindre les jets de dés
Le grand choix de caractéristiques et de compétences et la possibilité de les combiner font qu’il est possible de tirer des jets de dés pour virtuellement n’importe quoi. Par exemple Vue/Equitation pour apprécier la qualité d’un cheval, Intellect/Equitation pour déterminer sa race, Agilité/Equitation pour le monter, Eloquence/Equitation pour le calmer par la voix, Ouïe/Equitation pour reconnaître son hennissement parmi d’autres, et ainsi de suite, parfois jusqu’à l’absurde. Bien souvent, la tentation est grande. Or il est évident que trop de jets de dés brisent la fluidité du jeu de rôle. Face à cela il n’y a qu’une chose à dire : ne pas multiplier inutilement les jets de dés. Ne les faire tirer que lorsqu’il y a un doute réel sur l’issue de l’entreprise. Et dans bien des cas, à partir du moment où un personnage possède une caractéristique ou une compétence à un degré suffisant, le jet de dés devient même inutile. Ne le faire tirer que si la caractéristique ou la compétence sont sous-développées (caractéristique inférieure à 10 ou compétence inférieure à 0). Dans l’exemple de l’Equitation, si le personnage possède au moins un niveau moyen (0), inutile de lui faire tirer un jet d’Équitation chaque fois qu’il met le pied à l’étrier.
La magie
Rêve de Dragon est un jeu pour les magiciens. C’est sa qualité et son défaut. Sa qualité parce que ceux qui aiment jouer des magiciens peuvent y faire réellement leur magie et non pas se contenter de dire : « je lance un sort... ».
Ils ont toute une stratégie à développer non pas tant face à leurs cibles que face à leur art lui-même, art rétif qui ne demande qu’à leur jouer des tours. Défaut, parce que lancer un sort prend parfois une ou deux minutes de temps réel, et les non-magiciens ont pendant ce temps l’impression que seuls les hauts-rêvants s’amusent.
Pratiquement, l’action de lancer un sort se résout exactement de la même façon que n’importe quelle autre action une caractéristique (le Rêve), une compétence (l’une des 4 voies de magie), une difficulté (celle du sort), et par rapport à tout cela, un pourcentage de succès sur la table unique de résolution.
Ce qui déroute, c’est la carte des Terres Médianes. On aurait pu s’en passer. Mais pourquoi les combattants auraient-ils droit à de multiples options dans l’exercice de leur art : attaques, parades, feintes, esquives, etc., ce qui existe dans de nombreux autres jeux, et pourquoi les magiciens devraient-ils se contenter d’un bête pourcentage (quand bien même celui-ci serait obtenu après une demi-heure de calculs) ? La carte des Terres Médianes représente tout le périple mental qu’un magicien doit effectuer avant de pouvoir lancer un sort. Tout ne se passe que dans sa tête, mais pour effectuer ledit périple, il n’en a pas moins des choix à faire : l’option d’une stratégie plus ou moins payante, des dangers à affronter —dangers purement mentaux, mais dangers quand même. Il m’a semblé plus récréatif d’imager ce périple et ces dangers par un mini-voyage sur une sorte de plateau de jeu plutôt que par une liste de modificateurs et de formules abstraites.
De fait, la magie est un ensemble de rouages qui ne peut être altéré. Soit on l’utilise dans son intégralité, soit on s’en passe — ce qui est tout fait possible. Mais s’il est peu recommandé qu’un joueur débutant interprète un magicien, le temps qu’il se familiarise avec les principes du jeu, il n’y a aucun inconvénient à ce qu’ensuite tous les personnages soient des magiciens. Tous seront alors sur un pied d’égalité. La magie est un plus et son usage n’entraîne aucune restriction. Les magiciens peuvent avoir les mêmes compétences que les autres, y compris les compétences de combat. Les règles prévoient moins de points d’expérience préliminaires pour eux dans les compétences physiques, mais à partir du moment où une campagne débuterait avec uniquement des magiciens, ce nombre de points pourrait être augmenté sans inconvénient.
Heure par heure
A cause des sorts qui durent jusqu’à la fin d’une certaine heure (de naissance, celle du magicien ou de sa cible), à cause des récupérations d’endurance et de rêve, du temps passé à étudier des parchemins, il est recommandé de jouer heure par heure. Pour cette raison, la journée a été divisée en 12 heures de 120’ (et non 24 de 60’) pour accélérer un peu le processus. Même s’il ne se passe rien pendant plusieurs heures, comme lorsque les personnages marchent sur une route, il est bon de les faire défiler une à une et de ne passer à la suivante que lorsque tout a été résolu (expiration d’un sort, récupération, etc.). Le jeu y gagne en clarté.
La santé mentale
Quoiqu’il ne porte pas ce nom, Rêve de Dragon possède son système de santé mentale. Les Queues et Souffles de Dragon ne sont pas autre chose que des détériorations plus ou moins momentanées de ladite santé. Ce sont surtout les magiciens qui en font les frais, mais les autres ne sont pas pour autant à l’abri. Quoique cela ne soit pas explicitement mentionné dans les règles, face à une horreur particulièrement dérangeante, le Gardien des Rêves peut fort bien demander un jet de Rêve, avec une difficulté en rapport avec l’horreur, et le personnage ayant manqué ce jet peut recevoir une Queue de Dragon.
Les soins
Nombre de joueurs trouvent le chapitre traitant des soins un peu compliqué. Comme si l’on pouvait guérir facilement d’un coup de hache! En réalité, le problème se pose rarement car neuf fois sur dix, il y a une potion enchantée qui remet le blessé d’aplomb en quelques minutes. Quand la potion fait défaut, il faut avoir recours à la guérison naturelle, les herbes de soin pouvant être appliquées sous forme de cataplasmes. Sans entrer dans les détails, le jeu prévoit trois sortes de blessures: légères, graves et critiques. A ces blessures correspondent respectivement les ajustements 2, 4 et 6. Ce qui signifie que le premier soin d’une blessure légère est de difficulté -2, celui d’une grave de -4 et celui d’une critique de -6. Si l’on y met des herbes, il faudra 2 brins pour une légère, 4 pour une grave et 6 pour une critique. Et la blessure pourra commencer à guérir au bout de : 2 jours pour une légère, 4 pour une grave, et 6 pour une critique. C’est assez facile à retenir.
Les herbes ont quant à elles des bonus allant de 1 à 10. En réalité, le temps de guérison est de 2,4 ou 6 jours (selon la blessure), moins un nombre de jours égal au bonus de l’herbe, mais minimum 1 jour dans tous les cas.
Quand le nombre de jours est écoulé, faire un jet de Constitution ajusté négativement au nombre de points de Vie perdus (zéro si aucun point de Vie n’a été perdu) et positivement au bonus de l’herbe utilisée. En cas de réussite, la gravité rétrograde d’un stade (passe de critique à grave par exemple); et le même processus pourra être recommencé le lendemain. En cas d’échec, la blessure demeure ce qu’elle est : mais le jet pourra néanmoins être retenté le lendemain, puisque maintenant le temps minimum est écoulé. Et ainsi de suite, de jour en jour, jusqu’à ce que la blessure ait disparu, c’est dire rétrogradée au stade de contusion. Les herbes ne donnent leur bonus qu’une seule fois, c’est-à-dire qu’entre chaque jet, il faut changer le pansement et en remettre de nouvelles. Quand toutes les blessures ont été éliminées (= ont rétrogradé au stade de contusion), les points de Vie perdus peuvent commencer à être récupérés à leur tour selon le même processus. Chaque jour, faire un jet de Constitution ajusté au nombre de points perdus. En cas de réussite, on en regagne un : sinon, pas de changement. A ce stade, les herbes peuvent conférer leur bonus si elles sont bues en décoction (même non enchantée)
Le voyage
Tous les personnages de Rêve de Dragon sont censés être des voyageurs, des gens qui pratiquent le voyage pour lui-même, comme une fin en soi. Dès lors, imaginer un scénario de Rêve de Dragon est très facile : c’est un voyage, avec ses péripéties et ses rencontres. Bien souvent, il est inutile d’imaginer un scénario extravagant et compliqué pour aboutir au vécu d’une aventure intéressante. Les rouages de la mécanique sont tels qu’une fois le levier de départ enclenché, le jeu déroule tout seul. Bien souvent, le problème n’est pas de le faire marcher, mais de l’arrêter ou de redresser la direction quand on s’écarte du scénario originel. Encore qu’à mon avis, ce soit un faux problème. Peu importe le scénario originel, si le vécu actuel est tout aussi intéressant. Le prétexte de départ le plus futile peut déboucher sur les campagnes les plus ahurissantes. Supposons un « scénario » où, faute de temps ou d’imagination, le Gardien des Rêves n’ait rien prévu. Ce n’est pas gênant. Il commence classiquement. « Vous voyagez sur une petite route... bientôt un village.., une maison des voyageurs... ». Cela suffit. Le voyage a démarré. Les voyageurs feront le reste. Tout peut se produire. Par exemple, un des magiciens du groupe tente, le soir, de mettre un sort en réserve. Il fait un échec total et flanque le feu à l’auberge. Avec un minimum d’improvisation, on envisage la suite. Cependant, un autre magicien rêve mal. Une Queue de Dragon l’oblige à injurier le premier villageois venu ou à lui faire les poches, ou à tomber amoureux de la première passante rencontrée. Il est peu probable que cela s’obtienne sans heurt. Autant de péripéties qui naissent d’elles-mêmes et auxquelles il faut trouver une solution. Ce faisant, d’autres péripéties naîtront spontanément, comme autant de roues dentées entraînant d’autres rouages.
Face à cela, la tâche du meneur de jeu consistera à surveiller le déroulement, à le garder, à faire en sorte que la mécanique ne s’enraie pas, que le rêve ne s’arrête jamais. Le rêve est un voyage, et la réciproque est vraie. Le seul maître dans l’histoire est le jeu de rôle lui-même."
Denis Gerfaud
Et pour vos réaction c'est par là : https://legion-celte.forumgratuit.org/t1066-reaction-a-un-entretien#11737
Invité- Invité
Re: entretien avec...
JOHAN SCIPION - Auteur, éditeur, animateur
« Chaque partie est un film d’horreur imaginaire »
avant Sombre, Johan a été pigiste pour Casus v2, Backstab mais aussi Lotus Noir. Il est également crédité pour des contributions dans les JdR Dark Earth, La caste des métabarons et Vermine. Aujourd’hui, son activité dans le JdR se limite à Sombre.
Afin de nous parler de Sombre, la Rédaction de Casus a réussi à mettre la main sur son auteur, Johan Scipion. Il se livre sans retenue de ce jeu d’horreur atypique entre deux déplacements en convention.
« Chaque partie est un film d’horreur imaginaire »
avant Sombre, Johan a été pigiste pour Casus v2, Backstab mais aussi Lotus Noir. Il est également crédité pour des contributions dans les JdR Dark Earth, La caste des métabarons et Vermine. Aujourd’hui, son activité dans le JdR se limite à Sombre.
Afin de nous parler de Sombre, la Rédaction de Casus a réussi à mettre la main sur son auteur, Johan Scipion. Il se livre sans retenue de ce jeu d’horreur atypique entre deux déplacements en convention.
Sombre est un jeu d’horreur minimaliste pour jouer « l’horreur comme au cinéma ». Pas d’univers dédié, mais des scénarios préparés aux petits oignons, testés avec amour et truffés de conseils pratiques pour en tirer le meilleur. Un vrai travail d’orfèvre. Car, oui, Johan Scipion est avant tout un artisan du JDR, le genre à remettre cent fois son ouvrage sur le métier afin de nous proposer ce qu’il y a de mieux. Mais le mieux placé, pour parler de Sombre, c’est son créateur. Si vous croisez ce grand homme tout de noir vêtu en convention, n’hésitez pas à le suivre pour qu’il vous fasse découvrir son jeu. Vous n’en sortirez pas indemne, mais ça vaudra le détour. Et gare à vous si vous le voyez faire du stop en pleine nuit au milieu de nulle part.
Casus Belli : En quoi Sombre se démarque-t-il des autres jeux d’horreur ?
Johan Scipion : Tu attaques fort, dis donc. Direct les pieds dans le plat. Mais, vue la situation de Sombre, nouvel entrant sur le tout petit segment de marché des jeux de rôle horrifiques, cette niche dans la niche dominée depuis des décennies par un indétrônable mastodonte, répondre à cette question revient à faire le concours de celui qui pisse le plus loin avec Cthulhu. Ce serait très con : y’a juste pas moyen de gagner contre le papi poulpe, il est trop fort. Et puis, je l’aime beaucoup. L’Appel est l’une de mes grandes références ludiques. Du coup, l’idée de le tacler par derrière me rebute pas mal. Après, la question est légitime. Quand on essaie de lui refourguer un baril d’une nouvelle lessive, la ménagère rôliste est en droit de s’attendre à ce qu’on lui explique pourquoi elle devrait en changer.
CB : Une partie de Sombre, ça ressemble à quoi ?
JS : Chaque partie de Sombre est un film d’horreur imaginaire, dans lequel les joueurs incarnent des victimes. Les règles sont simples, vraiment simples.
Tout le système, du roll under classique de chez classique mais ultra épuré, s’articule autour de deux jauges, Corps et Esprit. Elles servent à la fois de compétences et de réserves de points, respectivement de santé physique et mentale. La jauge d’Esprit est enrichie par une mécanique de Personnalités, des guides de roleplay évolutifs présentés sous forme de cartes. Le jeu en propose soixante-douze, chaque joueur en a trois, qu’il choisit à la création de son personnage. Elles représentent trois stades psychologiques. Par exemple prudent, méfiant, paranoïaque. Ou impulsif, téméraire, suicidaire. Ou encore docile, soumis, servile. À mesure qu’il perd des points d’Esprit, le PJ passe d’une phase à l’autre, c’est-à-dire d’une carte à l’autre. Sur chacune d’elles sont inscrites quelques lignes de conseils pour aider le joueur à roleplayer la phase dans laquelle il se trouve.
CB : Quel est l’univers du jeu ?
JS : Sombre n’a pas d’univers dédié. Chaque film d’horreur porte son propre setting. Chaque partie aussi. Le scénario-type est un survival horrifique et coopératif, souvent en huis clos. Le format standard est le one-shot, de quinze minutes pour mes démos les plus courtes à cinq ou six heures, parfois plus (mon record est douze), pour les séances longues. On peut bien sûr enchaîner les one-shots à la manière d’une franchise cinématographique. J’ai une campagne de ce type en cours à ma table. Le setting est persistant, les antagonistes récurrents, mais les protagonistes changent d’une séance à l’autre. Exactement comme dans Les Griffes de la nuit et ses séquelles.
CB : Quel forme prend le jeu ?
JS : Je publie le jeu sous forme de revue. Une collection de brochures de 72 pages au format A5, qu’on peut acheter sur mon site (terresetranges.net). J’en sors une par an à peu près et je travaille en ce moment sur la cinquième. Il s’agit en fait d’une gamme. Le premier numéro était un livre de base avec les règles, toutes les aides de jeu (dont les fameuses cartes de Personnalité) et un scénario de découverte à thème zombie apocalypse. Les suivants sont des suppléments. Ils contiennent des articles à destination du meneur, dans lesquels j’explique par exemple comment briefer les joueurs avant la partie, utiliser au mieux chaque Trait (Sombre propose une cinquantaine d’Avantages et de Désavantages), cadrer la création collective ou écrire de bons scénarios. Dans chaque numéro, il y a au moins un scénario prêt à jouer, parfois deux, toujours inspirés du cinéma. Massacre à la tronçonneuse, La Nuit des mortsvivants, Délivrance, Alien, Battle Royale et Cube font partie de mes références.
CB : Apparemment, Sombre se décline. Sombre zéro et Sombre max, qu’est-ce que tout ça ?
JS : Je développe en parallèle deux variantes. Sombre zéro, à laquelle je consacre un article dans le deuxième numéro de la revue, est une version ultra compacte et simplifiée, que j’utilise pour jouer en un quart d’heure dans des lieux a priori peu propices (des salons très bruyants et des bars, notamment) ou avec des publics qui ne connaissent rien ou pas grand-chose à notre hobby, des grands débutants ;j’initie à tour de bras, des enfants ou des personnes âgées. Sombre max, variante encore inédite mais dont le playtest est déjà bien avancé, permet de jouer de l’action horrifique façon Predator, Aliens, Vampires de Carpenter, Dog Soldiers ou les Terminator de Cameron. Je le publierai dans un futur numéro de la revue.
CB : Quelles sont les origines du jeu ?
JS : Au départ, il y a une vingtaine d'années, je menais Kult. J’en suis tombé amoureux dès sa sortie en France, au milieu des années 90. J’adore ce jeu. Tellement que je me suis efforcé d’y jouer by the book. Sans succès, malheureusement. Je ne suis jamais parvenu à faire tourner le système à ma table et n’ai pas non plus réussi à exploiter l’univers dans mes parties, ou seulement quelques minuscules bribes. Trop vaste, trop riche, trop complexe. J’essayais de jouer Kult dans les règles de l’art et je me suis retrouvé à l’accommoder à ma sauce : règles simplifiées et scénarios ressemblant furieusement à des films d’horreur. À force de bidouillages, j’ai fini par comprendre que j’étais en train de développer mon propre jeu. Deux décennies plus tard, j’y suis encore.
CB : Tu testes, tu re-testes, tu fais jouer partout à travers la France et audelà... D’où vient la motivation, après
toutes ces années ?
JS : Les trois P, plaisir, passion et professionnalisme. En premier lieu, Sombre m’éclate. Je prends un pied colossal à le développer, l’écrire, le mener. Ce n’est pas à toi que j’essaierai de faire croire que le boulot d’auteur triclassé animateur et éditeur n’est qu’une longue succession de bonheurs sucrés. Y’a plein de trucs chiants, voire très chiants. Mais, quand je mène, même si je viens de m’enquiller quinze par parties en deux jours, même si je suis tellement fatigué que je ne sais plus très bien ce que je raconte, même si c’est la trois-centième
fois que je déroule mon scénar - je n’exagère pas, j’ai vraiment mené certains de mes scénarios trois cent fois ! – eh ben je prends mon pied. C’est plus fort que moi, j’aime ce putain de jeu.
CB : Tu es éditeur aussi ?
JS : Auteur de Sombre est mon métier. Bon, j’en ai plein d’autres à côté. Je dirige une revue et une (minuscule) maison d’édition, j’assure des animations à droite et à gauche, j’écris des nouvelles aussi. Mais, quand je playteste, rédige ou promotionne Sombre, je bosse. Et je suis le genre de garçon qui aime travailler carré, voire carré de chez carré. Je veux bien faire, ce qui implique d’avoir à ma disposition des outils ludiques performants et adaptés. Quand ce n’est pas le cas, je m’empresse de les créer. Tu vois l’Annapurna face Nord ? Je t’assure que certaines de mes démonstrations y ressemblent furieusement, tu n’y vas pas en slip. Tu t’équipes parce tu sais que sinon tu vas te planter. Je ne veux pas une bonne règle, je veux la meilleure règle que je sois capable de produire, donc je la playteste le temps qu’il faut pour l’améliorer autant que je le peux. Je ne veux pas un bon scénario, je veux le meilleur scénario que je puisse écrire, donc je le teste et le reteste. Cinq fois, dix fois, trente fois, cent fois avant de les publier dans ma revue. Je suis exigeant parce que je veux être efficace. Quand tu enchaînes les démos comme je le fais, environ deux cents par an, bosser avec du matos moisi serait une monstrueuse galère.
CB : Le taux de mortalité parmi les PJ à Sombre est des plus élevés, et pourtant les joueurs en redemandent. Pourquoi?
JS : Parce que c›est fun. Jouer une victime horrifique est super cool. Ce sont des gens ordinaires confrontés à des événements qui les mettent très durement à l›épreuve, pas des moutons qu›on mène à l›abattoir. Un film dans lequel les teenagers attendraient bien sagement dans leur lit que le tueur à la machette vienne les massacrer n’aurait aucun intérêt. Les victimes horrifiques luttent âprement pour survivre. Elles se sortent grave les doigts, et c’est passionnant à jouer. Il faut être dynamique, réactif, proactif et savoir garder son sang-froid même quand les règles, le scénario, le meneur et les autres joueurs conspirent pour te mettre la pression. Et il arrive même parfois que tu réussisses à atteindre le générique de fin en un seul morceau, auquel cas tu te sens le roi du monde. La final girl est l’avenir de l’homme, c’est clair.
CB : Des projets autour de ton jeu se multiplient. Pourrais-tu nous les présenter rapidement ?
JS : Comme je te le disais, Sombre n’a pas d’univers dédié, mais cela n’empêche pas qu’il a trois univers officiels. Je ne suis pas à un paradoxe près. Il se trouve, mais c’est un hasard, qu’ils sont tous plus ou moins inspirés de Lovecraft. On ne l’a pas fait exprès, c’est juste que j’ai tendance à bien m’entendre avec les gens qui ont bon goût en matière de littérature horrifique. Millevaux (1) est l’oeuvre de Thomas Munier. C’est un univers post-apo, forestier et sludgecore, motorisé aujourd’hui par plusieurs systèmes, dont le mien. Le contexte est une Europe du futur revenue à la barbarie après qu’elle ait été recouverte par une forêt surnaturelle. Développé par Thierry Salaün, Cthulhu DDR croise le Mythe et la République démocratique allemande des années soixante. Lovecraft au pays du socialisme réel, vaste programme. Et j’ai moi aussi commis un univers lovecraftien. Il s’agit d’Extinction, dont j’ai publié le cadre général dans Sombre 2. L’idée est de jouer après le réveil de Cthulhu. Mad Max dans la flotte, avec des gros monstres marins super agressifs.
CB : Comment vois-tu l'avenir pour Sombre ?
JS : Radieux ! Je suis actuellement dans la dernière ligne droite de Sombre 5. Je vais y parler des quickshots, ces parties que j’improvise à partir d’un brainstorming initial des joueurs. Il y aura également un petit setting forestier, façon cabane au fond des bois, et un scénario pour Sombre zéro dans lequel on joue des jouets. J’espère qu’il sera paru, ou en bonne voie de l’être, lorsque tes lecteurs liront cette interview. Sinon, j’ai établi des pré-sommaires pour encore au moins cinq ou six numéros. Il y aura notamment un spécial Sombre zéro, qui sera comme un nouveau livre de base avec les règles intégrales de la variante, un guide maîtrise et plusieurs scénarios. Ce sera normalement pour Sombre 6. Je consacrerai aussi un numéro au genre slasher, et peut-être un autre à l’horreur gothique, sous-genre dont je suis particulièrement fan.
CB : D'autres projets dans ta besace ?
JS : En jeu de rôle, non. Sombre sera ma seule et unique création. Je sais que je n’ai pas d’autre jeu en moi. Tout ce que j’aime dans le hobby s’y trouve concentré. Par contre, comme je te le disais tout à l’heure, je suis également nouvelliste. J’ai publié une poignée de textes ces dernières années, principalement chez Malpertuis, Dreampress et Parchemins & Traverses. Je voudrais bien les réunir en un recueil, mais il faudrait que j’y ajoute quelques nouvelles inédites. Or Sombre m’accapare beaucoup, ce qui me laisse peu de temps pour la littérature. Mieux équilibrer ma production est ma bonne résolution de 2016.
Casus Belli : En quoi Sombre se démarque-t-il des autres jeux d’horreur ?
Johan Scipion : Tu attaques fort, dis donc. Direct les pieds dans le plat. Mais, vue la situation de Sombre, nouvel entrant sur le tout petit segment de marché des jeux de rôle horrifiques, cette niche dans la niche dominée depuis des décennies par un indétrônable mastodonte, répondre à cette question revient à faire le concours de celui qui pisse le plus loin avec Cthulhu. Ce serait très con : y’a juste pas moyen de gagner contre le papi poulpe, il est trop fort. Et puis, je l’aime beaucoup. L’Appel est l’une de mes grandes références ludiques. Du coup, l’idée de le tacler par derrière me rebute pas mal. Après, la question est légitime. Quand on essaie de lui refourguer un baril d’une nouvelle lessive, la ménagère rôliste est en droit de s’attendre à ce qu’on lui explique pourquoi elle devrait en changer.
CB : Une partie de Sombre, ça ressemble à quoi ?
JS : Chaque partie de Sombre est un film d’horreur imaginaire, dans lequel les joueurs incarnent des victimes. Les règles sont simples, vraiment simples.
Tout le système, du roll under classique de chez classique mais ultra épuré, s’articule autour de deux jauges, Corps et Esprit. Elles servent à la fois de compétences et de réserves de points, respectivement de santé physique et mentale. La jauge d’Esprit est enrichie par une mécanique de Personnalités, des guides de roleplay évolutifs présentés sous forme de cartes. Le jeu en propose soixante-douze, chaque joueur en a trois, qu’il choisit à la création de son personnage. Elles représentent trois stades psychologiques. Par exemple prudent, méfiant, paranoïaque. Ou impulsif, téméraire, suicidaire. Ou encore docile, soumis, servile. À mesure qu’il perd des points d’Esprit, le PJ passe d’une phase à l’autre, c’est-à-dire d’une carte à l’autre. Sur chacune d’elles sont inscrites quelques lignes de conseils pour aider le joueur à roleplayer la phase dans laquelle il se trouve.
CB : Quel est l’univers du jeu ?
JS : Sombre n’a pas d’univers dédié. Chaque film d’horreur porte son propre setting. Chaque partie aussi. Le scénario-type est un survival horrifique et coopératif, souvent en huis clos. Le format standard est le one-shot, de quinze minutes pour mes démos les plus courtes à cinq ou six heures, parfois plus (mon record est douze), pour les séances longues. On peut bien sûr enchaîner les one-shots à la manière d’une franchise cinématographique. J’ai une campagne de ce type en cours à ma table. Le setting est persistant, les antagonistes récurrents, mais les protagonistes changent d’une séance à l’autre. Exactement comme dans Les Griffes de la nuit et ses séquelles.
CB : Quel forme prend le jeu ?
JS : Je publie le jeu sous forme de revue. Une collection de brochures de 72 pages au format A5, qu’on peut acheter sur mon site (terresetranges.net). J’en sors une par an à peu près et je travaille en ce moment sur la cinquième. Il s’agit en fait d’une gamme. Le premier numéro était un livre de base avec les règles, toutes les aides de jeu (dont les fameuses cartes de Personnalité) et un scénario de découverte à thème zombie apocalypse. Les suivants sont des suppléments. Ils contiennent des articles à destination du meneur, dans lesquels j’explique par exemple comment briefer les joueurs avant la partie, utiliser au mieux chaque Trait (Sombre propose une cinquantaine d’Avantages et de Désavantages), cadrer la création collective ou écrire de bons scénarios. Dans chaque numéro, il y a au moins un scénario prêt à jouer, parfois deux, toujours inspirés du cinéma. Massacre à la tronçonneuse, La Nuit des mortsvivants, Délivrance, Alien, Battle Royale et Cube font partie de mes références.
CB : Apparemment, Sombre se décline. Sombre zéro et Sombre max, qu’est-ce que tout ça ?
JS : Je développe en parallèle deux variantes. Sombre zéro, à laquelle je consacre un article dans le deuxième numéro de la revue, est une version ultra compacte et simplifiée, que j’utilise pour jouer en un quart d’heure dans des lieux a priori peu propices (des salons très bruyants et des bars, notamment) ou avec des publics qui ne connaissent rien ou pas grand-chose à notre hobby, des grands débutants ;j’initie à tour de bras, des enfants ou des personnes âgées. Sombre max, variante encore inédite mais dont le playtest est déjà bien avancé, permet de jouer de l’action horrifique façon Predator, Aliens, Vampires de Carpenter, Dog Soldiers ou les Terminator de Cameron. Je le publierai dans un futur numéro de la revue.
CB : Quelles sont les origines du jeu ?
JS : Au départ, il y a une vingtaine d'années, je menais Kult. J’en suis tombé amoureux dès sa sortie en France, au milieu des années 90. J’adore ce jeu. Tellement que je me suis efforcé d’y jouer by the book. Sans succès, malheureusement. Je ne suis jamais parvenu à faire tourner le système à ma table et n’ai pas non plus réussi à exploiter l’univers dans mes parties, ou seulement quelques minuscules bribes. Trop vaste, trop riche, trop complexe. J’essayais de jouer Kult dans les règles de l’art et je me suis retrouvé à l’accommoder à ma sauce : règles simplifiées et scénarios ressemblant furieusement à des films d’horreur. À force de bidouillages, j’ai fini par comprendre que j’étais en train de développer mon propre jeu. Deux décennies plus tard, j’y suis encore.
CB : Tu testes, tu re-testes, tu fais jouer partout à travers la France et audelà... D’où vient la motivation, après
toutes ces années ?
JS : Les trois P, plaisir, passion et professionnalisme. En premier lieu, Sombre m’éclate. Je prends un pied colossal à le développer, l’écrire, le mener. Ce n’est pas à toi que j’essaierai de faire croire que le boulot d’auteur triclassé animateur et éditeur n’est qu’une longue succession de bonheurs sucrés. Y’a plein de trucs chiants, voire très chiants. Mais, quand je mène, même si je viens de m’enquiller quinze par parties en deux jours, même si je suis tellement fatigué que je ne sais plus très bien ce que je raconte, même si c’est la trois-centième
fois que je déroule mon scénar - je n’exagère pas, j’ai vraiment mené certains de mes scénarios trois cent fois ! – eh ben je prends mon pied. C’est plus fort que moi, j’aime ce putain de jeu.
CB : Tu es éditeur aussi ?
JS : Auteur de Sombre est mon métier. Bon, j’en ai plein d’autres à côté. Je dirige une revue et une (minuscule) maison d’édition, j’assure des animations à droite et à gauche, j’écris des nouvelles aussi. Mais, quand je playteste, rédige ou promotionne Sombre, je bosse. Et je suis le genre de garçon qui aime travailler carré, voire carré de chez carré. Je veux bien faire, ce qui implique d’avoir à ma disposition des outils ludiques performants et adaptés. Quand ce n’est pas le cas, je m’empresse de les créer. Tu vois l’Annapurna face Nord ? Je t’assure que certaines de mes démonstrations y ressemblent furieusement, tu n’y vas pas en slip. Tu t’équipes parce tu sais que sinon tu vas te planter. Je ne veux pas une bonne règle, je veux la meilleure règle que je sois capable de produire, donc je la playteste le temps qu’il faut pour l’améliorer autant que je le peux. Je ne veux pas un bon scénario, je veux le meilleur scénario que je puisse écrire, donc je le teste et le reteste. Cinq fois, dix fois, trente fois, cent fois avant de les publier dans ma revue. Je suis exigeant parce que je veux être efficace. Quand tu enchaînes les démos comme je le fais, environ deux cents par an, bosser avec du matos moisi serait une monstrueuse galère.
CB : Le taux de mortalité parmi les PJ à Sombre est des plus élevés, et pourtant les joueurs en redemandent. Pourquoi?
JS : Parce que c›est fun. Jouer une victime horrifique est super cool. Ce sont des gens ordinaires confrontés à des événements qui les mettent très durement à l›épreuve, pas des moutons qu›on mène à l›abattoir. Un film dans lequel les teenagers attendraient bien sagement dans leur lit que le tueur à la machette vienne les massacrer n’aurait aucun intérêt. Les victimes horrifiques luttent âprement pour survivre. Elles se sortent grave les doigts, et c’est passionnant à jouer. Il faut être dynamique, réactif, proactif et savoir garder son sang-froid même quand les règles, le scénario, le meneur et les autres joueurs conspirent pour te mettre la pression. Et il arrive même parfois que tu réussisses à atteindre le générique de fin en un seul morceau, auquel cas tu te sens le roi du monde. La final girl est l’avenir de l’homme, c’est clair.
CB : Des projets autour de ton jeu se multiplient. Pourrais-tu nous les présenter rapidement ?
JS : Comme je te le disais, Sombre n’a pas d’univers dédié, mais cela n’empêche pas qu’il a trois univers officiels. Je ne suis pas à un paradoxe près. Il se trouve, mais c’est un hasard, qu’ils sont tous plus ou moins inspirés de Lovecraft. On ne l’a pas fait exprès, c’est juste que j’ai tendance à bien m’entendre avec les gens qui ont bon goût en matière de littérature horrifique. Millevaux (1) est l’oeuvre de Thomas Munier. C’est un univers post-apo, forestier et sludgecore, motorisé aujourd’hui par plusieurs systèmes, dont le mien. Le contexte est une Europe du futur revenue à la barbarie après qu’elle ait été recouverte par une forêt surnaturelle. Développé par Thierry Salaün, Cthulhu DDR croise le Mythe et la République démocratique allemande des années soixante. Lovecraft au pays du socialisme réel, vaste programme. Et j’ai moi aussi commis un univers lovecraftien. Il s’agit d’Extinction, dont j’ai publié le cadre général dans Sombre 2. L’idée est de jouer après le réveil de Cthulhu. Mad Max dans la flotte, avec des gros monstres marins super agressifs.
CB : Comment vois-tu l'avenir pour Sombre ?
JS : Radieux ! Je suis actuellement dans la dernière ligne droite de Sombre 5. Je vais y parler des quickshots, ces parties que j’improvise à partir d’un brainstorming initial des joueurs. Il y aura également un petit setting forestier, façon cabane au fond des bois, et un scénario pour Sombre zéro dans lequel on joue des jouets. J’espère qu’il sera paru, ou en bonne voie de l’être, lorsque tes lecteurs liront cette interview. Sinon, j’ai établi des pré-sommaires pour encore au moins cinq ou six numéros. Il y aura notamment un spécial Sombre zéro, qui sera comme un nouveau livre de base avec les règles intégrales de la variante, un guide maîtrise et plusieurs scénarios. Ce sera normalement pour Sombre 6. Je consacrerai aussi un numéro au genre slasher, et peut-être un autre à l’horreur gothique, sous-genre dont je suis particulièrement fan.
CB : D'autres projets dans ta besace ?
JS : En jeu de rôle, non. Sombre sera ma seule et unique création. Je sais que je n’ai pas d’autre jeu en moi. Tout ce que j’aime dans le hobby s’y trouve concentré. Par contre, comme je te le disais tout à l’heure, je suis également nouvelliste. J’ai publié une poignée de textes ces dernières années, principalement chez Malpertuis, Dreampress et Parchemins & Traverses. Je voudrais bien les réunir en un recueil, mais il faudrait que j’y ajoute quelques nouvelles inédites. Or Sombre m’accapare beaucoup, ce qui me laisse peu de temps pour la littérature. Mieux équilibrer ma production est ma bonne résolution de 2016.
Propos recueillis par Laurent Devernay
Photo Christophe Delsart
Pour soutenir sombre, c'est ici : https://www.tipeee.com/johan-scipion-raconte-sombre
Photo Christophe Delsart
Pour soutenir sombre, c'est ici : https://www.tipeee.com/johan-scipion-raconte-sombre
1-Millevaux Créé par Thomas Munier,
Millevaux vous propose de découvrir une Europe postapo envahie par la forêt. Le peu d’habitants qui restent sont rongés par le Syndrome de l’Oubli, privés de la plupart de leurs souvenirs. Dans ce contexte se construisent desmythologies horribles. La survie y est un combat de tous les instants. Ce cadre est disponible sous la forme d’unouvrage ne contenant pas les règles de Sombre mais proposant moult outils pour se l’approprier, y compris desscénarios. On y sent le prolongement de la démarche de Johan Scipion : du matériel testé et émaillé de conseilsissus directement de la pratique.Allez voir de plus près le travail de Thomas Munier (http://outsider.rolepod.net/). Vous pouvez même commander un exemplaire, qu’il fabriquera entièrement lui-même, et découvrir Inflorenza, son jeu situé dans le même univers.
Pour aller un peut plus loin voici un entretiens de Thomas Munier sur Scifi-universeMillevaux vous propose de découvrir une Europe postapo envahie par la forêt. Le peu d’habitants qui restent sont rongés par le Syndrome de l’Oubli, privés de la plupart de leurs souvenirs. Dans ce contexte se construisent desmythologies horribles. La survie y est un combat de tous les instants. Ce cadre est disponible sous la forme d’unouvrage ne contenant pas les règles de Sombre mais proposant moult outils pour se l’approprier, y compris desscénarios. On y sent le prolongement de la démarche de Johan Scipion : du matériel testé et émaillé de conseilsissus directement de la pratique.Allez voir de plus près le travail de Thomas Munier (http://outsider.rolepod.net/). Vous pouvez même commander un exemplaire, qu’il fabriquera entièrement lui-même, et découvrir Inflorenza, son jeu situé dans le même univers.
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Certains peuples vouent un culte à l'argent au commerce, d'autres ne vivent que par la mécanique, d'autres encore se complaisent dans la conquête et la guerre. Croyez-moi, un marin au long cours aura l'occasion de voir bien des choses étranges au cours de ses voyages !
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Re: entretien avec...
entretien avec OVNI NOUVEL ÉDITEUR
Éditeur d’autres réalités Luchadores revient dans une nouvelle édition portée par des petits hommes verts dont la mission est d’explorer les chemins de traverse de l’univers littéraire. Rencontre autour d’une soucoupe.
Éditeur d’autres réalités Luchadores revient dans une nouvelle édition portée par des petits hommes verts dont la mission est d’explorer les chemins de traverse de l’univers littéraire. Rencontre autour d’une soucoupe.
Casus Belli : Pourrais-tu présenter rapidement « OVNI Éditeur d’autres réalités » et votre orientation éditoriale? Que cache ce titre mystérieux?
OVNI : OVNI est né de la rencontre entre Mr. X et Mrs. Smith, deux personnages aux forts caractères qui ne pouvaient créer que quelque chose hors du commun. Notre ligne éditoriale a découlé d’un constat que nous faisions depuis longtemps : aujourd’hui, les éditeurs ne prennent plus de risque. Ils font fi des textes sortant des cases, se contentant de ce que l’on appelle le « mainstream ». Pourtant, c’est bien en dehors de ces courants classiques que se trouvent nombre de perles. Nous avons donc décidé de publier ces perles, afin de leur donner l’éclairage qu’elles méritent. Notre ligne éditoriale se résume donc à un seul critère : sortir des sentiers battus. Nous n’avons pas de type littéraire particulier pour les romans, ni pour les jeux de rôle. De l’original, rien que ça !
Notre équipe est assez restreinte. Outre nous deux, nous nous sommes entourés de personnes autant de confiance que compétentes afin de sélectionner nos titres. Toutes les étapes de l’édition sont donc couvertes. De A à Z.
Quant au nom ? Nous cherchons à publier des objets culturels hors du commun. Que ce soient Pagan Pandemia, La Confidence d’Althios ou Luchadores, ce sont trois titres qui ne rentrent dans aucune case. Des OVNI, donc. Auxquels nous voulons croire.
CB : Alors pourquoi pas OLNI (Objet Ludique) ou ORNI (Objet Rôliste)?
OVNI : Parce que nous ne faisons pas que du jeu, mais aussi du roman!
CB : En effet… Qu’est-ce qui vous a fait choisir Luchadores comme premier JdR à (ré)éditer ?
OVNI : Pourquoi Luchadores ? Des catcheurs mexicains qui luttent contre des créatures surnaturelles à coup de clef de bras et autres projections, si ça ce n’est pas sortir des sentiers battus, je ne sais pas ce qu’il faut ! C’est ce contre-courant qui nous a séduits dans Luchadores. Ce parti pris affiché de quelque chose d’original, de jamais vu. Lors de sa première édition, Luchadores a rencontré son public (les notes du GROG, entre autres, en attestent). Mais le titre est très vite tombé en rupture. Il nous a semblé dommage qu’un tel titre ne soit plus disponible. Voilà donc les deux principales raisons qui nous ont fait contacter le collectif à l’origine de cette première édition. Ils nous ont très vite donné leur accord, et c’est ainsi qu'est née la Rumble Édition.
CB : Pourquoi ne pas être passé par un financement participatif comme beaucoup de « nouveaux » éditeurs ?
OVNI : Pour nous, le financement participatif est l’inverse d’une prise de risque éditoriale. Un éditeur qui croit dans un titre (roman ou JdR) se doit, selon nous, de s’impliquer dans ce projet, de le porter. Du début à la fin. Et donc d’investir son temps, son argent, son équipe, et de soutenir le(s) auteur(s). Il est facile de dire aux joueurs « vous voulez la version 12 de Patafoin & Romarin ? Donnez-nous des sioux, écrivez à l’ARC, et vous y aurez droit ! » et d’attendre que les euros s’accumulent jusqu’à un palier jugé suffisant afin de démarrer le travail sur le titre. De « prévendre » son jeu. De zapper les boutiques qui ne pourront pas le proposer. Non. Pas chez nous.
D’ailleurs, cela nous conduit à insister sur quelques spécificités de notre fonctionnement : un à-valoir de versé pour les romans, 20 % de droits d’auteur, une prise en charge totale de la promotion du titre… Ce genre de détails qui, nous l’espérons, nous différencient un peu des autres.
CB : Et maintenant que le pari est lancé, prévoyez-vous du suivi pour Luchadores ?
OVNI : La gamme se compose aujourd’hui de trois éléments : le livre de base, son écran rigide trois volets et Luchaventures, qui contient cinq scénarios parus à l’époque de la première édition du jeu. Les rassembler au sein d’un même fascicule pour les joueurs nous a paru un excellent prolongement à la campagne fournie dans le livre de base. Avant de faire de l’inédit, nous voulions déjà ressortir le jeu et les scénarios parus, introuvables ou presque aujourd’hui. Cela nous paraissait important pour tous ceux qui n’avaient pas pu profiter de la première version. Et l’écran rigide et le supplément Luchaventures sont des ajouts importants au jeu.
Il est un peu tôt pour parler du futur de la gamme, mais Green Tiburon et Black Torpedo seraient, selon nos informations, en train de cogiter sur une nounouvelle campagne. Nous en reparlerons lorsqu’il en sera temps !
(ndlr : Malgré un hangman magistral et diverses prises illégales réalisées alors que nous les avions coincés dans les cordes, OVNI n’a pas craché le morceau sur cette mystérieuse campagne)
CB : Et avez-vous d’autres projets en préparation (nouveaux JdR ou rééditions)?
OVNI : Oui, nous avons d’autres projets. Luchadores n’est que le premier titre JdR chez nous. Il y en aura d’autres. Mais, pour le moment, nous en sommes au niveau des contacts et des premiers échanges avec plusieurs auteurs. Il est trop tôt pour en dire plus. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, dit l’adage... À long terme, nous aimerions avoir un lien entre les JdR et le roman, l’un découlant de l’autre, quel que soit le sens, car ce sont deux loisirs amenés à emprunter les mêmes chemins.
CB : Un dernier mot avant de retourner dans votre vaisseau ?
OVNI : Que ceux qui sont intéressés peuvent nous soumettre des manuscrits ou des JdR, respectivement à ovnisoumission[a]gmail.com et projetdovni[a]gmail.com. Merci!
http://www.ovni-editeur.com/
OVNI : OVNI est né de la rencontre entre Mr. X et Mrs. Smith, deux personnages aux forts caractères qui ne pouvaient créer que quelque chose hors du commun. Notre ligne éditoriale a découlé d’un constat que nous faisions depuis longtemps : aujourd’hui, les éditeurs ne prennent plus de risque. Ils font fi des textes sortant des cases, se contentant de ce que l’on appelle le « mainstream ». Pourtant, c’est bien en dehors de ces courants classiques que se trouvent nombre de perles. Nous avons donc décidé de publier ces perles, afin de leur donner l’éclairage qu’elles méritent. Notre ligne éditoriale se résume donc à un seul critère : sortir des sentiers battus. Nous n’avons pas de type littéraire particulier pour les romans, ni pour les jeux de rôle. De l’original, rien que ça !
Notre équipe est assez restreinte. Outre nous deux, nous nous sommes entourés de personnes autant de confiance que compétentes afin de sélectionner nos titres. Toutes les étapes de l’édition sont donc couvertes. De A à Z.
Quant au nom ? Nous cherchons à publier des objets culturels hors du commun. Que ce soient Pagan Pandemia, La Confidence d’Althios ou Luchadores, ce sont trois titres qui ne rentrent dans aucune case. Des OVNI, donc. Auxquels nous voulons croire.
CB : Alors pourquoi pas OLNI (Objet Ludique) ou ORNI (Objet Rôliste)?
OVNI : Parce que nous ne faisons pas que du jeu, mais aussi du roman!
CB : En effet… Qu’est-ce qui vous a fait choisir Luchadores comme premier JdR à (ré)éditer ?
OVNI : Pourquoi Luchadores ? Des catcheurs mexicains qui luttent contre des créatures surnaturelles à coup de clef de bras et autres projections, si ça ce n’est pas sortir des sentiers battus, je ne sais pas ce qu’il faut ! C’est ce contre-courant qui nous a séduits dans Luchadores. Ce parti pris affiché de quelque chose d’original, de jamais vu. Lors de sa première édition, Luchadores a rencontré son public (les notes du GROG, entre autres, en attestent). Mais le titre est très vite tombé en rupture. Il nous a semblé dommage qu’un tel titre ne soit plus disponible. Voilà donc les deux principales raisons qui nous ont fait contacter le collectif à l’origine de cette première édition. Ils nous ont très vite donné leur accord, et c’est ainsi qu'est née la Rumble Édition.
CB : Pourquoi ne pas être passé par un financement participatif comme beaucoup de « nouveaux » éditeurs ?
OVNI : Pour nous, le financement participatif est l’inverse d’une prise de risque éditoriale. Un éditeur qui croit dans un titre (roman ou JdR) se doit, selon nous, de s’impliquer dans ce projet, de le porter. Du début à la fin. Et donc d’investir son temps, son argent, son équipe, et de soutenir le(s) auteur(s). Il est facile de dire aux joueurs « vous voulez la version 12 de Patafoin & Romarin ? Donnez-nous des sioux, écrivez à l’ARC, et vous y aurez droit ! » et d’attendre que les euros s’accumulent jusqu’à un palier jugé suffisant afin de démarrer le travail sur le titre. De « prévendre » son jeu. De zapper les boutiques qui ne pourront pas le proposer. Non. Pas chez nous.
D’ailleurs, cela nous conduit à insister sur quelques spécificités de notre fonctionnement : un à-valoir de versé pour les romans, 20 % de droits d’auteur, une prise en charge totale de la promotion du titre… Ce genre de détails qui, nous l’espérons, nous différencient un peu des autres.
CB : Et maintenant que le pari est lancé, prévoyez-vous du suivi pour Luchadores ?
OVNI : La gamme se compose aujourd’hui de trois éléments : le livre de base, son écran rigide trois volets et Luchaventures, qui contient cinq scénarios parus à l’époque de la première édition du jeu. Les rassembler au sein d’un même fascicule pour les joueurs nous a paru un excellent prolongement à la campagne fournie dans le livre de base. Avant de faire de l’inédit, nous voulions déjà ressortir le jeu et les scénarios parus, introuvables ou presque aujourd’hui. Cela nous paraissait important pour tous ceux qui n’avaient pas pu profiter de la première version. Et l’écran rigide et le supplément Luchaventures sont des ajouts importants au jeu.
Il est un peu tôt pour parler du futur de la gamme, mais Green Tiburon et Black Torpedo seraient, selon nos informations, en train de cogiter sur une nounouvelle campagne. Nous en reparlerons lorsqu’il en sera temps !
(ndlr : Malgré un hangman magistral et diverses prises illégales réalisées alors que nous les avions coincés dans les cordes, OVNI n’a pas craché le morceau sur cette mystérieuse campagne)
CB : Et avez-vous d’autres projets en préparation (nouveaux JdR ou rééditions)?
OVNI : Oui, nous avons d’autres projets. Luchadores n’est que le premier titre JdR chez nous. Il y en aura d’autres. Mais, pour le moment, nous en sommes au niveau des contacts et des premiers échanges avec plusieurs auteurs. Il est trop tôt pour en dire plus. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, dit l’adage... À long terme, nous aimerions avoir un lien entre les JdR et le roman, l’un découlant de l’autre, quel que soit le sens, car ce sont deux loisirs amenés à emprunter les mêmes chemins.
CB : Un dernier mot avant de retourner dans votre vaisseau ?
OVNI : Que ceux qui sont intéressés peuvent nous soumettre des manuscrits ou des JdR, respectivement à ovnisoumission[a]gmail.com et projetdovni[a]gmail.com. Merci!
http://www.ovni-editeur.com/
Propos recueillis par Géraud « myvyrrian » G.
extrait du Casus Belli n°18 édité par BBE
extrait du Casus Belli n°18 édité par BBE
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Re: entretien avec...
La petie interview... Tristan Lhomme
Pour d'autre petites interview c'est par ICI
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Source : Farid ben salem
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